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Le Sireine
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Sommaire :
- Le libraire au lecteur
- Épître dédicatoire
- Livre 1 - Le départ de Sireine
- Livre 2 – L'absence de Sireine
- Livre 3 – Le retour de Sireine
- Extrait du privilège
LE
SIREINE
DE MESSIRE HONORÉ D’Urfé, Gentil-Homme de la Chambre du Roy, Capitaine de cinquante
hommes d’armes de ses Ordonnances, Comte de Chasteau-neuf, Baron de
Chasteau-Morand, & c.
BONA
FIDE
A PARIS,
Chez Jean Micard, tenant sa
boutique au Palais, en la
Gallerie
allant à la Chancellerie.
1606.
Avec Privilege du Roy.
LE LIBRAIRE. AU LECTEUR.
Je te fay voir, amy lecteur, le Sireine de Monsieur d’Urfé en meilleur
estat, qu’il n’estoit pas ces années passées ; que je l’imprimay sur une
tres-mauvaise coppie, changée, & deffaillante presque en toutes les
parties principales de l’œuvre, parce que celuy qui me la donna ne prit pas
garde que depuis l’autheur
LE
DESPART DE SIREINE.
LIVRE PREMIER.
Je chante un despart amoureux, Je chante un exil
rigoureux, Et un retour plein de martyre : Amour qui seul en
fus l’autheur Laisse pour quelque temps mon cœur, Et viens sur
ma langue les dire.
Vous de qui le bel œüil vaincœur Me fist jadis
dedans le cœur, Des blessures tant incurrables : Voyez
Sireine, & sa pitié Fasse qu’en vous mon amitié Ne se
pleigne de coups semblables.
L’ABSENCE DE SIREINE.
DEUXIESME LIVRE. Sireine absent du beau sejour Où jadis le blessoit amour, N’ayant rien tant en sa pensée Que le bien qu’il avoit laissé Et la gloire du temps passé Qu’une absence avoit effacée. Le long des rivages herbeux De l’Eridan, paissoit les bœufs Et les gras trouppeaux de son maistre Dont fidelle il estoit chargé, Combien helas ! combien changé Amour de ce qu’il souloit estre ?
Sa joüe où la reine des fleurs Et les lis mesloient
leur couleurs, Languissoit en palleurs mortelles, Les larmes
sans plus ondoyoient Dedans ses yeux où se jouoyent Les belles
charités entr’elles.
Amour qui souloit vivre en luy Plein de plaisir n’a
que l’ennuy Pour sa plus chere nourriture, Si bien qu’en cet
esloignement, S’il vivoit c’estoit du tourment Qui s’alloit
croissant à toute heure.
Ainsi le Berger desolé Ne pouvant estre consolé
Durant ceste fatale absence S’alloit esgarant quelquefois, Par
les rochers ou par les bois Fuyant des hommes la presence.
Solitaire, & loing de chacun, Suivant de son mal
importun La noire humeur, il se retire Aux antres les plus
reculez, Et les destours plus recelez Sont ceux-là que plus il
desire.
N’ayant à lors rien de si doux Que de repenser à
tous coups Au triste à Dieu de sa maistresse, De quelle parole
elle usoit, Lors qu’en pleurs elle luy disoit Qu’il se souvint
de sa promesse.
Soudain que l’Aurore à l’entour Espanchoit des
portes du jour Ses œillets & boutons de rose, Il est
temps, disoit-il, mon cœur Que tu recommences ton pleur, Puis
que ton mal ne se repose.
Il sortoit du lict transporté Et par l’endroict
moins frequenté Quelquefois cherchoit les boccages,
Quelquefois pour se mieux cacher, Les cavés replis d’un rocher
Le plus escarté des villages.
Il advint qu’oubliant le soing De ses brebis un jour
bien loing, Pour mieux entretenir son ame Sur l’Eridan il s’en
alla, En ce lieu Phaéton brusla (Dict-il) mais d’une moindre
flamme.
Icy cheut l’ardant Phaéton, Et dans ce fleuve, ce
dict-on, Furent les flammes amorties, Et pourquoy les miennes
aussi Ne s’esteignent-elles icy, Ou aux larmes de moy
sorties ?
Tu dis amour que ton ardeur Sur passe toute autre en
grandeur, Et qu’icy trop peu d’eau se trouve, Il est vray,
mais amour tu sçais Que mes pleurs font par leur exces En moy
un beaucoup plus grand fleuve.
Que si toutefois tu ne veux Que mes pleurs
esteignent les feux Dont ta main puissante foudroye, Permets
au moins que tes chaleurs Puissent faire tarir mes pleurs, Le
feu, ou l’eau, me brusle, ou noye.
Puis tournant les yeux à l’entour Voit des grand
Peupliers, qui du jour Rendoient une chiche lumiere Par
l’ombre de leur noirs cheveux, Et sembloit qu’enlassez
entr’eux Leur pleur fist grossir la riviere.
Heureux ennuis, utiles pleurs Qui pustes contre les
douleurs Endurcir d’une telle escorce (Dict-il) des sœurs la
tendre peau, Qu’insensibles sans leur rameau Elles n’en
sentent plus la force.
Pourquoy mes pleurs ; en nuis pourquoy Ne
pouvez-vous autant en moy ? Qui vous le peut rendre
impossible ? Pourquoy d’un miserable amant N’enfermez-vous le
sentiment Dessous une escorce insensible ?
Peut estre suis-je mort aussi, Et que ce que je
plains icy N’est sinon que la vaine plainte Que font les manes
sans effect, Mais quoy si je suis mort, qui faict Que je vy
remourant de crainte ?
Mais si je vis, helas ! comment La mort
inseparablement Tousjours dedans mon cœur demeure ? Ah ! si je
meurs, au bien je meurs, Si je vis, je vis aux douleurs Afin
qu’oncques mon mal ne meure.
Alors tous les espoirs conçeus, Alors tous les
plaisirs reçeus Luy revindrent en la pensée, Mais las ! son
estat ennuyeux luy mist soudain devant les yeux Qu’en fin
c’estoit chose passée.
A ses plaisirs désja passez Les maux presens sont
balencez, Les des espoirs à l’esperance, Mais combien foible
est ce poix-là Puis que le passé à cela Qu’à peine est-il mis
en balance.
Donc le present mieux ressenty Fut en ce poix
apesenty D’ennuy si grand & invincible, Que je ne sçay
comment ce fist Que ce tourment seul ne suffit A rendre son
cœur insensible.
Insensible devoit-il pas Rendre ce cœur si le
trespas Des sentimens ravit le trouble ? Et si l’on meurt par
une mort Qui de plusieurs a eu l’effort Doit bien estre
insensible au double.
A cet amant sans qu’il mourut La mort tout à coup
accourut Avec cent trespas autour d’elle, Que s’il ne mourut
pas à lors, C’est qu’elle ne fist ses efforts Qu’en l’ame qui
est immortelle.
Puis qu’aussi tost vindrent apres Toutes les causes
de regrets Que l’absence luy faisoit naistre, Quoy donc ? a eu
moins de pouvoir L’amour (dict-il) que le devoir, Et ma
maistresse que mon maistre ?
Donc vivant j’ay pû consentir De la laisser ? j’ay
pû partir ? J’ay pû donc ouyr de sa bouche Ses à Dieux &
ne suis pas mort ? Qui peust soustenir tel effort Plustost
qu’amant, fust une souche.
D’un penser un autre luy naist, Et jamais celuy qui
luy plaist Un moment ne vit en soy-mesme, Comment, disoit-il,
ce soleil Ne serat-il veu de quelque œil ? S’il est veu ç’en
est faict, on l’ayme.
De-là, le soupçon accroissoit Du soupçon, la crainte
naissoit, De la crainte, la jalousie, Et de la jalousie en
fin Se produisoit dedans son sein Une espece de
frenaisie.
Et n’estoit que le tourmentant, Ce mal qu’il alloit
augmentant Se lassoit mesme en sa victoire, Je ne sçay pas
qu’elle eust esté Sa vie, dans l’extremité D’une si cruelle
memoire.
Comme le fer rouge de feu De soy n’estincelle qu’un
peu, Mais sort tout en feu & en flame Quand le marteau l’a
outragé, Ainsi de penser surchargé Sireine estincelle en son
ame.
Et quand ses pensers non trompeurs Alloient
renouvellant ses pleurs, Le frappant comme nouveaux Brontes
Sur l’enclume du souvenir, Amour tu le vis devenir De feu,
mais le feu tu surmontes.
Et pendant qu’il estoit ainsi L’œil de trop de
pleurs obscurcy Il tourne sur l’onde fuyarde, Qui flot
redouble dessus flots, Avec elle emportoit ces mots Sans,
helas ! qu’il s’en prenne garde.
Laissez-moy penser, trop pensez, Donnez-moy tréve
& vous lassez Desormais de si longue guerre, C’est estre
cruel, non vaillant Que d’aller encor travaillant Les vaincus
en estrange terre.
Allez, courez, volez legers, O mes amoureux
messagers, Et si ma pitié vous emporte A celle que je plains
icy, Remantevez-luy le soucy Qu’icy pour elle je
supporte.
Veritables racontez-luy Les cruautez de mon
ennuy Et l’effort de ma patience, Comment je vy passant le
jour, Comment la nuict me traicte amour Aux ceps d’une si
longue absence.
Mais dictes luy que tout ce mal Toutesfois ne peust
estre esgal Au bien que j’ay d’estre aymé d’elle, Et
qu’ensemble tous les ennuis Adjoustez à ceux où je suis Ne
sçauroient me rendre infidelle.
Que mon cœur dedans les travaux Ressemble à l’aulne
dans les eaux Qui s’endurcit par longue espace, Souffrant
aussi je m’endurcy, Mais nous differons en cecy Qu’il ne
ressent, quoy qu’on luy fasse.
Moy qu’au contraire je ressens Tousjours mes ennuis
renaissans, Plus sensible en ce qui m’offence, Et que le
violent desir De la revoir, est le plaisir Qui seul me reste
en ceste absence.
Ainsi discouroit ce Berger Au mesme temps qu’un
messager Que sa Diane luy envoye Des lettres luy donna (mais
non) C’estoient des amours soubs ce nom, Dont mesme le papier
flamboye.
O Amour que ressentit-il ! O combien heureux fust
l’exil Qui vit naistre tant de liesse, Onc plus beau ne fust
le sejour Aupres mesme de son amour Que ceste absence eust
d’alegresse.
Ce messager avoit cherché Longuement cet endroit
caché Pour seul son message luy dire, Mais à la fin quoy qu’il
voulut Estre tout seul, il luy faillut Prendre plusieurs pour
le conduire.
Amour en cent façons l’assaut Que fera-il, puis
qu’il ne faut En donner à lors cognoissance Aux Bergers qui
sont à l’entour ? Le cachant, il offence amour, Le monstrant,
Diane il offence.
Doncques pour leur plaire à tous deux, Il cache
& montre un peu ses feux Et si un peu par telle ruse, Il
les offence tour à tour, Diane l’excuse à l’amour, Amour à
Diane l’excuse.
Ainsi combatu doublement, Vaincu vaincœur
également, Ores d’amour, & ore d’elle, De s’enquerir il
s’efforça Le desir sans plus l’y poussa, Qui curieux s’en
renouvelle.
Messager, soient ainsi les Dieux Tousjours à tes
vœux gracieux, Dy moy qu’est-il de nostre pleine ? Qu’est-il
de nos Bergers aussi ? Le Messager respond ainsi, Chacun t’y
regrette (Sireine.)
Chacun desire ton retour, Chacun despite ton
sejour, Chacun envie ce rivage Qui t’a si long-temps
retenu, Chascun pour estre icy venu Estoit jaloux de mon
voyage,
Silvan encore qu’amoureux, Ne laisse d’estre
desireux De te revoir bien tost (Sireine) Diane me dist en
partant, Qui a-il qui l’arreste tant, Fay que ton retour nous
l’ameine.
Il dist & soudain il s’en va, Alors Sireine se
leva Et le long du courbé rivage Ainsi que son pas le
portoit, A soy-mesme il se ramantoit Chasque mot de ce doux
message
Puis prenant la lettre en la main, Papier (dict-il)
d’amour tout plein, Que m’apportes-tu ? paix, ou guerre ? Lors
un glaçon gella son cœur, Mais le desir qui fust vaincœur
Rompit le cachet qui la serre.
Cher Messager de mon bon-heur (Dict-il) ou plustost
le donneur Du bien qu’en cet exil j’espreuve : O doux &
heureux truchement Du cœur dont le commandement, Fait qu’entre
mes mains je te treuve ?
O mes yeux ! c’est bien pour certain Que voicy les
traits de la main Où s’enclot mon bien & ma peine, Et qui
tant de feux ont semez Parmy ces chiffres bien aymez, De nos
desirs marque certaine.
