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Accueil > Documents > La Sylvanire ou La morte-vive. Fable bocagère.

La Sylvanire


Cette numérisation a été réalisée avec le soutien de Sorbonne Université.



Sommaire :




LA
SYLVANIRE,
OU LA
Morte-vive.



FABLE BOCAGERE
DE
MESSIRE HONORÉ D’URFÉ,



MARQUIS DE BAGÉ ET VERROMÉ,
Comte de Chasteau-neuf, Baron de Chasteau-
morand, & Chevalier de l’Ordre de Savoye, & c.



A PARIS,
Chez Robert Fouet, ruë S. Jacques
au Temps, & à l’Occasion.





M DC. XXVII.


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A
LA REYNE
MERE DU ROY,
MARIE DE MEDICIS,
REYNE DE FRANCE
ET DE NAVARRE.




 Madame,
Cette Bergere si differemment vestuë de toutes celles qui se sont encore veuës en France, n’eust pas eu la hardiesse de s’y presenter, n’eust esté le support qu’elle espere de recevoir de vostre Majesté, aux pieds de laquelle elle se va jetter, afin que vous ayez aggreable que estant advoüée d’une si grande Reyne, elle puisse joüir du privilege de ceux qui ont un tiltre si honnorable. Et quoy que cette hardiesse pourroit estre estimée presomption, si en est-elle en quelque sorte excusable, puisque ses habits Italiens ne vous peuvent estre Estrangers, & que mesme c’est par vostre commandement qu’elle est ainsi revestuë, y ayant quelques années qu’il pleust à vostre Majesté de me le commander. Que s’il y a du defaut en son corps, je m’en remets à ceux qui auront meilleur jugement que moy : mais je suis tres-asseuré qu’il n’y en a point en son habit, puis qu’il est fait sur le patron de tant de grands personnages, qu’il est impossible qu’ils y ayent laissé quelque imperfection. Qu’elle sera glorieuse si vous la daignez regarder, & que chacun la trouvera belle, si l’on sçait,
Madame, qu’elle ait receu cét honneur de vous. Je n’ose en supplier vostre Majesté, quoy que ce fust l’une de mes plus grandes ambitions, parce que je craindrois que cette supplication ne fust estimée une temerité : Et toutesfois, s’il m’est permis de le dire, je pense qu’en quelque sorte vous y estes obligée, cette Bergere estant originaire de ce pays de Forests, qui en France est particulierement à vostre Majesté. Comme vostre subjette recevez-la doncques, Madame, & si elle n’a autre merite pour parvenir à un si grand bon heur que celuy du lieu de sa naissance, faites paroistre en sa personne combien la bonté de vostre Majesté se plaist à gratifier tous ceux qui sont nez ses subjets. Du nombre desquels ma bonne fortune m’ayant fait estre aussi bien qu’elle, je la vous offre pour témoignage de l’affection & devotion que j’ay au service de vostre Majesté, comme
MADAME,


 Tres-humble, tres-fidele & tres-obeyssant subjet & serviteur,
Honoré d’Urfé.

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AU LECTEUR.




 J’avoue que la premiere fois que je me mis à lire les Tragedies, Comedies, Tragicomedies, Pastorales, & Fables bocageres, Italiennes, avec attention, je demeuray grandement estonné qu’eux seuls entre tous les Poëtes qui escrivent en langue vulgaire, composoient tels Poëmes en vers non rimez, mais libres, ainsi qu’ils les nomment ; car je sçavois bien, que les vers Latins, & les Grecs ne se faisoient que d’un certain nombre de syllabes, longues, & bréves, qui disposées par des pieds rendoient le vers entier & parfaict. Mais qu’au contraire toutes les langues maintenant vivantes, ne se contentant pas de ce nombre de syllabes, y adjoustoient la consonance de la rime, sans laquelle le vers ne s’estimoit point estre parfait, & que cela avoit mesme esté cause que l’Empire Grec, & le Romain, venant à tomber entre les mains de divers Peuples, dont ces langues vulgaires ont esté introduites dans l’Europe, plusieurs de ce siecle la voulurent non seulement rimer leurs vers vulgaires, mais les Latins mesmes, tant ils estoient attachez, par la coustume, à cette consonance de syllabe. D’autre costé, je considerois que sans vanité les Italiens se peuvent vanter d’estre aujourd’huy les plus exactes observateurs des loix de la Poësie Dramatique, tant en la composition, qu’en la representation de tels Poëmes : Je ne pouvois m’imaginer que ce ne fust avec beaucoup de raison qu’ils en eussent banny la rime de cette sorte : Eux, dis je, qui ont si bien & si heureusement expliqué leurs pensées en tant d’autres si beaux vers rimez, avec lesquels ils ont élevé leurs Poësies au plus haut degré, qu’il semble que leur langue puisse attaindre : car je voyois le Tasse, duquel la Hierusalem est admirable ; l’Arioste dont le Roland Furieux a tant esté approuvé de chacun ; le Guarini, de qui les vers Lyriques sont si pleins d’esprits, & d’amour ; le premier avoir fait son Torrismond, & son Aminte, en vers libres, & non rimez ; l’autre tant de Comedies & Tragedies de mesme sorte ; & le dernier son Pastorfide : & tous ces Poëmes estre tellement approuvez avec raison de chacun, que j’eusse pensé faire un grand tort à de si grands personnages, de croire que la seule raison de déployer leurs pensées avec moins de contrainte, leur eust fait choisir cette sorte de vers libres, puis qu’ils ont fait paroistre en tant d’autres escrits qu’ils possedoient de façon la rime, qu’ils l’ont tousjours fort heureusement fait obeyr à leurs conceptions, & non pas leurs conceptions à la rime ; outre que l’Italienne estant si abondante, & si licentieuse, il n’y a pas apparence qu’en ce seul genre d’escrire ils eussent voulu en user ainsi, ayant moy-mesme plusieurs fois esprouvé, lors que j’ay mis quelque chose en vers, que la contrainte de chercher la rime fait naistre bien souvent de plus belles pensées que l’on n’a pas eu dés le commencement : Et semble qu’en cela l’esprit face comme le cailloux, qui frappé & refrappé, jette des estincelles de feu, au lieu qu’auparavant il estoit tout froid & sans lumiere.


 Apres avoir donc longuement discouru de cette sorte en moy mesme, je recognus en fin avec combien de raisons les plus sçavans ont dit que l’admiration estoit le commencement de la cognoissance : car apres avoir admiré en eux cette sorte d’escrire, je vins en fin, ce me semble, à la cognoissance de la raison qui leur en faisoit user ainsi, qui est telle.


 S’il est vray que la perfection de chaque chose soit mise en la fin pour laquelle elle a esté produite ou inventée, infalliblement celle-la sera la plus parfaite qui parviendra le mieux à sa fin. Or le but principal que se proposent les Poëmes que nous nommons Dramatiques, c’est de representer, le plus parfaitement qu’il leur est possible, le personnage qu’ils font parler sur le Theatre ; Que si cette parfaite representation est la fin principale où ils tendent, n’est-il pas vray que les Italiens ont eu raison de bannir les rimes de leurs Tragedies, Comedies, Pastorales, & semblables, puis qu’aussi tost que l’on les fait parler en rime, l’on sort incontinent de cette vraye-semblance qui est leur principal but ? Car qui seroit celuy qui se pourroit empescher de rire, s’il oyoit un Roy à la teste de son armée parler en rime à ses Soldats, ou bien un Marchand faire ses comptes avec son Facteur en vers rimez ? Et n’est-ce pas commettre cette mesme faute que de rimer les Tragedies & les Comedies ?


 C’est la verité que cette raison me contenta grandement, & m’estonnay que jusques à cette heure tant de sçavans & grands personnages, qui ont escrit en nostre langue un grand nombre de Tragedies, n’eussent recognu cette verité, & dés le commencement j’eus opinion qu’ils n’avoient voulu apprendre leurs leçons des Poëtes qui escrivoient en langue vulgaire, mais seulement des Grecs & des Latins ; & voyans que ceux-cy escrivoient en vers leurs Tragedies & Comedies, & n’ignorant pas que le vers François se composoit du nombre de syllabes, & de la rime, ils penserent estre obligez à les rimer pour les imiter entierement. Mais recherchant exactement de quelle sorte les Grecs & les Latins ont escrit, je trouvay que les Italiens avoient eu la veuë plus plus claire que les nostres : car il est bien vray que les Grecs & les Latins ont escrit leurs Tragedies & Comedies en vers ; mais si nous considerons quelles sortes de vers ce sont, nous cognoistrons qu’ils ont choisy ceux qui estans recitez, ne peuvent presque estre recognus pour vers : car tout ainsi que les Italiens ont banny de leurs representations la rime, parce qu’elle fait recognoistre trop apparemment que ce sont des vers ; de mesme les Grecs & les Latins ont chassé des leurs, tous ceux qui ont quelque cadence sensible & recognoissable, comme les hexametres, par leur Dactyle, suivy tousjours du Spondée à la fin, & la cheute du milieu, & de la fin du Pentametre : Si bien qu’il est vray que ce sont des vers, parce que la Poësie ne peut estre escrite qu’en vers ; mais il est vray aussi que le plus habile Poëte ne sçauroit recognoistre lors que l’on recite Terence, si ce sont des vers, que ceux avec les- quels il fait parler les personnages qu’il introduit.


 Et pour monstrer que cette opinion est veritable, ce grand Aristote qui n’a rien ignoré de tout ce que la Nature luy a peu enseigner, ou que par la cognoissance de la Nature l’on peut apprendre dans son art Poëtique, en monstre bien la verité, lors que parlant des vers dont les Poëtes ont escrit leurs Tragedies, il dit ainsi :


 La Tragedie ayant esté variée de plusieurs & divers changemens, s’est en fin arrestée, apres avoir rencontré ce qui estoit convenable à sa nature. Eschylus fut le premier qui au lieu d’une personne en mit deux, & qui diminua ce qui estoit autour du Chœur, & introduisit les discours des premieres parties. Sophocles trois personnes, & l’ornement de la Scene. Depuis elle s’acquit assez tard la grandeur & la gravité : car auparavant elle ne traittoit que de petites fables, & avec une façon de parler ridicule, & ce fut lors qu’elle eut changé la representation Satyrique. Incontinent apres au lieu du vers Tetrametre, elle adopta le Iambique, parce qu’auparavant elle usoit de Tetrametre, comme plus propre à la Satyre, & aux actions & sautemens. Mais lors que les discours alternatifs furent receus, la Nature mesme trouva le vers qui leur estoit propre, car c’est un argument tres-fort que le Iambique est propre à cette façon de parler l’un à l’autre, puis qu’en discourant ensemble plusieurs Iambiques nous eschapent, ce qui n’avient point des hexametres que fort rarement, ny sans outrepasser les termes des entretiens ordinaires.


 Si dés le commencement J’eusse jetté les yeux sur ce passage d’Aristote ; je n’eusse pas eu grand peine, d’entendre, ny pourquoy les Italiens ont laissé la rime, ny à quelle occasion ils ont entremeslé diverses sortes de vers en leurs Scenes ; car j’eusse bien incontinent entendu que c’estoit pour suivre en cela la Nature des discours & entretiens ordinaires, qui requierent que quelquesfois la periode s’abrege, ou soit plus longue, selon les responses & repliques, & qui sur tout ne peuvent souffrir sans risée la rime de laquelle jusques icy tous nos François ont usé : Et cette consideration fut cause, que desirant avec passion que nostre langue, qui ne cede à nulle autre, soit en douceur, soit en gravité, ny en abondance de paroles propres & signifiantes, ne fust non plus inferieure à pas une en cette sorte de Poësie, je pris envie de défricher ce chemin, non encore recognu de nos François, ne faisant point de doute que tant de beaux Esprits qui ont enrichy la France de tant de riches Poëmes, & qui tous les jours la remplissent de gloire par leurs divins escrits, s’ils vouloient s’y employer, n’en levassent en peu de temps, & les Couronnes, & les Lauriers à toutes les autres nations, qui se vantent de nous surpasser en ce seul genre d’escrire.


 Mais aussi tost que je mis la main à la plume pour leur faire voir une Pastorale de cette façon, je previs bien que plusieurs la trouveroient estrange, & peut-estre d’un goust assez fascheux, comme ordinairement sont presque toutes les viandes inaccoustumées. Je sçavois bien que les nouveautez sont grandement subjettes d’estre desapprouvées, & qu’en quelques anciennes Republiques, les Autheurs couroient fortune bien souvent d’en estre punis : Je voyois que la coustume qui exerce une si puissante tyrannie en l’ame du peuple, ne recevoit point de vers parmy nous sans estre rimez, & que ceux qui les avoient voulu introduire, quoy qu’ils eussent une grande authorité, n’avoient gueres esté approuvez de personne ; & je n’ignorois pas que mon credit ne fust trop foible, pour obtenir ce que l’on avoit refusé à de si grands personnages : Et bref je cognoissois assez que la rime dans le vers est un fard qui couvre plusieurs rides & plusieurs defauts, & qu’il falloit que le Poëme qui se presenteroit à une si vive lumiere que celle des yeux de la France, abondante en tant de grands & de divins Esprits, eust un visage bien beau, & un teint bien net, s’il ne se ternissoit aux rayons de tant de Soleils.


 Mais plus puissant encore que toutes ces considerations fut l’extréme desir que j’eus de nous ouvrir un chemin par où le Poëme Tragique & Comique peust parvenir à la perfection, qui jusques icy luy avoit esté déniée : & ainsi passant par dessus toutes ces doutes, je me resolus d’essayer si nos François, qui en la pluspart des choses ne sont gueres ennemis de la nouveauté, voudroient recevoir celle-cy, qui est fondée sur tant de raisons, d’authoritez, & d’exemples.


 Mais il est vray que quand je voulus former une Pastorale de ces vers, je me deceus grandement ; car ayant devant mes yeux pour mon patron la façon d’escrire des Italiens, & m’y voulant conformer autant que nostre langue le pouvoit souffrir, je me laissay emporter à une erreur, de laquelle je ne me pris garde que bien tard : car les Italiens avec beaucoup de jugement n’ostent pas seulement la rime des Poëmes Dramatiques : mais de plus en diversifient les vers, les meslans de longs & de cours, selon que le subjet le requiert : Et cela d’autant qu’encores que les vers ne soient pas rimez, si nous en oyons toutesfois plusieurs de suitte, & tous mesurez à une mesme quantité de syllabes, les moins pratiquez en ce mestier, recognoistront en fin que ce sont des vers, ce qui contreviendroit au dessein qu’ils ont de les cacher : & pour oster cette cognoissance mesme aux oreilles plus delicates, ils ont entremeslez leurs vers, avec beaucoup de jugement, de differente quantité de syllabes, selon que le discours le requiert, & qu’il est plus vray-semblable que la periode se doive terminer, en parlant l’un avec l’autre, ce qu’ils ont appris des anciens Tragiques & Comiques, & principalement de Terence.


 Ayant donc opinion que je devois pour cette raison entremesler toute sorte de vers, sans autre égard que de conduire la periode où elle se devoit reposer : Je recognus en fin que je m’estois deceu, à cause que je n’avois pas jetté l’œil sur une delicatesse que a nostre vers, & que les Italiens méprisent, à sçavoir la Sesure, ou autrement le repos que nous faisons aux vers Alexandrins tousjours sur la sixiesme syllabe, & au vers commun sur la quatriesme, au lieu que les Italiens la mettent où bon leur semble, & quelquesfois l’en bannissent du tout, comme l’on peut voir au second vers de l’Aminte du Tasse.


 Dai piaceri di Venere Lontana.


 Et quoy qu’ils dient que c’est pour rendre leurs vers plus graves & plus ressemblans aux Grecs & aux Latins, qui pour eviter cette separation & ouverture ont estimé le vers meilleur lors que les pieds entrent d’un mot à l’autre comme des chainons qui s’entre-attachent, si est-ce que la douceur du nostre ne peut supporter cette privation de repos, ny mesme le changement de lieu sans une grande offense à l’oreille.


 Apres avoir donc fait une longue consideration sur toutes ces choses, je remarquay, qu’il n’y avoit que le vers de six à sept syllabes qui redoublé fait l’Alexandrin, & le vers commun, qui peussent bien souffrir d’estre couplez ensemble : & cela d’autant que le vers commun estant formé de deux membres, le premier de quatre, & le second de six ou de sept s’il est feminin, la fin du vers commun tomboit en la structure du vers de six, si bien que sans offenser l’oreille, l’on entre de l’un en l’autre insensiblement. Ce que j’ay voulu dire, afin que si quelqu’un s’y veut essayer, il soit deceu comme j’ay esté.


 Il reste encore, ce me semble, que je satisface à deux oppositions que ceux qui prendront la peine de lire cette Fable bocagere me pourroient faire ; l’une pourquoy estant si en- nemy de la rime dans cette sorte de Poëme, l’on voit toutesfois que j’y en ay mis en plusieurs lieux : & l’autre pourquoy faisant profession d’estre si religieux imitateur des Poëres Grecs & Latins ; je n’ay pas toutesfois remply mes Scenes de frequentes Sentences, comme nous voyons qu’ils ont fait.


 Et pour respondre à la premiere, je diray que je ne suis point ennemy de la rime, sinon entant que dans ces representations elles sont contraires à la vray-semblance, mais lors qu’elles y peuvent estre receuës sans y contrevenir, je les approuve & m’en sers, & d’effect d’autant que tousjours les Proverbes, & bien souvent les Sentences sont rimées, je ne fay point de difficulté d’en faire de mesme : & de plus bien souvent je rime les responses & les repliques qui sont courtes, parce qu’en nos discours ordinaires nous en faisons plusieurs fois de mesme, me semblant que le passage allegué d’Aristote, non seulement me le permet, mais presque me commande d’en user ainsi. Car puis qu’il approuve le vers Iambique dans les Tragedies, parce, dit-il, qu’en nos discours ordinaires il nous en eschappe plusieurs sans y penser, il me semble que de mesme il nous ordonne d’y admettre tout ce que dans ces mesmes discours nous voyons ordinairement survenir. Il est bien vray que dau- tant que ces Proverbes qui roulent par la bouche du peuple, quoy que rimez, n’ont pas toutesfois le plus souvent une rime exacte & parfaite, mais se contentent d’obtenir une certaine consonance qui retient quelque chose seulement de la rime, aussi y en ay-je laissé couler à dessein plusieurs fausses & defaillantes, exprés pour mieux imiter ceux qui parlent. Que si j’en ay usé de mesme aux responses & aux repliques qui sont de peu de paroles, je l’ay fait pour la mesme raison ; car nous voyons bien souvent qu’en semblable occasion en parlant l’un avec l’autre, nous repliquons avec quelque rime entiere ou fausse, cela n’importe, parce que veritablement en tel lieu la rime sert d’une subtile response : tout ainsi qu’une espée atteignant de la pointe passe bien plus avant dans le corps, que quand elle frappe du trenchant, cette pointe aussi de la rime, pourveu qu’elle ne soit point mandiée en ces courtes repliques, pousse & engrave bien mieux dans nostre ame ces Proverbes, Sentences, & petites subtilitez que nous ne sçaurions faire autrement.


 Quant à ce que je n’ay pas imité la façon d’escrire de ces anciens Comiques & Tragiques, en la grande quantité des Sentences dont ils ont presque remply toutes leurs Scenes ; Je responds qu’en cela j’ay voulu suivre l’ordonnance des Sages, qui nous commandent de nous accommoder au temps, la severité de ces premiers hommes estoit telle qu’ils ne pouvoient rien approuver qui ne fust serieux, & leurs esprits estoient tellement accoustumez à cette sotte de nourriture, que toutes les autres leur sembloient de mauvais goust : Je croy que maintenant les Roys & les Princes ne se plairoient gueres à n’estre servis en leurs tables que du bouïllon noir de Sparte, & duquel je pense qu’à cette heure leurs chiens à peine voudroient taster.


 Nous voyons que non seulement les Arts sont changez, mais les loix, voire la nature mesme ; N’est-il pas vray que la Musique de nostre temps est toute autre que celle de ces Anciens ; que l’Architecture & l’Art de bastir est differente ; que la façon que nous avons de faire la guerre n’est point celle dont ils usoient ; n’avons-nous point changé sur la mer les Triremes, & sur la terre les Catapultes, les Tortuës, les Balistes & semblables ? Mais les loix en Sparte ne permettoient-elles pas le larcin, & les nostres ne les chastient-elles pas ? & la nature des hommes n’est elle pas changée, puis que nous lisons que quelques Romains estans venus dans la Gaule escrivoient à Rome, comme par merveille, qu’ils avoient trouvé des hommes qui man- geoient deux fois le jour ; & maintenant nous voyons que la plus grande part ne sçauroit se contenter à moins de quatre repas ?


 De sorte que si nous le voulons bien considerer, nous trouverons que nous retenons bien les Arts & les Sciences de l’invention de ces Sages Anciens, mais que la polissure nous en est venuë & du temps & de l’usage ; & que si la Poësie n’avoit point changé elle seroit peut estre la seule de toutes les choses humaines qui auroit eu ce privilege : ce n’est pas qu’en cela je veuille preferer ceux de nostre siecle à ces Anciens, quoy que peut-estre en avons nous bien qui ne leur cedent point : mais je diray bien sans arrogance, que nous voyons plus qu’eux, car tout ainsi qu’un Nain estant sur la teste d’un Geant, verra quoy que plus petit, plus loin que ne fera pas ce grand Colosse, de mesme ayant les inventions de ces grands Anciens, & par ainsi estans sur leurs testes, nous voyons sans doute plus avant qu’ils n’ont pas fait, & il nous est permis, sans les outrager de changer & polir ce qu’ils ont inventé.


 Or le changement que la Poësie a receu, a esté principalement pour ce subject. Lors que ces Sages Anciens l’inventerent, ce fut pour instruire les Peuples avec plus d’authorité & de credit ; car ce langage mesuré & different du leur ordinaire, & duquel, comme dit Platon, les Dieux parloient, avoit une grande puissance à leur persuader tout ce qu’ils vouloient. De sorte que le but principal de la Poësie estoit en ce temps-la de profiter. Et toutesfois comme l’on donne aux enfans la Medecine amere, mais salutaire dans un vaze, dont les bords sont bien souvent couverts de quelque douceur ; de mesme y adjousterent-ils quelques gratieuses Fables, pour leur rendre plus agreables les salutaires enseignemens qu’ils leur donnoient, si bien qu’en ce temps-la le but essentiel de la Poësie estoit de profiter, & par accident de plaire : Au contraire maintenant nostre Poësie a pour son but essentiel de plaire, & par accident de profiter. Ce qu’il ne faut pas trouver estrange, puis que ce changement est procedé d’un moyen que nous avons d’enseigner le peuple, duquel ces Sages Anciens estoient privez, car ils n’avoient que ces representations publiques, avec lesquelles ils blasmoient les vices de leur temps, descouvroient les finesses des meschans, & les incitoient à la vertu, & cela estoit cause qu’ils remplissoient leurs Scenes de ces frequentes & continuelles Sentences que nous y lisons, & n’y joignirent le delectable que pour y arrester ces Peuples, comme les petits enfans avec du sucre.


 Mais nous qui par la grace de Dieu sommes en un siecle si riche de Predicateurs, qui enseignent si assiduellement les hommes de toute qualité, les retirent du vice & les poussent à la vertu, nostre Poësie infalliblement demeureroit inutile, si elle faisoit seulement profession d’instruire, & le Poëte qui n’auroit que ce dessein, en nos jours se travailleroit inutilement.


 Je ne dis pas que nous devions entierement rejetter cette partie, mais si fay bien que le principal dessein du Poëte doit estre maintenant de plaire, & par accident de profiter, afin que si les remedes que nous y proposons contre les vices ne sont de ces fortes medecines qui travaillent beaucoup le patient, elles ressemblent pour le moins à ces pillules usuelles pour lesquelles il ne faut point tenir la chambre, ny interrompre nos exercices ordinaires.


 J’advoüe donc que m’accommodant à nostre aage, mon dessein a esté de plaire, & par accident de profiter ; que si je n’y ay peu attaindre, je seray bien ayse que quelque autre plus heureux que moy y employe sa plume, m’estimant trop bien satisfait de mon entreprise, si je leur sers seulement de la pierre que aiguise & affile les trenchans, encore qu’elle mesme ne puisse rien coupper. & Adieu.

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A MONSIEUR D’URFÉ
SUR SA
SYLVANIRE.




 Urfé je suis bien asseuré
De te voir un jour adoré,
Voicy le point où je me fonde :
Peut-on refuser des Autels,
A celuy-la qui met au monde
Des enfans qui sont immortels ?

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PRIVILEGE DU ROY.




 Louis par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre. A nos amez & feaux Conseillers, les Gens tenans nos Cours de Parlement de Paris, Tholoze, Roüen, Bourdeaux, Dijon, Aix, Grenoble & Rennes : au Prevost de Paris, Bailly de Roüen, Seneschaux de Lyon, Tholoze, Bourdeaux & Poictou : & à tous nos autres Justiciers & Officiers qu’il appartiendra, Salut. Robert Fouet Marchand Libraire Juré en nostre Université de Paris, nous a fait dire & remonstrer, qu’il a recouvert avec de tres-grands fraiz & despens un Livre intitulé, La Sylvanire, ou Morte vive, Fable boccagere composée par le sieur d’Urfé, lequel Livre ledit Suppliant desireroit volontiers faire imprimer tant de fois & en telle forme & caracteres qu’il advisera pour la commodité du public, sans que autre que luy seul, ou de son consentement les puisse imprimer, vendre ny debiter, contrefaire, alterer, ny déguiser. Et dautant que nous desirons gratifier ledit Fouet pour les grands fraiz qu’il a desja faits, & luy conviendra encore faire pour l’accomplissement & impression dudit Livre, & par ce moyen le faire ressentir du fruict de son labeur, recognoissans que journellement il travaille pour le bien public : Nous pour ces causes & considerations, desirans l’advancement de la chose publique en nos Royaumes & Pays : & ne voulans permettre que ledit Suppliant soit frustré de son travail & diligence : Vous mandons, ordon- nons & enjoignons par ces presentes, que vous ayez à permettre, comme de nostre puissance & authorité Royale, Nous avons permis & permettons audit Fouet, qu’il puisse luy seul imprimer ou faire imprimer tant de fois & en tels volumes & caracteres qu’il advisera lesdits Livres, pendant & durant le temps de neuf ans entiers & consecutifs, à compter du jour & datte que lesdits Livres seront achevez d’imprimer : Faisans pour cét effect tres-expresses inhibitions & defenses à tous Marchans Libraires & Imprimeurs de Nostredit Royaume, & terres de nostre obeyssance & Seigneurie : & specialement à ceux de nos Villes de Paris, Lyon, Roüen, & toutes autres, & mesmes aux Estrangers traffiquans en nosdits Royaumes & Pays : & à toutes autres personnes de quelque estat, condition & nation qu’ils puissent estre, d’imprimer ny faire imprimer ledit Livre, ny d’en tirer aucune chose ou extraire, pour l’inserer en d’autres Livres, ny d’en exposer en vente, changer ou trocquer aux Foires, ny d’en faire amener en nos Royaumes sous noms interposez, ou en tenir aucuns exemplaires d’autre impression que dudit Fouet, ou de son consentement, sur peine de mil livres d’amende, applicable moitié à nous, & l’autre moitié audit Suppliant, & de tous ses despens, dommages & interests, confiscation des exemplaires mis en vente contre la teneur des presentes : & que trouvans lesdits Livres ainsi contrefaits, ils soient incontinent saisis, & mis en nostre main par le premier de nos Juges & Officiers, Huissiers ou Sergens sur ce requis, en leur monstrant ces presentes ou copie d’icelles deuëment collationnées à l’original, leur donnant pouvoir, commission & mandement special, & à vous tous de proceder à l’encontre de ceux qui contreviendront à ces presentes par toutes voyes deuës & accoustumées, & par les peines susdites, nonobstant oppositions ou appellations quelsconques, clameur de haro, charte Normande, & toutes autres lettres à ce contraires, ausquelles nous avons dérogé & dérogeons par ces presentes, pour lesquelles ne voulons estre differé. Et pource que de ces presentes ledit exposant pourra avoir à faire en plusieurs & divers endroicts, Nous voulons qu’au vidimus d’icelles faites sous seel Royal, ou par l’un de nos Conseillers & Secretaires, foy soit adjoustée comme au present original : Et si voulons en outre que mettant par bref le contenu ou extraict dudit present Privilege au commencement ou à la fin dudit Livre, que cela ait force de signification, tout ainsi que si l’original estoit monstré & signifié à un chacun, afin qu’ils n’en pretendent cause d’ignorance. Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris, le douziesme jour d’Avril, l’an de grace, mil six cens vingt cinq. Et de nostre regne le quinziesme.


 Signé, Par le Roy, en son Conseil,


 RENOVARD.

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LES PERSONNAGES.




Fortune.


Prologue.


Aglante,
Hylas.
Tirinte.
Alciron.


Bergers.


Adraste.


Berger, fol.


Sylvanire.
Fossinde.


Bergeres.


Menandre.
Lerice.


Pere &
Mere


de Sylvanire.


Le Messager.
Le Satyre.
Echo.
Le Chœur des Bergers.


La Scene se represente en Forests.


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PROLOGUE.



FORTUNE.

En habit de Bergere.


 Peut estre en fin dans ces lieux solitaires,
Dans ces bois reculez
Du commerce des hommes,
Dans ces replis tortus
Des Rochers caverneux,
Dans ces antres cachez,
Ainsi qu’on jugeroit,
Mesme aux yeux du Soleil,
Je me déroberay
A l’importunité
De ces fascheuses filles,
Electre, Ocyroé,
Melobasis, Yanthe,
Et Leucipe & Phœnon,
Et mes autres Compagnes,
Filles de l’Ocean,
Et que l’on croit mes Sœurs,
Me vont cherchant & demandant à tous
Aux marques ordinaires
Que je soulois porter,
Pour sçavoir où je suis,
Et pour me découvrir
Vont promettant des perles, des coquilles,
Des branches de corail,
A qui leur voudra dire
Où je me suis cachée.
 Voire elles sont bien fines,
Elles sont bien plaisantes
De promettre ces choses
A qui me monstrera,
Comme si je ne puis
Donner quand je voudray
Des perles bien plus belles,
Des nacres, des coquilles,
Des branches de corail
A qui me cachera ?
Il en manque peut-estre
A la Fortune, à qui tout l’Univers
En partage est donné :
Car ne vous trompez pas,
Encor que maintenant
Vous ne me voyez pas,
Comme je soulois estre,
D’une grandeur extreme ;
Ny ne porter en l’une de mes Mains
La corne d’Amalthée,
Ny dans l’autre un timon,
Si le fils de Venus
N’est point à mon costé,
Si d’un bandeau mes yeux ne sont voilez,
Si sous mes pieds je ne presse une boule,
Si sur ma teste une sphere on ne void,
Et si mon dos n’est chargé de deux aisles
Peintes de cent couleurs,
Si l’on ne void ma voile
Au vent abandonnée,
Ny que je me jouë
A ma volage rouë,
Comme c’est ma coustume ;
Et bref si je ne tiens
Entre mes bras le jeune enfant Plutus,
Qu’on dit Dieu des richesses,
Luy donnant le tetin
Comme mere & nourrice.
 Ce n’est pas pour cela
Que je ne sois Fortune,
Fortune qui commande
A tout ce qui s’enserre
Depuis la Lune au centre de la terre.
 Que je ne sois cette mesme Déesse,
Par qui le grand Senat
Dans la grandeur de Rome
Enferma tout le monde,
Sans que le monde entier
Peust enfermer Rome qu’un Rome mesme.
 Mais ne vous estonnez
De me voir maintenant
Sous ces habits, la houlette en la main,
Au dos la panetiere
Ainsi qu’une Bergere,
Je me cache à ces Nymphes
Filles de l’Ocean
Qui me vont poursuivant ;
Et qui par leurs prieres
Sans cesse m’importunent
De satisfaire à leur ambition.
Je ne sçaurois me plaire
De donner mes faveurs
A qui trop m’importune.
 Je suis semblable à l’ombre,
Je fuis qui me poursuit,
Et je suis qui me fuit.
 Elles voudroient, les fines,
Que je leur fisse part
Du pouvoir absolu
Que J’ay sur l’Ocean,
Quoy qu’à leur pere il escheut en partage.
 Tiché, me disent-elles,
Car Tiché c’est mon nom,
Quand nous sommes ensemble,
Laisse nous avoir part
Au regne paternel,
Et nous soulagerons
Avecque nostre peine
La peine qu’il te donne.
 Il est vray, je les ayme,
Ces gentilles Nayades,
J’ayme bien leurs vertus,
J’ayme leurs exercices ;
Mais je ne veux pourtant
Partager mon Empire.
Que de regner tout seul
Est une douce peine :
Je veux bien quelquefois
Leur donner le pouvoir
D’y commander, mais que ce soit sous moy,
Et tant qu’il me plaira.
 Or pour fuyr leur importunité,
Sous ces habits je me suis déguisée,
Et m’en viens dans ces bois
Me dérober aux yeux ambitieux
Des Nymphes qui me cherchent
Parmy les plus grands Roys,
Et les plus grands Monarques,
Comme si je devois
Tousjours rompre des Sceptres,
Et fouller des Coronnes,
Renverser des Royaumes,
Bastir des Republiques,
Ou fonder des Citez.
 Folles qui s’imaginent
Que moy qui pais chacun
De ceste ambition
Je doive aussi de mesme m’en repaistre,
Elles ne sçavent pas
Que je me plais souvent
Avecque ces bergers,
Et ces simples bergeres,
Hostesses innocentes
De ces bois innocents,
Plus que dedans les Cours,
Où qui mieux se déguise
Vend mieux sa marchandise.
 Peut-estre du travail
Elles se lasseront ;
Ces filles importunes,
Et cependant dessous ces doux ombrages
Je passeray le temps,
Et parmy ces rivages
J’iray follastrement,
Tournant ma roüe aux despens des Bergeres,
Et des Bergers mignards :
Mais J’entends aux despens
Seulement de leurs plaintes,
Seulement de leurs craintes,
Seulement de leurs larmes,
Je ne veux qu’aujourd’huy
Sur mes autels du sang on sacrifie.
 Cupidon m’en pria
Quelques jours sont passez :
Je l’ayme cét enfant,
Encor que bien souvent
Il dépende ses coups
Où le moins il devroit.
 Mais qu’importe cela,
Je l’en ayme tant mieux,
Car c’est peut-estre en quoy,
Comme disent les hommes,
Plus semblables nous sommes.
 Il me dit, En Forests
Sur les bords de Lignon,
Aglante le berger
Adore Sylvanire,
Et Fossinde Tirinte,
Il n’y faut plus qu’un seul tour de ta roüe.
 Voicy bien le Forests
Ma plus chere contrée,
Où je fis naistre Astrée
L’honneur de l’univers ;
Et voicy bien Lignon,
Je le cognois à ces belles prairies
Qui suivent son rivage.
 Voicy les bois d’Isoure,
Et voicy Mont-verdun,
Plus en là Marcilly,
L’un semblable à l’escueil
Dans le sein de la mer,
L’autre comme un rocher
Le rempart du rivage.
 Je me resous pour complaire à l’Amour
De luy donner ce jour,
Et qu’aujourd’huy ces forests & ces plaines
Ressentent mon pouvoir.
 Icy ma Deité
Jointe à celle d’Amour,
Des deux n’en faisant qu’une,
Produira les effects
D’Amour & de Fortune.
 Je me plais & me pais,
Aussi bien que l’Amour,
De larmes innocentes :
Je veux doncques oüyr
Les plaintes & le deuïl
De ces Bergers fidelles,
Et si le desespoir
Ne prevaut sur l’Amour,
Ils cognoistront en leur plus grand ennuy
Qu’à la fin toute chose
Sagement je dispose.
 Les voila qui s’en viennent,
Entre eux je me mettray,
Sans qu’ils me recognoissent :
Mais les effects divers
Qui les agiteront,
Leur feront bien cognoistre
Que la Fortune & l’Amour sont icy :
Mais Amour fortuné
Et Fortune amoureuse.


Qui voudroit te veoir revestu
Des Ornements que tu merites.
Il faudroit peindre les Charites
L’Honneur, la Gloire & la Vertu.

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LA
SYLVANIRE.




ACTE PREMIER.


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SCENE PREMIERE.




Aglante. Hylas.



Aglante.

 Le prix d’Amour, c’est seulement Amour,
Et sois certain Hylas,
Qu’on ne peut acheter
Si belle marchandise
Qu’avec ceste monnoye ;
Il faut aymer si l’on veut estre aymé.

 Hyl. Et qui peut accuser
Hylas de n’aymer point ?
Hylas de qui la vie
Fut tousjours employée
Au service d’Amour :
 J’ayme, mais j’ayme, Aglante,
Non pas comme je voy
Ces ignorants d’Amour,
Et ces jeunes novices,
Qui pensent n’aymer pas,
Si telle amour ne les porte au trespas,
Si quelquefois ces belles qu’ils adorent
Leur font la mine froide,
Ils perdent tout repos :
 Si d’autrefois avec quelque desdain
Elles tournent la teste,
Ils sont desesperez ;
Et si par ruse elles leur font semblant
D’en mieux aymer quelqu’autre,
Ils ne veulent plus vivre ;
 Et bref, ainsi qu’il plaist
A ces petites folles,
Ces constans Amoureux
Sont contraints de gesler,
De bruler, de transir,
De rire & de pleurer,
D’humeur & de visage
Changeant à tous les coups
Comme s’ils estoient fous :
Si bien que l’on peut dire
A voir leurs changements,
Ce sont des giroüettes
Au faiste d’une tour
Où les attache Amour.
 Ah ! quant à moy, je les veux bien aymer
Ces gentilles Bergeres,
Mais avecque raison,
Et non pas insensé
De sotte passion,
M’emporter tellement,
Que je sois un esclave,
Et non pas un amant.
 Cent & cent fois ne m’a t’on oüy dire
Parmy ces bois, & parmy ces campagnes ;
 Si l’on me desdaigne, je laisse
La cruelle avec son desdain,
Sans que j’attende au lendemain
De faire nouvelle maistresse.
 C’est erreur de se consumer
A se faire par force aymer.

 Agl. Que je te plains, Hylas !
Et qu’avecque raison
De ton erreur l’opinion j’abhorre ;
Puisque si les grands Dieux
Ne donnent aux mortels
Rien, qui puisse approcher
Aux bon-heurs dont Amour
Rend l’homme bien-heureux ;
N’est-ce avecque raison
Que je croy miserable
Cét Hylas inconstant,
Qui ne sçachant aymer,
De nul aussi ne sçauroit estre aymé.

 Hyl. Aglante que dis tu ?
Qu’Hylas ne sçait aymer ?

 Agl. Qu’Hylas ne sçait aymer.
 Hyl. J’ay plus aymé tout seul
Que n’ont pas fait, mais je dis tous ensemble,
Vos Bergers de Lignon,
Carlis, & Stiliane,
Aymée & Floriante,
Cloris, Circeine, & Florice & Dorinde,
Chryseide, Madonte,
Laonice, Phillis,
Alexis, & tant d’autres
Que pour la briéveté
Je ne veux pas nommer,
En rendront tesmoignage.

 Agl. Hylas tu n’aymes point,
Mais tu penses d’aymer ;
Car c’est chose certaine
Que personne ne peut
Se l’acheter ceste amour que je dis,
Qu’avec une autre amour :
Ce n’est point au marché
Que telle marchandise
Se trouve avec argent :
Le prix & la monnoye
De l’Amour c’est Amour,
Et tu ne peux aymer,
Au moins si tu ne cesses
De n’estre plus Hylas,
C’est à dire inconstant,
Ainsi que je l’entends.

 Hyl. C’est l’entendre bien mal,
Aglante ce me semble,
Et ton opinion
Aux plus sages contraire,
Pour fondement n’a qu’une vieille erreur,
Dont les femmes plus fines
Ont abusé les esprits des peu fins :
 Jusqu’au trespas, nous vont-elles disant,
Il n’en faut aymer qu’une,
Voire il ne faut donc point
Que l’univers par la diversité
Se change & s’embelisse.
Il ne faut que l’Abeille
Succe donc qu’une fleur,
Que nostre œil ne se plaise
Qu’à voir un seul object,
Que nostre esprit jamais
Ne pense qu’une chose,
Et que tous nos jardins
Qu’une herbe ne produisent.
O la grande folie,
Pour ne dire sottise,
Qui ne dira que l’homme ainsi contraint
Est un vray Promethée,
Par l’exprés jugement
D’un cruel Radamante,
Sur un mesme rocher
A jamais attaché ?
La nature se plaist
A la varieté ;
La nature & l’Amour
Sont une mesme chose.

 Agl. L’inconstance & l’amour
Sont deux fiers ennemis,
Qui ne peuvent jamais
Avoir trève ny paix,
Et t’asseure, berger,
Que lors que tu pensois
D’aymer bien ces bergeres,
Tu te moquois & d’elles & d’Amour ;
Car nul ne peut aymer
Qu’il n’ayme infiniment :
Mais l’amour infinie
Ne peut jamais finir.

 Hyl. Si nul ne peut acheter cét Amour
Dont tu fais tant de cas
Qu’avecque la constance,
Pour moy je m’en dispense,
Et je veux bien qu’on raconte par tout,
Parlant d’Hylas, qu’il n’ayme point du tout.
Mais à t’oüyr Aglante
L’on diroit que Tircis,
Ou le berger Sylvandre,
T’ayent de leur erreur
Enseigné la folie :
Es tu point leur disciple ?

 Agl. Et Sylvandre & Tyrcis
Sont remplis de raison ;
Si parlant de l’amour
Ils enseignent, Hylas,
Qu’amour & la constance
Doivent estre en l’amant
Inseparablement.
Mais, ô berger ! j’ay bien eu ces leçons
D’un Maistre plus sçavant
Que Tircis ny Sylvandre.

 Hyl. Malaisément croiray-je
Qu’on puisse voir le long de ce rivage
Deux bergers, mais plustost
Deux resveurs plus semblables,
Et si tu continues,
Aglante mon amy,
Je te voy le troisiesme,
Et peut estre des trois,
Tant tu commences bien,
Te mettra-t’on bien tost
Par honneur le premier.

 Agl. Je reçois, ô berger !
Avec contantement
Le lieu que tu me donnes,
Si ce n’est qu’accepter
Ce rang trop honorable
Soit une outrecuidance :
Mais toutesfois ce ne sont pas, croy moy,
Ces bergers que tu dis,
Qui m’ont rendu sçavant
En l’escole d’amour :
J’ay bien eu d’autres maistres,
Et qui m’ont fait payer
Avec un plus cher gage
Un tel apprentissage.
 Amour dedans le cœur
M’a ces leçons escrites,
Mais non pas, ô berger !
Comme aux autres amants
D’une plume ordinaire ;
Il a fait l’escriture
Qu’au cœur il m’a gravée
Du plus beau traict qui fust dedans sa trousse,
Et de ceste escriture
J’ay les leçons apprises
Que je vay t’enseignant.

 Hyl. Que ce soit le plus beau
De tous les traicts d’amour,
Qui dans ton cœur a mis
Les leçons que tu dis :
Adjouste au moins que c’est,
Ainsi que tu le penses,
Et lors pour te complaire
Je le croiray, peut-estre :
Car depuis que l’on ayme
L’on a ce privilege
De jurer sans parjure
Contre la verité,
Soustenant la beauté
De celle qu’on adore.

 Agl. Berger je ne croy pas,
Pour grande que puisse estre
L’erreur qui te seduit,
Quand tu sçauras celle qui m’a blessé,
Que vaincu tu ne die,
Toute beauté supreme
Cede à celle qu’il ayme.

 Hyl. Ce blaspheme est trop grand.
 Agl. Jamais la verité
Blaspheme ne se rend.

 Hyl. Souvent l’opinion
En prend bien le visage.

 Agl. Celuy qui s’y deçoit
Ne doit pas estre sage.

 Hyl. Pour soy-mesme chacun
Est juge interessé.

 Agl. Le jugement de tous
Doit estre confessé.

 Hyl. De tous, tu te deçois,
Car le mien n’en est pas.

 Agl. Le tien mesme en seroit
Si tu n’estois Hylas.

 Hyl.O le plaisant discours,
Si je n’estois Hylas,
Le jugement d’Hylas
Seroit contraire au jugement d’Hylas.
Quel voudrois-tu que je fusse, berger,
Si je n’estois moy-mesme ?

 Agl. Constant : Hyl. Constant ?
Eh, ne le suis-je pas ?
Puisqu’en effect si j’ayme
Je n’ayme rien que la seule beauté,
Et par tout où je voy
Ceste beauté suprême,
Aglante par ma foy
Je le confesse, incontinant je l’ayme.

 Agl. S’il estoit vray comme tu dis, Hylas,
Tu n’aymerois pas Stelle,
Mais celle que j’adore,
Comme la beauté seule
Qu’on peut dire beauté.

 Hyl. Aglante mon amy,
Ta passion trop forte
Te trompe de la sorte ;
Une amour violante
C’est un verre qui rand
Tout ce qu’on void par luy
Beaucoup plus grand qu’il n’est pas en effet.
 Ceste beauté dont amour t’a blesse
Semble d’estre plus grande
A tes yeux abusez,
Que toutes les beautez
Que la nature a faites,
Et moy de mon costé
Je te jure au contraire
Que rien n’est de plus beau
Que les beaux yeux de Stelle.
 Comme accorderons-nous
Un si grand different ?
Un seul moyen ce me semble nous reste,
C’est que d’Aglante Hylas prenne le cœur,
Et tout soudain ses yeux interessez
Rapporteront avec mesme advantage,
Au jugement d’Hylas,
La beauté que tu dis.
 Et cestuy-cy n’est pas
Du puissant Dieu d’Amour
L’un des moindres miracles,
Nous faisant voir, ainsi comme il luy plaist,
Differamment à tous un mesme object.

 Agl. Je le sçay bien, Hylas,
Qu’amour comme il luy plaist
Nous fait voir ce qu’il veut :
Mais je sçay beaucoup mieux
Qu’amour ny tous les Dieux
Ne sçauroient jamais faire
Qu’une beauté parfaite,
Tant qu’elle sera telle,
Ne soit vrayment beauté,
Et celle que j’adore
Ayant attaint à la perfection,
Doit quoy qu’on puisse dire
Estre telle estimée
Par tous les yeux dont elle sera veuë,
Si toutesfois leur raison n’est perduë.
Mais que sert-il d’en aller disputant ?
Je suis certain qu’aussi-tost que son nom
Frappera tes oreilles,
Tu diras avec moy,
Je luy donne le prix
De toutes les plus belles.

 Hyl. J’attens d’oüyr ce nom
Avec impatience,
Pour te dire soudain
Ce que d’elle je pense.

 Agl. C’est, ô berger ! la belle, & plus que belle :
La belle. Mais voicy
Et Menandre & Lerice,
Retirons nous un peu,
Et puis nous reviendrons :
Je ne veux pas que ce vieillard me voye.


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SCENE II.



Menandre. Lerice.


Menandre.


 C’est un grand cas que je ne puis trouver,
En quelque lieu que j’aille,
Ceste imprudente fille :
Si faut-il que le soir,
Quoy qu’elle sçache faire,
Elle vienne au logis :
Qu’en pensez vous Lerice ?

 Ler. Je ne croiray jamais
Que Sylvanire fuye
De parler à son pere ;
Elle est trop bien apprise,
Et soyez seur, Menandre,
Que quoy qu’elle soit jeune
Je ne cognois bergere de son aage,
Qui puisse estre plus sage.

 Men. Vous l’aymez trop Lerice, croyez moy.
 Ler. Je l’ayme, il est certain,
Mais c’est comme je dois.

 Men. Vous l’aymez comme mere.
 Ler. Et ne l’aymez vous pas,
Menandre, comme pere ?

 Men. Comme pere il est vray ;
Mais non pas tendre pere.

 Ler. Moy je luy suis trop douce,
Vous un peu trop severe.

 Men. Croyez moy la jeunesse
Se pert par l’indulgence.

 Ler. Sylvanire a desja
Beaucoup de cognoissance.

 Men. Elle en pense avoir trop,
C’est une suffisante.

 Ler. L’avez vous recognuë
Pour desobeïssante ?

 Men. Quand elle void Theante,
Quelle mine fait-elle ?

 Ler. Elle est tousjours fort belle.
 Men. Il faut dire à vos yeux ;
Mais lors que je luy dis,
Sylvanire je veux
Que Theante t’espouse,
Qu’est-ce qu’elle respond ?

 Ler. Il ne faut pas le trouver tant estrange,
C’est une jeune fille,
Qui ne sçait point encore
Que c’est de mariage.
 A ces petits enfans
Qui sortent du berceau
On leur fait peur du loup :
A ceux qui sont plus grands,
Des fantosmes qu’on voit
En divers lieux paroistre :
 Mais à celles qui sont
D’aage de marier,
Que pensez-vous, Menandre, qu’on leur dit,
Des extremes contraintes,
Des ennuis, des travaux,
Et des inquietudes,
Qui sont inseparables
De tous les mariages ?
 Le moins que l’on leur die,
C’est qu’il ne leur faut plus
Avoir de volonté,
Qu’il se faut resigner
A celle d’un mary,
Qui peut-estre sera
D’humeur insupportable :
 Et trouvez vous estrange,
Que Sylvanire ait peur de ce Theante ?
Qu’elle n’a jamais veu,
Sinon comme l’on void
Un autre homme estranger ?
Je ne sçay quant à moy,
Quoy que vous soyez homme,
Si vous eussiez voulu,
Sans me cognoistre, autrefois m’espouser.
 Mais je ne doute point
Que luy laissant du temps à se resoudre,
Elle ne fasse en fin
Tout ce qu’il vous plaira.

 Men. Ainsi je le veux croire,
Et s’il advient qu’elle fasse autrement,
Je sçauray bien la rendre obeïssante ;
Car je suis resolu
Qu’elle l’espouse : & peut-elle avoir mieux ?
Mais allons la chercher,
Peut-estre enfin la rencontrerons-nous.


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SCENE III.



Aglante. Hylas.


Aglante.

O Dieux ! qu’ay-je entendu,
Hylas je suis perdu ;
Car c’est de Sylvanire
Que je brûle d’amour :
Sylvanire l’honneur
Des rives de Lignon,
La plus belle Bergere
Qui jamais ait conduit
Les troupeaux en Forests :
Forests heureux, certes l’on te peut dire,
Mais seulement pour avoir Sylvanire.

 Hyl.Je la cognois, Aglante,
Ceste belle bergere,
Fille de ce Menandre
Qui ne fait que partir,
De qui les gras troupeaux,
Et les beaux pasturages,
Ne sont point égallez
D’autre de la contrée.
Bien souvent je l’ay veuë
Conduire ses brebis
Ensemble avec les autres :
Mais certes je te plains,
Car d’autant qu’elle est belle
C’est la plus orgueilleuse
De toute la contrée :
Il ne s’en peut trouver
Une autre qui l’égale.

 Agl. Non pas en sa beauté.
 Hyl. Je dis en cruauté ;
Car regarde, berger,
Combien desja de bergers l’ont aymée,
Et nomme m’en un seul
Qui se puisse vanter
D’en avoir eu tant soit peu de faveur.
Il est vray, je confesse
Que Sylvanire est belle,
Mais non pas plus que Stelle ;
Et tu m’advoüeras,
Si tu veux dire vray,
Que Stelle est moins cruelle,
Et par ainsi que Sylvanire cede
A la beauté dont mon amour procede.

 Agl. Il ne faut pas conclure de la sorte,
Quoy qu’elle soit cruelle
La belle que j’adore ;
Mais il faut dire avecques la raison,
Stelle a moins de beauté,
Et Sylvanire a plus de cruauté.

 Hyl. Soit que ta Sylvanire
Puisse avoir quelques traicts
Plus beaux que non pas Stelle,
Elle est plus jeune aussi :
Mais pour moy j’ayme mieux
Qu’elle ait moins beaux les yeux,
Pourveu qu’elle ait le cœur
Plus remply de douceur.
Mais cher amy dis moy,
Puisqu’elle est si cruelle
Comment ton cœur s’en laissa-t’il surprendre ?

 Agl. Que puis-je dire à ce que tu demandes,
Il eust esté beaucoup plus malaisé,
Voyant tant de beautez,
De n’en estre surpris.

 Hyl. Je demande comment
Cest amour prist naissance ?

 Agl. Hylas ce fut d’enfance :
A peine avois-je atteint deux fois sept ans,
Et Sylvanire à peine six fois deux,
Lors que l’amour, mais un amour enfant,
Nous retenoit presque tousjours ensemble :
Si nous sortions aux champs,
Nous y sortions tous deux :
Si nous y demeurions,
C’estoit l’un près de l’autre :
Si nous en revenions,
C’estoit de compagnie.
 Mille petits plaisirs
Que prennent les enfans
N’estoient plaisirs pour nous,
Si nous n’estions ensemble,
Si quelquefois nous estions separez,
Et c’estoit peu souvent,
Nous n’avions nul repos
Que nous ne revinssions
Nous trouver promptement :
Et quand nous-nous trouvions,
Te pourrois-je redire,
O cher amy ! nostre contentement ?
Tous ceux qui nous voyoient,
Jugeoient dés ce temps-la,
Que ceste affection
Que ces tendres années
Produisoient entre nous,
Seroit un jour le plus parfait miroir
Du plus parfait amour.
 Ah ! qu’ils dirent bien vray :
Mais, ô berger ! seulement pour Aglante ;
Car il est tout certain
Que sous le ciel Amour ne vid jamais
Une amour plus parfaite
Que celle dont Aglante
Adore Sylvanire.
 Mais que leur prophetie,
O grands Dieux ! fut bien faulse
Pour ceste belle fille ;
Car dés le jour que je luy dis ; bergere
Aglante vous adore :
Escoute bien Hylas,
Jusqu’au moment que je parle avec toy,
Jamais Aglante, avec tous ses services,
N’a remarqué qu’un seul traict de pitié
Ait peu toucher le cœur de ceste belle.

 Hyl. Et toutesfois tu l’aymes,
Toutesfois tu la sers ;
Toutesfois Sylvanire
Est l’idole où ton cœur
Addresse tous ses vœux.
O miserable Aglante !
As tu point de pitié
De ta condition ?
Te laisser devorer
A ce tigre inhumain,
Qui ne se paist que des pleurs & du sang
De celuy qui l’adore ;
Qu’appelles-tu cela
Qu’une pure folie ?
 Or loüe Aglante, or louë maintenant
Ceste saincte constance,
Dresse luy des Autels,
Charge les de tes vœux,
Et saoule si tu peux
De larmes & de sang
Ce farouche animal,
Qu’on nomme Sylvanire ;
Et puis sçache moy dire,
Quel bien tu recevras,
Et quel contentement
De ta sotte constance.

 Agl. Amour dedans ma perte
A mis ma recompense.

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SCENE IV.



Aglante. Hylas.
Sylvanire.


Aglante.

 Mais la voicy, la belle Sylvanire,
Regarde Hylas, si les yeux l’ayant veuë
Le cœur a le pouvoir
De ne la point aymer.

 Hyl. Elle est belle, il est vray,
Mais telle est mon humeur,
Qu’enfin si l’on ne m’ayme
Je ne sçaurois aymer.

 Agl. Ah ! ce n’est rien que de voir sa beauté,
Il faut l’oüyr parler,
Son œil appelle, & son esprit arreste
De liens si serrez,
Et d’estrainte si belle,
Que la prison n’en peut qu’estre eternelle.
Approchons nous, Hylas,
Si tu n’en crains toutefois le trespas.

 Hyl. Mes remedes sont bons,
Je n’ay pas peur pour ce coup d’en mourir :
Si mes yeux font le mal,
Mes yeux me font guerir.