Combien de Cupidon esclots, Naissent à chacun de tes
mots ? O combien de flammes tu portes ! Je ne sçay pas comment
tu peux Ne te brusler à tant de feux Dont tu brusles de tant
de sortes.
Amour ces miracles a faicts, Qui aux impossibles
effects A tousjours la main resolue, (Il dict) & l’ouvrant
il y leut, Sireine qui és mon salut Une Diane te saluë.
Puisse-tu vivre aussi heureux, Puisse-tu jouyr pour
nous deux Autant d’un destin favorable, Comme loing de toy je
ne puis M’accompagner que des ennuis, Qui font ma vie
insupportable.
Berger si prompt en t’en allant Qui te faict au
retour si lent, Ton amour n’a-il point de plume, S’il en a, je
ne sçay comment, Tu sejournes si longuement Sans voler comme
de coustume.
Helas ! à mon dam je voy bien Qu’Amour promet &
ne tient rien Aux plus fideles trop parjure : Il me promit à
ton despart Un prompt retour, mais je voy tard, Qu’il ment
plus, lors que plus il jure.
Je voy, & je ne puis penser (Afin Berger de
n’offencer Ta foy que je croy trop sincere) Que ce que je voy
soit ainsi, Et si tu ne reviens icy Je dis, il ne le peut pas
faire.
Ainsi j’essaye en me flattant, De dislayer jusques à
tant Qu’à ton desir recroisse l’ayle, Que s’il n’a plus le
souvenir Desormais de s’en revenir, Escoute au moins que je
t’appelle.
Las ! je t’appelle incessamment De ce trop long
bannissement, Bannissement certes, le dis-je, Puis que tous
deux il nous bannit Du lieu où l’amour nous unit, Et bannis
tous deux nous afflige.
Chasque moment de ce sejour Qui va retardant ton
retour, M’est un long siecle que je pleure, Tu vis mes yeux (ô
temps heureux) Tous bruslants de feux amoureux, Or sans plus
le pleur y demeure.
Que c’est, amy, de bien aymer, Si l’on me parle de
la mer J’ay l’ame de crainte frappée, Que quelque tourbillon
volant Ne t’ait accueilli en allant, Et ta galere
enveloppée.
Si l’on me discourt des poissons, Monstres-marins,
mille glaçons Me gellent aussi tost craintive, Si l’on me
nomme quelque escueil ! (O Berger) que devient mon œil ? Je
suis aussi morte que vive.
Que si l’on raconte les loups Qu’aux Alpes on voit à
tous coups, Je tremble, amy, toute peureuse, Et plus encor
pour ces grands Ours Aussi une amitié tousjours Est plaine de
crainte soigneuse.
Dieux ! qu’est-ce que je ne craint point ? Loing de
toy toute fleur me point Et m’est une tranchante espine, Ce
que je crains, je ne sçay pas, Mais je sçay bien qu’à tous les
pas, L’effroy me gelle la poictrine.
Qui sçait ? peust estre à mes despens, A nouvelle
amour tu te prens Et porté d’une humeur volage, Te mocquant de
moy, tu luy dis Qu’aussi sotte que mes brebis, Je suis
vrayment née au vilage.
Ah ! soit faux ce penser fascheux, Que si toutefois
tu le veux Avant que de m’estre infidele, Fay courre ce
bruict, j’en mourray, (Sireine) jamais je n’oray Sans mourir
semblable nouvelle.
Mais non je ne veux plus songer Que tu puisses estre
leger, Ny qu’autre de toy me recule, Aussi toute raison veut
bien Puis que ton feu seul est le mien, Que le mien seul aussi
te brusle.
Que si le desir de me voir, N’a tant en ton cœur de
pouvoir Qu’un prompt retour il te permette, Que mon ennuy si
violent Te fasse revenir volant, Et tu verras comme il me
traicte.
Tu verras que tout mon trouppeau Ne boit point tant
de goutte d’eau, Ny ne despoüillent nostre pleine De tant
& tant de belles fleurs, Que je supporte de douleurs
Pendant ton absence (Sireine.)
Tu verras qu’une triste nuict, Quelque part que
j’aille me suit Depuis le jour (ains la nuict sombre) Qu’amy,
je te pûs dire à Dieu, Que bien qu’on me croye en ce lieu Il
n’y a rien plus que mon ombre.
Tu verras que tous ces plaisirs Qui souloient borner
mes desirs Ne sont plus rien en ton absence, Et que je ne me
plaits, sinon, (Sireine) qu’à nommer ton nom Et vivre da ta
souvenance.
Si je vas quelquefois aux lieux Tesmoins de nos
derniers à Dieux, Icy (souspiray-je en moy-mesme) Estoit
Sireine & sur le sein, Il mit plus de cent fois la main
Disant, Diane je vous ayme.
Si je vois les prez verdissants, Où nos trouppeaux
rajeunissants S’engraissoient ensemble au revivre, Je dis, ô
Dieux ! que different Est l’estat où je vas mourant De celuy
où je soulois vivre.
Bref, en quelque part que je sois, Tousjours
presente je conçois En mon cœur (Berger) ton Idée, Et semble,
ou soit-il, pour mon mieux Ou pour mon pis que curieux, Amour
en tout me l’ait gardée.
Mais ces pensers repus de vent, Apres demandent bien
souvent Pourquoy tu m’as abandonnée, Estant certains que si
j’estoy, (O mon Sireine comme toy) Je seroy désja
retournée.
Ils sçavent bien que ton desir, Ne permettoit à ton
plaisir Qu’autrefois loing tu pusses estre, Et or’ ils ne
sçavent comment Tu demeures si longuement, Au moins ! que
j’aye un mot de lettre.
Ah ! non, n’escry point, mais revien, Revien Berger,
& te souvien Qu’amour grand Dieu te le commande, Ton amour
te le dict ainsi, Le mien plus grand l’ordonne aussi, Est-il
quelque force plus grande ?
Si treuver raison tu ne peux De revenir quand je le
veux, Il faut que tu te ressouviennes, Que si ce n’est ta
passion, C’est (Berger) mon affection, Qui veut pour tout que
tu reviennes.
Si ton amour n’est point changé, Tu treuveras que ce
congé Doit bien avoir plus de puissance Que la raison que tu
bastis, Lors que de cet œil tu partis, Œil qui pleure encor
ceste offence.
Que si tu t’en pûs en aller, Afin seulement de
celler Nos amitiez en quelque sorte, Ores ne dois-tu
revenir Pour ces amitiez maintenir, Qui mourront quand je
seray morte ?
Que si tu n’advances tes pas, Ingrat amant de mon
trespas Tu sçauras bien tost les nouvelles Vien si ce bien
t’est encor cher Qui t’esloigna pour le cacher, S’il se perd
en vain tu le celles.
Oultre que ma mere se deult, Et plus longuement ne
me veult Seule dans un lict solitaire, Et souvent se fasche
avec moy, Mais pourveu que je sois à toy A son gré me tanse ma
mere ?
Dieux oyez ce que je promets, Mon amour ne mourra
jamais Il n’y a destin qui le change, Que s’il advient oncq
autrement, Fasse le ciel soudainement Que l’amour, par la mort
s’en vange.
Celle (mon Berger) qui t’escrit, Est celle qui jadis
t’esprit Et s’esprit d’amour non profane, Mais d’un qui fust
si sainct & beau Qu’elle l’aura mesme au tombeau, Car
(Sireine) c’est ta Diane !
Quel plaisir ? quel contentement En son heureux
forcénement, (Sireine) à lors ton cœur enleve ? Où sont fuis
tes maux passez, Certes ils sont bien effacez Comme la nuict
quand le jour leve.
Autant comme il y vit de mots, Autant il baisa sans
repos D’amour la douce messagere, Quel heur en presence
(dict-il) Sçauroit esgaler mon exil Par une fortune si
chere ?
Quoy pappier, il est donc certain Que tu as baisé
ceste main Qu’en esprit cent fois je rebaise, Et que ces
flambeaux pleins d’amour T’ont esclairé de leur beau jour, Et
son cœur t’a remply de braise.
Ayant tant de bien obtenu, Comment pappier, és tu
venu Icy en un monde de peine ? Icy où le mal nous
repaist, Icy où tout ce qui nous plaist, Est le seul penser
qui t’ameine ?
Tu ne meritois tant de bien L’ayant laissé pour
estre mien, Mais las ! en toy je me condemne, Je ne meritois
l’heur reçeu Puis que venant icy j’ay sçeu, Sans mourir
laisser ma Diane.
Alors un torrent de ses yeux Moüille ceste lettre en
cent lieux, D’amour, de regret, & de honte, Parce qu’il ne
voit ces amours Qu’ils les va regrettant tousjours, Et que ce
pappier les luy conte.
Qu’il luy fasche de sejourner, Il veut soudain s’en
retourner, Diane & amour le commandent, Faison (dict-il)
faison retour A l’heureux paradis d’Amour, Où tant de faveurs
nous attendent.
Il dist, & les yeux s’essuyant, Le dos à un
arbre espuyant De sa houlette un bout en terre, D’une jambe il
croisa le bas Et l’autre bout avec le bras, Sous l’espaule
courbe il enserre.
D’autant que le prudent Berger Vit revenir le
Messager Et bien que seul il le voit estre, Si veult-il son
mal luy celer L’amour se doit dissimuler, Le non traistre
amour, est un traistre.
Le Messager luy dict à lors (Sireine) que fay-tu
dehors, Ton ennemy chez toy t’outrage, Chez toy puis qu’on te
veut oster Ce que seul tu peux meriter, Retorne donc si tu es
sage.
(O Berger) Diane par moy, Te mande qu’à jamais sa
foy Pour toy sera bien eternelle Et telle qu’elle t’a
promis, Mais si ses parens ennemis La forçent, quelle erreur
faict-elle ?
Juge combien peut contre tous, D’une mere l’aspre
courroux, Et la violence d’un frere, La malice du
medisant, Et ce, que chacun va disant, Puis juge ce, qu’elle
peust faire.
A sa mere desobeyr, Le courroux fraternel fuyr,
Peut estre encor seroit faisable, Mais en tous lieux s’ouyr
nommer, Voila celle, qui veut aymer ? O Dieux ! il n’est point
supportable.
Et à fin de t’en advertir, Ta Diane m’a fait
partir, (Berger) ne soy moins amant qu’elle, Si elle eust pû
venir soudain, O comme elle eust faict le chemin, Que ce
penser te serve d’ayle.
Avec quel glaive de rigueur, (Messager) blesse-tu
son cœur, Il fut contraint s’assoir en terre, Et ne parler de
quelque temps, Ses pensers entre eux combattans, Faisoient en
luy trop rude guerre.
En fin, quand il luy pûst parler, Où sont tant de
serments en l’ayr ! Où sont ces larmes espandues ! Ces paroles
(dict-il) de vent, Dont elle m’alloit decevant, Et sa foy
sont-elles perdues ?
Doncques Diane à le pouvoir, Par toy de me faire
sçavoir, Qu’elle n’est pas bien asseurée ? Ny bien assuré son
amour ? Ah ! qu’elle ait memoire du jour, Que si ferme elle
l’a jurée.
Jamais, me dict-elle, parents, Contre moy devenu
tyrants, Ny mere plus qu’ourse cruelle, Ne pourront mon amour
changer, Toutes choses courent danger Du changement, mais non
point elle.
Comment Cupidon permets-tu, Tant de beauté, tant de
vertu, Couvrir un esprit si volage ? Est-ce pour monstrer en
effect, Que tout ce qui ça bas se faict, N’est en fin,
qu’imparfaict ouvrage ?
Cesse, ô trop desloyal penser, Cesse desormais
d’offencer Celle, qui est parfaicte, & belle ; Si elle
change, cet’ erreur Procede helas ! de mon mal’heur, Non de
deffaut, qui soit en elle.
Or bien amy tu t’en yras, Et de ma part tu luy
diras, Que ceste peur qu’elle a si grande, Est presage de mort
en moy ; Je ne veux survivre sa foy, Que changeant, ma mort
elle attende.
Dy luy, qu’elle ait devant les yeux, De quel juste
fouldre les Dieux, Punissent une foy parjure ; Qu’un frere
peust se courroucer, Mais, qu’il ne sçauroit la forcer,
D’aller contre ce, qu’elle jure.
Et que des traicts du mesdisant, Il n’y a personne
d’exempt Diane la chaste Déesse, Pour le gentil Endimion,
Sçeut combien une opinion, Avec la medisance blesse.
Mais, qu’un amour est bien douteux Qui du nom
d’amour est honteux, Et que tout ce qu’elle m’oppose Pour la
mettre elle, & moy aussi En un perpetuel soucy, Est ce me
semble peu de chose.
Que puis, qu’elle le veut soudain Je me remettray en
chemin, Jamais je n’auray chose chere A l’esgal de sa
volonté, A l’impossible est l’imité Le vouloir, que j’ay de
luy plaire.