 Syl. Bergers pourriez-vous point
Me donner des nouvelles
De mes cheres compagnes ?
Tout aujourd’huy je cours par ces boccages
Sans les pouvoir trouver,
Et toutesfois, à ce qu’elles m’ont dit,
Elles devoient m’attendre
Au carrefour qu’on nomme de Mercure,
Et de là nous devions
Aller toutes ensemble
Faire mourir un cerf.

 Agl. Nous ne vous dirons point
De plus fraisches nouvelles
De vos cheres compagnes,
O belle Sylvanire !
Que celles que vous dites ;
Car nos yeux ne s’amusent
A voir d’autres beautez
Ne pouvant voir les vostres.

 Hyl. Parle des tiens Aglante.
 Agl. Et toutesfois nous trouvons bien estrange
Que vous que chacun cherche
Alliez cherchant quelque autre ;
Mais peut-estre le Ciel
De la sorte l’ordonne,
Pour vous faire sentir
Le mal que tous les cœurs
Ont pour vous d’ordinaire.

 Syl. Les cœurs n’ont rien à faire
Avecque Sylvanire.

 Agl. Le mien sçait bien qu’en dire.
 Syl. Ou Sylvanire au moins n’a rien à faire
Avec les cœurs.
Agl. ah ! c’est trop de rigueur :
La mere est bien cruelle
Qui ne veut recognoistre
L’enfant qu’elle a fait naistre.

 Syl. Tousjours, berger, une mesme chanson :
Ne te suffit-il pas
Que cent fois de ta bouche
J’ay oüy ces propos ?
Tu t’en devrois lasser :
Laisse moy quelquefois
Je te supplie en paix.

 Agl. C’est à vous Sylvanire,
Non pas à moy, d’establir ceste paix.
Si la vostre de moy
Dependoit, ô bergere !
Combien seroit heureux
Mon cœur qui ne l’est pas.

 Syl. J’aymerois mieux estre tousjours en guerre,
Que si ma paix d’un homme dépendoit.

 Agl. Mais je ne suis pas homme.
 Syl. Et qu’es-tu donc Pasteur ?
 Agl. Je ne suis rien que vostre serviteur.
 Syl. Mon serviteur, berger,
Et n’es-tu pas Aglante ?
Aglante est-il pas homme ?

 Agl. Aglante homme eust esté
S’il n’eust veu la beauté
De ceste Sylvanire.

 Syl. Et comment la beauté
Sçauroit-elle empescher
Qu’un homme ne soit homme ?
O la belle pensée !

 Agl. J’estois encore enfant
Alors que je la vis,
Ceste beauté suprême :
Beauté qu’on ne peut voir
Qu’aussi-tost on ne l’ayme :
J’en fis la preuve alors,
Car la voir & l’aymer
Fut un mesme moment :
 Mais d’autant qu’on ne peut
L’aymer qu’infiniment,
Infiniment aussi-tost je l’aymay,
Et l’ay tousjours aymée,
Et jusques au tombeau,
Et dans le tombeau mesme
Encor je l’aymeray
D’une amour infinie.

 Syl. Quand il seroit ainsi,
Ce que je ne croy pas,
Je ne vois pas pourtant
Que tu ne sois Aglante ;
Qu’Aglante ne soit homme.

 Agl. J’estois encor enfant
Quand cét heur m’arriva,
Et de voir & d’aymer
La belle Sylvanire.

 Hyl. Ceste histoire te plaist,
Tu la redis souvent.

 Agl. J’abregeray. Lors que l’âge devoit
D’Aglante faire un homme,
Amour plus fin, ô belle Sylvanire,
Amour pour vous en fit un serviteur.

 Syl. Mais plustost un menteur,
Un menteur qu’il ne faut
Escouter ny ne croire,
Si l’on veut pour le moins
N’en estre point trompée.
Mais cependant qu’en ce lieu je m’arreste
Mes compagnes iront,
Et forceront la beste.

 Agl. Ah ! qu’allez vous cherchant
A travers ces forests ?
Quelle plus belle chasse
Que celle de nos cœurs ?
Mais Dieu, vostre œil mesprise,
Je le voy bien, la chasse qu’il a prise.


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SCENE V.



Aglante. Hylas.


Aglante.

 Elle s’en va, la cruelle qu’elle est,
Sans soucy de mes peines :
Amour jusques à quand
Ordonnes tu que dure
Ceste extrême rigueur ?

 Hyl. Je te proteste Aglante,
Que de tous les ennuys,
Et de toutes les peines
Des bergers de Lignon,
Un seul Sylvandre en doit estre taxé.

 Agl. Sylvandre ce berger,
Si remply de vertu ?

 Hyl. C’est ce mesme Sylvandre ;
Car ce berger subtil en ses discours,
Pour obliger Diane
Qu’il ayme & qu’il adore,
La va flattant, du costé qu’il cognoist
Qu’elle est la plus sensible.
 Or tient cecy de moy ;
Toute femme est altiere :
Mais plus la femme est belle,
Plus glorieuse elle est ;
Car la presomption
Va suivant la beauté
Comme l’ombre le corps.
Sylvandre donc pour seconder l’humeur
De la belle Diane,
Va publiant par tout
Qu’il les faut adorer,
Ces belles que l’on ayme,
Et que comme on ne doit,
Pour quoy qui nous arrive,
N’adorer pas ce qu’on doit adorer ;
De mesme il ne faut croire
Que quelque cruauté,
Que quelque ingratitude
De celle qu’on adore,
Puisse nous exempter
De honte ny de blasme,
Si nous cherchons ailleurs
Une beauté, qui nous soit moins cruelle,
Faisant ainsi d’un homme un dur rocher,
Qui pour fuyr l’outrage
Des vents, & de l’orage,
Ne peut changer de lieu.

 Agl. N’en crois-tu pas de mesme ?
 Hyl. Folie trop extreme ;
Car ces bergeres pensent
Qu’attachez de la sorte
Nous n’oserions d’un pas nous eslogner,
Pour quelque cruauté
Que nous trouvions en elles,
Sçachant bien que la honte
Est un lien trop fort
En des cœurs genereux,
Pour estre détaché ;
Et de là se produit
La sotte nonchalance,
Que nous voyons quand nous aymons ces belles,
Estant trop asseurées
De nostre patience,
Leur semblant qu’aussi tost
Que l’on se dit amant,
On perd tout sentiment,
Et qu’on est obligé
De souffrir, d’endurer,
Sans oser murmurer,
Voire comme en effect
Si les loix de Sylvandre
Avoient bien le pouvoir
D’insensibles nous rendre.

 Agl. Insensibles, non pas,
Mais fermes & constans.

 Hyl. Ou plustost malcontans,
Aglante est-il pas vray
Que si pleins de courage
Nous-nous faschions un jour
De ce honteux servage,
Nous les verrions, ces belles,
Nous combler à l’envy
De cent & cent faveurs,
Inventant tous les jours
Des caresses nouvelles
Pour nous pouvoir retenir auprés d’elles ?
Prends donc courage, Aglante,
Romps-moy tous ces liens,
Liens honteux qui te serrent les mains,
Ou bien le cœur plustost
Dessous la tyrannie
D’une ingratte bergere,
Et crois moy ceste fois,
J’ay plus d’experience,
Amy, que tu n’as pas ;
L’âge que j’ay me permet de le dire,
Laisse là ceste belle,
Laisse ceste cruelle
Avec sa cruauté,
Et va chercher ailleurs
Quelqu’autre, qui te soit
Maistresse, mais amante,
Et non pas un rocher,
Qui croit que sa beauté
Se rendroit beaucoup moindre,
Si de sa cruauté
Elle se démentoit,
Et tu verras que par ce changement
Tu t’acquerras le bien que tu merites.

 Agl. Ah ! berger que dis-tu ?
 Hyl. Je dis la verité.
Il en manque peut-estre
Des femmes par le monde,
Pour une que j’en perds
Deux soudain j’en recouvre :
Il en est plus espais
Que de mouches fascheuses
Au plus chaud de l’Automne :
Voire, c’est bien marchandise si rare,
Et crois moy pour ce coup,
Il est ainsi des maistresses nouvelles,
Que des valets nouveaux.

 Agl. Belle comparaison !
 Hyl. Elle n’est pas pour le moins sans raison,
Car ces nouveaux venus,
Je parle des valets,
Sont tousjours si soigneux
Les premiers jours de bien servir leurs maistres,
Que le plus paresseux
Surpasse en ce temps-la
Tous ceux d’une maison.
 Tout ainsi font ces belles,
Les premiers jours que nous les enroollons
Dans le nombre de celles
Que nous voulons aymer,
Ce ne sont que douceurs,
Qu’œillades, que faveurs,
Que toute courtoisie ;
Nous sommes escoutez,
Nous sommes preferez ;
Mais sçais-tu bien, Aglante,
Quelle en est la raison ?
C’est pour nous attraper,
C’est pour nous attacher,
Avecque des liens
Plus forts & plus serrez ;
C’est pour faire allumer
Plus ardemment les flammes,
Qui desja sont esprises
Dans nos cœurs innocents :
Car aussi-tost, helas !
Aussi-tost qu’elles pensent
De nous avoir bien pris,
Et que ceste constance,
Que va preschant Sylvandre,
Ne permet plus sans blasme & deshonneur
Qu’on les puisse quitter,
Adieu faveurs, Adieu trompeurs appas,
La cruauté commence de paroistre,
Nous voila mis dedans le rang des autres,
Nous ne sommes plus rien,
Et faut qu’à nostre tour
Nous souffrions pour quelque autre
Ce que desja l’on a souffert pour nous.

 Agl. Cesse Hylas mon amy,
Tu semes sur l’areine,
Tu parles aux rochers,
Personne ne t’escoute,
Vaines sont tes paroles,
Rien ne peut divertir
Mon cœur de la servir,
Ceste belle cruelle.
Lors que je cesseray
D’adorer sa beauté,
Je veux cesser de vivre,
Et qu’elle aille augmentant,
Autant en ses rigueurs
Sur toutes les cruelles,
Que sa beauté surpasse les plus belles :
Tousjours, tousjours, Aglante, l’on verra
Adorer Sylvanire :
Et vois-tu bien, Hylas,
Si je suis eslogné
De ton advis, j’aymerois beaucoup mieux
Estre privé des yeux,
Que de les employer
A voir avec amour
Quelque beauté nouvelle.

 Hyl. Et telle est ton humeur.
 Agl. Je te l’ay dite, Hylas.
 Hyl. Fay donc, si tu m’en crois,
De bonne heure, berger,
Bonne provision
De longue patience
Et de bonnes lunettes ;
Je dis de patience,
Afin de supporter,
Sans plaindre ou murmurer,
Tous les tourmens si longs & si facheux
Qui te sont preparez.

 Agl. Et pourquoy des lunettes ?
 Hyl. Afin que s’il advient
Qu’apres un long service,
Ce que je ne crois pas,
Elle & toy parvenus
Aux vieux ans de Nestor
Par le cours d’un long âge,
Tu la puisses gagner,
Ceste vieille cruelle,
Ces lunettes au moins
Te puissent faire voir
De ces rances beautez
Les despoüilles ridées,
Car autrement tes yeux,
En un âge si vieux,
Pourront malaisément
Te faire voir ceste blanche toison,
De qui ta foy t’aura fait le Jason.

 Agl. Ah ! berger tu te ris
Du malheur où je suis,
Au lieu de plaindre en amy ma fortune

 Hyl. Celuy n’est pas à plaindre
Qui cherit son malheur.

 Agl. L’amy de son amy
Sent au moins la douleur.

 Hyl. A quoy te peut servir
Que ton mal je ressente ?

 Agl. La bonne volonté
Pour le moins nous contente.

 Hyl. Mais s’il ne te plaist pas
De sortir de ta peine,
La mienne y seroit vaine :
A quoy sert au malade
Du medecin l’extrême vigilance,
S’il ne veut pas suivre son ordonnance ?
Et pour te faire voir
Que je ne suis menteur,
Or sus dis moy, veux tu trouver remede
A ton malheur extrême ?

 Agl. N’en doute pas. Hyl. N’ayme qu’autant qu’on t’ayme.
 Agl. Mais je ne puis. Hyl. Si tu veux tu le peux.
 Agl. Mais je ne veux. Hyl. Va t’en donc dans Lignon.
 Agl. Que veux tu que j’y fasse.
 Hyl. Vas y noyer & ta vie & tes feux :
Ainsi fit Celadon
Estant attaint d’un mal semblable au tien,
Celadon le berger,
Qui ne voulant changer, dans les eaux de Lignon
Chercha remede à son mal, ce dit-on.

 Agl. Tu te deçois, Hylas,
Lignon malaisément
Peut esteindre d’amour
L’extrême embrasement,
Puisque tout l’Ocean
Des flames de Neptune,
Jamais, jamais, ne peût en esteindre une.

 Hyl. En quoy pourrois-je donc,
Aglante mon amy,
Te rendre du service,
Si mes conseils ne te semblent pas bons ?

 Agyl. Tu peux, si tu le veux,
Parler à ceste belle ;
Je sçay qu’elle te croid,
Et que le parentage
De Menandre, & de Stelle,
Te donne du credit
Envers Menandre, & Sylvanire encores,
Et parlant à Menandre
Fais luy honte, berger,
De la sacrifier,
La belle Sylvanire,
A ce veau d’or qui s’appelle Theante,
C’est ainsi que se nomme
Le bien-heureux berger,
A qui l’on veut donner
Ceste belle bergere.
Qu’il ne manque pas d’hommes
Pour donner à sa fille,
Qui pourroient bien avoir
Peut-estre moins de bien
Que Theante n’a pas,
Mais qui d’autre costé
Seroient plus convenables
A l’âge de sa fille,
Et peut estre à l’humeur
Encor plus agreables :
Dis luy que les richesses
Sont tellement aveugles,
Qu’aveugles elles rendent
Tous ceux qui les regardent :
Dis luy que la fortune
Peut en un jour oster quand elle veut
Les sceptres, les coronnes,
Les tresors les plus grands,
Et que jamais les sages,
D’eux ny de leurs enfans,
Ne doivent asseurer,
Sur de tels fondemens,
Tous les contentemens.
 Et puis parlant à elle,
Ne peux-tu pas, berger,
Luy dire que ses yeux
Brulent de leurs beautez
Les hommes & les Dieux,
Et que tous ceux qui voyent Sylvanire,
Ou meurent du plaisir,
Ou meurent du martyre.
 Luy dire que je l’ayme,
Ou plustost je l’adore,
Et qu’elle ne doit pas
Avec tant de douceur
Nous promettre la vie,
Et donner le trespas.
 Et bref, luy remonstrer
Si de quelque pitié
Le secours je ne sens,
Que ma mort elle attende,
Mais avecque ma mort
Qu’elle attende de mesme
D’un juste amour la certaine vengeance :
Car les Dieux ne sont pas,
Ny fauteurs ny complices
De telles injustices.
 Là tu peux adjouter
Tant & tant de raisons,
Pour luy monstrer qu’elle doit amollir
Ce cœur, mais ce rocher
Que pour cœur elle porte,
Que peut-estre à la fin
Tu la pourras changer,
Et la changeant, Hylas,
Eslogner mon trespas,
Me prolonger la vie,
Qu’Hylas je ne desire
Que pour servir plus long-temps Sylvanire.
 Hylas mon cher amy
Je te prie & supplie,
Je t’adjure & conjure,
Et par nostre amitié,
Et par celle de Stelle,
Voire encor si tu veux
Par toutes les plus belles
Que tu servis jamais,
Ou que tu serviras,
De m’assister en ce que tu pourras.

 Hyl. Tends moy la main, Aglante,
Et reçoy le serment
Que ton amy te fait :
Je te jure, Berger,
Par le Guy de l’An neuf,
Et par la Serpe d’or,
Dont ce present des cieux
Destaché de son tronc
Tombe dedans le linge
Soustenu par les mains
De nos sacrez Druides,
Que tu ressentiras
Combien Hylas, & te cherit & t’ayme,
Et combien de credit
Il peut avoir envers ta Sylvanire :
Espere, car enfin
Par raison il faut croire
Qu’elle se changera.
 On dit que l’inconstance
Aux cœurs des femmes tient
Le propre lieu de l’ame,
Et Sylvanire est femme.

 Agl. Que veux-tu que j’espere,
L’espoir & la raison
Doivent avoir quelque correspondance.
Mais quand je me regarde
Et ceste belle aussi,
Je me vois, ô berger,
Pauvre en merite, & tres-riche en amour,
Et ma belle au contraire
Pauvre en amour, & tres-riche en merite.

 Hyl. Espere, Aglante, espere,
Et te souviens amy,
Que la femme & la mort
Ont quelque ressemblance,
On les a bien souvent
Lors que moins on le pense.

 Agl. Soit ainsi que tu dis ;
Veuïlle Amour me donner
Bien tost ou l’une ou l’autre.


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SCENE VI.



Hylas.


 Or va pauvre berger,
Va t’en & continuë
Le chemin que tu tiens,
Et sois certain, que tu ne peux faillir
D’estre bien-tost exemple memorable
Des maux que la constance
Peut produire en amour :
L’opiniastreté en ce qui ne se doit
Est chose autant blasmable,
Que la perseverance
Au bien est estimable.
Nous avons veu deux puissans tesmoignages,
Depuis fort peu de temps,
Du mal que nous rapporte
La sotte loy que Sylvandre nous presche :
Celadon le berger
De toute la contrée
Le plus aymable, & le plus estimé,
Apres avoir longuement adoré
Une jeune bergere,
Une imprudente fille,
Ne voila pas, quoyque l’on nous desguise
De sa cruelle fin,
Ne voila pas qu’un desespoir l’emporte
Dans le profond des ondes de Lignon ?
 Mais le gentil Adraste
Pour l’amour de Doris,
Qu’est-ce qu’enfin le pauvre est devenu ?
Apres l’avoir aymée
Presque dans le berceau,
Et qu’il void Palemon
Le possesseur du bien qu’il desiroit,
Que fait ceste constance ?
Amour luy prend le cœur,
Mais elle luy desrobe
L’usage de raison.
Le voila fol, comme ia dés long-temps
Il avoit bien esté :
Car vrayment je les croy,
Tous ces opiniastres,
Estre aussi fols qu’Adraste :
Mais sa folie, alors authorisée
Par l’exemple de tous,
Hormis d’Hylas, de blasme l’exemptoit.
 Or je voy que bien-tost
Aglante pour troisiesme,
De ces deux insensez
Le nombre augmentera.
 Ne vaudroit-il pas mieux
Changer & rechanger
Mille fois tous les jours
D’amour & de Maistresse,
Que de perdre un moment
L’usage de raison
Pour aymer constamment ?
 Qu’elles viennent vers moy,
Ces belles rigoureuses,
Avec tous leurs desdains,
Et toutes leur rigueurs,
N’ayez peur que jamais
Elles puissent reduire
Mon courage à ce poinct,
Qu’un desespoir soit mon dernier remede,
Ou qu’un regret d’y voir un autre amant
M’oste l’entendement.
 Contre tous ces malheurs
J’ay des armes si bonnes,
Que leurs tranchants ne peuvent m’offenser.
Sont elles desdaigneuses ?
Je les desdaigne aussi.
En ayment-elles d’autres ?
J’en fay bien autant qu’elles.
Me vont elles changeant ?
Croyez que sur ce poinct,
Si l’une d’entre toutes
D’un seul moment a peu me devancer,
Il faut que pour certain
Elle s’y soit prise de bon matin.
Mais la voicy,
La belle Sylvanire,
Parlons luy pour Aglante.


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SCENE VII.



Sylvanire. Fossinde.
Hylas.


Sylvanire.


 O Dieux, qu’il me desplaist
Que ce matin j’aye esté paresseuse
Plus que toutes les autres,
Ayant perdu le plaisir de ce cerf
Que vous avez forcé :
Car dites-moy n’est-il pas vray, Fossinde,
Qu’entre tous les plaisirs
Que nous pouvons avoir,
Rien ne peut égaler
Le doux contentement
Que la chasse nous donne ?
Quel plus beau passetemps
Sçauroit-on inventer
Pour s’eslogner du vice,
Que ce bel exercice ?

 Foss. Je le veux bien, puis que vous le voulez,
Je ne contrediray
Jamais à Sylvanire,
Encor que mon humeur
Seroit, je le confesse,
De passer une vie
Un peu plus reposée
Que celle de la chasse.

 Syl. Mais pouvions-nous
Avoir plus de plaisir,
Que celuy qu’avant-hier
Nous eusmes à la chasse,
Je jure quant à moy
Que je ne puis avecque la pensée
M’en figurer quelque autre de plus grand.

 Hyl. Maigres plaisirs, bergeres,
Sont ceux que vous prenez,
Et vous laissez, croyez-moy, les plus grands :
Mais c’est ainsi qu’il en advient tousjours,
Lors que l’élection
N’est point guidée avec l’experience.

 Syl. Que voudrois-tu, berger,
En cét âge où nous sommes,
Apres avoir conduit
Nos troupeaux au matin
Paistre sans nul danger,
Et le trefle & le thin,
Que nous puissions mieux faire,
Que de passer le temps
Ainsi que nous faisons,
A la penible chasse ?
Penible, mais plaisante,
Tantost de mille oyseaux,
Par des fillets cachez,
Faisant un doux butin,
Tantost par des gluaux,
Ou par un fin ramage,
En repeuplant nos cages ?
Et quelquefois, berger,
Allant au bois dés le plus grand matin,
Le dard au poing, ou bien l’arc & la fleche,
La robbe retroussée,
Telles comme les Nymphes
Qui vont suivant Diane
Poursuivre vivement
La beste mal menée
Jusqu’aux derniers abbois ?

 Hyl. Ce sont maigres plaisirs,
Et m’en croy, Sylvanire,
Que ceux que tu racontes,
Que s’ils te semblent tels,
O folle, c’est dautant
Que tu n’as point gousté
Ceux qui sont en effect
Les vrays plaisirs du monde.
Les glands jadis avec l’eau toute pure
D’une vive fontaine
Dedans la main puiseé,
Furent de nos ayeuls
La chere nourriture,
Et les cheres delices :
Mais depuis que le grain
De Ceres retrouvé,
Et de Bacchus la vigne cultivée
Vint à leur cognoissance,
Les glands & l’eau furent tous deux laissez
Pour pasture au bestail,
Comme chose trop vile ;
De mesme en feras-tu,
Et croy le Sylvanire,
Lors que l’experience
T’aura des vrais plaisirs
Donné la cognoissance.

 Foss. Quant à moy je le croy
Ainsi comme il le dict.

 Hyl. Tu n’as que trop long temps
Desja dedans les bois
Ceste chasse suyvie,
Où le travail surmonte le plaisir ;
Il t’en faut maintenant
Un autre commencer,
Où le plaisir surmontera la peine.
A quoy dedans tes mains
Ces fleches & ces dards ?
Puisque dedans tes yeux
Tu portes plus de fleches & de traits,
Que toutes les bergeres
Des rives de Lignon :
Ny que toutes les Nymphes,
Qui vont suivant Diane dans ces bois,
N’en ont dans leur carquois.
 Avec ces traicts, ô belle Sylvanire,
Ces traicts remplis d’amour,
Il faut que tu t’apprestes
A faire tes conquestes
Dedans les cœurs qui meritent tes coups,
Et non pas vainement,
Suivant dedans les bois
Une beste sauvage,
Passer ainsi ton âge.

 Foss. Ce berger a raison.
 Hyl. Dedans les bois que les bestes demeurent
Avec les autres bestes,
Et qu’ensemble elles fassent,
Ainsi qu’il leur plaira,
Ou la guerre ou la paix.
 Mais nous que la raison
A separez d’entre elles,
Vivons & nous plaisons
Parmy les animaux
Que la nature a voulu rendre égaux.
Quel commerce faut-il
Que nous ayons, bergere,
Avec des ours & des bestes sauvages ?
Celuy qui tout disposé,
S’il eust jugé qu’il le fallust ainsi,
Nous eust fait ou des ours,
Ou des bestes sauvages,
Et au lieu de parler,
Avec les loups il nous eust fait hurler.

 Syl. Et la chasse & les bois
Sont mes cheres delices,
Et quant à moy, quoy que tu sçaches dire,
Je ne changerois point
La prise d’un chevreüil
A toutes les conquestes
Des cœurs que tu me dis.
 Et qu’ay-je affaire, Hylas,
De ces cœurs, qui me sont
Plus cruels ennemis
Que ne sont pas les bestes plus farouches ?
Ne sçay-je point que ce fier animal
Que l’on nomme un amant,
Est le plus dangereux
Qui nous puisse approcher.
Mais dis-moy je te prie,
Qu’est-ce que veut de nous
L’amant qui nous recherche ?

 Hyl. L’honneur de vous servir.
 Syl. Mais plustost cét honneur
Il nous voudroit ravir.
Crois-tu que je ne sçache
Que de tant de souspirs,
Que de tant de services,
Et que de tant de vœux
Le dessein principal
Ne soit pour nostre mal ?
 Les ours, il est certain,
Sont privez de raison,
Et quelquefois les loups
Se repaissent de nous :
Mais les loups ny les ours,
Pour grand nombre qu’ils soient,
Ne sont si dangereux
Qu’un homme seul, qui sous tiltre d’amant
Nous hante finement.

 Foss. Tous ne sont pas ainsi,
L’homme à l’homme est un loup :
L’homme à l’homme est un Dieu.

 Syl. Et c’est pourquoy nous fuyons par raison
Dedans les bois ces cruels ennemis,
Où nous trouvons, à la honte des hommes,
A nostre honnesteté
Beaucoup plus de seurté.

 Hyl. S’il estoit vray comme tu dis, bergere,
Que les amants fussent vos ennemis,
Helas que d’ennemis
T’auroit acquis ta beauté, Sylvanire ;
Car je ne voy personne
Qui ne meure d’amour
En voyant tes beaux yeux.

 Syl. Qu’il soit, ou ne soit pas,
Cela m’importe peu,
Car j’ayme beaucoup mieux
Qu’ils meurent par mes yeux,
Que si mon cœur devenoit si peu sage
Qu’il creust à leur langage.

 Hyl. O farouche pensée
D’un esprit insensible,
Le Ciel te punira,
Si bien-tost, Sylvanire,
Tu ne changes ce cœur
Que tu retiens d’une ourse bocagere
En celuy de bergere.
 Orgueilleuse beauté
Pourquoy peux tu penser
Que le Ciel t’ait donné
Ceste extreme beauté,
Qui te rend tant aymable,
Et tant aymée aussi ?
 Quoy ? pour faire mourir,
Par des rigueurs extremes,
Tous ceux qui te verront,
Le Ciel eust bien esté
Injuste autant que toy,
De te pourvoir au dommage de tous
D’une beauté si rare,
Et tous les yeux qui te verront jamais
Avec raison se plaindroient bien du Ciel,
Et du cruel destin.
 Mais au rebours, bergere,
Ce puissant Dieu qui t’a faite si belle,
Quand tu nasquis prononça par tes yeux
Cét Oracle infallible :
 Ceste beauté rendra
Les hommes plus heureux
Que ne sont pas les Dieux,
Et dés lors le genie
Que le Ciel a donné,
Comme pour conducteur,
Au beau berger Aglante,
A t’aymer le poussa
De telle passion,
Que ta seule beauté
Peut estre égale à son affection.

 Syl. Parles-tu pas d’Aglante ?
Aglante le berger,
Le seul fils de Cleandre ?

 Hyl. C’est de luy, Sylvanire.
 Syl. Ce n’est donc que de luy
Dont tu me veux parler ;
C’est assez, je t’entends,
C’est le berger Aglante,
C’est le fils de Cleandre :
Mais ma chere Fossinde
N’est-il pas gratieux
De me parler d’Aglante ?

 Hyl. Mais voyez cét orgueil,
Voyez la desdaigneuse,
On luy fait un grand tort
De luy parler d’Aglante.

 Syl. Mais c’est doncques d’Aglante
Le seul fils de Cleandre,
Duquel tu veux parler.
O je t’entends, ô je t’entends, Hylas,
C’est le berger Aglante,
Le seul fils de Cleandre,
Aglante le berger.

 Hyl. Va cruelle beauté,
Va jeunesse peu sage,
Trop orgueilleux esprit,
Va courage indompté,
Si le Ciel ne punit
Si grande cruauté,
Il ne sera pas juste.

 Syl. Parles-tu pas d’Aglante,
D’Aglante le berger,
Le seul fils de Cleandre ?
Qu’Hylas est en colere,
Il s’en va bien fasché.


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SCENE VIII.



Fossinde. Sylvanire.


Fossinde.

Vous plaist-il, Sylvanire,
Que le vray je vous die,
Je ne croy pas, que ce qu’Hylas vous dit
Soit tant hors de raison.

 Syl. Soit tant hors de raison,
Comment l’entendez-vous ?

 Foss. Ma sœur je l’entends bien :
Dites moy je vous prie,
Quand nous aurions forcé
Tous les cerfs de ces bois,
Pour cela que seroit-ce,
Et quel grand advantage
Nous en reviendroit-il ?
Seulement de la peine,
Et de la peine encore
Que je trouve bien vaine.
 Aller parmy les bois
Se deschirer la chair
Avecque les habits,
Laisser contre une ronce
La toison attachée
De nos cheveux, comme font nos brebis,
Se planter quelquefois
Bien avant dans les pieds
Une tranchante espine,
Suivre par les rochers,
A travers les montagnes,
Aux Soleils plus ardents,
Et courre tout un jour
La beste qui s’enfuit,
De la chasse, ô ma sœur,
N’est-ce pas tout le fruit ?
J’ayme bien mieux, pour moy je le confesse,
Passer sans tant de peine
Plus doucement la vie,
Entre les jeux mignards
Des bergers & bergeres,
Les voir, ces beaux bergers,
Courre, sauter, luitter,
Et les voir, ces bergeres,
Filer, danser, chanter,
Les uns mourans d’Amour
Essayer de flechir
Avec milles prieres
Ces ames trop altieres ;
Les autres au rebours
Ne se soucians gueres
D’eux ny de leurs prieres :
De petites rigueurs,
Qui tiennent lieu quelquefois de faveur ;
Se monstrer plus cruelles
Qu’elles ne le sont pas,
Mais non pas toutesfois
Autant qu’elles sont belles :
Et lors entre eux par des douces disputes,
Par des petites gueres,
Par des petites paix,
Rompre, noüer, & desnoüer encore,
Puis rattacher par des nœuds plus serrez
leurs amours innocentes.
Je me plais, il est vray,
A voir ce que je dis,
Plus qu’aux durs exercices
D’une penible chasse,
Où l’on n’entend sinon
Que des chiens clabauder
Avec confusion,
Où tout ce que l’on void
Sont des ronces sauvages,
Ou des plaines brulées,
Ou des aspres montagnes,
Ou des rochers rompus en precipices
Par où s’enfuit une beste suivie
De plusieurs autres bestes.
Dites moy Sylvanire,
A nous voir courre ainsi,
Qui ne nous jugeroit
Des Baccantes Plustost,
Que non pas des Bergeres ?

 Syl. L’oysiveté c’est la mere du vice ;
C’est pourquoy l’exercice
A celles de nostre aage
Apporte, croyez-moy,
Un tres grand advantage.
Amour qui suit, & sans cesse pour suit
Une molle jeunesse,
Aysément dans ces jeux
Et dans ces passetemps
En rencontre le temps,
Au lieu qu’il ne peut pas,
Quoy qu’il soit fin, & quoy qu’il soit leger,
Nous atteindre si fort
Dans les durs exercices.
 Et par ainsi, ce travail bien petit
Nous exempte des coups,
Dont il blesse les cœurs
Qui sont oysifs avec tant de rigueurs.


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SCENE IX.



Adraste fol. Sylvanire.
Fossinde.


Adraste.


 Amour, gente fillette,
Ne va pas au marché,
Il se tient mieux caché,
La fine beste,
Beste, non, mais un Dieu
Qui naist dans le moyeu
D’un œuf d’Autruche,
Doris le fait éclorre avecque ses beaux yeux,
Et le malicieux
De la coque qui reste
Il en fait une cruche ;
Car il est bien subtil.
Dittes-moy qu’en fait-il ?
Il l’emplit de son fiel,
Et du miel d’une Avette,
Le miel sur Palemon
Son mignon,
Le fiel sur Adraste il jette.

 Syl. Fuyons ma sœur, c’est le Berger Adraste,
A qui l’Amour a fait perdre le sens.

 Foss. Plusieurs sont comme luy
Qui ne s’en vantent pas,
Et que l’on ne fuit pas :
Mais n’ayez point de peur,
Il n’est pas mal-faisant,
Je l’ay veu, Sylvanire,
L’un des gentils Bergers
De toute la contrée,
Et n’est-ce pas pitié
Que l’amour l’ait reduit
A ce point déplorable ?

 Syl. Je l’ay veu tel, ma sœur, que vous le dittes,
Puis l’amour de Doris
L’a mis en cét estat :
Mais à quoy pense t’il ?
Voyez un peu la mine qu’il nous fait :
O Dieux qu’il est affreux !
Allons-nous en Fossinde,
Vous verrez qu’à la fin
Il nous fera du mal.

 Foss. Ne fuyez point, il vous courroit apres,
Mais tenons bonne mine,
Quelque Berger peut estre survienda.

 Syl. Dieux ! qu’est ce que l’Amour ?
 Adr. Ce que c’est que l’Amour,
Je m’en vay le vous dire.
Amour, fillette, est le jeu Coquimbert,
Qui gagne perd.
 Amour est au contraire
D’une chastagne en gousse
Picquante par dehors,
Et par dedans fort douce.
 Amour est la lanterne,
Mais lanterne allumée,
Au dedans est le feu,
Dehors quelque clarté,
Mais beaucoup de fumée.

 Syl. Mon Dieu qu’il est plaisant.
 Foss. Je trouve qu’il dit bien :
Mais faisons le parler.
Berger qu’est-ce qu’Amour ?

 Adr. Amour c’est un vieux Singe
Qui fait à tous la mouë,
Et mord souvent celuy qui trop s’y jouë.

 Syl. Ah ! sur ma foy ma sœur
A ce coup il dit vray.

 Foss. Or sus qu’est ce qu’Amour ?
 Adr. Qu’est ce qu’Amour, c’est un gros escargot.
 Foss. Escargot, & pourquoy ?
 Adr. Ah c’est d’autant, que pour peu qu’il sejourne
Soudain il fait les cornes :
Mais croyez, belle fille,
Que de cét escargot
Vous estes la coquille.

 Foss. N’est-il pas bien plaisant ?
Or sus qu’est-ce qu’Amour ?

 Adr. Amour c’est la quenoüille
Que plus l’on veut filer,
Et que plus on embroüille.

 Foss. Non, non, tu te deçois.
 Adr. C’est donc une marmitte
Et du feu par dessous :
Le feu, filles, c’est vous,
Et nous les pois que le boüillon agite.

 Syl. Mais n’en faut-il pas rire ?
 Foss. Dy donc qu’est-ce qu’Amour ?
 Adr. Amour c’est un pourceau,
L’ordure il ayme fort,
Et ne vaut jamais rien
Sinon quand il est mort.

 Syl. Je croy bien qu’il dit vray.
 Adr. Et bref Amour ressemble à la souris
Qu’un chat poursuit,
Et qui s’enfuit
Deçà, delà ;
Enfin voila
Qu’elle rencontre un trou,
Monsieur le chat trompé
En peut chercher une autre à son soupé.
 Adraste il est bien vray,
Doris te fist ainsi,
Trop injuste Doris,
Trop ingrate Doris,
Lors que pour Palemon
Adraste elle laissa,
Adraste elle trompa,
Adraste elle trahit,
La perfide qu’elle est.

 Foss. Il entre en sa furie.
 Adr. Où s’en est-elle allée
Avec son Palemon ?
La trouveray-je point
Pour me vanger quelquefois en ma vie ?
Ouy je l’estrangleray
Avec mes propres mains,
Et son petit mignon,
Son aymé Palemon :
Mais la voicy.

 Syl. Ma sœur je meurs de peur.
 Foss. Non, non, ce n’est point elle.
 Syl. Vous-vous riez Fossinde,
Je vous jure ma sœur
Que je tremble de crainte.

 Adr. Ce n’est pas celle-cy ?
 Foss. Non, non, ce ne l’est pas.
 Adr. Ne seroit-ce point toy,
Qui pensant me tromper
As changé de visage ?

 Foss. Non, non, la veux-tu voir,
La voila ta Doris,
La voila qui s’en va
Avec son Palemon.
Bon jour belle Doris
Où courez vous si viste ?
Venez vers nous Doris.

 Adr. Venez vers nous Doris,
Doris venez vers nous.

 Foss. O comme elle s’enfuit !
 Adr. Elle s’enfuit, je l’attaindray bien tost.
 Foss. Je sçavois bien qu’avec cét artifice
Nous nous en déferions.

 Syl. Dieu soit loüé Fossinde :
Mais avant qu’il revienne
Allons nous en aussi :
Mais ô Dieux il revient,
Fuyons, ma sœur, fuyons.



LE CHOEUR.


 Ceux qui d’Amour font la peinture,
Enfant aislé nous le feignant,
Sans sçavoir quelle est sa figure
Vont à l’advanture peignant.
 Car il n’est masle ny femelle,
Homme ny Dieu, jeune ny vieux,
Mais plusieurs choses pesle-mesle
Dont il nous abuse les yeux.
 Des Dieux il a bien la puissance,
Mais des mortels l’infirmité,
Des femmes il a l’inconstance,
Et des hommes la fermeté.
 Du jeune il a la hardiesse,
Du vieux desja le sang glacé,
Du sage il retient la sagesse,
Et la fureur de l’insensé.
 Lyon de force & de courage,
Brebis de foiblesse & de peur,
Ferme rocher, plume volage,
Autant trompé comme trompeur.
 Et bref, Amour c’est un meslange
De toutes choses en un poinct,
Dont la nature est tant estrange,
Qu’enfin je ne la cognois point.
 Je sçay toutesfois qu’on appelle
Comme je dis ce grand Demon,
Mais sa nature quelle est elle ?
Pour moy je n’en sçay que le nom.

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ACTE DEUXIESME.


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SCENE PREMIERE.



Satyre.


 Injuste Amour, pourquoy si rarement
Unis tu les desseins
Des fidelles amants ?
Pourquoy perfide as-tu tant de plaisir
De voir dedans deux cœurs
Un differend desir ?
 Je brule & meurs d’amour
Pour Fossinde la belle,
Fossinde ayme Tirinte,
Tirinte Sylvanire :
Et Sylvanire, ô Dieux !
Ne daigne voir Tirinte,
Ny Tirinte Fossinde,
Ny Fossinde cruelle
Me regarder, & si je meurs pour elle.
L’abeille ayme les fleurs,
Mais le cruel Amour
Se repaist de nos pleurs.
Il ayme, le cruel,
De voir languir, souffrir,
Puis à la fin mourir
Noyé dedans les larmes,
Sans que nulle douleur
Que l’amant puisse avoir
L’esmeuve à la pitié
Qu’il doit avoir de luy.
 Vrayment tu monstres bien
Que ta mere nasquit
Dans les flots de la mer ;
Et qu’on te doit nommer,
Au lieu d’Amour Amer :
Amer vrayment Amour,
Puisqu’à ceux qui te suivent
Tu ne donnes jamais,
Et telle est ta coustume,
Sinon de l’amertume.
 Amers sont nos espoirs,
Amers sont nos desirs,
Et d’absyntes amers
Sont meslez nos plaisirs,
Si des plaisirs toutefois tu nous donnes.
 Je sçay bien que les Dieux
Veulent que les mortels
Cueillent tousjours la rose
Au danger de l’espine,
Et que le miel si doux
Ne se prend dans la ruche
Sans courre le danger
Des picquantes abeilles.
 Mais ton rosier, Amour,
Sans rose ne produit
Que des pointes tranchantes,
Et tes ruches sans miel
Que des mouches picquantes ;
De sorte que la main
Qui veut cueillir tes fleurs,
Ou le miel que tu donnes,
Ne rencontre jamais
Que des esgratigneures,
Ou bien, helas ! des cuisantes picqueures.
 Tu sentis autresfois,
A ce que l’on nous dit,
Quelles sont de tes fleches
Les blessures ameres,
Quand pour une Psyché
Dessus toy mesme il te plust d’essayer
La force de tes coups ;
Et cela toutesfois
Ne t’a rendu plus doux
Envers ceux que tu blesses.
 Mais je croy au contraire
Que cét essay t’a rendu plus cruel,
Comme si tu voulois
Dessus autruy te vanger de toy mesme.
 Et ne voyons-nous pas
La mesme cruauté
Dans le cœur de Fossinde ?
Car autrement, ô Fossinde cruelle,
Qui pour Tirinte as ressenty le mal
Que tu me fais souffrir,
Comment ne changes-tu
Ceste extrême rigueur,
Puisque tu sçais quel tourment elle donne ?
Ne vois-tu pas, bergere,
Qu’en ceste cruauté
Que tu me fais sentir,
Tres justement Amour
Fait que Tirinte aussi
Te dédaignant me venge ?
 Mais faut-il que long temps
Ce mespris je supporte ?
Moy, dis-je, qui ne cede
En noblesse de sang,
Non pas mesme au Dieu Pan :
Qui voit de mes troupeaux
Les campagnes couvertes ;
Troupeaux de qui le laict
Presque en toute saison
Inonde ma maison :
Qui des biens de Ceres
Et de ceux de Pommone
Vois mes toicts regorger,
Soit l’Esté, soit l’Automne.
 Moy, dis-je, qui de force
Surpasse un Briarée,
Un Hercule en courage,
Et bref qui ne voy point
Un mortel qui m’égale,
En tout ce qu’un mortel
Peut avoir d’estimable :
Supporteray-je encore longuement
Qu’une affetée, une imprudente fille,
Aille estimant un berger plus que moy ?
Un berger qui n’a rien
Qui puisse estre estimable,
Sinon qu’il a la peau tendre & doüillette,
Le teint uny comme du laict caillé,
L’œil affetté, le visage sans rides,
Et les cheveux en ondes recrespez,
Ressemblant mieux en somme
Une fille qu’un homme.
 Ignorante bergere,
Si tu sçavois combien se doit fuïr
L’homme qui fait la femme,
Tu cherirois beaucoup plus mon visage,
Puisqu’estant homme
Un homme je ressemble,
Et non pas une fille
Comme Tirinte fait.
 Mais responds-moy Fossinde,
Croirois-tu d’estre aymable,
Si fille estant on voyoit ton visage
Se revestir de poil
Comme celuy des hommes ?
 Comment trouves-tu beau
En ce tendre berger
De n’y remarquer rien
De l’homme que le nom ?
 Mais je presche aux deserts,
Je parle aux vents, & je perds mes paroles :
Fossinde la cruelle
Ne m’entend point, & quand ma voix encore
Atteindroit ses oreilles,
Je sçay qu’en vain elle les entendroit,
Tant elle est affollée
De ce teint Damoiseau,
De ces cheveux frisez,
De ces roses nouvelles
Qu’un hyver flestrira,
Ou le moindre Soleil
Dont il se haslera :
Et c’est pourquoy je veux sans plus attendre
Luy monstrer en effect
Quel je suis, quel il est ;
Je ne veux plus recourre à ces prieres,
Que jusqu’icy si vaines j’ay trouvées,
Je me veux desormais
Servir des avantages
Que j’ay de la nature.
 Tu m’enseignes, Tirinte,
Ce que je devrois faire,
Et jusqu’à ce moment
Je ne l’ay sceu cognoistre.
Tu te prevaux des graces que nature
En ton visage a mises,
Et n’est-ce pas me dire,
Qu’il faut que je me serve
De ce que j’ay de mesme
De plus avantageux ?
 La force & le courage
Ont esté mon partage ;
Doncques par ceste force,
Doncques par ce courage
Saisissons-nous de ceste dédaigneuse,
Et monstrons luy le courage & la force
Que nous avons, peut-estre se voyant
Reduitte à la mercy
Que nous voudrons luy faire,
Se repentira-t’elle
D’avoir esté cruelle.
 Qu’elle crie au secours,
Qu’elle appelle Tirinte,
Nous le verrons venir,
Ce tendre jouvenceau,
Ceste douce pucelle
Sous l’habit déguisée,
Et sous le nom d’un homme :
Si toutesfois, ce que je ne croy pas,
Il en a le courage,
Je jure Pan le grand Dieu bocager,
Je jure de Lignon l’un & l’autre rivage,
Je jure par les bois
Dont Isoure s’honore ;
Et bref je jure & je proteste icy
par mon bras invincible,
Que s’il y vient au secours de la belle,
Je veux de ceste masse
Ravir d’un coup vainqueur ;
Et l’ame de son corps,
Et l’amour de son cœur.
 Je sçay que bien souvent
Elle vient par ces bois,
Ceste imprudente fille,
Je m’en vay me cacher
Dans ce buisson touffu,
Attendant qu’elle vienne :
Si je puis l’attraper,
Elle aura beau crier
Avant qu’elle m’eschappe :
 Aussi bien ma-t’on dit
Que bien souvent ces belles
Veulent que leurs faveurs
On prenne en dépit d’elles,
Et que par force on semble estre vainqueur
D’un combat, où vaincuës
Elles sont de bon cœur.


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SCENE II.



Sylvanire.


 Le Ciel jamais ne fait rien d’inutile,
A ce que l’on nous dit ?
Mais pourquoy donne t’il,
S’il est ainsi, la franche volonté
Au sexe dont je suis,
Puisque jamais on ne void que la femme
Se puisse prevaloir
De son propre vouloir :
Tant que nous sommes filles
Se peut-il voir esclave
Plus subjet que nous sommes
Aux volontez du pere & de la mere ?
 Et si nous esperons
De rompre ces liens
Avec le mariage,
Que nous sommes deceuës,
Puisque d’autres liens
Mille fois plus serrez
Mettent en servitude
Encor nos volontez :
Car les maris (enfin ce sont les hommes
Qui firent ceste loy)
Les maris, dis-je, avecque tyrannie
Vont s’usurpant toute l’authorité
Sur nostre volonté.
 Que si le Ciel enfin,
Rompt encor ces liens
Qu’un mariage estraint,
Nous separant par la mort d’un mary,
Nous voila rattachées
Encore de nouveau
Par d’autres nœuds plus forts que les premiers.
Le pere s’il survit,
Ou bien à son defaut
Le plus proche parent,
Nous prive incontinent
De pouvoir disposer,
Ainsi que nous voudrions,
Du reste de nos jours.
 S’il est ainsi (comme il n’est que trop vray)
Qu’on me dise en quel temps
Nous peut jamais servir
La libre volonté
Que du Ciel nous avons.
 O miserable estat !
Que celuy de la femme,
De qui la volonté
N’est jamais de saison,
Et de qui la raison
Est sans authorité :
 et toutesfois il ne faut pas se plaindre
De ce grand Dieu sous telle servitude ;
Car ce n’est pas de luy
Dont procede ce mal,
Les hommes seuls, ah ! ce sont les seuls hommes,
Qui par la force ont ces loix establies :
Loix injustes sans doute,
Puisqu’à nostre dommage
Elles ne sont qu’à leur seul advantage.
 Ne voila pas, dois-je dire mon pere,
Ou Menandre plustost
Sans ce doux nom de pere,
Puisque le pere à son enfant jamais
Ne doit ravir la vie,
Et qu’il ravit la mienne
Par la force qu’il fait,
Ou qu’au moins il veut faire
Contre ma volonté.
Ne voila pas cét avare Menandre,
Ainsi le nommeray-je ;
O Dieu ne voila pas
Qu’avec mille rigueurs
Il veut sacrifier
La pauvre Sylvanire
A ce fascheux Theante,
Qui m’est plus en horreur
Que l’horreur ne peut estre.
Ah ! j’ayme mieux, j’ayme bien mieux cent fois
Espouser un tombeau.
 Fasse le Ciel ce qu’il voudra de moy,
Jamais, quoy qu’on m’en die,
Je n’y consentiray.
 Et lors que par la force
On m’y voudra contraindre,
La mort plus douce avecque son secours
Abregera mes jours :
 Tout le regret qu’alors
Dans le cercueil je pourray ressentir,
Sera sans plus de te laisser, Aglante,
Avec l’opinion
Que Sylvanire est ingrate envers toy :
Car je confesse, & je l’advoüe icy,
Où pour tesmoins j’ay seulement ces arbres,
Que tes vertus, Aglante,
Que ta discretion, que ton affection,
Et que tes longs services
Meritoient de trouver
Quelque autre plus heureuse
Que Sylvanire à ton dam ne l’est pas.
 Mais que sçaurois-je faire,
Puisque si je t’aymois
Il faudroit bien aussi
(Ainsi le veut ma cruelle misere)
Et souffrir, & me taire.
 Menandre qui desseigne
De m’allier à ce riche berger,
O damnable avarice !
Ne tourne pas les yeux
Sur ce qui vaut le mieux,
J’entends sur ta vertu,
Et dessus tes merites :
Mais l’esclat seulement
D’un metail qui reluit
A l’œil avare, également nous nuit.
 Ne trouve donc estrange,
Aglante que j’estime
Plus que tous les bergers
Des rives de Lignon,
Si dedans les liens
Du devoir retenuë
Cognoistre tu ne peux
Le bien que je te veux.
 J’ayme mieux que la mort
Mette fin à ma vie,
Que si l’on pouvoit dire,
Amour enfin a vaincu Sylvanire.


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SCENE III.



Tirinte. Sylvanire.


Tirinte.

 Quelle heureuse rencontre
Est celle que je fay,
Vous trouvant Sylvanire.

 Syl. Tirinte je ne sçay
Pourquoy tu veux nommer
Heureuse ma rencontre,
Puisque si nul ne peut
Donner ce qu’il n’a pas,
Comment te donneray-je
Ce bon-heur que tu dis,
Si le bon-heur jamais
Avec moy n’habita ?

 Tir. Heureuse avec raison,
O belle Sylvanire !
Mon cœur vous peut bien dire,
Puisque non seulement
On vous doit estimer
Pour vos perfections,
Et pour vostre beauté,
Sur toutes bien heureuse ;
Mais plus encor pour pouvoir, s’il vous plaist
Rendre heureux un amant
D’un clein d’œil seulement.

 Syl. Malaisément celuy
Peut rendre heureux autruy,
Dont le pouvoir en son mal-heur extrême
Est foible pour soy-mesme.

 Tir. Ne dois-je pas heureux dire celuy,
Qui (s’il le veut) peut rendre heureux autruy,
En chassant de soy mesme
Le mal qu’il croit extreme.

 Syl. Ce sont discours dont Tirinte repaist
Ceux qui veulent le croire ;
Mais, ô berger, je sçay pour mon malheur
Que ces propos ne sont que flatterie,
Et que mon mal est chose veritable.

 Tir. Aymer & vous flatter
Sont deux choses contraires,
Si bien que quand vous dites
Que Tirinte vous flatte,
Vous luy dites de mesme
Que son cœur ne vous ayme.

 Syl. Si nous flatter & nous aymer ensemble
Sont tant incompatibles,
Il est certain, Tirinte,
Que toutes nous pouvons
Jurer asseurément,
Que nul homme jamais
Ne se peut dire amant.

 Tir. Blaspheme insupportable !
 Syl. Toutesfois veritable.
 Tir. Mais la faulseté mesme.
 Syl. Que sans flatter quelqu’homme puisse aymer ?
Et responds-moy Tirinte,
N’est-ce pas bien flatter
De dire une beauté
Estre toute parfaite,
Où d’autres yeux remarquent cent defauts ?

 Tir. Ce mystere d’amour,
O belle Sylvanire,
Se peut mieux ressentir
Qu’il ne se peut pas dire ;
Et toutefois pour vous oster d’erreur
Je vous diray, qu’il est vray que l’amant
Estime la beauté
Qu’il ayme & qu’il adore,
Plus parfaite & plus grande
Que toutes les beautez
Qui sont en l’univers ;
Et s’il l’estime telle
Vous estes bien cruelle,
Vous disant ce qu’il croit,
De l’estimer flatteur.

 Syl. Il est donc un menteur.
 Tir. Mentir, c’est quand on parle
Contre la verité
Qui nous est bien cogneuë,
Et qu’en soy-mesme
On sçait bien que l’on ment :
Mais l’amant n’est pas tel,
Parce qu’en verité
Il croit celle qu’il ayme
Unique en sa beauté,
Et toutesfois peut-estre il se mesprend.

 Syl. Il est donc ignorant.
 Tir. Ignorant, je l’advoüe :
Mais de ceste ignorance
On ne le peut blasmer,
Ayant pour precepteur
Des Dieux le Dieu plus grand,
Le puissant dieu d’Amour,
Amour de qui les loix
Sans chastiment ne se peuvent enfraindre
Par le fidelle Amant.
Car sçachez, Sylvanire,
Qu’aussi-tost que l’Amour
Se rend maistre de nous,
Incontinent d’un art industrieux
Nos yeux il change avec ses propres yeux ;
De sorte qu’aussi-tost
Que nous sommes amants
Nostre œil ne nous sert plus,
Et nous ne voyons rien
Qu’autant qu’il plaist au sien :
Et cela c’est dautant
Que nul ne peut aymer
Que ce qu’il juge beau ;
Mais un tel jugement
Jamais ne se produit
Sinon par le rapport
Que les yeux nous en font.
 Or ce grand Dieu d’Amour
Qui veut que chacun ayme,
Sans changer le visage,
Avec ses propres yeux
Trompe le jugement
Que peut avoir l’amant :
Et de là vient qu’on dit
Par un commun discours,
Jamais laides amours.

 Syl. Et par ainsi Tirinte
Sans offense on peut dire,
Qu’Amour est un trompeur ;
Et que tous les amants
Font de faux jugements.

 Tir. Vous pourriez bien mieux dire,
Bergere, s’il vous plaist.

 Syl. Et que pourrois-je dire ?
 Tir. Que tout amant adore
La personne qu’il ayme,
Et que n’ayant des yeux
Que pour voir ses beautez,
Il ne sçauroit juger
Rien qui soit plus aymable :
De là vient que son cœur
Est plein de passion,
Quand l’ingrate beauté
Qu’il ayme & qu’il adore,
Ne correspond à son affection.
 Par là vous jugerez
Quel est le mal que supporte Tirinte
Adorant Sylvanire,
Sylvanire la belle,
La belle, mais cruelle,
Cruelle, ô Dieux, mais toutefois aymée
Plus encor mille fois
Qu’elle n’est pas cruelle.

 Syl. De quelle cruauté
Tirinte te plains-tu ;
Et qu’est-ce que tu veux
Que Sylvanire fasse
Avecque la raison ?

 Tir. Avecque la raison
Vous devez, Sylvanire,
Aymer celuy qui n’adore que vous :
Amour l’amour demande,
Et la moisson de l’amour c’est amour.

 Syl. Et ceste loy dis-moy
Se doit-elle observer
Par les bergers comme par les bergeres ?

 Tir. D’une loy generale
Personne n’est exempt,
Et ceste loy, bergere,
Ayme celuy qui t’ayme,
Est une loy que la nature a faite,
Que la raison approuve,
Que l’amour authorise,
Et que chacun observe,
Si ce n’est vous cruelle Sylvanire.

 Syl. Pour moy j’en suis exempte,
Parce que dans mon cœur,
Et la nature, & la raison aussi,
Ont empraint une loy
D’un chaste charactere
A celle-cy contraire,
Qui dit ainsi : Sage n’ayme jamais
Si tu veux vivre en paix.
 Et quand aux ordonnances
De l’Amour que tu dis,
Je fais gloire, Tirinte,
De ne rien observer
De tout ce qu’il commande.
 Mais toy, berger, pourquoy n’observes tu
La loy que tu confesses
Estre si juste & bonne ?

 Tir. Je fay bien davantage
Que d’observer la loy :
Car, Sylvanire, j’ayme
Autruy plus que moy-mesme,
Et de plus j’ayme. helas !
Ce qui ne m’ayme pas.

 Syl. Non ce n’est pas cela,
Berger, que je veux dire,
Ayme, ayme seulement
La personne qui t’ayme,
Observe bien la loy
Sans y rien adjouster.