Mais ! qu’à tes discours je voy bien, Que pour moy
je n’advance rien Sinon de me haster d’entendre, Combien peu
constante est sa foy, Et qu’un autre heureux plus, que moy,
Prend le bien, que je devrois prendre.
S’il advient, de ma part, dy luy, Que d’un esprit
comblé d’ennuy, D’une ame de desespoir pleine, Entre tes mains
je fay serment Ne croire jamais qu’un amant Soit mieux trahy,
que son Sireine.
Le Messager le voyant seul Prudent pour alleger son
deul, Pensa, qu’il seroit bon luy dire Combien sa Diane
l’aymoit, Et qu’à grand tort il la blasmoit, Au lieu de
plaindre son martyre.
Sireine (dict-il) de sa foy Ne doute non plus, que
de toy, Pour toy seulement elle pleure ; Pour toy luy sont
chers les plaisirs Et si elle a quelques desirs, C’est de te
revoir à toute heure.
Mille fois je l’ay veu pleurer, Mille fois amour
adjurer Ou de te ramener à elle, Ou elle à toy, que s’il ne
peust, Absent au moins qu’elle te sçeut, Fidele autant,
qu’elle est fidele.
O quelle la vis-je à l’abort ! Elle estoit seule sur
le bort De la vive, & claire fontaine, Qui prend des
alisiers son nom, Prés d’elle, il n’y avoit sinon Ses pensers,
& en eux (Sireine.)
Aux yeux, des larmes une mer, Au cœur, un poison
plus amer Que n’est le plus amer absynte, Je vis, ô pitoyable
voir ! Qu’en terre elle se laissa choir, Comme une fleur du
chaut atteinte.
Lors ses yeux l’onde accompagnant, J’ouys sa voix,
ainsi plaignant, O absence cruelle absence ! Si tu es la mort
des amours, Pourquoy doy-je pleurer tousjours, Sans que
j’espreuve ta puissance ?
N’ay-je pas de l’amour en moy ? Ne suis-je objet
digne de toy ? Et amour n’est-il pas mon maistre ? Helas ! si
suis-je toute en feu, Et mon amour n’est point si peu, Que
plus grand un autre puisse estre.
Ne faut-il, que du desplaisir ? Et où s’en
pourroit-il choisir, Quelqu’autre, qui fust plus extréme, Ou,
qui eust en soy plus d’amer ? Faut-il infiniment aymer ?
Helas ! je ne vy pas, ou j’ayme !
Ah ! ton coup contre moy ne peut, Et c’est parce
qu’amour ne veut, Qu’un autre ame guerir s’appreste Que
l’autheur de ma passion, C’est la playe du scorpion Qui se
guerit, par qui l’a faicte.
Si mon blesseur me doit guerir, C’est à toy qu’il
faut recourir (Sireine) quand le mal me presse Autre que toy
n’a pû (Berger) Ce nouveau Telephe outrage, Qui recourt au fer
qui le blesse.
Mais ores que tu es si loing, Combien tardif est au
besoing Le salut de telle blessure ! O ame de peu
d’amitié, Veux-tu guerir sans ta moitié ? Sçais-tu pas que
Sireine endure ?
Helas ! je sçay qu’il va souffrant, Que sans mourir
il va mourant, Et que sans plus j’en suis la cause, Aussi de
ce cruel penser Je me sans plus fort offencer, Que non point
de toute autre chose.
Comme le chasseur escoutant, Je sçay qu’à toute
heure il attend S’il n’aura point de mes nouvelles : Et je
sçay, qu’au lieu où il est, Tout ce, qu’il y a luy desplaist,
Sinon, que ses pensers fideles.
Et moy je puis vouloir guerir ! Et moy je puis
vouloir mourir ! O foible amour ! ô foible flamme ! Tout
ainsi, que le feu n’est grand, Que d’amortir l’on entreprend,
Ny l’amour dont guerit une ame.
Ah ! meure doncque ce desir, Desormais je ne veux
choisir Qu’en mes larmes tout mon remede, Je sçay bien, qu’il
me plaint de-là Et luy cederay-je en celà, Si en amour je ne
luy cede ?
Pour quelque temps elle se teust, Puis comme si de
l’œil elle eust Remarqué chose qui luy fasche : La main elle
met sur les yeux Et semble cacher à ces lieux Leur soleil,
quand elle les cache.
L’eau sous la main luy descendoit, En quoy lors son
cœur se fondoit ; Ainsi l’eau, & le feu ensemble, L’eau du
cœur, le feu de ses yeux, D’un artifice ingenieux, Amour, en
son visage assemble.
En fin d’un souspir eslancé, Mais las ! qui eust
jamais pensé (Dict-elle) que chose si douce, Que l’amour eust
eu tant d’amer Comme je ressens pour aymer ! Le calme en
l’orage nous pousse.
Comment est-ce, que tu consens, Amour, a l’ennuy que
je sens ? Et si tes forces sont si grandes, Comment
souffre-tu, qu’autre Roy, Veüille faire observer sa loy Dedans
le cœur où tu commandes ?
Et toutefois, voicy l’honneur, Qui comme un
outrageux seigneur, Me commande que j’obeysse Au vouloir de
tous mes parents, Honneur, tes pouvoirs sont bien grands !
Mais faut-il, qu’amour y fleschisse ?
Pendant qu’elle parloit ainsi, Le deul luy fronçoit
le sourcy, Le pleur la privoit de lumiere, Les sanglots, la
voix luy ostoient, Et tous ensemble desbatoient, Qui auroit la
place premiere.
Que si tu l’eusses veu (Berger) Tu n’eusses craint
que de changer Elle eust eu jamais quelque envie ; La pitié
plustost eust atteint Ton cœur esmeu, qu’il n’eust pas craint,
Qu’un autre amour te l’eust ravie.
Mais plus si des regrets naissants, Tu eusses ouy
les accents Et sa voix souvent retenue ; Elle qui souloit en
son œil, Porter plus d’esclairs, qu’un soleil, Alors n’y
avoit, qu’une nue.
Depuis, que ses pleurs escoulez, Eurent ses beaux
yeux devoilez, Ainsi, qu’au travers d’un nuage, Le soleil de
nouveau revit, Assez pres d’elle elle me vit, Pour voir des
pleurs sur mon visage.
Toy (dict-elle) qui viens ouyr Ce que tout autre
doit fuyr, Puis que tu vois, quelle est ma peine, Puis que
jusqu’icy mon mal’heur Semble avoir esmeu ta douleur, Dy-moy
si tu cognois Sireine ?
Diane (dy-je) je cognois Sireine & l’ay veu
mille fois, Et bien qu’il ne me recognoisse, Je sçay ton
amour, & sa foy, Et combien son cœur loing de toy Couve,
pour toy seule, d’angoisse.
Petit enfant je l’ay nourry, Et ne fus oncques si
marry, Que le sçachant loing de ma femme, Je l’aymois plus que
tous mes biens, Plus qu’un pere n’ayme les siens, Plus encor,
qu’on n’ayme son ame.
Depuis le revoir je n’ay pû. Mais par une Nymphe
j’ay sçeu, Qu’elle est loing de toy son absence, Ceste Nymphe
me racontoit Qu’un Berger icy l’escoutoit, Quand il esloigna
ta presence.
Puis (dict-elle) que tu sçais tant, Du mal, que je
vay regrettant, Si la pitié est assez forte, Je t’adjure par
la pitié, A son deffaut par l’amitié, Si toutesfois elle n’est
morte.
D’aller où mon Berger helas ! Meurt pour moy de
mille trespas, Et luy dire, qu’il se dispose De s’en revenir
au plustost, Et que s’il ne le faict, il faut Qu’il desespere
toute chose.
Un Delio, qu’il cognoit bien, Est pour luy
soustraire son bien, Non, qu’à mon vouloir il advienne : Ah !
soit le ciel de feu couvert, Et l’enfer pour moy soit ouvert
Avant que je sois jamais sienne.
Mais helas ! ma mere le veut, Et qu’est-ce, qu’une
fille peut ? Combien facilement se tache, Pour peu sa
reputation ? Que s’il m’a de l’affection, Peut-il estre qu’il
ne s’en fasche ?
Je sçay que son pere au rebours N’est point
contraire à nos amours, Je sçay que sa mere desire De voir
quelque conclusion A nostre longue affection, Et qu’est-ce
donc qui l’en retire ?
Helas ! aura-il bien le cœur De me sçavoir par la
rigueur, D’une mere sacrifiée Sur l’autel de mille
regrets, (Berger) dirat-on pas apres, Qu’atort je m’estois
trop fiée ?
Pourat-il (s’il a sçeu aymer) Souffrir ce qu’il
souloit nommer Les Paradis de sa Diane, Son bien, ses delices,
son mieux Estre dans un lict, ô grand Dieux ! Soüillez par une
main profane.
S’il n’en meurt au premier abort, Je croiray, sans
luy faire tort, Qu’il n’a point d’amour, ou point d’ame :
C’est faute d’amour, ou de cœur, De voir, sans mourir, qu’un
vaincœur Triomphe arrogant de sa dame.
Pour mon soulagement en fin, Je t’adjure, si mon
destin Veut qu’un si grand mal’heur m’arrive De luy dire, que
je sçay bien Que tout le mal, en sera mien, Mais le plus
grand, c’est que je vive.
Là mille trop cuisants regrets, Ces propos suyvirent
de prés, Que taire il luy fust impossible, Berger, helas, qui
l’eust pû voir, Sans de sa pitié s’esmouvoir, Eust esté sans
doute insensible.
Doncques, Sireine, mon enfant, Ne va ton espoir
estouffant, La constance de ta Bergere N’est subjecte à
legereté ; Quand amour vaincœur a esté Dedans une ame, il n’en
sort guiere.
Sireine ouyant la douce voix De ce Berger, qui
autrefois L’avoit nourry en son enfance : Luy saute au col,
& à l’abort Fut ravi d’un si grand transport, Qu’il ne
songe au mal, qui l’offence.
L’ennuy, pour un temps, oubliant, Des bras à son col
se liant, La bouche jointe a son oreille, Et sur son estomach
panché, D’affection, semble attaché, Et que l’amour s’en
esmerveille.
Donc (disoit Amour) est-ce ainsi Que tu mesprises le
soucy, Que tu dois avoir de ta peine ? (Sireine) je m’en
vangeray, A ton retour je m’en fuiray Rendant ton esperance
vaine.
Pendant le pere nourrissier, Qui se sent tendrement
lier, Des bras de cet enfant qu’il ayme ; D’une semblable
affection, Noue des siens ceste union, Tremblant d’un aise
trop extréme.
Trois fois Sireine l’embrassa, Trois autres à luy
s’enlassa, Avant qu’une seule parole Il pûst former en ce
plaisir : Ne sçachant, qu’elle il doit choisir, Pour dire le
mal qui l’affole.
En fin, s’en estant retiré, Apres l’avoir
consideré Quelque temps, il luy dict mon pere, (Tel nommer par
raison je dois, Qui m’a conservé par deux fois) Je veux tout
ce, qui te peut plaire.
En tes sages mains je remets Ma vie, & ma mort
desormais : C’est en toy seul que je m’assure, Je me descharge
dessus toy De tous mes soucis, & pour moy, Je ne garde,
que ma blessure.
Mais ne croy pas (sage pasteur) Que je n’aye subject
de peur, Tant inconstantes sont les femmes Qu’Ezla roulez à
grands monceaux, N’a tant de sablons dans ses eaux, Que
d’inconstance est dans leurs ames.
Mais puis, que l’amour a permis, Qu’entre tes mains
je sois remis, Il veut encores, que j’espere, Et toy par le
ciel destiné A me nourrir a peine né, Plus grand encor’, sers
moy de pere.
Le bon vieillard la larme aux yeux, Mon enfant
(dict-il) que les Dieux Disposent ores de ma vie, Puis
qu’encor j’ay eu le pouvoir Te voyant (mon enfant) de voir, Ce
dont j’ay eu le plus d’envie.
Et puis, que tu le veux ainsi, Je prendray doncques
ton soucy, Quoy, que la charge en soit pesante ; Mais en ta
Diane, il ne faut Croire aucun amoureux deffaut, Moins belle,
que fidele amante.
Que si tu veux sans passion Considerer
l’affection Que tu as recognuë en elle, Tu jugeras bien
aysément, Que Delio n’est pas amant Qui la puisse rendre
infidele.
Tu luy sembles beau, tu le sçais, Avec peut estre
trop d’excez, Et Delio est si estrange, Qu’amour ne s’y
sçauroit loger, Comment croiras-tu donc (Berger) Que pour luy
Diane te change ?
Efface, efface ce penser, Afin de plus ne
l’offencer, Et croy son amitié si forte, Que la pauvrette a
plus d’ennuy, De te perdre & se voir à luy, Que de te
perdre, & d’estre morte.
Fay luy responce ce pendant Pour la contenter,
attendant D’obtenir congé de ton maistre, Ainsi tu feras ton
devoir Leur faisant à tous deux sçavoir Qu’obeyssant, tu leur
veux estre.