 Tir. Si je ne dois aymer
Sinon celuy qui m’ayme,
Qui puis-je aymer si Tirinte je n’ayme ?

 Syl. Berger menteur que n’aymes-tu Fossinde,
Fossinde qui t’estime,
Fossinde qui merite
Pour ses vertus d’estre de tous aymée,
Et qui par ses beautez,
Et ses perfections,
Pourroit bien acquerir
Le plus parfait berger
De toute la contrée,
Si seulement son cœur y consentoit.
Tu ne me responds rien,
Es-tu muet ? as-tu perdu la langue ?

 Tir. Cruelle Sylvanire,
Injuste Sylvanire,
Ingrate Sylvanire,
Il ne te suffit pas
De tes desdains & de tes cruautez,
Pour tourmenter ce cœur
Dont ton œil est vainqueur,
Si de plus tu n’adjoutes
A tant de cruautez,
Quoy qu’elles soient extremes,
Encore ce tourment
D’une importune fille,
Que plustost que d’aymer
Dedans Lignon je voudrois m’abysmer.
 Ah bergere ! ah bergere !
Si toutesfois bergere
Une cruelle, une injuste, une ingrate,
On peut nommer sans offenser ce nom :
Cruelle, injuste, ingrate,
Si tu sçavois quelle est l’affection
Que Tirinte te porte,
Tu parlerois pour certain d’autre sorte.
 Amour ne peut sur une vraye amour
Anter une autre amour,
Il faut que l’une meure,
Et pour moy je te jure
Que mille morts je m’élirois plustost
Que l’amour de Fossinde,
Fossinde l’importune,
Fossinde que je hay,
Si ce que tu me dis
Est chose veritable,
Autant comme elle m’ayme.
 Dy le luy, Sylvanire,
Si pourtant il te reste,
Cruelle, injuste, ingrate,
Encor quelque pitié :
Dy le luy seulement ;
Dy le luy hardiment,
Et que jamais, jamais
Elle n’espere en moy,
Ny plus d’amour,
Ny moins de haine aussi.

 Syl. Tirinte c’est à tort
Que tu me vas blasmant,
Escoute mes raisons.
Mais Dieu voicy mon pere
Je ne veux pas l’attendre.


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SCENE IV.



Menandre. Tirinte.
Alciron.


Menandre.

 Mais ne l’ay-je pas veuë,
Ceste imprudente fille
Que je vay recherchant ?
Tirinte dy-le moy
N’est-ce pas Sylvanire
Celle-la qui s’enfuit ?

 Tir. Tes yeux, ô bon Menandre
Ceste fois t’ont deceu.

 Alc. Que c’est bien Sylvanire.
 Tir. Parce que la bergere
Que tu prens pour ta fille
C’est la jeune Almerine,
Almerine qui cherche
Par ces buissons touffus,
Et parmy ces rivages,
La brebis la plus chere
Qu’elle ait dans son troupeau.

 Men. Almerine dis-tu,
Et non pas Sylvanire ?

 Tir. Almerine, il est vray.
 Men. Je confesse, berger,
Que mes yeux à ce coup
Ont esté mensongers.

 Alc.Ou bien plustost Tirinte.
 Men. Mon Dieu que la jeunesse
Tout à coup se fait grande ;
Je la vis, ceste fille,
Chez son pere Andronire,
Si j’ay bonne memoire,
Six lunes ne sont pas
Encore bien passées,
Mais certes si petite,
Que c’est avec raison
Si mes yeux m’ont trompé
S’estant faite si grande
Depuis si peu de temps.
Il est vray que les filles,
Ainsi comme l’on dit,
Croissent en une nuict ;
Il faut bien qu’Andronire
Commence d’avoir soin
De luy trouver mary,
Et sur tout de l’argent :
Car aujourd’huy c’est l’argent qui fait tout.
Tant de beauté qu’on veut,
Tant d’attraits agreables,
Tant de nobles ayeuls,
Tout cela ce n’est rien,
Si pour enseigne il ne pend au logis
Or & argent, personne ne la veut,
Ceste extreme beauté,
Ces attraits agreables,
Sinon peut-estre un autre encor plus pauvre.
Mais aussi n’est-ce pas
Une grande folie
Que de se marier,
Si l’argent comme guide
Ne marche le premier ?
Personne ne se paist
Trois jours entiers de la seule beauté,
Depuis qu’il faut mettre cousteaux sur table,
Il faut bien d’autres choses
Que ces affeteries,
Que ces attraits aymables,
Ny que tant de beautez ;
Cent quintaux assemblez
De telle marchandise,
Ne saouleroient le moindre de tous ceux
Qui sont dans un logis.
Ah ! si ces jeunes filles,
Je parle pour la mienne,
Sçavoient combien est grande
La peine que l’on a
Pour conduire un mesnage,
Pour éviter la pauvreté honteuse,
Et combien peu se trouvent aujourd’huy
De partis convenables,
Je sçay bien pour certain
Qu’elles ne seroient pas
Si peu recognoissantes,
Qu’elles ne les receussent,
Ces partis quand ils viennent.
 Mais pour nostre malheur
Ceste inexperte & peu sage jeunesse
Ne recognoist jamais
Son bien, que quand il est outrepassé :
Mais lors il n’est plus temps,
O jeunesse imprudente,
Tu l’as beau rappeller
Par les regrets d’un trop tard repentir,
N’espere plus qu’il doive revenir.
 Le propre de ce poinct,
Qu’en toute affaire il faut sçavoir cognoistre,
Est de telle nature,
Que jamais plus, jamais il ne rappelle
Ces pas fuitifs pour retourner vers nous.
 Quand il nous vient trouver
Sçachons le prendre, ou bien n’esperons plus
De le revoir une seconde fois :
Mais c’est grand cas de l’extreme imprudence
Qui suit ceste jeunesse,
Inexperte jeunesse,
Et jeunesse peu sage,
La mere tres-feconde
Des incommoditez
Qu’en vieillesse on ressent.
 Encor seroit-ce peu ;
On les pourroit conduire,
Ces ignorantes filles,
Pourveu qu’avec toute leur ignorance
Elles creussent à ceux
Qui sont plus sages qu’elles.
Mais tant s’en faut elles ont un vouloir,
Et puis Dieu sçait comme il est bien fondé,
Qu’à faute de raison
Elles vont soustenans
D’opiniastreté.
 O de mon temps qu’une fille eust osé
Dire sa volonté,
Et celuy-cy me plaist
Plus que non pas cét autre,
Elle eust esté tenuë
Pour monstre entre les filles,
Et chacun dans la ruë,
En la voyant passer,
Vous l’eust monstrée au doigt,
Disant, C’est celle-la.

 Alc. Mais d’où viennent ces plaintes,
D’où viennent ces censures
Que tu fais, ô Menandre ?

 Men. Alciron elles viennent
D’une juste douleur
Qui me presse & m’oppresse
En ma foible vieillesse.

 Alc. Menandre bien souvent
Nous-nous representons
Les maux plus grands qu’en effect ils ne sont.

 Men. Qu’ils ne sont que trop grands
Ceux desquels je me plains,
Et je te les veux dire,
Et t’en faire le juge,
Si je te dis que j’ayme
Ma fille Sylvanire.

 Tir. Aussi fait bien quelque autre.
 Men. Autant qu’on puisse aymer
L’enfant qu’on a fait naistre,
C’est chose superfluë ;
Car outre les raisons
Que tous les peres ont,
Encor s’il m’est permis,
Quoy qu’elle soit ma fille,
De le dire, berger,
Encore ses vertus
M’obligent à l’aymer.

 Tir. Et d’autres sa beauté.
 Men. Car certes je puis dire
De n’avoir jamais veu
En ceste jeune fille
Une seule action
Qui ne soit à loüer,
Sinon pour le subjet dont je te veux parler :
 Et c’est pourquoy chargé d’âge & de peine,
Ainsi que tu me vois,
Je vay tousjours resvant à son profit,
Sans pardonner à ces jambes tremblantes,
Et sans flatter ces bras
A moitié descharnez ;
Je vay sans cesse, & sans cesse je cherche,
Et me travaille, afin de voir un jour
Qu’elle soit bien à son contentement.
 Or j’ay tant fait avecque mes amis
Que le berger Theante,
Theante à qui le Ciel
D’une main liberale
Adonné tant de biens,
Veut contracter alliance avec elle.

 Tir. J’en ferois bien autant.
 Men. Dieu sçait combien heureuse
Une fille sera parmy tant de richesses ;
Car rien ne defaut là
Qu’elle puisse vouloir.

 Tir. Elle voudroit un homme,
Et non pas une beste.

 Men. Et toutesfois ceste jeunesse folle,
Ceste imprudente fille,
Quand je luy dis que Theante la veut.

 Tir. Aussi feroient bien d’autres.
 Men. Theante l’heritier
Du plus riche berger
De toute la contrée,
Elle tourne la teste,
Comme si ceste offense
Estoit insupportable,
Elle demeure muette
A ce que je luy dis,
Comme si ce party
Se devoit dédaigner.
 Que si lors je la presse
De me faire response,
Les souspirs la devancent
Suivis de tant de pleurs
Qu’elle ne peut parler,
Et si je la contrains
Enfin de me respondre,
Parmy les pleurs & les sanglots menus,
Tousjours un Non s’eschappe de sa bouche,
Et puis apres ce Non,
Cent protestations
Qu’elle veut estre ou Vestale ou Druide.

 Tir. Quelle devotion !
 Men. Dieux, que ferois-je là ?
Je me voy vieux, & desormais plustost
Je dois songer au depart qu’il faut faire,
Que de penser aux affaires d’autruy,
Que si je meurs, ah ! que deviendra-t’elle ?

 Tir. Qu’elle vienne vers moy.
 Men. Ah, qui ne sçait combien est miserable
Une jeune orpheline,
Entre les mains de ceux
Qui n’ont que le soucy
De leurs propres enfans :
Si dedans le cercueil
On a le souvenir
Des choses des vivants,
Dieu quel seroit l’ennuy,
Quel seroit le regret
De voir ce jeune enfant
Qui n’a point de malice,
Entre les mains de tel
Qui la desdaigneroit,
Et la feroit servir
Ainsi comme une esclave
Aux choses les plus viles.

 Alc. O Menandre, ô Menandre,
Je n’eusse jamais creu
Qu’il sortist de ta bouche
de semblables paroles :
Toy dont le nom par reputation
Porte avec soy le tiltre de prudence.

 Tir. Voila comme on se trompe.
 Alc. Comment ? tu veux marier une fille
Contre sa volonté ?

 Men. Et quelle volonté
Doit avoir une fille ?

 Alc. Celle de sa raison.
Crois-tu qu’elle soit folle ?
Que si cela n’est pas,
Pourquoy sa volonté
Ne se reglera-t’elle
Aux loix de la raison ?
Et pourquoy dois-tu croire
Qu’aussi ceste raison
Ne luy fasse vouloir
Ce qu’elle doit vouloir ?
Aux bestes plus grossieres,
Les voulant conserver,
Ne suivons-nous, Menandre, leur vouloir ?
Et nos brebis quand elles veulent boire
Les faisons-nous au contraire manger ?

 Men. Nature leur apprend
D’une soigneuse cure.

 Alc. Crois-tu que plus avare
Soit pour nous la nature ?

 Men. Quoy donc l’experience
Ne servira de rien ?

 Alc. L’experience est bonne,
Mais chacun sçait son bien.

 Men. Par ainsi les plus vieux
N’auront point d’avantage.

 Alc. Ils l’auront bien, Menandre,
Mais qu’ils soient les plus sages.

 Men. Et leur experience ?
 Alc. Joincte avec la prudence,
Autrement sois certain
Que ceste experience
Sert de si peu de chose,
Que c’est grande imprudence
De mettre entierement
Tout son bon-heur sur chose si douteuse.
J’ay veu des mesmes causes
Produire bien souvent
Des effects differents.

 Men. Rien donc, berger, au monde n’est certain,
Puisque l’experience est encore douteuse.

 Alc. Qu’il soit ainsi, Menandre,
Que rien dedans le monde
Ne puisse estre certain,
Faut-il pourtant conclure
Que ceste Sylvanire,
O Dieux ! qui n’en peut mais,
Soit pour cela malheureuse à jamais ?

 Men. Au contraire, berger,
Heureuse elle sera,
Pourveu qu’elle me croye :
Alciron mon amy
Qu’elle aura de troupeaux ?

 Tir. Mais qu’elle aura de maux.
 Men. Que de grands heritages ?
 Alc. Que de cruels servages.
 Men. Que de belles maisons ?
 Tir. Que de tristes prisons.
 Men. Que de riches habits ?
 Alc. Que de mortels ennuis.
 Men. Que luy defaudra-t’il
Ayant tant de richesses ?

 Alc. Sans le contentement
Ce ne sont que tristesses.

 Men. Avec la pauvreté
Toute chose déplaist.

 Alc. Riche est la pauvreté
Lors que contente elle est.

 Men. D’estre contente & riche
Qui l’en empeschera ?

 Alc. Le chois que tu feras.
 Men. Theante l’ayme tant :
 Alc. Elle le hayt autant.
 Men. Enfin il la vaincra.
 Alc. Peut-estre il la vaincra,
Mais elle est tres-certaine
Que maintenant elle ne l’ayme point ;
De sorte que ton choix,
Sous la foible esperance
De ce bien incertain,
Luy donne un mal certain.

 Men. Il est beau sans mentir
Qu’une fille ayt un chois.

 Alc. Et sans chois n’est-ce pas
Une piece de bois ?

 Men. Quoy choisir un mary ?
 Alc. Et quoy donc un fuseau ?
O trop insupportable
Des peres l’ignorance,
Ou plustost cruauté
Qu’on peut avec raison
Appeller Tyrannie.
 Si pour filler une pauvre quenoüille
Leurs filles vont choisir
Entre cent un fuseau,
Ils ne l’empeschent pas,
Et leur laissent le chois
De celuy qu’elles veulent :
Mais s’il leur faut un mary pour jamais,
Non, non, il ne faut pas
Qu’elles le puissent faire,
Dit aussi-tost le pere.
 O pauvres vieux resveurs
Qui pensez sous vos loix,
Estant dans le tombeau,
Retenir vos enfans,
Qui pensez imprudents
Qu’ils ayent mesme goust
En leurs tendres jeunesses,
Que vous avez en vos rances vieillesses :
Que vous estes deceus,
Que vous estes trompez ;
Ceux que vous leurs donnez
Pour estre leur marys,
Deviennent, croyez-moy,
Les plus fiers ennemis
Qu’elles puissent avoir :
Et faites par ainsi
Qu’helas ! ces mariages,
Au lieu d’estre en effect
Des champs Elysiens,
Des paradis d’amour,
Ainsi qu’ils doivent estre,
Se trouvent des prisons,
Ou plustost des enfers,
Pour tourmenter vos filles.
 Car juge un peu quel plaisir leur doit estre
De se voir à jamais
Entre les bras des maris qu’elles ont
Plus mille fois en horreur que la mort :
Leurs baisers ne leur sont
Que des cruels supplices,
Leurs plus douces caresses
Des absintes mortels,
Leurs honneurs des mespris
Qui blessent leur courage,
Et leurs dons des outrages.
 Et quelques uns s’estonnent
Qu’on remarque si peu
De contents mariages,
C’est vous autres sans plus,
C’est vostre cruauté,
C’est vostre tyrannie,
Qui cause ces desordres :
Si vous laissiez choisir
Aux filles leurs espoux,
Chacune choisiroit
Celuy qu’elle aymeroit :
Mais vostre authorité
Leur donne des maris
Qu’elles voudroient pleurer
Plustost dans le tombeau
Un siecle entier, que non pas un moment
Caresser en amant.
 Que si comme tu dis
On a dans le cercueil
Des vivans la memoire,
Quel regret auras tu,
Estant chez Radamanthe,
Responds, responds, Menandre,
De sçavoir par ton choix
Ta fille miserable,
Par dessus la misere
De tous les malheureux
Qui vivent dans le monde ?
De sçavoir qu’à toute heure,
Pour son bon-heur plus grand
Elle ne requerra
Qu’une hastive mort ?
 Les imprecations,
Les maledictions
Que tu peux bien prevoir,
Ne te font-elles point
Et fremir & trembler ?
Quel repos auras-tu
Dans ce triste tombeau,
Où chaque jour ceste pauvrette ira
Pour te maudire,
Et tes cendres aussi,
Comme l’autheur de toutes ses miseres ?
 O vieillards abusez
Laissez à vos enfans,
Laissez, laissez choisir,
Selon leur volonté,
Les maris qu’elles veulent,
Ou pour le moins nul de vous ne les force
Avecque violence
D’espouser les personnes
Qu’elles ayment, ainsi
Qu’on ayme le trespas.
 C’est la sage nature,
Qui vous ordonne avec moy ceste loy,
Jamais elle ne fait
Une union de deux choses contraires,
Sinon par un milieu
Qui sympathise aux deux.

 Men. Pourquoy n’aymeront-elles
Des maris dignes d’elles ?

 Alc. O vieillard peu sçavant,
Ne sçais-tu pas que le merite seul
Est le plus grand empeschement de tous
Pour obtenir le bien que l’on desire ?
Ne sçais-tu pas que l’amour a pour soy
D’autres raisons que n’ont pas tous les dieux ?
Sçache, sçache, Menandre,
Que la raison d’amour,
Et je dis la meilleure,
C’est de dire, Il me plaist,
Ou bien ne me plaist pas,
Chercher dedans ces loix
Ou dans ces volontez
Quelque meilleur Pourquoy,
C’est bien estre ignorant
Du pouvoir de l’amour.

 Men. Alciron mon amy,
Couppons là ce discours,
C’est assez pour ce coup,
Lors que tu seras pere
Fay comme tu voudras,
Et s’il te semble bon,
Permets non seulement
A ta fille de prendre
A son choix un mary,
Mais trente si tu veux ;
Et si ce n’est assez,
Donne luy, mon amy,
Tous ceux qu’elle voudra,
Ou bien tous ceux encores
Qui la voudront avoir ;
Ce n’est pas ce soucy
Qui le plus me travaille,
Chacun fasse à son gré
Du sien comme il l’entend.
Mais quant à Sylvanire
Je veux qu’elle l’espouse,
Ce berger que je dis,
Je sçay mieux qu’elle mesme
Ce qu’il luy faut : mais avec toy, berger,
Je n’en veux plus parler,
Tu causes trop pour moy :
Quel precepteur de filles,
Je t’en feray donner
Par nos voisins afin de les instruire ;
Prepare ton logis pour les bien recevoir.
Je vous laisse à penser
Le gentil discoureur que nous avons trouvé,
Et les belles leçons
Qu’il leur enseigneroit.

 Alc. Adieu, Menandre, adieu,
Au moins ressouviens-toy
Qu’Alciron aujourd’huy
T’a dict la verité :
Un jour, je le sçay bien,
Un jour il adviendra,
Que tu regretteras
De n’avoir pas suivy
Un si sage conseil.


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SCENE V.



Alciron. Tirinte.


Alciron.

 Le voila bien fasché :
Pourquoy n’a-t’il encore
Avec ses desplaisirs,
Tous ceux que la fortune
Me prepare à jamais.

 Tir. Ah ! cher amy, les desplaisirs qu’il a,
Ou tous ceux que quelque autre
Pourra jamais souffrir,
Ne sçauroient égaler
Ceux que mon cœur endure.

 Alc. Chacun pretend tout de la mesme sorte,
Qu’il n’est nul mal que le mal qu’il supporte.

 Tir. Amy, si tu sçavois
Quel est le mien, tu dirois avec moy
Qu’où la mort ne suffit
A plaindre des malheurs,
Trop foibles sont les pleurs.

 Alc. Plus on redoute un mal,
Et plus aussi se fait-il ressentir :
Mais tiens cecy de moy
L’effect est tousjours moindre,
Et du bien & du mal,
Que n’est l’opinion.
Mais quel mal, ô Tirinte
Est celuy qui t’afflige ?

 Tir. A quoy sert-il de descouvrir la playe,
Que la grandeur a renduë incurable ?

 Alc. Un bon amy souvent
Nous donne des conseils
Contre nos desplaisirs,
Que de nous seuls nous n’eussions sceu choisir.

 Tir. Il est vray, je l’advoüe,
Mais c’est aux maux qui se peuvent guerir,
Et non en ceux qui n’ont point de remede.

 Alc. L’essay n’en couste rien.
 Tir. Ah ! combien, Alciron,
Est arrogant l’essay
Qui pense atteindre au dessus de l’espoir.

 Alc. Encor le faut il voir,
Jamais d’un mal l’on ne sçait la grandeur
Qu’on ne l’ait mesurée,
Et foible est le courage
Qui ne se hausse avecque l’esperance,
Autant que luy permettent
Les loix de la raison.

 Tir. C’est la raison, Alciron, qui m’empesche
De pouvoir esperer quelque remede
Au mal qui me possede :
 Et toutesfois puisqu’ainsi tu le veux,
Je le veux bien de mesme ;
Je le veux bien te le dire, berger :
Non pas pour soulager
Un mal que je cognois
Sans nul soulagement ;
Mais seulement afin de satisfaire
Aux loix de l’amitié
Entre nous contractée.
 Sçaches donc, Alciron,
Que j’ayme & que j’adore
Plus que je ne puis dire,
La belle Sylvanire.
 Cent fois elle m’a veu
Prest à mourir pour elle,
Sans que ce cœur cruel,
Ce cœur de diamant,
Ait jamais fait paroistre
D’estre sensible aux traicts de la pitié.
 Elle m’a veu sur l’excés de mon mal
Presque dissoudre en pleurs,
Noyer ces mains de larmes inutiles,
Sans que jamais elle ait fait action
Qui peust faire juger
Que de mon mal elle eust compassion.

 Alc. Doncques l’amour d’une bergere ingrate
Te tourmente si fort,
Et tu ne peux ravoir ta liberté
Des mains de ceste fille ?
 Voy tu Tirinte, & tiens cela de moy,
On ne se doit jamais
Tellement enfoncer
Aux bourbiers de l’amour,
Que quand on le voudra
Les pieds l’on n’en retire.

 Tir. Aussi bien comme toy
Je sçay ce qu’il faut faire :
Mais de le pouvoir faire,
O cher amy, cela m’est defendu.

 Alc. Si sçay-je bien que de ces passions,
Et que de ces transports,
Dont les amants remplissent les oreilles
De ces jeunes beautez,
Qui les vont escoutant,
Il en reste tousjours
Bien moins dedans leurs cœurs
Que dedans leurs discours,
Et je sçay bien encore beaucoup mieux,
Que l’amour n’a de vie
Qu’autant qu’il plaist au cœur qui veut aymer ;
Et que ce dieu, ce dieu que nous feignons
Vaincre avecque des yeux
Les hommes & les Dieux,
N’a sur nous nul pouvoir
Que par nostre vouloir :
Et de là je conclus,
Quoy que tu sçaches dire,
Que de ce mal ton ame guerira
Alors qu’il luy plaira.
 L’on dit qu’Amour est un puissant desir
De sa perfection,
Par l’union du bien qui nous defaut :
Croy moy, Tirinte, Amour est au contraire
Un defaut de raison,
Un accés violent,
Qu’un desir mal reiglé
Avec l’oysiveté
Conçoit dedans nostre ame,
Et qui n’est maintenu
Que par l’espoir veritable ou menteur
D’un plaisir pretendu.
Doncques, berger, pour guerir de ce mal
Le plus certain remede
C’est de vouloir guerir ;
Car tout le mal que l’amour nous peut faire
Git en la volonté :
Mais rien n’est de si libre
Que ceste volonté :
Car tous les fers & toutes les prisons,
Toutes les dures chaines
Des plus cruels tyrans,
Ne sçauroient asservir
La liberté du moindre des humains,
Au moins s’il ne le veut.

 Tir. Alciron mon amy,
Sçavoir que c’est que le mal qui me blesse,
A ma douleur ne sert pas de remede,
Que ce soit un desir,
Ou le defaut d’une raison mal saine,
Ou l’accés violent
D’un espoir pretendu,
Cela me sert de peu :
Tant y a qu’il est vray,
Quoy que ce mal puisse estre,
Qu’enfin, amy, c’est le plus violent,
C’est le plus incurable,
Que jamais un amant
Ait souffert en aymant.
 Incurable, ô berger,
Dautant que ma blessure
N’espere guarison
Que du fer qui l’a faite,
Et l’inhumaine & sauvage beauté
De ma bergere à tel poinct est venuë,
Que l’insensible & cruelle qu’elle est
Ne daigne voir le mal qu’elle m’a fait,
Ou le voyant les coups en desadvoüe,
Encore que chacun
Cognoisse bien, que sans plus de ses mains
Peuvent venir de si profondes playes,
Et que nul ne sçauroit
Tant de flames produire
Que l’œil de Sylvanire.

 Alc. Et qu’est-ce qu’elle dit
Quand ton mal tu luy contes ?

 Tir. Mais en fait-elle conte ?
 Alc. Elle ne respond rien ?
 Tir. Si fait, mais jamais bien.
 Alc. Peut-estre un autre elle ayme ?
 Tir. Ce n’est donc qu’elle mesme.
 Alc. Mais comment se peut-il
Que l’amour ne la touche ?

 Tir. Non plus que si c’estoit
Une insensible souche.

 Alc. Prends courage, Tirinte,
Puisque nul jusqu’icy
Ne possede son ame,
L’on prend plus aysément
La place qui n’est point
Par un autre occupée.

 Tir. Tout au rebours ce poinct me desespere,
Car si son cœur avoit esté blesse
Je le croirois sensible,
Et pourrois esperer
En la servant d’en pouvoir autant faire :
Mais quel espoir puis-je avoir, Alciron,
D’aymer ceste sauvage,
Qu’Amour jamais ne peut appriuoiser ?
Aussi de telle sorte
Ce penser me travaille,
Qu’il faut, amy, que je prenne à la fin
La resolution
Qu’aux plus irresolus
Le desespoir apporte.
Je me resous, puisque le ciel le veut,
Non seulement d’éloigner la cruelle
Par un lointain voyage,
Mais d’un courage d’homme
Sortir enfin, ouy sortir à la fin
De ce honteux servage,
Rompre les nœuds, esteindre tous les feux
D’amour & d’elle.
Alc. Ah ! resolution
Vrayment digne de toy.

 Tir. Ouy pour certain je veux enfin sortir
Des mains de la cruelle,
J’ay de ma patience
Rompu toutes les chaines,
Je veux ravoir ma chere liberté :
Mais sçais-tu bien, Alciron mon amy,
Comment ? Et quel chemin
Je me resous de prendre ?
Des cendres du tombeau
Je veux les feux esteindre
D’une telle Chimere,
Et par le seul trespas
Je me veux éloigner
De ceste servitude,
Et je croy bien qu’aujourd’huy le Destin
N’a tes pas addressez
Par où les miens devoient prendre leur route,
Qu’avecque prevoyance,
Parce qu’il ne veut pas,
Ce tres-juste Destin, que par ma mort
Meure aussi la memoire
Du beau feu qui me brule,
Sçachant bien que jamais
Pour un plus beau subjet
Une plus belle flame
Ne s’esprit dans une ame :
Il nous a fait rencontrer en ce lieu,
Afin, berger, qu’en ton sein je remisse
L’histoire pitoyable
De mes tristes amours,
Et que toy, cher amy,
Fidelle secretaire,
Lors que je seray mort,
Pour memoire eternelle,
Tu mettes sur ma tombe ;
Voila l’effect des plus beaux yeux du monde :
Peut-estre un jour ces mesmes yeux lisans
En ton escrit leurs desdains & ma peine,
Quelque pitié, quoy que tardive & vaine,
Leur ira dérobant
Des souspirs & des larmes :
Que si dedans le sein
De ceste belle il en tombe une seule,
Ou bien parmy mes cendres,
Je tiens desja les peines que j’endure
Pour ma plus belle gloire,
Et ma mort pour victoire.

 Alc. Que parles tu de larmes,
De cercueil & de mort ?
Amour donne la vie
A tout cét univers,
Et tu penses, Tirinte,
Que pour un seul Tirinte
Il cesse d’estre Amour :
Non, non, ce ne sont pas
Effects d’Amour ceux desquels tu te plains,
Tous ces desirs de mort,
Et tous ces desespoirs
Ne viennent pas d’Amour,
Mais d’un demon contraire
Qui le veut contrefaire.
 Lors que tu seras mort
Quel bien recevras-tu,
Et quel allegement
Dans la tombe relante
Au mal qui te tourmente ?
 Il faut chasser de toy
Ceste vaine folie,
Et te ressouvenir
Que tout amant est obligé de vivre,
Pour ne priver celle qu’il ayme tant,
Quoy qu’elle soit cruelle,
D’un serviteur fidelle.

 Tir. Mais Alciron, ne faut-il pas mourir
Ayant perdu tout espoir de guerir ?

 Alc. L’homme vivant peut tousjours esperer.
 Tir. Sans espoir esperer
N’est pas d’homme d’esprit.

 Alc. C’est d’homme de courage.
 Tir. Non pas prudent ny sage.
 Alc. Le desespoir nous tesmoigne bien mieux
Un esprit imprudent.

 Tir. Mais la raison quelquefois nous l’apprend,
Et puis du mal l’extreme violence
De la raison bien souvent nous dispense ;
Enfin quoy que ç’en soit,
Voy tu bien, Alciron,
Ma resolution
Est telle que je dis,
Car je veux à ce coup avec sa cruauté
Mettre fin à ma peine.

 Alc. Arreste, attends un peu,
Tirinte escoute moy.

 Tir.O le cruel amy !
 Alc. Attends un peu Tirinte,
Et tu verras peut estre
Que ceste cruauté
Que tu blasmes en moy
Te donnera la vie.
 Vois-tu, berger, j’eusse bien desiré
De voir ton cœur libre des passions
Dont Amour te tourmente :
Mais puis qu’il ne se peut,
Et que je voy que ta raison trop foible
Cede à la violence
Dont cét Amour t’offense :
 Je te promets par le Guy de l’an neuf,
Pourveu que tu me croyes,
De mettre entre tes mains
Ceste belle cruelle
Avant qu’il soit demain.

 Tir. Avant qu’il soit demain
Ceste belle cruelle
Tu mettras en mes mains ?
O cher amy ! qu’est-ce que tu promets ?

 Alc. Je ne te promets rien
Qu’en effect je ne fasse.

 Tir. Puis-je esperer une si grande grace ?
 Alc. Espere si tu crois,
Tirinte, que je t’ayme.

 Tir. Mon malheur est trop grand,
Et ce bien trop extreme.

 Alc. Plus grande est l’amitié
Que te porte Alciron.

 Tir. Je le croy ; mais. Alc. Mais qu’est-ce que ce Mais ?
 Tir. Mais, ô berger, tu prends un pesant faix,
Quand tu pretends supporter mon malheur.

 Alc. Non, je ne pretends rien
Que je ne paracheve,
Je te la remettray
Dans demain, ceste belle,
Si bien en ta puissance,
Que nul que nous n’en aura cognoissance,
Et seulement, Tirinte, resous toy
De ne point perdre alors
L’occasion qui se presentera.

 Tir. Mais Alciron, & pour qui te tiendray-je,
Si de tes mains je reçois ce bon-heur.

 Alc. Tiens moy pour ton amy,
Et pour ton serviteur.

 Tir. Mais plustost pour mon dieu,
Pour mon dieu puis-je dire,
Puisque tu me rendras
Une seconde vie,
Que je suis obligé
D’employer à jamais
Pour te faire service.

 Alc. Ces beaux discours ne conviennent pas bien
A nostre affection :
Ayme moy seulement
Autant comme je t’ayme,
Et je m’estimeray
Mieux que recompensé :
Mais sans plus retarder,
Allons, berger, mettre la main à l’œuvre.


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SCENE VI.



Sylvanire. Fossinde.


Sylvanire.

 Ne croyez pas, Fossinde,
Que je sois oublieuse
De ce que j’ay promis,
Pour le souffrir l’amour que je vous porte,
O ma sœur, est trop forte.
 J’ay fait envers Tirinte
L’office que j’ay deu :
Mais.
Foss. J’entends ce langage,
N’en dites davantage :
Mais le cruel berger,
N’est-il pas vray, bergere,
Ne s’en soucie guere ?
 Je l’avois tousjours creu
Que ceste ame insensible
En useroit ainsi,
Je ne suis point trompée,
Et contre mon espoir
Rien ne m’est advenu.
 Que pouvois je pretendre
De ce cœur de rocher,
Sinon toute durté ?
J’ay honte seulement
Que Sylvanire ait sçeu de ma folie
L’accés trop vehement :
Mais, ma sœur, excusez
En vostre chere sœur
Ce mal qui ne pardonne,
Ce dit-on, à personne,
Et ne laissez d’aymer
Ceste triste Fossinde
Autant que vous faisiez.

 Syl. Je plains, Fossinde, & ne le puis nier,
Le mal qui vous tourmente :
Mais je le plains, dautant
Que je le voy sans espoir de remede :
Et croyez moy que si je cognoissois
Que ce cœur arrogant
Peust estre surmonté,
Je ne vous dirois pas
Ce que je vous en dis :
Mais soyez seure, & n’en doutez jamais,
Entre tous les bergers
Des rives de Lignon,
Tirinte est le moins digne
D’avoir vostre amitié.
Si vous sçaviez avec quelles paroles
L’indiscret m’en parla,
Vous diriez avec moy,
Que de tous les humains
Il merite le moins
Que vous le regardiez.
 Et c’est pourquoy, si vous m’en voulez croire,
Laissez-le là, ma sœur,
L’impertinent qu’il est,
Et faites luy paroistre
Qu’il ne meritoit pas
L’honneur qu’on luy faisoit.
 Pour moy, je le confesse,
Si ce malheur m’arrivoit comme à vous,
Je veux dire d’aymer
Ainsi comme vous faites,
Je pourrois supporter
Tout, sinon le desdain :
 Mais du mespris les coups sont si sensibles,
Que je ne puis penser
Que les liens d’amour,
Pour forts qu’ils puissent estre,
Un seul moment me sçeussent arrester.
Considerez, Fossinde,
Ce que Fossinde vaut,
Et ce que peut valoir
L’ingrat Tirinte avec son arrogance.
 Considerez, ma sœur,
Que ce jeune berger
Fera toute sa gloire
De vostre deshonneur ;
Et comment pouvez-vous,
Ayant tant de merite,
Aymer qui ne vous ayme ?
 Mais quel berger encore ?
Le plus mescognoissant,
Le plus ingrat berger,
Et le plus insolent
Qui jamais eust la houlette en la main.
 Laissons-le là, Fossinde,
Laissons-le, & m’en croyez,
Il ne manquera pas
D’autres bergers au monde
Mieux faits encor que luy,
Qui sçauront recognoistre
L’honneur que celuy-cy
Imprudemment desdaigne.

 Foss. Ah Sylvanire ! ah Dieu qu’il est aisé
De parler sagement,
Quand on n’est pas amant.


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SCENE VII.



Fossinde. Echo.


 A Qui faut-il que mon mal je raconte,
Puisque desja de moy-mesme j’ay honte,
Et qu’il ne faut jamais plus esperer
Ce que l’Amour m’a tant fait desirer.
 Nymphe des bois qui te plais à redire
Le triste accent de celuy qui souspire,
C’est à toy seule à qui je veux conter
Le mal cruel qui me fait lamenter.
 Responds moy donc pour soulager ma peine :
Que m’acquerra cét amour inhumaine ?
hayne.
Que deviendra cét espoir decevant
Qui m’a promis tant de bien cy-devant ?
de vent.
 Et que faut-il que fasse de bonne heure
L’ardente amour qui dans mon cœur demeure ?
meure.
Et quels seront, si l’amour ne vit plus,
Les beaux desseins que j’avois faits dessus ?
deceus.
 Que dois-je croire en ma peine presente ?
Que fait l’espoir qui quelquefois augmente ?
mente. Et quel loyer dois-je donc presumer
D’avoir, de l’œil qui me vient enflamer ?
amer.
 Amour cruel sont ce donc là tes charmes ?
Que deviendront à la fin tant d’allarmes ?
larmes.
O vous amants qui luy gardez la foy,
Voyez à quoy m’a reduit cét esmoy.
& moy ?
 Malheureuse fortune,
Impitoyable Amour,
O Destin rigoureux !
Que sera-ce de moy ?
Et quelle fin mettrez vous à mes peines ?
 Insensible berger,
Desnaturé berger,
O berger imprudent,
Cesseras-tu jamais
De suivre qui te fuit,
Et fuyr qui te suit ?
Mais comment puis-je croire
Que ce destin, ce destin tant injuste
Dans le ciel soit escrit ?
Dans le ciel où jamais
L’injustice ne fut ?
 Peut estre Echo de mon tourment se mocque :
Retentons de nouveau
L’Oracle de la Nymphe.
 Ma voix encore un coup à parler te semond :
Que ferons-nous Echo contre ce grand Demon ?
aymon.
Aymer, mais qui pourroit aymer quand on ne l’ayme ?
Echo c’est ce me semble une folie extreme :
ayme.
 De ce conseil nouveau Nymphe je m’esbahy :
Mais le suivant mon cœur sera t’il resjouy ?
ouy.
Est-il vray que le ciel à mon desir consente,
Et que je puisse enfin obtenir mon attente ?
tente.
 Et ce cœur de rocher cause de mon tourment,
Quel le verray-je enfin si j’ayme constamment ?
amant.
Ne te mocques-tu point du tourment que j’endure ?
Et quelle guerison auray-je à ma blesseure ?
seure.
 Heureux trois fois mon cœur tu te peux estimer :
Mais pour cueillir ce fruict comment faut il semer ?
aymer.
En cét art je ne suis, Nymphe, que trop sçavante :
Mais quelle recompense à l’amour violente ?
lente.
 Lente il n’importe pas,
Pourveu que d’un moment
Elle devance au moins
L’heure de mon trespas.


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SCENE VIII.



 Satyre. Fossinde.


Satyre.


 Elle s’en veut aller,
Gardons qu’elle n’eschappe,
Jamais occasion
Ne se trouva plus belle,
Personne n’est icy :
Amour à mes desseins
Sois ce coup favorable.

 Foss. Dieu voicy le Satyre,
Sois Diane à mon ayde.

 Sat. Avant qu’user avec elle de force
Il nous faut essayer
Celle de la priere,
Les faveurs sont plus douces
Que ces belles nous donnent
De leur bon gré, que celles qu’on ravit
Contre leur volonté.

 Foss. Il s’approche de moy,
Dois-je fuyr, ou dois-je demeurer ?
Fuïr, il est plus viste :
De demeurer aussi,
Le sejour en ce lieu
N’est pas peu dangereux :
Ah fascheuse rencontre !

 Sat. Quel bon demon conduit icy mes pas
Où je te vois Fossinde,
Fossinde que j’adore,
Fossinde de mon cœur
Le plus ardent desir ?
 Il faut bien que ce jour
Marqué de blanc me soit sainct & sacré,
Et que le souvenir à jamais m’en demeure.

 Foss. Il parle doucement,
Il faut que je m’essaye
Avecque la douceur
De tromper ses desseins :
 Car tromper le trompeur
Avec son artifice,
C’est un effect propre de la Justice.

 Sat. Tu parles seule, & tu ne responds point
A cét amant qui n’ayme que tes yeux,
Qui consumé par eux,
Comme au Soleil ardent
L’on voit fondre la neige,
Et tu ne l’aymes point ?
 Mais comment se peut-il
Que tu brules mon cœur,
Et geles de froideur ?
 Car si, comme l’on dit,
Nul ne sçauroit donner
Ce qu’il n’a pas, ô Dieu ! comment, Fossinde,
Me peux-tu bien donner
Une si grande amour,
Puisque tu n’en as point ?

 Foss. Ah ! je n’en ay que trop.
 Sat. Sont-ce pas des miracles
Et d’amour & de toy ?
D’amour qui m’a peu vaincre,
Moy qui suis invincible,
Et de toy belle à qui j’offre mon cœur,
Et de qui l’œil cruel
Estant vainqueur ne daigne estre vainqueur ?
Je ne suis pas, ô Nymphe impitoyable,
A dédaigner comme tu peux penser,
Et quelquefois si tu tournes les yeux
Sur mon affection,
Et sur ce que je vaux,
Je ne croy pas qu’enfin ton jugement
Ne soit en ma faveur.

 Foss. O le beau serviteur !
Jamais de ton merite,
Gentil Satire, & croy qu’il est ainsi,
Je n’ay douté, ny de l’affection
Que tu m’as fait paroistre ;
Mais seulement, vois-tu, je le confesse,
L’erreur commune où mes compagnes sont
De fuyr les Satyres,
Est cause que comme elles
Aussi je t’ay fuy.

 Sat. Tes compagnes, Fossinde,
Sont des petites folles,
Qui ne sçavent cognoistre
Ceux qui valent le mieux,
Qui ne vont estimant
Le prix de toute chose
Qu’à leur opinion.
 Mais si comme elles doivent,
Sans s’arrester à quelques apparences
De ces delicatesses
Qui ne sont plus en nous,
Elles vouloient juger de nos merites ;
Croy moy, Fossinde, elles nous aymeroient
Autant qu’elles nous fuyent,
Ces delicates filles,
Ces jeunes affettées,
Qui ne sçavent encore
Que c’est que vivre, & se vont figurant
D’estre les plus prudentes
Et les plus entenduës,
De toute la contrée.
 Mais toy, Fossinde, en qui le Ciel a mis
Non seulement la beauté du visage,
Mais de l’esprit les qualitez plus belles,
Sois juge de ma cause,
Et voy si j’ay raison
De les dire ignorantes,
Alors qu’elles choisissent
Ces petits pastoureaux,
Qui semblent à des filles
En garçons revestuës,
Et s’en vont nous fuyant,
Non pour autre raison,
Tu le sçais bien, bergere,
Sinon dautant qu’on nous void au visage
Les signes tres-certains
D’un genereux courage,
Parce que nous avons
Des bras forts & nerveux,
Des rides sur le front,
Du poil par tout le corps,
Et que dessous nos pas
On void trembler la terre,
Ces petites fillettes,
Que vous nommez bergers,
Vous font entendre, ô Dieu quelle folie !
Que nous sommes grossiers,
Incapables d’amour,
Ou pour le moins de ses delicatesses.
 Que nous n’entendons pas
Comme il vous faut servir,
Et disent que l’Amour
Estant enfant n’ayme rien que l’enfance,
Estant petit n’ayme que la douceur,
Et qu’on ne void en nous
Que des choses contraires
Aux humeurs de l’Amour.
 Mais dites-moy, sont-ce des jeux d’enfans,
Ah petites follettes !
Que les jeux dont Amour
Enseigne les leçons ?
Ce sont des jeux d’enfans
Ceux que l’on void que la nourrice fait
Avecque le petit,
Qu’elle tient attaché
Au bout de son tetin.
 Ce sont des jeux d’enfans
De joüer aux épingles,
De joüer aux noisettes
Au jeu de la fossette :
Mais croyez-moy, mes filles croyez-moy
Ce n’est pas jeu d’enfant
Que celuy de l’Amour.
 Amour enseigne bien
Un plus beau jeu que celuy des enfans,
Ne vous y trompez pas ;
Et si vous le sçaviez
Vous diriez avec moy
Que ces jeunes puceaux,
Ces tendres jouvenceaux,
Ces petites fillettes,
Et j’entends vos bergers
Enjolivez comme des jeunes filles,
S’ils se veulent joüer
Qu’ils aillent au tetin,
Qu’ils caressent, s’ils veulent,
Comme au berceau les nourrices qu’ils ont,
Qu’ils joüent aux epingles,
Qu’ils joüent aux noysettes
Au jeu de la fossette,
Et qu’ils laissent aux hommes,
Aux hommes courageux,
Et tels comme nous sommes,
Le propre jeu des hommes.

 Foss. Je voy que tu dis vray,
Gentil Satire, & que par tes raisons
Mes compagnes ont tort :
Mais responds-moy, n’est-il pas vray qu’Amour
Se plaist en la beauté ?
Je veux de ceste sorte
L’entretenant pousser tousjours le temps ;
Qui sçait, quelqu’un viendra
Qui m’ostera des mains de ceste beste.

 Sat. En la beauté, dis-tu,
Je ne le nie pas ;
Mais que void-on en nous
Où la beauté ne soit tres-apparente ?

 Foss. La belle opinion !
 Sat. La taille droite & de belle hauteur,
Les jambes bien plantées,
L’estomach relevé,
La carrure bien faite ;
Que nous faut-il que doit avoir un homme ?

 Foss. Il est certain, mais que respondrons nous
A ceux qui nous diront,
Tout ainsi que des chevres
Ils ont les pieds fendus.

 Sat.Et la belle Venus
N’a-t’elle pas choisi
Pour son mary ce boiteux de Vulcan ?

 Foss. Mais si l’on te reproche
Que l’estomach que tu portes velu
Ressemble au bois touffu,
Où l’on ne void que des ronces picquantes,
Que leur respondras-tu ?

 Sat. Je leur diray que Mars
L’avoit fait tout de mesme,
Et toutesfois que la belle Cypris
Ne l’eust point à mespris.

 Foss. Et ceste barbe encore tant espaisse ?
 Sat. Telle l’avoit cét invincible Hercule,
Hercule le dompteur
Des monstres de la terre,
Et toutesfois Dejanire l’ayma.

 Foss. Et ces petites cornes ?
 Sat. Ah follastre bergere,
Et vous & vos compagnes
Les devez bien aymer,
Si chacun pour le moins
Ayme bien ce qu’il fait.

 Foss. Jamais, jamais, au moins que je le sçache,
Des cornes je ne fis.

 Sat. Ce que par le passé
Tu n’as pas fait encore,
A l’advenir tu les feras peut-estre,
Ne les desdaigne pas,
C’est quelquefois le meuble plus certain
Qui soit au mariage.
 Mais outre tout cela
Il ne faut pas, Fossinde,
Les cornes desdaigner,
La Lune est bien cornuë,
Et le mont de Lathmie
Est bien tesmoin qu’un jeune Endymion
Ne l’a pas desdaignée.
Bacchus eut bien des cornes,
Et toutesfois la belle Cadienne
Ne fut-elle pas sienne ?

 Foss. Il est vray, je l’advoüe,
Jusques icy mes compagnes & moy
Avons eu tort de ne vous aymer pas,
Puisque tant de beauté
Se void en vos visages.
 Et pource à l’advenir,
Satyre, je le veux,
Je veux que tu te nommes
Serviteur de Fossinde.

 Sat. Ah dés long-temps desja je le suis bien.
 Foss. Mais je dis serviteur
Que Fossinde aymera
Autant comme il merite.

 Sat. Mais dy que je desire.
 Foss. Autant que tu desires.
 Sat. O bien-heureux Satyre !
 Foss. Mais sois modeste, & ne me touche point.
 Sat. Doncques de ton amour
Donne moy quelque gage.

 Foss. Et qu’est-ce que tu veux,
Regarde bien ce que tu me demandes,
Car un amant se doit sur toute chose
Tousjours monstrer discret.

 Sat. Permets, belle bergere,
Qu’en te baisant je touche
Ton beau sein & ta bouche.

 Foss. Le delicat baiser ;
Cela ne se peut pas.

 Sat. Il se peut si tu veux,
Et rien que ton vouloir
Ne me peut retarder
Le bien que je desire.

 Foss. Non, Satyre, non, non,
Cela ne se peut pas,
Nous sommes ignorantes,
Nous autres jeunes filles,
Nous ne sçavons comment il faut baiser.

 Sat. Je te le veux apprendre,
Et si je ne veux rien
Pour ton apprentissage.

 Foss. Retire toy Satyre,
Ou bien je m’en iray :
Dieu ! nul ne viendra-t’il
Pour m’oster de ses mains ?

 Sat. Je prends bien à la course
Les chevreüils & les daims,
Ne t’atteindray-je pas ?

 Foss. Satyre laisse moy,
Ou de ce fer bien-tost je puniray
Ta lascheté.
Sat. Ce seroit bien plustost
Extreme lacheté,
Pour crainte de la mort,
De perdre le profit
D’une telle rencontre.

 Foss. Puisque la force est inutile icy
Recourons à l’astuce.

 Sat. Qu’est-ce que tu me dis ?
 Foss. J’ay dit, Satyre, & je le dis encore
Que je veux bien faire l’apprentissage
De ce que tu me dis :
Mais cognoissant l’extreme affection
Qui te transporte, & la tres-grande force
Que la nature a voulu mettre en toy,
Je l’advoüe, il est vray,
Je crains.
Sat. Et que crains-tu ?
 Foss. Je crains que transporté
De ceste amour trop grande,
Me tenant en tes bras,
Tu n’estreignes si fort
Ces liens amoureux,
Sans penser de le faire,
Que j’en estouffe.
Sat. Ah petite follastre,
Non, non, ne le crains pas.

 Foss. J’en ay peur toutesfois.
 Sat. Il est bien vray, bergere, que je t’ayme,
Et d’une amour extreme.

 Foss. Et que ta force est grande.
 Sat. Elle l’est, il est vray,
Plus qu’on ne sçauroit dire.

 Foss. N’ay-je donc pas raison
D’en avoir peur ?
Sat. Ne crains point, ma mignonne.
 Foss. Et quand je seray morte
Te faschera-t’il pas ?

 Sat. J’aymerois mieux la mort :
Mais pour si sotte crainte
Je ne veux pas aussi
Que nous perdions si belle occasion.

 Foss. Ny moy non plus, je te veux bien complaire :
Mais sçais-tu bien pour m’oster toute crainte
Ce qu’il nous faudroit faire ?

 Sat. Dy-le Fossinde. Foss. Il faudroit attacher
Tes fortes mains de sorte.
Qu’en ce transport où tu te trouveras
Tu ne me puisses nuire.

 Sat. Voy-tu, Fossinde, afin de t’asseurer
Je le veux bien, tiens, mes bras sont à toy,
Attache les ainsi qu’il te plaira.

 Foss. Je voy bien que tu m’aymes,
Aussi te veux-je aymer,
Gentil Satyre, ainsi qu’il te plaira,
Et pour plus de faveur,
Je veux que de mon arc
La corde nous prenions
Pour servir de liens.

 Sat. O doux liens combien vous tiens-je chers,
Estans noüez de la plus belle main
Qui fut jamais au monde.
Noüez, serrez autant qu’il vous plaira,
Desja d’autres liens
Bien plus forts que ceux cy
M’estreignent beaucoup mieux.

 Foss. Ces nœuds ne rompront pas,
Quelque force qu’il ayt.

 Sat. Encor que ces liens
Fussent beaucoup plus foibles,
Je ne les romprois pas :
Car jamais, ô Fossinde,
De ton vouloir je ne m’esloigneray :
Mais qu’est-ce que tu fais ?

 Foss. Je veux lier, Satyre,
Comme tes mains, tes jambes trop legeres ;
Car je crains que l’ardeur
De ton affection
Encor avec les jambes
Ne me fist quelque outrage.

 Sat. Qui le cœur m’a lié
Peut bien comme il voudra
Me lier tout le corps :
Fay donc ce que tu veux,
Et prends ce tesmoignage
De ton pouvoir sur moy,
Afin qu’à l’advenir
Tu ne redoutes plus
De ma force trop grande
L’extreme violence.
Or sus voila le Satyre lié
Ainsi comme il t’a pleu.
Or ma belle bergere
Il ne reste donc plus
Sinon que tu t’approches,
Pour prendre les leçons
Que je t’avois promises.

 Foss. Il n’est pas beau, Satyre, ce me semble,
De voir qu’une bergere,
Pour baiser son amant
S’en aille le chercher ;
C’est pourquoy je te prie
De t’en venir icy.

 Sat. Je le veux bien ; mais tu t’en fuys de moy.
 Foss. Non, non, je ne fuys pas,
Je me promene un peu ;
Et puis je te confesse
Que je me plais de te voir si leger.
 O comme il saute bien,
Tu sembles à ces pies
Qui vont de branche en branche
Sautant comme tu fais.
Or saute donc, Satyre,
Saute encore plus haut,
Un peu plus haut encore.

 Sat. Mais où vas-tu ? Foss. Je reviens, attends-moy.
 Sat. Elle s’en est allée,
Elle ne revient plus,
O trompeuse Fossinde,
O Fossinde perfide ;
Tu t’en vas donc, ô bergere cruelle,
Et te mocques de moy,
Apres avoir cogneu
L’extreme affection
Que je te porte ; & bien je suis appris
Je suis appris à jamais plus ne croire
Les feintes apparences
De ces trompeurs visages,
Qui ne portent aux yeux
Sinon toute douceur,
Et n’ont dedans le cœur
Que toute cruauté.
Soyez appris, Amans qui vous fiez
Aux discours de ces belles.
Dessous la belle fleur
Le serpent est caché,
Et sous ces beaux visages
Des perfides courages.



LE CHOEUR.



 Heureux hommes qui fustes
En ce temps où vous eustes
La nature pour loy, non pas pour tant de fruicts
De la terre produits,
Mais seulement heureux pour n’avoir eu le vice
D’execrable avarice.
 En saison tant heureuse
La bergere amoureuse
Au berger amoureux, sans nul déguisement,
Donnoit contentement ;
Et lors à toute amour, amour estoit renduë,
Non comme ores venduë.
 Ce fut toy vaine idole
Qui fis dans ton escole
Ce qui fut don d’Amour, & faveur de Cypris,
Vendre pour certain prix,
Et qu’en ces payemens l’amoureuse monnoye
Sans mise se renvoye.
 C’est toy vice execrable
Qui rends insatiable
En l’auare faim d’or le cœur de ce berger,
Et qu’il ne veut changer
Ny permettre qu’Aglante espouse Sylvanire,
Quoy qu’elle le desire.
 Mais si les sacrifices
Rendent les Dieux propices,
Et si prés du destin la raison fait sejour,
Nous verrons vaincre Amour :
Il vaincra, cét Amour, & de si belles ames
Il unira les flammes.

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ACTE TROISIESME.


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SCENE PREMIERE.



Hylas. Aglante.


Hylas.

 Enfin berger que te sçaurois-je dire ?
Ta Sylvanire est bien la plus ingrate
De toutes les bergeres ;
C’est la plus arrogante,
La plus mescognoissante
Qui fut jamais, ny qui jamais sera.
Voy-tu, berger, ne te figure point
Que quand toutes les femmes,
Mais je te dis les femmes, les plus femmes,
Ensemble seroient mises,
L’on en peust faire une femme plus femme
Que ceste Sylvanire.

 Agl. O Dieu que me dis-tu ?
 Hyl. Je te dis, mon amy,
La pure verité.
Si je voulois avec des flatteries
Te retenir tousjours en ton erreur,
Je te dirois que tu peux esperer
Qu’elle se changera :
Mais je ne veux qu’un Aglante que j’ayme,
Et que je tiens pour un autre moy-mesme,
Se paisse d’esperance,
D’esperance trompeuse,
Et d’esperance enfin,
Qui ne sera jamais
Qu’à son desadvantage.

 Agl. La rude main que la tienne, berger,
Pour penser une playe
Si sensible & cuisante.

 Hyl. La main trop pitoyable,
Le mal qu’on peut guerir
Rend souvent incurable.
Mais quoy ! berger, veux-tu que je te flate ?
Je le veux comme toy,
Mais apres ne te plains
Si tu te vois deceu :
Il m’est aysé de te feindre des fables,
Et de te les donner
Pour choses veritables.
 Il m’est aisé de dire
Que j’ay veu Sylvanire
Tressaillir d’aise & de contentement
Oyant le nom d’Aglante,
Que j’ay veu son bel œil
Comme un Soleil découvert de nuage,
Qu’un doux sousris a mignardé sa bouche,
Et que son cœur a rendu tesmoignage
Par des souspirs qu’il n’a peu retenir
De son amour trop forte.

 Agl. Ah trop heureux ! ah trop heureux berger.
 Hyl. Je te puis dire, Aglante,
Qu’apres tant de souspirs
D’une voix douce & tremblante d’amour
Elle m’a dit, Hylas
Asseure mon Aglante
Que je suis son amante.