Doncques leur retour resolu, Sireine ayant encor
relu De sa Diane l’ordonnance, Luy faict responce, mais trois
fois La plume luy tumba des doigts, Comme attaint de quelque
impuissance.
Puis la reprenant en la main En divers subjets
incertain, Cent fois recommence sa lettre, Ores il desapreuve
un mot Et puis le remet aussi tost, Au mesme lieu qu’il
souloit estre.
Comme dessus le flot tortu, On voit diversement
batu, Le vaisseau par un grand orage ; Maintenant voler bien
avant, Puis, force d’un contraire vent, Revenir au mesme
rivage.
Ainsi, poussé de passion, Sireine plein
d’affection Escrit beaucoup & puis le raye : En fin ayant
recommancé, Rescrivant souvent l’effacé, Ne fait, que r’animer
sa playe.
Car la blessure qu’il ressent, Jamais sensible ne
consent, Sans douleur d’estre retatée : De sorte, qu’au lieu
de sonder, C’estoit plustost la profonder Et la rendre plus
irrittée.
Fin de l’absence de Sireine.
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LE RETOUR DE SIREINE.
LIVRE TROISIESME. Un doux vent refrisoit la mer Qui l’empeschoit de se calmer, Et dedans la voile legere Faisant un aggreable effort, Promptement esloigna du port Le triste amant & sa galere. Areins courbez les Matelots, De rames sillonnoient les flots Ce pendant sur la mer voutée, Le vaisseau qui gemit dessous L’effort commun, se pleint aux coups Dont la vague estoit tourmentée.
L’onde rompue à l’environ, Blanchit d’escume
l’aviron Et à menus tortis se roue, Apres le vaisseau qui
s’enfuit Tout à l’entour on oyt le bruict Des flots outragez à
la proue.
Un train d’escume va devant, Quelque temps le
souffle du vent Abouillons sur la vague fole, Et puis surpris
des tourbillons Crevant en cent parts se bouillons. Avec eux
parmy l’ayr s’envole.
Cependant l’amoureux Berger, Qui ne peut qu’en son
mal songer Couché de long sur la corste, Leve les yeux moiste
de pleurs Et va parlant de ses mal’heurs, Comme il plaist à sa
fantaisie.
Vous Zephirs qui me ramenez (Disoit-il) n’estes-vous
point nez Des souspirs, enfans de la plainte Que je suis allé
si souvent Despuis mon despart concevant, D’une ame de regret
enceinte.
Vous voiles, que je voy grossir Du vent qui s’y
vient espessir, Comment avez-vous le courage De m’emporter si
promptement, Où je dois mourir du torment, Qu’à produit mon
premier voyage.
Toy vesseau, qui du vent poussé Sillonnes le flot
courroucé D’une hazardeuse careine, Tu ne souffres point tant
de coups Du vent, ny du flot en courroux, Que d’ennuis
supporte Sireine.
O vagues qui vous tourmentez Ce pendant que vous
nous heurtez, Dictes moy, n’estes-vous point celles Qui jadis
d’un flot aboyant Allerent Leandre noyant, D’amour ennemies
mortelles.
S’il est vray que vous les soyez, Hastez-vous ondes
& noyez Un amour beaucoup plus sincere En noyant ce triste
Berger, Mais ce seroit le soulager, Vous n’avez garde de le
faire.
Ainsi l’amour parlant en luy Alloit rengregeant son
ennuy, Et du fer qui luy fit l’injure La playe mesme
rentre-ouvrant, Mettoit le glaive plus avant, Feignant de
guerir sa blessure.
Son regret encor qu’importun N’eust si tost finy, si
quelqu’un N’eust nommé Diane & Sireine, Ces noms
l’esveillent en sursaut, Sçachant bien pour certain qu’il faut
Qu’on veüille parler de sa peine.
Donc retenant l’esprit craintif Aux discours qu’il
oyt attentif, Il entend que dedans la pouppe Chacun curieux
escoutoit, Hormis le patron qui contoit Sa fortune à toute la
trouppe.
Ce patron estoit curieux, Qu’aux passants fut moins
ennuyeux Le chemin, qui semble de croistre, Et lors leur
faisoit le discours Qu’il avoit apris des amours De Sireine,
sans le cognoistre.
Quoy que Bergere (disoit-il) Elle a un esprit si
gentil Qu’il ne ressent rien du vilage, Elle est belle, mais
en effect, C’est en elle le moins parfaict Que la beauté de
son visage.
Ces deux amants ont sort long-temps Ensemble vescu
bien contens, Et ont par leur prudence sage Les plus
clair-voyants aveuglez, Couvrant en leur desirs reglez L’amour
dessous le parentage.
Mais, Sireine partit en fin Par l’ordonnance du
destin, Qui ne voulut qu’en sa presence Un voleur son bien luy
ravit, Ny que s’il le perdoit qu’il vit L’offenceur luy
faisant l’offence.
Ce fut à cet esloignement Que prist naissance le
tourment, Qui tant de pleurs leur fict respandre : Car Delio
riche Berger Prés d’elle se venant loger, S’en laissa par
mal’heur surprendre.
Ce Berger riche n’avoit rien En soy d’aymable que
son bien, Nature pleura sa naissance, Et l’astre qui la
regardoit, Luy versa tout ce qu’il gardoit D’imparfaict en son
influence.
Pour estre à Diane donné Ce Delio fut destiné,
Ce crois-je, pour faire paroistre, Qu’aux ordonnances de la
haut La raison des hommes deffaut, Et n’y a rien à
recognoistre.
Lors que la Bergere le sçeut, Quel fut l’ennuy
qu’elle reçeut ! Quels les discours de sa pensée ! Quelles les
larmes de son œil ! Et quels les propos que le deuil Tira de
son ame offencée.
Veüille amour (disoit-elle) amy, Que morte je tombe
parmy La trouppe des chastes pucelles, Quand la main de ce
ravisseur Pour se voir de moy possesseur, Osera m’enlever
d’entr’elles.
Jamais ne permette l’amour Que je voye esclairer le
jour, Où ma cruelle destinée Dans son infaillible dessein
Ordonne qu’un si grand larcin Soit faict, sous le nom
d’hymenée.
Le lict nopcier soit mon tombeau, Et que le desastre
flambeau Qui doit brusler à telle nopce, Soit le flambeau qui
reluira, Quand morte l’on me portera Le mesme jour dedans la
fosse,
Ainsi la Bergere plaignoit Le mal prochain qu’elle
craignoit, Mais quand elle en fut asseurée, Et qu’elle sçeut
que dans la main De Delio, le lendemain Diane seroit
delivrée.
Amour que ne dict-elle pas ! Et qu’elle sorte de
trespas A soy-mesme ne cherchent-elle ! Pour mourir tout luy
semble bon, L’aspic, le fer, l’ardent charbon, Hardie à son
secours appelle.
Mais ne pouvant à son vouloir De telles morts se
prévaloir, Trop bien gardée en ceste peine, Resout par les
soufflets du cœur Ne plus allentir son ardeur, Et s’estouffer
faute d’aleine.
Mais amour qui veut en son cœur, Paroistre tousjours
le vaincœur Vient ceste mort luy contredire, Et luy contant
ses desplaisirs La force mesme à des souspirs, Desquels il
faut qu’elle respire.
Ainsi donc ne pouvant mourir Ny tant de miseres
souffrir L’ennuy luy changea le visage, Et d’un tel chagrin le
remplit Qu’au lendemain ne s’accomplit, Le dessein de ce
mariage.
Car chacun voyant la couleur, Dont la peignoit
l’aspre douleur Qui la rendoit passionnée, La jugeoit bien
estre plus prés D’avoir du funeste Cyprés, Que du Myrthe en
son Hymenée.
Mais de huict jours le reculant, Ce n’estoit que
rendre plus lent, Son trespas, non la rendre saine, Et c’est
(ce me semble) aujourd’huy Le jour fatal de son ennuy, Si ma
memoire est bien certaine.
Aujourd’huy surprent transporté L’amant qui l’avoit
escouté, Donc aujourd’huy est la journée Où tous mes espoirs
sont perdus ? A ces mots à coup entendus, Toute la troupe
s’est tournée.
Lors transporté roüant les yeux Hagard & presque
furieux D’un regard de mort effroyable En divers endroits
regardant, En fin en sa fureur ardant, Il dict de voix
espouventable.
Injuste ciel tu ne peux pas Au moins me nier le
trespas, Quoy que d’autre bien tu me prives, Puis, il dict,
regardant la mer, Je meurs (Diane) pour t’aymer, Veüille,
amour, que tu ne me suives.
A ces derniers mots d’un plein sault, Transporté, se
jette d’en hault Dans l’onde qui soudain regorge. L’eau
jaillit, & mille tortis, Roüant au tour sont engloutis
Dedans l’abysme de sa gorge.
Un cry d’effroy de bout en bout, Dans le vaisseau
courut par tout, Chacun en devient froid & pasle, On ne le
voit plus, car autour L’eau qui replisse de maint tour, Désja
dans son gouffre l’avale.
Tous ceux qui virent ce Berger, En cet effroyable
danger Pitoyables y accoururent, (Plusieurs d’entre eux
sçavoient aymer) Si bien que se jettant en mer Avec l’esquif
le secoururent.
Que si son amoureux flambeau Eust pû s’esteindre
dessus l’eau, Heureux trois fois, heureux naufrage, Mais
helas ! ce fut au rebours, Puis qu’apres avoir eu secours Son
feu s’aparut d’avantage.
Il demeure long-temps pasmé, Semblant un tronc
inanimé, Pasle & froid sans poux ny haleine, L’eau de la
bouche luy sortoit, Et son poil autour desgouttoit En mainte
source de fontaine.
Quand ses esprits furent remis, Helas (leur dict-il)
mes amis, Eh ! qu’est-ce que vous pensez faire, Vous croyez
m’oster au trespas Me sauvant, & ne voyez pas Que vous me
faictes le contraire.
Estant reduict en un tel poinct, Que mon ame ne
vivra poinct Que je ne perde ceste vie ; Vie qui est ma seule
mort, Donc par pitié tous d’un accord Faictes qu’elle me soit
ravie.
Là muet d’un penser profond, On luy voit replisser
le front, Froncer le sourcil, & l’œil ferme En un lieu
tenir arresté, Et puis, tout à coup transporté, Voicy
(dict-il) voicy mon terme.
Voicy le terme de mon cours, Ce jour doit annuiter
mes jours, Et c’est en vain que je le pleure : Mais pourquoy
n’avez-vous permis Astres malins, mes ennemis Que ma mort le
prévint d’une heure ?
Voicy donc le jour mal’heureux, Où mon destin trop
rigoureux A limité toute ma joye, Doncques mon espoir
estouffant, C’est aujourd’huy que triomphant Un volleur
emporte ma proye.
Doncques aux rayons du flambeau, Qui deut le mener
au tombeau, Aujourd’huy Diane est menée Les cheveux couronnez
de fleurs, Mais sans doute l’œil plein de pleurs Aux loix
d’une injuste hyménée.
Faut-il sans que je meure ! ô mort Que je supporte
un si grand tort, Faut-il qu’on ravisse ma dame Et encor pour
plus de rigueur, Faut-il que je vive sans cœur, Et qu’un autre
corps ait mon ame ?
Ces propos de pitié touchoient Les cœurs plus durs
qui l’aprochoient, D’une compassion si forte Qu’il n’y avoit
autour de luy, Ce pendant qu’il parloit, celuy Qui ne la sente
en quelque sorte.
Atant Lerine au beau sejour S’alloit reculant d’un
grand tour, Et désja les rudes stecades Monstroient de loing
leurs rochers nus Rochers aux ancres incognus Pour leur trop
difficiles rades.
Le vent qui la voile emplissoit, Et l’onde en l’onde
replissoit, Pendant que d’ire elle bouillonne, Faict faire au
vaisseau tel chemin, Que désja sur la droicte main Blanchit
l’isle de Magelonne.
Apres derriere la laissant, Agde s’en vient
apparoissant Sur la pointe en mer advancée, La vieille
Narbonne de loing Se monstre enclose en un recoing Qui fut
bien tost oultrepassée.
Désja commençoit d’approcher, Leucate & le
pointu rocher Qui finit les monts de Pireine, Où fut le temple
de Venus, En fin les borts sont recognus Du Tage riche en son
areine.
Alors l’empoule dans la main, Le forçat lassé du
chemain Se voyant au bout du voyage Et que l’ancre se va
jetter, De cent Iô faict esclatter Les replis, du proche
rivage.
Sans plus Sireine dans le cœur, Sent augmenter
l’aspre rigueur De ce mal que le temps n’alege, Et plus il
approche des lieux Autrefois si delitieux, Et plus son ennuy
se rengrege.