 Agl. Quelle douce parole !
 Hyl. Qu’apres estant party
Elle accourut en me disant, Hylas,
Hylas, Hylas, escoute encor, Hylas ;
Et qu’estant prés de moy
Elle me dit avec un doux sousrire,
Dy luy que Sylvanire
N’ayme qu’Aglante, & qu’Aglante sera
Celuy que Sylvanire
A jamais aymera.

 Agl. O Dieux ! ô Dieux ! Hyl. Et pour luy rendre preuve
De ce que de ma part
Tu luy diras, porte luy, me dit-elle,
Ce nœud que je te donne,
Qu’il le prenne pour gage
De ce nœud gordien
Qui retient mon courage
Avec le sien.
Agl. Ah berger mon amy,
Que ne me donnes-tu
Ce cher present que ma belle m’envoye ?
Pourquoy retardes-tu
Un tel contentement
A ce berger qui t’ayme ?

 Hyl. Comment, Aglante, es-tu sorty du sens ?
Penses-tu que je l’aye,
Ce nœud que je te dis ;
Ny que ceste cruelle
M’ait tenu les discours,
Que je te fais ? ah desabuse toy,
Jamais elle n’en eut
La moindre intention.
Voyez, ô Dieux ! comme on croit aisément
Tout ce que l’on desire :
Je t’ay dit, ô berger,
Que si je le voulois,
Afin de te complaire,
Pour choses veritables
Je te dirois des fables.

 Agl. Il n’est doncques pas vray ?
 Hyl. Mais comment vray, berger ?
Ah tant s’en faut qu’elle ait eu quelque envie
D’user de ces paroles,
Qu’au contraire, vois-tu,
D’un propos desdaigneux,
Quand j’ay pense luy dire
L’amour que tu luy portes,
Elle en a fait risée,
Elle s’en est mocquée,
Comme si ton service
Et ton affection,
L’orgueilleuse qu’elle est,
Estoient trop peu de chose.
 Le cruel animal,
Le superbe animal,
Qu’une femme qui sçait
Qu’à quelqu’un elle plaist.

 Agl. Il n’est doncques pas vray ?
 Hyl. Il est certain, berger, qu’il n’est pas vray,
Et si certain, te dis-je,
Que jamais, mais jamais
Tu ne dois esperer
Que ce cœur glorieux,
Ceste ame outrecuidée,
Pour toy puisse changer.

 Agl. Ah pauvre & triste Aglante !
Que sera-ce de toy ?

 Hyl. Laisse, laisse les plaintes,
Et te souviens, berger,
Qu’il est honteux à l’homme de courage
De pleurer pour un mal
Auquel, s’il veut, il peut donner remede.

 Agl. Et quel remede, Hylas, y trouves-tu ?
 Hyl. Celuy de ta vertu.
Ressouviens-toy, berger,
Qu’Aglante est homme, & Sylvanire femme,
Et qu’homme, c’est à dire
Celuy qui doit la terre dominer,
Et que femme au contraire,
C’est à dire l’esclave
Des volontez de l’homme,
Et que ceste vertu
Qu’au cœur de l’homme a mise la nature,
Ne se doit pas sousmettre,
En renversant les loix,
Au pouvoir de la femme.

 Agl. Ah berger ! ah berger !
Si pour ma guerison
Tu n’as autre raison,
Je voy mon mal d’eternelle durée :
Car tant s’en faut
Que l’homme soit au monde
Pour commander, qu’au contraire tout homme
Qui se veut acquitter
Du nom d’homme qu’il porte,
Ne doit jamais penser,
Sinon qu’à la servir,
Sinon qu’à l’adorer,
La femme que tu dis,
Et pour qui nous devons,
Pour dignement la pouvoir bien nommer,
Inventer quelque nom
Digne de ses merites,
Celuy de femme estant peu digne d’elle,
Et qu’au defaut de quelqu’autre meilleur,
On peut dire Déesse,
Déesse vrayement
En ses perfections,
Déesse en ses beautez,
Déesse en ses vertus,
Déesse en fin que seulement aymer
Ce seroit profaner
D’irreverence une chose sacrée.
Mais que plustost on doit pour ne faillir
Adorer & servir,
Comme la vraye idée
Où toutes les vertus,
Où toutes les beautez,
Et les perfections
De la nature humaine
Sont en perfection.

 Hyl. Et telle est ta creance.
 Agl. Et telle est ma creance,
Et telle aussi doit estre
Celle de tous les hommes,
Sur lesquels la raison
Encore a quelque force.

 Hyl. L’homme que la nature
A rendu si puissant,
Ne doit-il avoir honte
De se sousmettre à quelqu’autre plus foible ?

 Agl. Si l’homme est le plus fort,
C’est pour luy faire entendre
Qu’il a la force afin de la servir,
Ceste femme plus foible :
Et ne vois-tu, berger,
Ceste mesme ordonnance
En toute la nature ?
Le cheval n’est-il pas
Beaucoup plus fort que l’homme ?
Et voudrois-tu que l’homme se sousmist
A porter le cheval ?
Et le bœuf n’est-il pas
Plus fort encor que l’homme ?
Et voudrois-tu que le bœuf pour cela
Mist l’homme à la charruë ?
 Non, non, berger, croy-moy,
Si l’homme a ceste force,
C’est pour le servir mieux,
Ainsi que je t’ay dit,
Ce cher present des cieux,
Ceste femme admirable,
Ceste femme adorable,
Si parmy les mortels
Quelque chose admirable,
Quelque chose adorable
Est digne des autels.

 Hyl. Que je te plains, Aglante,
D’avoir ceste pensée.

 Agl. Mais que je me plaindrois
Si j’avois eu jamais autre pensée.

 Hyl. Qu’il les faille adorer ?
 Agl. Qu’il les faille adorer.
 Hyl. Ces femmes imparfaites ?
 Agl. Ces femmes si bien faites.
 Hyl. Et nous sousmettre à elles ?
 Agl. Et nous sousmettre à elles.
 Hyl. Quoy qu’elles soient cruelles ?
 Agl. Cruelles comme belles.
 Hyl. O pauvre Aglante, ou plustost pauvre Adraste,
Adraste le plus fol
D’entre les plus grands fous !
Apprends de moy cecy,
La femme plus modeste
Est un fier animal,
Qui tant plus est aymé
Et tant plus fait de mal.

 Agl. Au contraire la femme
Est un bien si parfait,
Que plus on l’ayme & plus aymable elle est.

 Hyl. Tu la veux donc aymer
Quoy que j’en sçache dire.

 Agl. Mon vouloir n’est-il pas
Du tout à Sylvanire ?

 Hyl. Mais elle ne veut pas
Que tu l’aymes, berger.

 Agl. Mon cœur est immuable,
Il ne sçauroit changer.

 Hyl. Tu ne veux doncques point
Faire ce qu’elle veut.

 Agl. Voudroit-elle d’Aglante
Plus qu’Aglante ne peut ?
Tu perds le temps, tu travailles en vain,
Hylas, asseure-toy
Qu’amour n’est pas semblable à la chemise
Qu’on peut laisser pour en vestir un autre,
Et toutesfois semblable à la chemise
Peut-estre est-elle bien ;
Mais à celle, berger,
Dont la derniere fois
Hercule se vestit,
Et de qui sans mourir
Il ne peût se deffaire.
 Amour dedans un cœur
Vient volontairement,
Mais par la volonté
D’un cœur fidelle il ne sort nullement.

 Hyl. Ah miserable Aglante !
 Agl. Mais bien heureux Aglante !
 Hyl. N’est-tu pas malheureux
D’aymer sans estre aymé ?

 Agl. Mais bien-heureux Phœnix
Aux rayons d’un Soleil
Je me vois consumé.

 Hyl. Et quand tu seras mort
Que servira ta flame ?

 Agl. Je la conserveray
Tousjours dedans mon ame.

 Hyl. Te voila bien, tiens-toy bien chaud, Aglante,
 Agl. J’auray l’ame contente.
 Hyl. S’il est ainsi de peu tu te contentes :
Comment, berger, perdre l’aage & la peine,
Tant de souspirs, tant de pleurs espandus,
Tant de soins employez,
Et vainement pour une fille ingrate ?
Et puis, ô Dieux ! pour toute recompense
Il te suffit d’en avoir au cercueil
La vaine souvenance :
J’aymerois mieux en perdre tellement
Tous les ressouvenirs,
Que je n’eusse memoire,
Non seulement d’elle ou de ses rigueurs,
Mais de personne encore
Qui l’eust jamais cogneuë.

 Agl. J’aymerois mieux, Hylas,
Et cela te suffise,
N’avoir jamais esté
Du nombre des vivans,
Que si j’avois vescu
Sans avoir veu la belle Sylvanire.
 Et j’élirois plustost
N’avoir jamais rien veu,
Que si dés la mesme heure
Que mes yeux l’apperceurent
Mon cœur ne l’eust aymée.
 Et je voudrois plustost
N’avoir jamais aymé,
Et si je tiens l’amour
Tout le bon-heur du monde,
Que si l’ayant aymée,
Ceste belle cruelle,
Mon amour à jamais
Ne vivoit eternelle.

 Hyl. Qu’est-ce que tu pretends ?
 Agl. De la servir. Hyl. Mais servir sans loyer
C’est ce me semble une grande imprudence.

 Agl. Ce m’est un heur si grand
D’aymer ceste bergere,
Qu’Amour m’a surpayé
Me la faisant aymer :
Il ne la faut aymer, ceste belle cruelle,
Sinon que pour l’aymer,
Et pour payer le tribut que tout homme
Est oblige de rendre
A ses perfections,
Et non pour les faveurs
Qu’un amant comme toy
En pourroit desirer.
 Trop vile, Hylas, est ceste recompense
Pour mon affection,
A des amours vulgaires
Les faveurs ordinaires :
Mais à la mienne il faut
Quelque chose de plus,
Et ce plus, ô berger,
C’est aymer pour aymer.
L’amour est de l’amour
La seule recompense :
Et par ainsi, pour me la faire aymer,
Il me suffit qu’elle soit elle-mesme.

 Hyl. Or va berger,
Pour moy je te le quitte,
Je n’en dispute plus,
Je n’eusse jamais creu
Dedans l’esprit d’un homme
Une folie telle :
Ayme à ton gré, mais le tout sans envie,
Et ne crains point que ce loyer d’Amour
Que tu prises si fort
Te soit jamais osté,
Sinon que la folie
Qui te tient abusé
Finisse par ta mort.


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SCENE II.



Hylas. Sylvanire.
Fossinde. Aglante.


Hylas.

 Mais la voicy
La belle Sylvanire,
La voicy ta Déesse,
Si tu n’as creu, berger, à mes paroles
Tu sçauras de sa bouche,
S’il n’est pas vray qu’elle soit une souche.

 Syl. Mon Dieu, ma sœur, tournons nos pas ailleurs.
 Foss. Est-ce un serpent que vous avez trouvé ?
Venez, venez, il n’est pas venimeux.

 Agl. O courtoise Fossinde,
Serpent se peut bien dire
Ce malheureux berger,
Si le serpent est hay de la femme,
Mais au rebours, serpent je ne suis pas,
Si le serpent est de nature froide,
Car je suis tout de feu :
Et s’il est vray qu’à certaine saison
Il despoüille sa peau,
Car je n’ay jamais peu
Me despoüiller de l’amour que je porte
A ceste belle & cruelle bergere,
Qui pour ne me voir pas
Ailleurs tourne ses pas.
Mais, belle Sylvanire,
Quelle raison vous peut faire en aller,
Si c’est pour me fuïr
Vous ne le sçauriez faire,
Car vous estes tousjours
Au milieu de mon cœur,
Et si vous ne pouvez
Fuïr si vistement,
Qu’Aglante ne vous suive
Encor plus promptement ;
Que si ce n’est du corps
Au moins de la pensée.
 Arrestez donc puisqu’il est impossible
Vous éloigner de moy :
Arrestez Sylvanire,
Pour voir au moins dans ce cœur que je porte
Les coups plus glorieux
Qui soient jamais procedez de vos yeux :
Quelquefois le vainqueur
Se plaist d’oüyr redire
L’histoire de ses faits,
Se plaist de voir les coups
Qu’en la chaleur du combat il donna.
 Et pourquoy mon vainqueur
Vous plaist-il pas de voir,
Puisque c’est vostre gloire
En moy vostre victoire ?

 Foss. Vrayment il sçait aymer.
 Hyl. Voyez la desdaigneuse,
Elle ne daigne pas
Tourner les yeux vers luy.

 Agl. Vous destournez ailleurs
Vos beaux yeux que j’adore,
Cruelle je voy bien,
Je le voy bien que vos yeux ne sont pas
Esgaux en cruauté
Au cœur que vous portez :
Car ils ne peuvent voir
Les profondes blessures
Dont vostre ame cruelle,
Ny vostre cœur aussi dur qu’un rocher
N’ont jamais eu pitié.
 Serez vous jamais lasse
De me voir tant souffrir ?

 Hyl. Le voila le bon heur
De ces amants fidelles.

 Foss. Mais toutes ne sont pas
D’une humeur si cruelle.

 Agl. Au moins avant ma mort
Faites moy ceste grace,
Qu’helas je puisse dire,
Je les vis sans rigueur
Un moment, ces beaux yeux,
Ces yeux de Sylvanire.

 Hyl. O belle recompense.
 Agl. Vous ne respondez point,
O ma belle bergere !
Dieu voulut que celuy
Qui m’a lié le cœur
Vous eust lié la langue.

 Syl. Que cherches-tu de moy ?
Aglante que veux-tu ?

 Agl. Amour ! amour ! Syl. Amour ; il ne se peut,
Amour & mon honneur ne peuvent estre ensemble.

 Foss. Amour & vostre honneur
Ne peuvent estre ensemble ;
Car l’amour & l’honneur
Ne sont pas ennemis
Sinon dans vostre cœur.

 Syl. Je veux bien que l’on croye
Que dans mon cœur l’amour
Ne peut faire sejour,
Pourveu que de l’honneur
L’on n’en soit point en doute.

 Hyl. Honneur vrayment humeur
Et pure opinion,
Un idole impuissant
Qui jamais ne se sent,
Une feinte chimere,
Dont aujourd’huy les filles
Se laissent abuser
Par leurs meres plus fines.

 Syl. Soit ainsi que tu dis,
Ce que je ne croy pas,
Qu’en puis-je-mais, Hylas ?
Je ne veux tant y a
Me faire d’autres loix,
Que les loix ordinaires
Que nous donnent nos meres.

 Hyl. Ta mere quelquefois,
Et n’en sois point en doute,
Fut jeune comme toy.

 Agl. Mais non pas aussi belle.
 Hyl. Peut-estre moins cruelle.
 Syl. Et qu’est-ce pour cela ?
 Hyl. Pour cela je veux dire
Que maintenant ta mere
Te porte envie, ô folle,
Et qu’elle ne veut pas
Que tu goustes les biens
Que l’âge luy dénie.
 Elle s’en ressouvient,
De ces biens que je dis,
Et sans cesse ils reviennent
Devant ses yeux, en te voyant si belle,
Et de chacun aymée,
Et l’envieuse en sa fille elle blasme
Ce qu’elle eut autrefois
De plus cher en son ame.

 Foss. Hylas tousjours est Hylas en effect.
 Agl. Non, non, belle bergere,
Et sage autant que belle,
N’escoutez point Hylas,
Vostre beauté fait que chacun vous ayme,
Vostre vertu doit en faire de mesme.
Je vous ayme, il est vray,
Plus que jamais amant
Autre beauté n’ayma :
Mais croyez-moy, j’aymerois mieux la mort
Que de voir, Sylvanire,
La moindre tache en vous,
L’amour que je vous porte
Parfaite en toute sorte
Ne demande sinon
Ce que l’honneur justement vous commande :
Mais cét honneur dont vous estes soigneuse
Comme vous le devez,
Ne vous y trompez pas,
N’est pas d’estre cruelle,
N’est pas d’estre insensible,
N’est pas d’estre une tigre,
N’est pas d’estre un rocher ;
Car autrement l’honneur & la nature
Se diroient ennemis.
Nature qui commande
D’aymer, non pas peut-estre
Comme l’on va disant,
Tous ceux belle bergere
Dont nous sommes aymez,
Mais tous ceux qui nous ayment
Comme l’on doit aymer,
Et cét honneur, ô sage Sylvanire,
Gist à ne faire rien
Qui puisse estre contraire
A la vertu dont cét honneur procede.
 Et par ainsi l’amour,
J’entends l’amour que le berger Aglante
A pour vous dans le cœur,
Naissant de la vertu,
Aussi bien que l’honneur
N’est pas son ennemy,
Mais son frere plustost.

 Hyl. Belle Philosophie.
 Agl. Et pour monstrer que cét amour est nay,
Et cét honneur tous deux de mesme mere,
Avez-vous jamais veu
En moy quelque action
De l’amour que je dis
Qui soit contraire aux loix de cét honneur ?

 Syl. Aglante il est bien vray,
Mais l’amour que tu dis
Est si semblable à l’autre,
Que bien souvent ils sont pris l’un pour l’autre.

 Agl. L’œil qui s’y trompe a bien mauvaise veuë.
 Syl. Je le veux croire ainsi
Pour ton contentement :
Ne sçais tu pas, Aglante,
Qu’entre nous il y a
De ces mauvaises veuës
Plus grande quantité,
Que non pas de bien bonnes ?
Ne sçais-tu pas que l’œil
De ces choses cachées
N’en void qu’autant que le soupçon le veut ?
Retien cecy de moy,
Puisque l’honneur gist en l’opinion,
Il ne faut pas donner occasion
De soupçonner chose que l’on ne voye :
Doncques n’en parlons plus,
N’en parlons plus, je ne veux point d’amour,
Je ne veux point de commerce avec luy,
Et quand ce ne seroit
Que ces amours ont un semblable nom,
Je ne veux point d’amour.

 Hyl. Le voila bien payé.
 Agl. O quelle cruauté,
Parce qu’on nomme amour du nom d’Amour
Elle rejette Amour.

 Foss. Puisque le nom vous fait hayr la chose,
Changeons ce nom d’Amour,
Nommons le d’autre sorte.

 Syl. Non ma sœur je ne veux
Ny l’effect ny le nom
De l’amour que vous dites ;
Au contraire je veux
Le fuïr, le hayr,
Et tous ceux qui le suivent
Comme fiers ennemis.

 Agl. Ennemy, Sylvanire,
Pouvez vous bien nommer
Celuy qui vous honore,
Celuy qui vous revere,
Celuy qui vous adore :
Et quels seront ceux-la
Que vous honnorerez
Du nom de vos amis,
Et de vos serviteurs ?

 Syl. Je donneray ce nom
De cruel ennemy
A tous les ennemis
De mon honnesteté.
 Crois-tu que je ne sçache
Que le miel est tousjours
Dans la bouche au trompeur,
Et le fiel dans le cœur ?
 N’en parlons plus, Aglante,
Mets ton cœur en repos,
Jamais je n’aymeray
Que qui j’espouseray.
 J’ay de ma mere appris
Qu’il faut vaincre en fuyant
Cét enfant de Cypris :
Fuyons le donc, berger,
Pour vaincre ce vainqueur.
 Et si tu ne veux pas
Le fuyr avec moy,
Ne trouve point estrange
Qu’avecque toy je ne le veuïlle suivre.

 Agl. O cruelle bergere !
Est-ce donc là toute ma recompense ?

 Hyl. Tantost, ce disoit il,
Il n’en demandoit point.

 Agl. Devois-je point attendre
D’une amour si fidelle
Une fin moins cruelle ?
Le ciel m’en vangera,
Le ciel qui n’ayme pas
La cruauté, ny l’injustice aussi.
Mais va, cruelle, va,
Va de toutes les ames
L’ame la plus sauvage,
Va la plus insensible
Qui fut jamais au monde,
Augmente ta rigueur,
Si tu le peux, par dessus ta beauté,
Tu ne feras jamais
Que ceste amour que dans le cœur je porte,
Jamais, jamais en sorte.

 Hyl. Ny toy tu ne feras
Par ta sotte constance,
Que jamais, que jamais
A te plaire elle pense.
Il est hors de luy mesme :
Mais pour dire le vray
Sylvanire est cruelle.
 Nous n’avions qu’un Adraste,
J’ay peur s’il continuë,
Comme j’ay desja dit,
Que bien-tost ils soient deux.
Mais je m’en vay le suivre
Pour essayer s’il se peut consoler.

 Syl. O quelle force il faut que je me fasse,
Nul ne le sçait que mon cœur seulement.


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SCENE III.



Menandre. Lerice.
Sylvanire. Fossinde.


Sylvanire.

 Mais Dieu voicy mon pere,
Quelle importune & fascheuse rencontre,
Je ne m’en puis aller
Sans qu’il s’en apperçoive.

 Men. Enfin, enfin peut-estre en quelque lieu
Elle se trouvera,
Ceste coureuse.
Ler. Il le faut pour certain,
Car nous l’avons cherchée
Par tout où par raison
Nous la pouvions trouver :
Mais la voila, Menandre.

 Men. Dieu soit loüé, je ne veux plus, Lerice,
Remettre ceste affaire,
Ny l’aller dilayant,
Je veux avoir sa resolution,
Et qu’elle parle clair,
Il faut qu’elle l’espouse,
Quoy qu’elle sçache dire.

 Ler. Je croy bien que jamais
Elle ne sortira
De vos commandemens.

 Men. Je l’entends bien ainsi,
Ou bien tost, ou bien tost,
Elle ressentira
La puissance d’un pere
Justement courroucé.
Il faut parler à elle :
Escoute Sylvanire ?

 Syl. Que vous plaist-il mon pere ?
 Men. Je veux que tu sois sage.
 Foss. Sage, Menandre, & ne l’est-elle pas ?
 Men. Je veux qu’à mon vouloir
Ton vouloir tu reduises,
Si tu fais autrement
Je te feray sentir
D’un pere le pouvoir.

 Foss. Jamais, sage Menandre,
La charge n’est bien faite
De qui le faix panche tout d’un costé.
 Il faut que Sylvanire,
Et c’est bien la raison,
Obeïsse à Menandre,
De son costé commande comme il faut.

 Men. Je veux, & je le veux,
Qu’elle espouse Theante,
Et de plus qu’elle l’ayme.

 Foss. Menandre tu peux bien
La donner à Theante,
Parce qu’elle est ta fille,
Mais faire qu’elle l’ayme
Tu ne sçaurois, & ne t’y trompe pas,
La volonté dont amour prend naissance
N’est point subjette à quelque autre puissance,
Mesme les Dieux, & prends exemple d’eux,
Laissent libre à chacun
Sa propre volonté.

 Men. Je ne croy pas, Fossinde,
Quoy que tu sçaches dire,
Que si ton pere Alcas,
Et ta mere Alderine,
Te proposoient Theante,
Ta resolution fust de le refuser :
Une fille bien née,
Une fille bien sage,
Comme tu sçais, doit tousjours se remettre
Au vouloir de son pere.
 Il est, croy-moy, presque plus excusable
A ton sexe, bergere,
De faillir, & de suivre
Le conseil de son pere,
Qu’il n’est pas honnorable
De faire bien, & suivre seulement
Sa propre opinion.

 Foss. Menandre, il est bien vray
Que j’élirois plustost
De n’estre pas, que de desobeyr
Mon pere ny ma mere,
Mais je sçay bien aussi
Qu’ils ne m’ordonneront
Jamais chose qu’ils sçachent
Que j’aye à contre cœur.

 Men. Chacun fait comme il veut
Des choses qui le touchent :
Pour moy je veux que Sylvanire espouse
Ce berger que je dis.
Mais tu ne responds point,
Peut-estre es-tu muette ;
Par le un peu Sylvanire ?

 Syl. Je ne suis pas muette,
Pardonnez-moy mon pere,
Mais comment respondray-je ?
Vous ne me dites rien.

 Men. Celuy, comme l’on dit,
Est le plus sourd, qui ne veut pas entendre :
Je te dis, Sylvanire,
Que Theante te veut,
Theante le plus riche
Des bergers de Lignon,
Que son pere desja
M’en a fait la demande,
Que ta mere y consent,
Que je te le commande,
Et qu’il ne tient qu’à toy
Que les liens d’un heureux hymenée
Tous deux ne vous estreignent
D’indissolubles nœuds :
Qu’est-ce que tu responds ?
N’as-tu point de parole ?
Tu te caches les yeux :
Et d’où vient ceste honte ?
Ne veux-tu point parler ?

 Ler. Est-ce ainsi, Sylvanire,
Quand quelqu’un parle à toy,
Mesme quand c’est ton pere,
Qu’il faut estre muette :
T’ay-je enseigné ceste civilité ?

 Syl. Pardonnez-moy, mon pere,
Et vous ma mere aussi,
Si je ne vous responds
Comme vous le voulez,
L’affection que je porte à tous deux,
Ainsi que la nature
Et mon devoir me tiennent obligée,
M’empesche la parole,
Et la voix me dérobe.

 Men. Pourquoy l’affection
Et le devoir, font-ils un tel effect ?

 Syl. Parce que je sçay bien
Que ceste servitude,
Qu’on nomme mariage,
Loin de tous deux à jamais me tiendra.

 Foss. Elle a raison. Men. Elle a raison, bergere ;
Mais tant s’en faut, si Theante la prend :
Des deux maisons je n’en veux faire qu’une.

 Ler. Non, non, mon cher enfant
Efface ceste doute,
C’est la premiere chose
Qu’on leur a protestée.

 Foss. L’amant promet, & promet ce qu’on veut
Pour obtenir la chose desirée,
Mais l’ayant obtenuë,
De toutes ses promesses
Il n’en tient qu’une seule,
Et c’est d’estre mary,
C’est à dire le maistre
Au langage commun
Des hommes de ce temps,
De tout le reste il n’en fait point de compte.

 Syl. O Dieux ! mon pere, & qu’est ce que j’ay fait,
Que vous veuillez, & vous ma mere aussi,
Vous deffaire de moy ?
Me chasser de chez vous ?
Me bannir de chez vous ?
Et me priver de l’heur de vostre veüe ?
Si je ne suis pas digne
De vivre auprés de vous
Avec le nom de fille,
Ah donnez moy celuy
De servante & d’esclave,
Tous noms me seront doux,
Toutes conditions
Me seront agreables,
Pourveu, mon pere, helas ! pourveu ma mere
Que je sois prés de vous,
Et que je puisse, ainsi que je le dois,
Jusqu’à ma mort vous servir l’un & l’autre.

 Ler. Elle me fend le cœur
Voyez le naturel
De cette pauvre fille.
 Mais penses-tu m’amie,
Penses-tu que ton pere,
Ny que ta mere aussi
Puissent t’aymer si peu,
Qu’ils veullent consentir
A ton esloignement ?
 Perds ceste opinion,
Et sois tres-asseurée
Qu’à jamais prés de nous
Sylvanire vivra.
 Et lors que du destin
Les parques eternelles
Finiront de nos jours
La derniere fusée :
 Ce sera toy, ma fille,
Ainsi les Dieux le veuïllent,
Qui nous rendras ce pitoyable office
De nous clorre les yeux.
 Mais resous toy d’obeir à ton pere,
Il te veut voir bientost mere d’enfans,
Le support agreable
De nos vieilles années.
 Il veut revivre en eux
D’une seconde vie,
Comme en toy, Sylvanire,
Desja nous revivons.
 Ouy, ouy, Menandre, il n’en faut point douter,
Sylvanire est trop sage,
Elle le veut, puis qu’il vous plaist ainsi.

 Syl. Ah ! ma mere pour Dieu
Ne me procurez point
Un desastre si grand.
 J’ay promis à Diane
De suivre dans les bois
Ses chastes exercices :
Et de fuyr d’hymen
Les impures delices.
 Je seray, s’il vous plaist,
Et s’il plaist à mon pere,
Ou Vestale ou Druyde,
Ou si mieux vous l’aymez,
Je suyvray dans les bois,
Avec le chœur des Nymphes,
Cette chaste Diane,
Comme je suis par mes vœux obligée,
Vous sçavez bien comme saincts & sacrez
Doivent estre les vœux.