Chacun dessus le bort de l’eau Aloit descendant son
fardeau, Mais quoy que Sireine n’emporte Que sa houlette dans
la main ! Son faiz toutefois inhumain Luy pése bien d’une
autres sorte.
Alors les ombres allongeant, Le jour dans l’eau
s’alloit plongeant Pour donner relache à la peine, Sireine
pressé du desir Ne pouvoit se donner loisir, Presque de
prendre son haleine.
Il accusoit son pied trop lent, Souvent paresseux
l’appellant Encor qu’au trespas il le porte, Le retardement
luy desplait, Et semble qu’en sa mort il ayt Quelqu’espoir qui
le reconforte.
En fin pour ne se pendre pas Parmy la nuict, non
qu’il fut las, Il recherche quelque retraicte, Et jettant
l’œil de tout costé Voit sur un rocher escarté, Ce luy
sembloit une logette.
Ce roc diversement pointu Du vent à toute heure
battu, Estoit le rempart du rivage, Dans la mer son dos
advancé Ne craignoit le flot incensé Qui s’y rompoit à coup
d’orage.
En ce lieu les pescheurs souvent Oyseus pour le
courroux du vent, Se reposoient dessus des sieges Taillez dans
le creux du rocher, Ce pendant qu’ils voyoient seicher Au bort
leurs filets & leurs lieges.
Sireine que l’ennuy poursuit, Y va pour y passer la
nuict Qui estendoit désja ses voiles Entre les hommes &
les Dieux, Faisant rouler parmy les cieux Son chariot semé
d’estoiles.
Quel fut le repos du Berger, L’amant seul le pourra
juger S’il a eu sa douleur premiere, Tant y a que le jour
revint Avant que son œil se souvint De clore sa moiste
paupiere.
Et sur le point que du Soleil, L’aurore annonçoit le
resveil Au chemin hastif il s’appreste, Mais au mesme temps
qu’il sortoit, Il ouyt une voix qui chantoit Au son d’une
triste musette.
D’abort, parce qu’il luy sembla De la cognoistre, il
se troubla, Et lors qu’il la pû mieux entendre, Il cogneut
Silvan son voisin Qui chantoit proche de sa fin, Comme un
Cygne au bort de Meandre.
Le Berger Diane adora, Mais jamais il ne retira
Que toute extréme rigueur d’elle, Toutefois tel estoit son
cœur Qu’il n’y eust sorte de rigueur, Qui le luy pûst rendre
infidele.
Touchez d’un semblable soucy Sireine & ce Berger
aussi, Quoy que rivaux pour mesme dame, Estoient toutefois
bons amis, Sans que jamais Discord eust mis Ses feux parmy
leur douce flame.
Mais Sireine estoit bien aymé, L’autre, encor que
fort estimé, N’avoit d’amour que le martyre, Souvent le merite
en l’amant Est le plus grand empeschement Pour obtenir ce
qu’il desire.
A ce coup quand Silvan le vit, Et quoy (dict-il)
Sireine vit ! Il respire encores la vie ! Ah ! il est mort,
mes yeux au moins Ont esté les tristes tesmoings Que l’ame
l’on luy a ravie.
Sireine à ces cruels propos, Fut contraint s’appuyer
du dos Contre une pointe de la roche, Et l’a cruellement
battu Du message qu’il avoit eu, La vie mesme il se
reproche.
Puis peu à peu se laisse choir, Comme une rose sur
le soir De l’ardent midy desseichée, En cet estat il ne
parla Pour un temps, mais en fin il a Sa voix en tels mots
desbouchée.
Cet œil qui pleuroit au partir, Ce pleur qui
brusloit au sortir, Ce cœur qui mouroit de l’absence, Ces
sermens si souvent jurez Sont-ils contre moy conjurez, Pour
faire une si grande offence ?
Doncques les larmes de cet œil ! Doncques les
ardeurs de ce deuil ! Doncques la crainte de ceste ame !
Doncques les liens de la foy, Ne sont que pour monstrer en moy
Combien volage est une femme !
O œil d’amour estincellant ! O pleur né d’un amour
bruslant ! O peur signe d’amour extréme ! O serment que chacun
eust creu ! Helas ! comment avez-vous peu, Pleins d’amour,
tromper l’amour mesme ?
Jamais un œil ne fut aymé, Jamais un amour
estimé, Ny jamais ame idolastrée, Avec un dessein plus
parfaict Qu’a esté celuy qui a faict Naistre mon amour
desastrée.
Mais si onc amour a esté Avecque l’infidelité,
Amour le fut bien avec elle, Sa bouche juroit qu’elle aymoit
Et lors sa bouche blasphemoit, Car son cœur estoit infidelle.
Que si un amour outragé Fut jamais par le ciel
vangé, Au ciel vengeance je demande, (Mais non) la peine qui
seroit Moindre, l’amour offenceroit, Et l’esgale seroit trop
grande.
Silvan quelque temps l’escouta Et puis de tels mots
l’arresta, C’est assez, il suffit (Sireine) Le tribut qu’Amour
veut de nous C’est de plaindre & souffrir ses coups, Tu as
plaint, souffre ores ta peine.
Helas ! respond Sireine, Helas ! Ces coups d’Amour
ne viennent pas, Ils sont (Silvan) de son contraire, Amour a
deux mains comme nous, L’une (dict Silvan) a le doux, Et
l’autre la poison amere.
Berger, ne te souvient-il plus, Combien autrefois tu
te pleus En la faveur qui t’ayt ravie ? Il faut d’un mesme
cœur souffrir La mort à lors qu’il faut mourir Qu’on a jouy
l’heur de la vie.
C’est à moy, Berger, qui ne suis Que butte de tous
les ennuis A qui ceste plainte est permise : Car moy le plus
fidelle amant Qui fut onc, n’eus onc que tourment Qu’amour à
ce coup eternise.
Alors Sireine souspirant, Luy respond, amant
ignorant Tu ne sçais la douleur extréme, D’avoir gousté du
bien, & puis Voir changer en plus grands ennuis, Helas !
pour jamais ce bien mesme.
Tien ouvers quelque temps les yeux Contre le Soleil
radieux, Puis en destorne ta paupiere, Tu trouveras tout à
l’entour, Pour toy noircis les rais du jour, Qui donnent aux
autres lumieres.
Mes esprits long-temps arrestez Aux heureuses
felicitez Où autrefois ils souloient estre, Trouvent qu’un
eternelle nuict En quelque part qu’ils soient les suit,
Maintenant descheus d’un tel Estre.
Mais toy Silvan, à qui l’amour Ne fit onc esclairer
le jour, Des faveurs qu’ores je regrette, Ne peux sinon par le
penser Sçavoir combien peut offencer, La perte que Sireine a
faicte.
Mais soient tous ces propos rompus, Amy Silvan, ne
cherchons plus Qui des deux est plus miserable, Et contentons
nous seulement Que des deux le moindre tourment Est à nos cœur
insupportable.
Et s’il te plaist (Berger) me dis Qui t’a faict
laisser tes brebis Qu’autrefois tu tenois si chéres, Sireine
(respond-il) c’est toy, Mais je faux (Sireine) c’est moy, Non,
ce sont nos communs affaires.
Mais que demandes-tu d’ouyr, Tu devrois plustost
t’en fuyr, Quoy que ce soit tu veux l’apprendre, Prepare donc
plustost tes yeux A pleurer ton mal ennuyeux Que tes oreilles
à l’entendre.
Silvan ne te soucie point De raconter de point en
point (Luy respond-il) nostre amertume, Et croy que mon
facheux mal’heur, M’a tant outragé de douleur Que mon cœur en
a faict coustume.
Puis (dict-il) qu’il te plaist ainsi, (Sireine)
escoute ton soucy Et comment au mien il s’assemble, Le sort
qui se voulut jouer De nous, se pleust à nous noüer Par nos
desirs, tous deux ensemble.
Avant que le jour rigoureux, Jour qui nous fut si
mal’heureux La contreignit au mariage, Et la sousmit à un
espoux, Lequel au jugement de tous Meritoit moins cet
advantage.
D’extréme douleur insensé, Je me vis maintefois
poussé D’estrangler d’une main hardie Ce ravisseur de nostre
bien, Sans Diane, il n’y eust eu rien Qui m’en eust l’ame
refroidie.
Mais elle sçachant ma fureur, Me tansa d’une telle
erreur, Et puis, voudrois-tu (me dict-elle) Pour complaire à
ta passion Blesser ma reputation Avec une playe
mortelle ?
Je luy responds, j’aymerois mieux (Diane) offencer
tous les Dieux Que faire chose qui vous fasche, Mais ne
considerez-vous pas Que je ne puis sans le trespas, Souffrir
une offence si lasche.
Il faut (me dict-elle) souffrir Ce qu’il plaist aux
Dieux nous offrir, Leur resister est impossible, (Berger) ils
peuvent tout là haut Et puis qu’à la fin il le faut, Que
sert-il d’estre si sensible ?
Doncques sera le bien venu, Ce Delio (dis-je)
incognu, Et vous avez bien le courage Qu’un homme, mais homme
imparfaict Et qu’à despit nature a faict, Soit joint à vous
par mariage.
Helas ! pourrez-vous supporter Sans quelquefois vous
despiter, Ces caresses tant estrangeres ? De honte
rougiez-vous pas Si quelquefois entre les bras Il vous prend
parmy les Bergeres ?
L’œil baissé d’un souspir profond, Premierement elle
respond, Et puis, toute ame raisonnable, La raison sur tout
cognoistra, Et ceste raison me rendra Ce Delio bien
cognoissable.
Berger, celle à qui les apas Commandent, & qui
ne peux pas Leur resister trop impuissante, Sans doute
difficilement Supportera le changement, Que la fortune luy
presente.
Mais moy, qui de mes premiers jours Ay voulu me
roidir tousjours Contre ma volonté plus forte, Je ne dois
craindre que le sort Me donne jamais coup si fort, Que ma
constance ne supporte.
Quand ses amertumes je bois, Je fais au moins ce que
je dois, (Vas-je disant en ma pensée) Et ceste
consolation Guerit par resolution Mon ame, aussi tost que
blessée.
Par ainsi tout ce que tu dis Tous ces maux que tu me
predis, Et desquels je dois estre serve Je les supporteray,
d’autant Que je sçay qu’en les supportant, Les loix de mon
devoir j’observe.
Doncques Diane, j’en est faict, Vous voulez (luy
dis-je) en faict Estre d’un Delio la proye, Qui jamais ne vous
a servy, Plustost si jusques-là je vy Qu’à mes veux, le ciel
me foudroye.
Mais je sçay bien que j’en mourray, Et que jamais je
ne verray L’effect de telles injustices, Permettez au moins
sans desdain Qu’un seul baiser de vostre main, Paye à ma fin
tous mes services.
Ces mots purent tant sur son cœur Qu’ils
reschaufferent la rigueur Qui la gelloit de tant de glace,
Mais ce fut à condition De te dire l’affliction, Qu’elle avoit
de ceste disgrace.
Quoy, dis-je, Diane, il vous plaist Que Sireine
sçache qu’il est Aussi bien que moy miserable, Cruelle il ne
vous suffit pas Qu’il meure, si de son trespas Avec vous je ne
suis coulpable.
Ce fut à ce coup outrageux, Que cet esprit si
courageux Fut contraint en fin de se rendre, Et fallut que ses
yeux à lors Par des pleurs monstrassent dehors L’ennuy, qu’il
ne leur pûst deffendre.
Mais toutefois ayant vescu Jusques à ce coup
invaincu, Invincu, dis-je, en apparence (Car je croy bien que
de son cœur, Ia de long-temps estoit vaincœur, Et ton amour,
& ceste offence.)
Diane qui voulut celer Ses larmes ne m’osa
parler, Mais d’une main dans sa pochette De prendre un pappier
essayoit, Et ce pendant elle essuyoit De l’autre, ses yeux en
cachette.
Et tournant la teste à costé, Prés de toy j’ay trop
arresté (Dict-elle) il faut que je te laisse, Et toy prend le
baiser permis, Et puis comme tu m’as promis Va satisfaire à ta
promesse.
Ce pappier pour qui j’ay pleuré Tu le donneras à
Siré, Et le reste du mot s’arreste Pris au Palais avec la
voix, Elle part, & moy je m’en vois Sans presque oser
tourner la teste.
Mais c’estoit peu que cet ennuy, Au prix (Sireine)
de celuy Qu’elle eust le jour du mariage, Et pour moy, je ne
sçay comment Amour fist qu’un cœur en aymant Pûst supporter un
tel outrage.
Las ! en fin venu le matin, Où nostre mal’heureux
destin Avoit nostre perte ordonnée, Aussi tost qu’elle se
leva, Mon bien (dict-elle) s’acheva, Quand commença ceste
journée.
Que n’allat-elle retardant Pour s’abiller en
attendant Que ce jour desastre s’escoule, Mais le retarder
estoit vain, Car ce que ne faisoit sa main, Plusieurs le
faisoient à la foule.
Il est vray que tous ces habis Qui souloient sur
elle jadis Des beautez accroistre les charmes, Sembloient de
pleurer à ce jour, Le tort qu’on faisoit à l’amour Encor qu’on
en vit point les larmes.
Amy Sireine je la vis, (Tout ce jour-là je la
suivis, Afin que mieux je te redisse Tout ce qui s’y seroit
passé) Je la vis d’un teint effacé, Comme ceux qu’on meine au
supplice.
Mais lors que l’on la vint trouver, Pour de sa main
mesme approuver Les accords de ceste alliance, Les jambes
tremblantes de peur Et l’extréme tressaut du cœur Luy en
osterent la puissance.
En fin il le falloit ainsi, Ma mort doncques je
signe icy, Dict-elle, & en prenant la plume, Tremblant
(Diane) elle escrivit Amour s’enfuit quand il le vit Ne
laissant que son amertume.
En fin les esclatans haubois, L’appellerent à haute
voix, Pour dans le temple la conduire Chacun la presse, il
faut aller, Mais certes ce fut sans parler, Quoy qu’autour
d’elle l’on pust dire.
Toutefois quand elle passa, Prés de chez toy elle
addressa La veuë devers ta cabane, Et les yeux de larmes
rougis, Tu és, dict-elle, encor, logis A qui souloit estre
Diane.
Mais que te vas-je racontant Un mal qui augmente,
d’autant Qu’il est plus vif en la memoire, Et contente toy de
sçavoir Que j’eus plus de force à le voir Que de creance pour
le croire.
Je ne pouvois croire en effet Qu’un si grand outrage
fut fait A Silvan, Sireine, & Diane, Sans que les Dieux
l’eussent puny, Mais quoy ! le jour estant finy L’effect ma
creance condamne.
Amy je meurs y repensant Du mesme glaive me
blessant Dont mon ame à lors fut atteinte, Amour qui te vantes
si fort, As-tu bien pû souffrir ce tort A quoy le devoir l’a
contrainte ?
Les graces dans ce lict, au moins Ne furent oncques
les tesmoins Des effects de cet Hyménée, Ny les voyant
ensemble nuds, Jamais le ceston de Venus N’a leur courtine
environnée
Sireine escoutant ces propos Alloit tremblant à tous
les mots, Mais quand il sçeut que sa Bergere Par l’injustice
du destin Estoit d’un autre le butin, Il parle ainsi plein de
colere,
Doncqu’Amour a esté vaincu, Doncques (Silvan) j’ay
survescu La perte de mon esperance, De tels coups demeurer
vaincœur, C’est plustost un deffaut de cœur Que non pas effort
de constance.
Il dict, & porté de transport Ne songeant plus
rien qu’à la mort, Part sans la lettre de Diane, Mais Silvan
accourut soudain Qui là luy remit dans la main, Et puis
retourne en sa cabane.
Sireine à lors se voyant seul, Se donne tout à faict
au deul D’une humeur tant appesantie, Et si fort troublé qu’il
jugeoit Que tout ce qui ne l’affligeoit, Fust de son mal une
partie.
Mais pendant que d’esprit perclus, Plus il pense en
son mal, & plus Il treuve du mal qui l’outrage, Le
vieillard party devant luy Et moins retardé de l’ennuy, Avoit
plus hasté son voyage.
Désja l’amoureux messager Pouvoit asseurément
juger Les hameaux de chasques villages, Désja il remarquoit
les toigts, Désja son œil faisoit le chois Par l’habit presque
des visages.
Icy Esla, & ses peupliers, Là, la fontaine aux
alisiers, Icy la champestre cabane Des pauvres Sireine, &
Sivant, Celle à Delio plus avant, Où habitoit désja
Diane.
Car depuis qu’il estoit party, Cupidon avoit
consenty Qu’au devoir se sousmit sa flame, Et que Diane qu’on
vit tant Aymer un Sireine constant, D’un Delio devint la
femme.
O sable mouvent & leger, Esprit qui ne sçaurois
loger Nulle constance dans toy-mesmes, Mal’heureux qui te veut
aymer Puis qu’on ne sçauroit estimer, Combien volagement tu
aymes.
L’onde suit l’onde promptement, Plus le vent le vent
vehement, Plus viste encor l’aage suit l’aage, Le penser les
peust devancer, Mais l’eau, l’air, le temps, le penser Sont
moins prompts que ton cœur volage.
Ainsi ce Berger ayant sçeu, Comme Diane avoit
reçeu Pour espoux autre que Sireine, Désja son Sireine
pleignoit Pour l’ennuy futur qu’il creignoit Qu’il deust avoir
de ceste peine.
Huict jours estoient désja passez Que d’oublis non
point effacez, Mais d’Hymen estoient les services De Sireine,
& que retenir Encor de luy le souvenir, C’estoit estre de
ses complices.
Les conviez estoient partis, Les flambeaux estoient
amortis Dont le chaste Hymen on allume, Désja les instruments
cessoient, Et toutes choses finissoient Qu’à des nopces on
accoustume.
Lors que pour plus legerement Escouler son aspre
tourment, Elle sort du logis champestre, Mais Diane plus ce
n’estoit, Car la douleur qui l’abatoit, Ce qu’elle fust,
l’empeschoit d’estre.
Ses yeux pleins d’amoureux eslans N’estoient plus
qu’abatus & lents, L’œillet & le lis du visage
Estoient ternis & sans couleur, Et en leur lieu plein de
pasleur, Estoit l’ennuy du mariage.
Sa lévre l’aymant du baiser, Qui ne souloit
favoriser Que l’amour qui estoit extréme, Estant contrainte de
toucher Un autre qu’elle avoit moins cher, Estoit de regret
toute blesme.
Amour qui souloit desdaigner, Son cher paphos pour
n’esloigner Les actions de ceste belle, De loing la regardoit
confus, Mais l’honneur l’en esloignoit plus, Qu’autre chose
qui fut en elle.
Telle la voyant au retour, Ce Berger cogneut bien
qu’amour Estoit banny de son courage, Ou que pour le moins la
raison Le tenoit en telle prison, Qu’il n’osoit monstrer le
visage.
Il cogneut bien, qu’helas ! en vain Il avoit fait si
long chemin, Et que morte estoit l’esperance De pouvoir
Sireine sauver, Toutefois il veut esprouver Tout ce qui est en
sa puissance.
Donc à Diane il s’addressa, Mais elle qui le
caressa A son despart ores changée Ne deigne le voir au
retour, C’est (peut estre) signe d’amour, Mais signe d’amour
affligée.
Diane (dict-il) si j’ay faict Un si long chemin sans
effect, Je prie le ciel qu’il punisse Celuy à qui en est le
tort, Non point par une prompte mort, Mais avec un plus long
supplice.
Sireine à ton commandement, Est party aussi
promptement Comme son amour de ton ame, Mais où vient-il
l’infortuné ! Il verra qu’il est ordonné Que l’oubly soit en
toute femme.
A ces mots, la voix il changea En des souspirs,
& abbregea Les reproches qu’il vouloit faire, Il vouloit
dire, ô sans amour J’en verray la vangeance un jour, Mais ! il
fut contraint de se taire.
Le Messager en cet instant, La lettre à la Bergere
tend, Que froidement elle refuse, Berger (dict-elle) je ne
puis, Celle que je fus, je ne suis, Que cela me serve
d’excuse.
Ainsi qu’un torrent courroucé Retenu d’un bort
rehaussé Quelque temps en soy se repose, En fin ses deffences
forçant A l’entour s’en va terrassant, Tout ce qui contre luy
s’oppose.
Ainsi le Berger transporté De la nouvelle
cruauté, Dont Diane usoit à Sireine, Va (dict-il) va soule ton
cœur De son sang, & de ta rigueur Perfide, mais plus
inhumaine.
Diane ne luy respondit, Parce qu’elle ne
l’entendit Estant partie toute triste, Grand force d’un amour
parfaict Vaincœur, qu’est-ce que n’eust pas faict Qui vaincu,
toutefois resiste.
Ainsi Diane s’en allant Avec le regret violent,
Que ce ressouvenir rameine, Rencontre Seluage en chemin,
Passant, elle luy tend la main, L’œil de pleurs, le cœur plein de
peine.
Ceste estrangere n’avoit veu Sireine, mais avoit
bien sçeu L’amour de luy, & de Diane, Car Diane qui
l’aymoit tant, Souvent la luy alloit contant Estant seules en
leur cabane.
Depuis le despart du Berger, Elle s’estoit venu
loger Par hazard le long du rivage Du doux Ezla, pleine
d’ennuis, Où elle & Diane depuis Ne firent souvent qu’un
mesnage.
Or elle remarquant de loing Le trouble de Diane,
eust soing De sçavoir si c’estoit Sireine, Mais voyant ce
vieux Messager Qui és-tu ? d’où viens-tu Berger ? (Dict-elle)
& quel subject t’ameine ?
A ces accents si gracieux, Le Berger releve les
yeux, Et voyant la belle estrangere Si pitoyable à sa
douleur, D’un souspir qui luy part du cœur Respond ainsi à la
Bergere.
Ainsi les dieux te soient amis, Ainsi tes
desplaisirs sousmis Aux bon-heurs que ton cœur desire,
Puisse-tu jouyr pour tousjours De tes bien-heureuses amours
Sans onc en avoir du martyre.
Comme tu as compassion De la plus belle
affection, Et où plus tout honneur abonde Que jamais amour ayt
produict, Et que celle qui la destruit Est la plus ingratte du
monde.
Et puis en fin que s’en est faict Et que chacun
désja le sçait De le taire c’est chose vaine, Sçache donc que
Diane un jour Qu’Hymen n’avoit vaincu l’amour M’envoya visiter
Sireine.
Ses yeux pleins d’amoureux flambe Ressembloient à
lors des ruisseaux, Sa voix qui n’estoit que louange De
Cupidon & de ses traicts, N’estoit sinon voix de regrets,
Et Hymen causoit tout ce change.
Sa pitié tellement m’esmeust, Que quand commandé
elle m’eust De courre d’un à l’autre pole, Je n’eusse osé la
refuser Tant elle avoit sçeu m’abuser Avec sa flatteuse
parole.
Je trouvay Sireine, mais non Du Berger n’y avoit
sinon Du visage, l’idole vaine Et le reste estoit
enchanté, En elle qui rien d’arresté N’eust onc que le cœur de
Sireine.
Ce Berger oyant mon discours Cogneut bien ses
foibles amours, Et moy qui eusse creu moins stables Les plus
grands rochers de Leon Luy en ostois l’opinion, Par serments
trop peu veritables.
Mais comme nous voyons souvent Nos Bergers
cognoistre devant La cheute d’un prochain orage, Par les
apparences de l’air, Sireine aussi m’oyant parler Prévit bien
ceste humeur volage.
Il prévit bien que de son cœur, Quelque nouvel amant
vaincœur Ravissoit son ame infidele, Toutefois pour avoir au
moins Les mesmes meurtriers, pour tesmoings De sa mort, il
s’en vient vers elle.
Il resoult à un retour, Encor qu’il n’espere
d’amour Que la mort seule pour salaire, Et veut bien puis
qu’amour le veut Souler de sa mort s’il le peut, Elle qui
semble de s’y plaire.
Voila donc ce pauvre pasteur Desdaignant toute la
faveur, Que de ce grand pasteur son maistre Il avoit onc pû
meriter, Qui vient (helas) luy presenter Ce cœur qui le sien
souloit estre.
Mais Dieux ! quelle reception ! Mais Dieux ! quelle
confusion ! Quel desespoir sera le nostre Helas ! Sireine, tu
verras Que celle que tu adoras Ingrattement en ayme un
autre.
Desolé Berger je te pleins, Je vous pleins desastrez
desseins, Desirs conçeus en apparence Pleins de raison, mais
en effects, Pauvres desirs plus imparfaicts Que n’est une
folle esperance.
Ne puissent-ils jamais venir, Ou qu’ils perde tout
souvenir, Ou venu que soudain il meure, Car qui languissant ne
peut pas A la fin fuir le trespas, Doit-il pas mourir de bonne
heure ?
Ce pendant qu’il alloit parlant Les larmes tomboient
emperlant Sa barbe à long plis ondoyante, Seluage de pitié
s’esmeut Pour le ressouvenir qu’elle eut Qu’amour de mesme la
tourmente.
Belle luy dict le Messager, Si jamais amour pûst
loger En ce cœur où semble avoir place, La pitié de Sireine
helas ! Au moins pour le dernier soulas (Bergere) fay luy
ceste grace.
Voicy (dict-il) en luy monstrant La lettre qu’en sa
poche il prend Une responce de Sireine, Belle je te requiers
par toy Ou si tu aymes par ta foyLa donner à ceste
inhumaine.
Berger (dict-elle) je te pleins, Je pleins Sireine
& ses desseins, Je pleins Diane & sa fortune, Et je
ressens si vivement De tous les trois l’aspre tourment, Que la
peine m’en est commune.
J’estime ta compassion, J’ayme de luy
l’affection, D’elle je loüe la sagesse, Mais pour rappeller
vostre bien (Berger) personne n’y peut rien, Ny luy-mesme ny
sa maistresse.
A fin que tu ne penses pas Que je veüille plaindre
mes pas Pour y raporter du remede, Je prends ceste lettre
& feray Pour luy tout ce que je pourray, Mais son mal du
devoir procede.
Le devoir (belle) n’a pouvoir (Dict le Berger pour
l’esmouvoir) Où le vray amour prend sa place L’amour
(respond-elle) est au cœur, Mais s’il n’y est avec l’honneur
La honte incontinant le chasse.
(Berger) je n’ay passé mes jours Sans esprouver de
ses amours La pointure la plus amere, Mais s’il me fust lors
arrivé Ce que Diane a esprouvé, Autant j’en eusse voulu
faire.
Sa mere le veut, il le faut Aussi est-ce trop de
deffaut Son vouloir en cela ne suivre : Mais, dict-il, tromper
ses amours, Vivre aussi sans honneur tousjours ! Il vaut
mieux, dict-elle, ne vivre.
Mais à Sireine avec ce tort (Dict-il) elle donne la
mort : La mort (dict-elle) est peu de chose A une personne de
cœur Au prix de la mort de l’honneur, Car l’honneur à tout se
prepose.
Mais, respond-il, faute commet Qui ne tient pas ce
qu’il promet, La foy doit estre inviolable, Onc (dict-elle)
elle ne promit, Quand à aymer elle se mit D’aymer plus qu’il
fust raisonnable.
Ainsi son amour fleschissant A l’honneur dont il va
naissant Le vœu d’amour elle n’offence Car il n’eust jamais
obtenu Le cœur à son traict si cogneu Si d’honneur il n’eust
eu naissance.
Or en fin (Berger) s’en est faict, Amour hayt un
amour parfaict Et ne se plaist qu’à l’inconstance, Mais encor
faut-il advouer Que l’amant n’est pas à louer Que use en amour
d’imprudence.
Je croy que Diane l’aymoit, Et qu’en son cœur elle
estimoit N’y avoir rien plus incroyable Que luy faire changer
d’humeur, Mais n’en devoit-il avoir peur, Puis qu’en amour
tout est faisable.
Comment peut-il estre excusé De n’en avoir tres-mal
usé, Veu la longueur d’un si long terme, Puis qu’est-ce qu’une
fille peut Contre ce que sa mere veut ? Luy-mesme eust-il esté
plus ferme ?
Ah ! Berger s’il eust bien appris Qu’elles sont les
loix de Cypris, Il eust cogneu que de l’absence Naist l’oubly
comme son effect En l’aage mesme plus parfaict Et pourquoy non
point en l’enfance.
Ne prends-tu garde que nostre œil, Ne voit qu’autant
que le soleil Luy esclaire de sa lumiere ? Le cœur aussi le
plus souvent Ayme autant comme il a devant L’objet de la
personne chere.
O Berger dy luy de ma part, Qu’autrefois ç’a esté
hazard, Ou bien particuliere grace Si absent elle l’a
aymé, Amour n’a pas accoustumé Qu’en fin l’absence ne
l’efface.
Qui est loing des yeux l’est du cœur, L’exil est
d’amour le vaincœur, Et ceste science ast si seure Pour sa
liberté rapeller, Que qui s’en sçait bien en aller Sçait bien
oublier en peu d’heure.
Mais ! vous parents, qui avez faict Un si bel amour
imparfaict Par vos injustes tyrannies, A jamais puissiez-vous
sentir Les longs remords d’un repentir D’avoir ces ames
desunies.
A ce mot, elle s’en alla Et laissa le Messager
là, Tant outré d’ennuy & de peine Qu’il n’eut le courage
assez fort, Pour soustenir le triste abort Qu’il prévoyoit de
son Sireine.
Ainsi donc sans tourner à luy Le cœur gros d’un
extréme ennuy. Il va retrouver sa cabane, Regrettant le mal du
Berger, Maudissant amour trop leger, Et sur tout hayssant
Diane.
Heureux qui vit maistre de soy Qui est à soy-mesme
sa loy Et qui (disoit-il) ne s’engage Pour l’amour le Tyran
des cœurs Aux services ny aux rigueurs, Mais passe en liberté
son aage.
Ce pendant Sireine tout seul Pressé de son extréme
deul, Descendoit les hautes montagnes Et les rochers du grand
Leon, N’ayant que son affection Et son regret qui
l’accompagne.
Amour la fortune & le temps Trop invincibles
combatans, Le traictoient d’une telle sorte, Que du moindre
mal qu’il souffroit En tel estat il n’esperoit Sinon, qu’un
desespoir l’emporte.
Désja l’infortuné Berger Ne craignoit le futur
danger Dont l’avoit menacé l’absence, Et désja plus il ne
pensoit Aux craintes que l’oubly conçoit, Tout son mal estoit
en presence.
Ainsi le vouloit son destin, Il voyoit accomplir en
fin Tous les soupçons de ses disgraces, A son dam, si mal
advenus, Helas ! qu’il n’y avoit rien plus Dont il pûst
craindre les menaces.
Doncques le Berger arrivant Où le doux Ezla va
lavant L’herbage qui ses bords tapisse En mille replis
gracieux Tous ces objets delicieux Luy furent subjects de
supplices.
D’autant qu’il firent revenir, Aussi tost à son
souvenir, Le temps heureux qu’en ceste place Autrefois il
avoit passé, Temps dont l’heur estoit effacé Dessoubs l’obscur
de sa disgrace.
Lors un à un tous ses plaisirs, Lors un à un tous
ses desirs Et ses affections mal-veuës, Comme un camp armé de
soldats Vindrent à luy de toutes parts Comme s’ils faisoient
leurs reveuës.
Et si bien l’atteint ce penser Qu’il ne pust plus
outre passer, Mais s’assit au pied d’une haye Dont un tertre
se herissoit, Au bas la fontaine passoit Où premier il reçeut
sa playe.
Alors l’infortuné pasteur Assailly de trop de
douleur N’eust point assez de fortes armes, Pour, surmontant
ses desplaisirs, Donner la loy à ses souspirs, Ny rompre le
cours de ses larmes.
Doncques tournant contre les cieux, Des ruisseaux de
pleurs, non des yeux, Des sanglots, & non la parole, Il
descouvre par tel accent Le mal que tant plus il ressent, Que
moins tout espoir le console.
Ennemie de mon repos ! O ma memoire à quel
propos Faut-il qu’encores tu publies Tant de contentements
passez, Puis qu’helas ? estant effaçez Il vaut mieux que tu
les oublies.
Helas ! ne seroit-il meilleur Me faire oublier le
mal’heur Qui present tousjours se rangrege, Que de me faire
souvenir D’un temps qui ne peut revenir, Et que la memoire
n’alege ?
En fin memoire que dis-tu ? Que dedans ce pré
revestu De ces fleurs riches d’esmailleure, Pour la premiere
fois je vy Diane helas ! par qui je vy Et par qui je meurs à
ceste heure.
Quoy ? qu’en ce pré je fus blessé, Que là mesme je
commençay De ressentir ce que mon ame Onc n’achevera de
pleurer, Que là je l’ouys souspirer, Mais helas ! de souspirs
de femme.
Qu’à ceste fontaine souvent, Luy estant à genoux
devant Et luy baignant la main de larmes. Que je seichois d’un
long baiser, Elle versa pour m’appaiser Des pleurs, dois-je
dire des charme.
Des charmes doncques en ses yeux Et des serments
malicieux En sa bouche prenoient naissance, Lors que trompeuse
elle juroit, Qu’à jamais mienne elle seroit, Amour tu m’en
dois la vengeance.
Si pendant ton facheux sejour (Dict-elle) quelque
ardeur d’amour, Ou bien si en toute ma vie Quelque oubly
s’approche de moy, Fasse amour pour venger ma foy Que de
moy-mesme je m’oublie.
Je jure que jamais parents Contre moy devenus
tyrants, Ny mere plus qu’ourse cruelle Ne pourront mon amour
changer, Toutes choses courent danger Du changement, mais non
point elle.
Vy donc contant, & soys certain Que non pas
mesme le destin Ne peut sur ce que je t’asseure, Fasse le ciel
ce qu’il voudra Jamais autre ne deviendra L’affection que je
te jure.
Helas ! sons-celà des serments, Dont les infideles
amants (Dict-il) lors d’une voix plus haute Doivent demeurer
impunis, S’il est ainsi les Dieux unis Sont les complices de
leur faute.
Sont-ce serments qu’on d’eust penser Que le temps
pouvoit effacer ? Ou que l’oubly pûst faire entrée Au cœur
dont ils estoient sortis ? Où les creust-elle trop petits Pour
ne se croire parjurée ?
Un jour assise vis à vis De ceste rive je la
vis, Lors envers moy tant engagée, Que pour moy seul elle
vivoit, Et là sur le sable escrivoit Du doigt : Morte avant
que changée.
Mais voyez ce que l’amour faict, Mon cœur a pû
croire en effect Pour une chose veritable Sans que ma raison
l’en desdist, Ce qu’à lors une femme dict Et qui fust escrit
sur le sable.
J’eus ceste bague de sa main Lors que je me mis en
chemin, Comme pour un gage fidele Qu’aux efforts de
l’esloignement Plus ferme que le diamant, La foy
s’esprouveroit en elle.
Et n’at-elle pas ressenty Que son cœur en deux s’est
party, Puis que sans coup la pierre dure Le mesme jour se mit
en deux, Qu’esteignant à mon dam ses feux Elle rompit sa foy
parjure ?
Ces mots qui faisoient de ses yeux Sortir tant de
pleurs ennuyeux, Si vivement le retoucherent Qu’avec les
pleurs, qui comme flots Noyoient son sein, mille sanglots La
voix en fin luy reboucherent.
Et lors recourant au mouchoir, La lettre en terre il
laissa choir Que Silvan luy avoit donnée, Apres quelque temps
s’estre teu, Toy lettre aussi, dict-il, viens-tu Redoubler ma
peine ordonnée ?
Puisse mourir qui te lira, Mais helas ! eh, qui
laissera Pour mille trespas de te lire ? Long-temps je m’en
suis deffendu, Mais en fin me voicy rendu Voyons (mes yeux)
nostre martyre.
Il dict, & la descachettant Combien mon cœur
vas-je achettant, (S’escriat-il) de si doux charmes ! Et
combien amour aussi tost Me feras-tu de chasque mot Payer de
centaines de larmes !
A ces mots à peine accomplis Du pappier il ouvre les
plis, Mais soudain que l’œil il y gette Du doubte incertain
& tremblant, Il voit que d’un encre sanglant Toute ceste
lettre estoit faicte.
Le Berger n’estoit point deçeu, Car soudain que
Diane eust sçeu Qu’il ne luy estoit plus possible D’esloigner
par ruses le jour, Qu’elle devoit à son amour Faire une playe
si sensible.
Toute seule se va cacher Au creux d’un sauvage
rocher Pleurant sa dure destinée, Et detestant le jour
maudit Que pour elle, à sa mere on dict Qu’une fille luy
estoit née.
Vous Dieux qui pouvez tout çà bas (Dict-elle)
avancez mon trespas, Et puis que par vostre ordonnance Vous
n’avez voulu pour mon deüil Que mon berceau fust mon cercueil,
Faictes que ce soit mon enfance.
Puis qu’il ne vous pleust pas ! ô Dieux ! Qu’aussi
tost que j’ouvris les yeux Je pusse finir ma journée, Faictes
au moins qu’avant le jour Qu’il faut que meure mon amour, Ma
mort par vous soit ordonnée.
Elle dict, & d’un œil ardant, Tout l’autre elle
va regardant Et toy caverne, luy dict-elle, Qui nous a si
souvent couverts Sireine & moy, combien divers Est ce
temps de saison si belle ?
Soys tesmoing que dedans ses lieux, Je reclamay cent
fois les Dieux Pour haster ma mort desirée, Quand je sçeus que
le jour venoit Où le sort cruel ordonnoit Que je me visse
parjurée.
A ce mot les yeux on doyants Aux pleurs qui les
alloient noyant ; Ne pouvant d’avantage dire Le mal qui venoit
l’outrager, A fin d’autant se descharger Elle se resoult de
l’escrire.
Mais en trouvant à son secours, Ancre ny plume ***
secours Au sang qui boüilloit dans ses veines, Que d’une
esplingue elle entr’ouvrit, Et puis du gros bout escrivit Une
partie de ses peines.
Ce sang (Sireine) je l’ay pris De la mesme main dont
j’escris, Aussi est-il bien raisonnable Que je punisse ceste
main, Qui perfide me doit demain Rendre avec elle si
coulpable.
Ce pendant il t’assurera, Quand quelqu’un te
racontera Ceste desplorable journée, Que si ma vie au papier
blanc J’eusse pû mettre avec mon sang, Je ne l’eusse pas
espargnée.
Mais c’est le ciel cruel qui veut Faire voir à mon
dam, qu’il peut Donner une peine plus grande Aux mortels, que
la mort n’est pas, Qui est desnier le trespas Lors que plus on
le luy demande.
Mais quoy qu’il fasse contre moy, Il ne peut alterer
ma foy Ny m’empescher que je ne t’ayme, Diane Sireine
aymera Tant que Diane elle sera, Sireine en ferat-il de
mesme ?
Lors que Sireine eut leu ces mots, Mes yeux
(dict-il) à quel propos Lisons-nous de ceste infidele Les
serments qui ne sont jurez Qu’à dessein d’estre parjurez,
Soudain qu’ils sont conceus en elle ?
Les plaintes ny les tristes pleurs Qui naissoient
des aspres mal’heurs De ce Berger, n’eussent eu cesse, Si deux
Nymphes venant passer Prés de luy, n’eussent son penser
Diverty du mal qui le presse.
Leurs cheveux voloient vagabonts Esmeus du vent à
petits bons, Et tels que jadis Harpalice Les laissoit
espanchez au vent, Lors que les chevaux bien souvent Elle
domptoit pour exercice.
Comme soubs l’obscur de la nuict, La lune en ses
rayons reluit Au travers de quelques nuages, Des Nymphes luy
soient amoureux Au travers de leurs longs cheveux Les rayons
de leurs beaux visages.
Un lien de perle empouloit Leur sein qui jeune
poumeloit, Et ses perles orientales N’estoient pour enrichir
leur sein, Mais pour faire voir à dessein Leur blancheurs ne
leurs estre esgales.
Leurs robes blanches jusqu’en bas Ostoient la veuë
de leur pas, Bien qu’entre-ouvertes soubs la banche
Quelquefois si le vent poussoit Le brodequin leur paroissoit
Qui monstroit la jambe plus blanche.
L’arc & la fleche dans la main Soubs l’espaule
le carquois plein, Mais quoy ? chacune d’elles porte, D’autres
traicts bien plus acerez Dans les yeux, qui estant tirez, Ont
bien une pointe plus forte.
Or ces Nymphes venoient d’un pas Qui sembloit
presque d’estre las Se rafraischir à la fontaine, Fontaine
destiné sejour Des sacrez mysteres d’amour, Mais plus des
secrets de Sireine.
Le soleil quoy que tout d’ardeur N’avoit pû vaincre
la froideur De son cristal ny de l’ombrage, Si bien que ces
Nymphes soudain Y plongeant l’une & l’autre main S’en
rafraischirent le visage.
Alors Doride s’essuyant Et l’œil curieux
tournoyant, Voicy (dit elle) la riviere Où Polidore avoit
gagé, Quand de nous elle prit congé Qu’elle arriveroit la
première.
C’est icy (dit Cynthie) a lors Ne recognoissez-vous
les bords D’Ezla qui en peupliers abonde, Voicy la fontaine
qui prend Son nom des Alisiers, & rend A ces prés si douce
son onde.
De ce costé souloit loger Jadis Sireine le
berger, (Berger) qui Phœnix en constance Aymant un Phœnix en
beauté, Fut payé de legereté D’amour indigne recompence.
A quoy Doride respondit, Ne croyez point ce qu’on en
dict J’en sçay des nouvelles certaines, Je croy Sireine estre
constant, Mais Diane l’est bien autant Et souffre plus que luy
de peines.
Je recognois ores ce lieu Par hazard allant dire
Adieu, Avecque deux de nos compagnes, A la sœur du pasteur
Carlin A qui sont donnez par destin Tous les gras trouppeaux
des Espagnes.
Je vins icy pour sous le frais De ces Aliziers plus
espais, Passer la chaleur plus ardante, Mais lors que je
voulois partir Je vis du vilage sortir Diane, toute
mescontante.
A sa façon chacun jugeoit Que quelque chose
l’affligeoit, Elle alloit, & seule, & pensive,
Toutefois Seluage de loing La suivoit, monstrant d’avoir soing
D’alentir sa douleur trop vive.
Aussi tost qu’elle fut icy Haussant vers le ciel le
sourcy, Elle dict de voix douloureuse, Si ce qu’on nomme en
moy beauté M’a mis en ceste extrémité, Rend moy moins belle,
& plus heureuse.
Ou bien puis qu’il falloit en fin Par l’ordonnance
du destin Que seulement je fusse aymée, Pour aymant mourir de
douleur, Pourquoy (Sireine) mon mal’heur Me rend-il de ta mort
blasmée ?
Je sçay qu’on m’en donra le tort, D’autant que pour
glaive si fort Amy, trop foible est ta constance, Et si je te
survis d’un jour Qu’on nommera deffaut d’amour Cest excez de
ma patience.
A ces mots la voix luy faillit, Le beau visage luy
paslit, Les yeux pleins de divers orages, En l’estomach mille
souspirs, Dans l’ame mille desplaisirs Furent du cœur les
tesmoignages.
En ce temps Seluage arrivant, Et en tel estat la
treuvant Les pleurs furent communs entr’elles, Elle avoit
senti quelquefois Quel est amour, & quelles loix Il
ordonne à ses plus fidelles.
Tout ce qui a commencement Finit, si ce n’est le
tourment (Dict-elle) dont ce mal te blesse, Par ce respond
Diane à lors Que tousjours de nouveaux efforts Vont
renouvellant ma tristesse.
Premierement j’ay plaint l’exil, Ores helas !
helas ! faut-il, Faut-il, qu’à la fin je le die, Mais
pourquoy, le tairois-je helas ! Puis que le dire, ce n’est pas
La cause de ma maladie ?
Ores helas ! il faut pleurer Et ne faut les pleurs
mesurer, Mais le pleurer est inutile Si ce n’est qu’en goutte
de pleurs, Mon sang pour plaindre mes douleurs En larmes en
fin se distile.
Il faut pleurer, ores helas ! Non point un, mais
mille trespas, Mille trespas ? ains la mort mesme Est trop peu
pour dire un tel mal Qui n’a que soy-mesme d’esgal, Tant il
est en soy-mesme extréme.
Helas ! en fin il faut quitter Tout ce qui me peut
contenter Tout ce que j’ayme & que j’adore, Pour ce que je
ne puis aymer, Mort as-tu rien de plus amer Et quel mal
reste-il encore ?
Doncques l’amour veut consentir, De mon cœur ne
pouvant partir Qu’avec moy je le rende esclave, Mais fleschy
dessoubs le devoir, Pourrat-il sans honte, se voir Despoüillé
d’un vaincœur qui brave ?
Sireine que deviendras-tu, Voyant mon cœur estre
abbatu, Soubs la force & soubs l’artifice De mes
desnaturez parents ? Qui m’offrent comme des Tyrans A Delio
pour sacrifice.
J’auray moins de mal à mourir Qu’à si grand outrage
souffrir, Mais quoy ? je tremble toute en l’ame, Foible esprit
contre un fort mal’heur, Tu merite bien la douleur Dont tu
n’oses fuyr le blasme.
A ce mot comme on voit le feu Dedans la lampe peu à
peu Finir, sa mesche estant finie, Ceste belle s’alloit
mourant Et de ses pleurs le seul torrent Estoit encor signe de
vie.
Ce que Doride racontoit Le triste Berger
l’escoutoit, Et eust parachevé encore Le discours de ce qui
suivit, Mais au bout des prez, elle vit La belle Nymphe
Polidore.
Ainsi leur compagne arrivant Toutes deux luy vont au
devant, Et la meinent à la fontaine Se reposer à la
fraicheur, Mes sœurs (dict-elle) ma longueur Procede du Berger
Sireine.
Et nous dirent-elles aussi, Nous treuvant oyseuses
icy Alions parlant de sa fortune Doncques (dict-elle) toutes
trois Nous avons eu pour ceste fois Si belle rencontre
commune.
Et passant dedans ses taillis Qu’Ezla moüillant de
ses replis Faict croistre en despit de la roche, J’entr’ouys
quelqu’un discourant, Lors curieuse desirant Sçavoir qui c’est
je m’en approche.
Je vis une Bergere helas ! Triste plus qu’on ne
croiroit pas Couchée de son long en terre, Tenant la teste sur
la main, Et ses reins du coude au terrain S’appuyoient au dos
d’une pierre.
Deux ruisseaux de ses yeux sortoient, Et les
sanglots qui tourmentoient Le triste sein de ceste belle,
Ressembloient à ces flots chenus Qui entre les rochs retenus,
Jusqu’au ciel sautent en parcelle.
Lors qu’en cet estat je la vis, Cheres sœurs, il me
fut advis De voir au prés de Galathée, Acis qui en eau se
changeoit Sous la roche qui l’outrageoit, Quand Polipheme
l’eust jettée.
Lors pensive elle se taisoit, Et sa compagne luy
lisoit Un papier duquel l’escriture Luy faisoit jetter ses
regrets, Par hazard je fus assez prés Pour en ouyr telle
lecture.
Diane en fin par vostre oubly Mon soupçon se treuve
accomply, Et ce Sireine qu’on vit estre Pour vous si remply de
bon-heur, Pour vous n’aura plus que douleur, Pour monstrer
qu’amour est un traistre.
Et vous voulez pour rendre esgal Au bien passé ce
present mal Que par la veuë je le sente, Cruelle vous sçavez
fort bien Que comme l’œil accroist le bien, Le mal’heur aussi
s’en augmente.
Et bien je m’en vas vous treuver, Mais ce n’est que
pour espreuver Combien une femme est volage, Si sçay-je bien
qu’un repentir En fin vous fera ressentir Que ma perte est
vostre dommage,
Jamais vous n’acquerrez un cœur, Onc vostre œil ne
sera vaincœur De volonté qui soit plus vostre, Je jure tout ce
que je puis Que si tout à vous je ne suis, Je ne suis mien ny
à nul autre.
Jugez par là, si vous pouvez Rompre la foy que vous
devez Sans en estre à jamais blasmée, Les Dieux punissent
rudement Celle qui deçoit un amant, Alors qu’elle en est bien
aymée.
Je seray donc au prés de vous, Ma mort surmontera
vos coups : Mais j’y seray sans nulle tasche, Et vous n’y
serez pas ainsi Qui peu fidele aurez noircy Vostre foy d’un
acte si lasche.
La triste Bergere ne pût Permettre que plus outre on
lûst La lettre qu’escrivoit Sireine, Helas ! ma sœur que sert
cela (Dict-elle) tout ce qu’il met là, N’est que trop vray,
& c’est ma peine.
Mais Seluage, c’est sans avoir Nulle esperance de
pouvoir Qu’en mourant, y donner remede, Le mal procede bien de
moy, Mais le remede que j’y voy Seulement de ma mort
procede.
J’ayme Sireine, & ne faut pas Que je die que le
trespas Ne me soit plus aisé de prendre, Que n’est la
resolution De vaincre ceste passion, Mais, si me faut-il
l’entreprendre.
De ne l’aymer, je ne le puis, Aussi en l’estat où je
suis, De l’aymer, mon bonheur j’offence, Je fay contre moy en
l’aymant Contre luy faisant autrement, Mais contre moy,
moindre est l’offence.
Doncques pour offencer le moins (Et m’en soient tous
les Dieux tesmoins, Hors Hymen perte de ma joye) Je jure de
l’aymer tousjours, Mais pour mon honneur mes amours Si je puis
je ne veux qu’il voye.
O quel devint à ces propos Les ravisseurs de son
repos, Sireine au pied de ceste haye Encor faict ce
soulagement, Ne pouvant guerir son tourment De voir ainsi
flatter sa playe.
Quel mal’heur que de desunir La foy qui devoit
retenir Diane, a Sireine arrestée, Fasse le ciel pour les
venger Que qui la faict puisse loger L’aygle que repaist
Promethée.
Fin du retour, troisiesme livre de Sireine.
Extraict du Privilege du Roy.
Par lettres patentes du Roy données à Paris, & scellées du grand sceau
en cire jaulne sur simple queuë, signé par le Roy en son Conseil, Addée : Il est
permis à Jean Micard, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer
par tel imprimeur qu’il choisira bon estre, les œuvres tant en prose qu’en vers,
composez par Messire Honoré d’Urfé. Gentil-homme de la Chambre du Roy, Capitaine
de cinquante hommes d’armes de ses Ordonnances, Comte de Chasteau-neuf, Baron de
Chasteau-Morand, & c. Sans qu’aucun les puissent imprimer, sans le congé
& consentement dudict Micard pendant le temps & terme de dix ans entiers
& accomplis, sur peine de confiscation des exemplaires, & de deux cens
escuz d’amende applicable moytié aux pauvres & l’autre moytié audict
suppliant, & de tous despens dommages & interests, ainsi comme il est
plus amplement contenu és lettres du dict privilege.