 Men. Belle devotion,
Pour ne point obeir
A ce que je commande :
Ne sçais-tu point encore
Que par les loix les enfans ne sçauroient
Disposer d’eux sans le consentement
Du pere & de la mere ?

 Foss. Ces loix sont loix des hommes,
Les vœux sont faicts aux Dieux,
Où les loix des mortels
Ne peuvent arriver.

 Men. Ces loix dont je luy parle,
Quoy que faittes des hommes,
Sont aussi loix des Dieux ;
Ce sont loix de Nature,
Et la nature & Dieu
Sont une mesme chose.
 Mais je voy bien d’où procedent ces vœux :
Tu pretends, Sylvanire,
Dessoubs le voyle feinct
De cette pieté
Couvrir tes beaux desseins,
Et d’abuser les miens,
Pensant ainsi de rompre par souplesse,
Ou par longueur de temps
L’hymen que je desire :
Mais tu te trompes fort,
Je suis plus fin que toy,
Je voy jusqu’en ton cœur.

 Syl. Pleust à Dieu !
 Men. Les desseins que tu fais.
Que defaut-il à ce gentil Theante,
Que puisse avoir un berger accomply ?
 Et toutesfois, fille malavisée,
Theante te desplaist,
En voudrois-tu quelque autre
Ou plus noble, ou plus riche ?
 Mais je voy bien que c’est ;
Ces petitz affettez
Qui te vont muguettant,
De ta beauté t’ont conté des merveilles.
T’ont-ils pas dict que rien n’est de si beau
Que Sylvanire est belle ?
Que c’est un grand dommage
De la mettre si tost
Dans le tombeau d’hymen :
Car c’est ainsi qu’ils vont nommant entre eux,
Ces testes eventées,
Les saincts liens du sacré mariage ;
Qu’il faut que tes beautez
Long-temps soyent admirées,
Longuement soyent servies,
Et de tous adorées,
Avant que se sousmettre
A la severité
Des tyranniques loix
De quelque mariage,
Qu’il sera tousjours temps
D’entrer en servitude,
Que cependant il faut,
Puisque le ciel t’a voulu faire belle,
User de ta beauté,
Te faisant desirer
Par tous les cœurs
De ceux qui te verront.
 Voyla sans doute, ô folle, de tes vœux
La source & l’origine,
Tu veux estre servie,
Tu veux estre admirée
Par ces jeunes garsons,
Qui te vont abusant
De vaine flatterie :
Car tu sçais qu’un mary
Ne le souffriroit pas.
 Mais imprudente, imprudente & peu sage,
Si tu sçavois combien ceste beauté
Est peu de chose, & combien aysément
Elle se change en extréme laideur,
Tu dirois avec moy
Que c’est une folie,
Que celle qui t’abuse.
 La beauté c’est un verre
Qui reluit au Soleil ;
Mais aussi qui se casse
Au moindre coup qu’il a.
Au Soleil des beaux ans,
Et les beaux ans j’appelle
Les ans de la jeunesse :
Il est vray, la beauté
Cette bien quelque fleur ;
Et ceste fleur sans doute
S’admire en son printemps :
Mais combien aysément
Se flestrit-elle aussi ?
On void souvent que le mesme Soleil
Qui l’adoroit au point de son réueil
A son coucher la pleure.
Ces beaux cheveux qui recrespez & longs
Font par leurs filets d’or
Honte à l’or mesme, ô jeunesse imprudente,
Bien-tost, bien-tost, changeront en argent ;
Et tous ces rets où les cœurs sont surpris
Seront filets d’araigne
Sans force & sans puissance.
Ce front poly qui semble un laict caillé,
Dont la blancheur dispute avec le lys,
Bien-tost perdant l’esclat de ceste neige
Se ridera par autant de sillons
Que nos riches campagnes,
Lors que du coultre aigu
L’outrage elles ressentent :
Et ces yeux où l’Amour
Semble prendre les feux
Pour allumer ses flambeaux plus ardents,
Bien-tost changez par le cours des années,
Au lieu de feux n’auront plus que la cire
De ces mesmes flambeaux.
 O Dieu quel changement !
Car alors, Sylvanire,
Au lieu de ces ardeurs
Dont ces beaux yeux sont pleins,
Si beaux on les peut dire,
Faicts chassieux par l’usage du temps,
Ils ne produiront plus
Que de l’eau pour esteindre
L’embrasement qu’ils auront allumé.
 Mais ceste belle bouche
Où de rougeur, ainsi que l’on te dit,
Le corail est vaincu,
Où le desir quoy que l’on puisse faire,
Par les baisers n’est jamais contenté,
Bien-tost sera ternie,
Et bien-tost par les ans
Les rids mignards en seront dechassez,
Les baisers s’enfuiront,
Et les desirs mesme s’estonneront
De l’avoir desiré.
 Quelle croy-tu que deviendra ta joüe
Des roses & des lys
La beauté ternissant ?
Et ce beau teint l’honneur de ton visage ?
L’hyver bien-tost par les ans redoublé
De ceste fleur la beauté flestrira,
N’en doute point, & lors au lieu de fleur
Il ne t’en restera
Seulement que l’espine.
Ceste taille si droite
En arc se voutera,
Et la teste arrogante
Que tu vas élevant
Altiere & glorieuse,
Bien-tost, bien-tost, contre terre abaissée
Semblera de chercher
Ceste beauté perduë
Parmy la terre, & dés lors monstrera
Que toutes tes beautez
N’ont rien esté que poussiere & que terre,
Et que tu vas aussi
En terre les cherchant.
Dy-moy, dy-moy, peu prudente jeunesse,
Lors que tu seras telle,
Que te vaudra l’orgueilleuse beauté,
Qui te fait desdaigner,
Et mes commandemens,
Et le berger Theante
Avec tant d’avantages ?
 Responds, où t’en vas-tu ?
Où vas-tu Sylvanire ?
Voyez ceste arrogante,
Voyez ceste imprudente,
Voyez l’outrecuidée,
Elle s’en va sans respondre un seul mot.


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SCENE IV.



Fossinde. Menandre.
Lerice.


Fossinde.

 Jamais de tous les peres
Il n’en fut un plus cruel que le tien,
O pauvre Sylvanire.

 Men. Il est bon là, le battu ceste fois
L’amende payera :
Encore ay-je le tort.
O siecle dépravé !
O siecle monstrueux !
O siecle où la vertu
A perdu son credit !
Ou bien siecle plustost
Qui ne la cognois plus,
Ceste vertu que les enfans jadis
Estimoient tant, & qui faisoient aussi
Qu’ils estoient estimez
De ceux qui les voyoient
Observateurs des loix d’obeïssance.
 Qu’un enfant eust osé
Desobeyr, je ne dis pas au pere,
Mais au moindre de ceux
Sous qui l’âge & le sang
Les sousmettoit ; ô Dieu combien estrange
Chacun l’eust-il trouvé.
Je crois, ouy je le crois
Que par decret commun
De toute la contrée,
Il eust esté puny,
Il eust esté banny
Du commerce des hommes :
Et maintenant ce n’est que l’ordinaire
Desobeyr & son pere & sa mere,
C’est avoir de l’esprit,
C’est avoir du courage,
C’est, ce dit-on, avoir du sentiment :
O ciel ! ô terre ! ô Dieux je vous appelle,
Venez, voyez, jugez, & punissez,
Punissez la, grands Dieux,
Ceste malavisée,
D’une si grande faute.
 On dit que les enfans,
Ainsi du ciel l’ordonne la Justice,
Punissent bien souvent
Les desobeïssances
Que leurs peres ont faites
A leurs ayeuls, par des autres semblables.
Mais de moy je sçay bien
Qu’il ne m’advint jamais
D’avoir fait ceste faute,
Mesme de la pensée.
 Et toutefois vous l’ordonnez ainsi,
Vous l’ordonnez, ô grands Dieux ! que je sçache
Combien telle blessure
Est cuisante & sensible
Au pere qui l’endure ;
Que vostre volonté
Soit en tout accomplie :
Seulement je requiers
Avoir assez de force
Pour la bien supporter.
Mais bien, mais bien, & qu’elle s’en asseure,
Elle n’en rira pas,
Ceste peu sage fille,
Je luy feray sentir,
Et bien-tost, & bien-tost,
D’un pere le courroux :
Je dis d’un pere à qui toute raison
Donne l’authorité
De chastier une fille insolente.
 Tu ne l’eusses pas creu,
N’est-il pas vray, Lerice ?
Si tu ne l’eusses veu :
Tu me disois tousjours,
Pour certain nostre fille
Ne sortira jamais
Du respect qu’un enfant
Doit à son pere. Or dy-le maintenant,
Et sois sa caution
Comme tu soulois estre.

 Ler. Je la blasme à ceste heure
Aussi bien comme toy,
Ceste inconsiderée,
Je le confesse, elle m’a bien deceuë.

 Foss. Et moy je croy qu’elle n’a point de tort,
Et que c’est vous, vous Menandre & Lerice
Qui l’avez tout entier,
Et qu’elle seule en fait la penitence.

 Ler. Que nous avons le tort ?
 Foss. Que vous avez le tort.
 Men. Que Menandre a le tort ?
 Foss. Ouy toy plus que Lerice.
Et qu’a dit Sylvanire
Qu’avec raison quelqu’un puisse blasmer ?

 Men. Que n’a-t’elle pas dit ?
Que n’a-t’elle pas fait ?

 Foss. Elle a dit des paroles
Pour émouvoir des rochers insensibles :
Elle a pleuré, mais des pleurs qui pouvoient
Faire pleurer par la compassion
Et des ours & des tigres.

 Men. Elle s’en est allée ?
 Foss. Elle s’en est allée :
Mais pleine de respect
Elle a fait à tous deux
Une humble reverence
Avant que de partir.

 Men. Doncques, Fossinde, à ton opinion
On peut payer un pere & une mere
Par une reverence ?
Il faut qu’en ton pays
Il en soit ceste année
Une grande cherté
De telles reverences,
Puisque l’on paye ainsi
Les devoirs qui sont deus
Au pere & à la mere.

 Foss. Je voy bien qu’il est vray,
Quoy que jusques icy
J’aye eu peine à le croire.

 Men.Qu’est-ce que tu veux dire ?
 Foss. Je veux dire, Menandre,
Que le gentil Sylvandre,
Sylvandre ce berger
Qui de tous les bergers
Est estimé le plus sage & prudent,
Peu de jours sont passez
Disoit avec raison,
Qu’il s’estimoit le plus heureux berger
De toute la contrée,
En ce que tous l’estimoient malheureux.
 Car chacun, disoit-il,
Me croit infortuné
De ne cognoistre point
Mon pere ny ma mere.
Et certes il est vray
Que j’eusse bien voulu
Les cognoistre tous deux,
Afin de les servir
Comme les Dieux m’obligent.
 Mais que mon heur est grand,
Quand je vois au rebours
Des peres & des meres
L’humeur insupportable,
Qui traittent leurs enfans,
Non comme leurs enfans,
Mais comme leurs esclaves,
Ne leur demandant pas
Des devoirs, des respects,
Mais bien des servitudes.
Telles se peuvent dire
Les dures tyrannies,
Que souffrent les enfans
Sous le tiltre menteur
De ceste obeïssance
Que les peres demandent.
 Car responds-moy, Menandre, je te prie.
Qu’a commis Sylvanire,
Qui puisse ainsi te faire plaindre d’elle ?
T’a-t’elle respondu,
Avec peu de respect ?
N’a t’elle pas avecque patience
Enduré les injures
Qu’il t’a pleu de luy dire !

 Men. Que voulois-tu qu’elle fist davantage ?
Ne m’a-t’elle pas dit
Qu’elle ne vouloit point
De ce riche Theante ?

 Foss. Peut-estre qu’en son ame
Elle l’a bien pensé :
Mais de te l’avoir dit,
Menandre, tu te trompes,
Elle a bien dit vouloir suyure Diane,
Ou bien estre Druide,
Ou Vestale sacrée.

 Men. Mais je ne le veux pas.
 Foss. Et si les Dieux le veulent ?
 Men. Les Dieux ne veulent rien
Contre raison de nous.

 Foss. C’est raison qu’elle soit
A qui nous sommes tous.

 Men. Et toy voudrois-tu bien
Suivre Diane aussi ?

 Foss. Si pour pere j’avois
Un Menandre, je pense,
Je le dirois ainsi.

 Men. Que je t’estime au moins,
Fossinde, de le dire.

 Foss. Et pourquoy le disant,
Blasmes-tu Sylvanire ?

 Men. Sylvanire est ma fille,
En toy qu’ay-je à cognoistre ?

 Foss. Dieu me garde de l’estre,
Puisque par force il se faut marier
A celuy qu’à ton gré
Il te plaist de choisir.

 Men. Tu te choisiras donc
Toute seule un mary ?

 Foss. Mon pere comme toy
N’en sera pas marry.

 Men. Je ne sçaurois penser
Qu’Alcas le trouve bon,
Ny qu’il le doive faire :
Mais chacun toutesfois
Fasse ce qu’il luy plaist.

 Foss. Quoy ? que pour moy mon pere
En choisit un si laid ?

 Men. Pourveu qu’il eust du bien.
 Foss. Jamais, jamais, un mary pour le bien
Ne sera mien.
Men. Que faut-il d’avantage ?
 Foss. Qu’il ait un beau visage,
Et qu’il soit honeste homme.

 Men. L’homme jamais ne se peut dire laid,
Pourveu qu’il le soit moins
Qu’un demon ne l’est pas.

 Foss. Proverbe remarquable :
Pour moy je le veux beau,
Ou bien je n’en veux point,
Si je rencontre au milieu de la ruë
De ces visages faits
En despit des visages,
Et d’horreur & de peur
Ils me font tressaillir,
Et que ferois je, ô Dieux,
Si je les rencontrois
Dans un lict toute seule ?
Qu’on ne m’en parle point,
Pour moy j’ayme les beaux,
Et je voy que les hommes
Ayment aussi les belles.

 Ler. Et bien, Fossinde, estant ton humeur telle,
Quand on voudra te donner un mary,
Nous te le ferons faire
Expressément ; car comme tu le veux
Il ne s’en trouve point
Si l’on ne les commande.


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SCENE V.



Tirinte. Alciron.


Tirinte.

 Mais est-il bien possible
Que ce miroir ait si grande vertu ?

 Alc. N’en doute point, Tirinte,
Fay seulement qu’elle y jette les yeux,
Et tu verras un effect admirable.

 Tir. Quel effect fera-t’il ?
 Alc. Contente toy, berger,
Que tel sera l’effect
Que ton cœur le desire.

 Tir. Croy-tu qu’il puisse faire
Que Sylvanire m’ayme ?

 Alc. Que vas-tu recherchant ?
Contente toy que je la remettray
Entre tes mains, ceste belle cruelle.

 Tir.Du consentement d’elle.
 Alc. O la plaisante humeur !
Tirinte je te dis
Que si dans ce miroir
Sylvanire regarde,
Rien ne peut empescher
Qu’elle ne soit à toy :
Et n’es-tu pas content
Si tienne elle peut estre ?

 Tir. Je le suis pour certain.
 Alc. Mais escoute berger
Garde toy bien toy-mesme
D’y regarder dedans.
Tir. Est-ce un enchantement ?
 Alc. Je ne suis pas, Tirinte,
De ceux qui par leurs vers
Ensanglantent la Lune,
Ou qui de leurs regards
Les troupeaux ensorcellent :
Mais ce miroir de sorte est composé
De choses naturelles,
Que dés que Sylvanire
Les yeux y jettera,
Asseure toy que tienne elle sera :
Mais voy-tu bien de crainte qu’en quelque autre
Mesme effect il ne fasse
Ressouviens-toy, berger,
De l’oster de ses mains,
Sans qu’elle prenne garde,
Que ce soit à dessein :
Que si tu ne peux mieux
Fay semblant de le rompre,
Ou le romps en effect,
Quoy qu’il vaille beaucoup,
J’ayme mieux toutesfois
Qu’il te serve à ce coup,
Ainsi que tu desires,
Et qu’il se rompe apres t’avoir servy.
Que s’il t’advient, escoute bien, berger,
D’y regarder peut-estre par mesgarde :
Ne sois point paresseux
De me venir trouver,
Afin que je te donne
Le remede qu’il faut
Contre le mal qui t’en arriveroit.

 Tir. Que ne devray-je point
A mon cher Alciron,
Si par un tel moyen
J’obtiens le bien que mon ame desire ?

 Alc. Ayme moy seulement.
 Tir. Je t’aymeray, mais eternellement.
 Alc. Sur tout ressouviens-toy
De ne point t’estonner,
Pour chose que tu voyes :
Car je t’asseure, & cela sur ma vie
Que tout reussira
A ton contentement.


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SCENE VI.



Tirinte.


 Or cessez mes souspirs,
Tarissez vous mes pleurs,
Adieu tristes pensées,
Desespoirs qui souliez
Tousjours m’accompagner,
Je vous bannis de moy,
Vostre temps est passé,
Vous n’avez plus de commerce en mon ame,
Ny mon ame avec vous,
Trop longuement mon cœur vous a permis
De loger avec luy,
Le bon-heur maintenant
Occupe vostre place,
Et le destin se plaist mesme de voir
Que ma fidelité
Surmonte son pouvoir.
 Des grands Dieux je n’envie,
Ny le nectar, ny la douce ambrosie,
Ny de tous les humains
Le bon-heur le plus grand :
Rien de mortel ne sçauroit égaler,
Ny mesme la pensée,
L’heur que j’attends de cét heureux miroir.
 O cher miroir sois ministre fidelle,
Ne deçois point l’espoir que j’ay de toy ;
Et si les Dieux dans les cieux ont bien mis
Une balance, un navire, un autel,
Un dard, une couronne ;
Pourquoy miroir plus digne mille fois
D’estre mis dans les cieux
Ne t’y mettront-ils pas ?
Dés icy je consacre,
Si tu me fais ce bien,
Un sainct autel à ta divinité,
Et par raison ne te devray-je pas
Estimer comme un Dieu,
Si tu me fais le bien
Que tous les Dieux tant de fois invoquez,
Mais invoquez en vain,
Jamais ne m’ont peu faire ?
 Mais Dieu quelle fortune !
Tout rid à mon dessein,
Voicy venir la belle Sylvanire.
 O Deité qu’en ce miroir j’adore
Sois propice à mes vœux,
Desnoüe en moy la langue
Et luy serre le cœur.


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SCENE VII.



Sylvanire. Fossinde.
Tirinte.


Sylvanire.

 Faut-il tousjours que quelqu’un je rencontre
Qui trouble mon repos ?

 Foss. Ceste rencontre est peu desagreable,
Elle se peut souffrir
Sans danger de mourir.

 Syl. Je sçay fort bien, Fossinde,
Que ce n’est pas celle d’un basilic,
Pour le moins que sa veuë
Ne blesse ny ne tuë.

 Foss. Elle blesse, elle tuë,
Sylvanire, sa veuë,
Les cœurs le sçavent bien,
Et si ce n’est le tien
Pour cela ne crois pas
Qu’un autre ne l’espreuve.
Mais berger Dieu te garde.

 Tir. Dieu garde Sylvanire.
 Syl. Et toy gent il berger.
 Foss. Et moy, Tirinte, ô Dieux,
Ne dois-je point avoir
De part en ton salut ?

 Tir. Malaisément t’en puis-je faire part,
Puisque moy-mesme, helas,
Pour moy je ne l’ay pas.

 Foss. Si tu voulois, Tirinte,
Aymer celle qui t’ayme,
En me rendant heureuse
Ton heur seroit extreme.

 Tir. Vous belle Sylvanire,
Si vous vouliez aussi
Bien aymer qui vous ayme,
En me rendant heureux
Vostre heur seroit extreme.

 Syl. Tirinte je t’ay dit
Et mille & mille fois,
Mets fin à tes ennuis,
Car t’aymer je ne puis.

 Tir. Fossinde je t’ay dit
Et mille & mille fois,
Mets fin à tes ennuis,
Car t’aymer je ne puis.

 Foss. Tu ne me peux aymer,
O Tirinte cruel !

 Tir. Vous ne pouvez m’aymer,
Cruelle Sylvanire.

 Syl. Ce que j’ay dit, berger, te doit suffire.
 Tir. Ce que j’ay dit ne doit-il te suffire ?
 Foss. Mais quoy mon amitié ?
 Tir. Mais quoy mon amitié ?
 Syl. Quelqu’autre en ait pitié.
 Tir. Quelqu’autre en ait pitié.
 Foss. O cruelle parole !
 Tir. O cruelle parole !
 Syl. Que le ciel te console.
 Tir. Que le ciel te console.
 Foss. D’autre salut, berger,
N’en dois-je esperer point ?

 Tir. D’autre salut, bergere,
N’en dois-je esperer point ?

 Syl. Point.Tir.Point.Foss. ô cruauté !
 Tir.O cruauté ! Syl. Que veux-tu que j’y fasse,
Si telle est la disgrace
De ton cruel destin ?

 Tir. Que veux-tu que j’y fasse,
Si telle est la disgrace
De ton cruel destin ?

 Foss. Ce n’est pas le destin,
Mais c’est ta volonté
Qui t’endurcit en ceste cruauté.

 Tir. Ce n’est pas le destin,
Mais c’est ta cruauté
Qui t’endurcit en ceste cruauté.

 Syl. Non, non, croy-moy, Tirinte,
Ce n’est point cruauté
Qui me contraint d’en user de la sorte.

 Tir. C’est donc desdain. Syl. Ce n’est desdain non plus,
Je ne vois en Tirinte
Chose dont puisse naistre
Ny desdain ny mespris.

 Foss. Que ne me responds-tu
Pour le moins ces paroles,
Malicieuse Echo ?

 Tir. Laisse moy je te prie,
J’ay bien la teste ailleurs :
Mais, belle Sylvanire,
Est-il bien vray que desdain ny mespris
Pour mon subjet ne soit dans vostre cœur ?
Rendez m’en tesmoignage.

 Syl. Et quel le voudrois-tu ?
 Tir. Recevez, Sylvanire,
Mon cœur que je vous donne.

 Foss. Je le reçois. Tir. ô l’importune fille !
 Syl. Donne le luy, Tirinte.
 Foss. Elle dit bien, Tirinte,
Fay ce qu’elle te dit.

 Tir. Eh laisse moy, Fossinde,
Quelle mousche importune ?
Mais vous, belle bergere,
Voulez vous recevoir
Le cœur que je vous offre ?

 Syl. Tirinte je ne puis :
Une fille bien sage,
Au moins de mon humeur,
Se contente d’avoir
Puissance sur son cœur.

 Foss. Et bien, bien, Sylvanire,
Un jour, un jour, vous sçaurez que m’en dire.

 Syl. Lors comme alors, mais maintenant je suis
De l’humeur que je dis.

 Tir. Aussi je vous confesse
Que vainement je vous faisois cét offre :
Car dés long-temps
Je ne l’ay plus ce cœur,
Je le vous ay donné
Dés que je vous ay veuë ;
Et toutesfois, s’il est vray qu’un mespris
Ne soit point le subjet
Du refus que vous faites,
Recevez pour le moins
Ce fidelle miroir
Que je vous offre, il vous dira pour moy
De mon affection
La cause legitime,
En vous representant
Par une vraye image
La beauté qu’il verra,
Lors que vous le verrez.
Dieux ! vous le refusez.

 Syl. Je ne refuse pas
Ce que tu me presentes :
Mais je consulte en moy
Si je le puis sans blasme recevoir.

 Tir. Et pourquoy, Sylvanire,
Le refuseriez vous ?

 Syl. Les dons des ennemis
Sont suspects en tout temps.

 Tir. Je suis vostre ennemy ?
Je suis donc le mien mesme.

 Syl. L’amant est ennemy,
Si sans raison il ayme.

 Tir. Est-ce aymer sans raison
Qu’aymer vostre beauté ?

 Syl. Quel amant n’ayme point
Contre l’honnesteté ?

 Tir. Tirinte pour le moins.
 Syl. Ils disent tous ainsi :
Qui m’en sera tesmoin ?

 Tir. J’en demande du ciel,
Qui contient & void tout,
L’asseuré tesmoignage.
 J’appelle du Soleil
La lumiere eternelle,
Qui ne void seulement
L’univers tout entier ;
Mais sans qui l’on ne peut
Rien voir en l’univers.
 Je l’appelle à tesmoin,
Et tous les Dieux ensemble,
Ceux du ciel, ceux de l’air,
De la terre & de l’onde,
Et des abysmes creux
Où commande Pluton,
Qu’ils reprochent en moy
L’amour que je vous porte,
Et punissent mon cœur,
Si mon affection
Ne s’est tousjours tenuë
Dedans les loix du plus estroit honneur.

 Syl. Oh ! les Dieux ne punissent,
Comme on dit, les sermens
Des parjures amans :
Mais toutefois je croy ce que tu dis,
Et sous ceste asseurance
Tirinte je reçoy
Ce que tu me presentes :
Mais à condition
De ne le retenir
Qu’autant qu’il me plaira.

 Tir. Et moy, bergere, & tout ce qui de moy
Sera jamais, de vostre volonté
Receura l’ordonnance,
Sans s’y point opposer,
Horsmis mon cœur : mais celuy-la jamais
Ne vous éloignera,
Quoy que vous puissiez dire.
Heureux miroir, heureux je te puis dire,
Et plus heureux que celuy qui te donne
Au mystere d’amour,
Eleu par l’amour mesme :
Souviens-toy que je l’ayme,
Et l’en fay souvenir
Jusqu’à ce qu’elle sente
En sa propre personne,
Qu’amour jamais l’aymer
A l’aymé ne pardonne.

 Syl. Sans mentir il est beau,
Et je le croy plus fidelle peut-estre
Que n’estoit pas son maistre.
Mais qu’est-ce que je sens,
Je suis toute estourdie.

 Tir. O bon commencement !
 Foss. Je le veux voir aussi,
Donnez-le moy ma sœur.

 Tir. Non, belle Sylvanire,
Ne le luy donnez pas ;
Ce qu’aux Dieux on consacre,
D’une main si prophane
Ne doit estre touché.

 Foss. Voyez le desdaigneux :
Ce qu’aux Dieux on consacre,
D’une main si prophane
Ne doit estre touché :
Mais, discourtois berger,
Je le verray, quoy que tu sçaches faire.

 Tir. Tu ne le verras pas,
Quand je le devrois rompre.

 Syl. Tien, berger, ton miroir,
Je suis tant hors de moy
Que presque je ne sçay
En quel monde je suis.

 Foss. Donne le moy, berger,
Me veux-tu refuser
Le refus de quelque autre ?

 Tir. Importune bergere,
Cesseras-tu jamais ?
En cent pieces plustost,
Que de te le donner,
Sous les pieds je le foule.
Voyez ceste importune !


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SCENE VIII.



Fossinde.


 Doncques sera-t’il vray
Que je prie & supplie
Celuy qui me desdaigne,
Et qui plein de mespris,
Plus je le vay suivant,
Et plus s’enfuit de moy ?
Sera-t’il vray que par des vaines plaintes
De ce cruel j’esguise la rigueur ?
Et pourray-je souffrir
De me voir desdaignée
De celuy qu’on desdaigne ?
 De ce double mespris
Tirons, Fossinde, ah ! tirons un remede
Qui nous puisse guerir,
C’est honte de souffrir
Pour un amant qui souffre pour un autre,
Et qui quand il voudroit
Ne sçauroit estre nostre.
Rompons les donc, ces chaines trop honteuses,
Rompons les ces liens
Dont mon cœur fut estraint,
Et d’un libre courage
Sortons de ce servage :
Et disons en sortant,
 Inutile constance,
Honteuse patience,
Mon cœur est allegé.
 Adieu triste pensée
D’une amour insensée,
Je vous donne congé.
 Mais Dieu qu’il est aisé
D’avoir un tel dessein,
Et qu’il est malaisé
De le mettre en effect.
 Je pourray donc n’estre plus à Tirinte,
J’en desnouray les nœuds,
Ou bien je les rompray :
Mais comment peut-il estre,
Que sans estre à Tirinte
Fossinde je puisse estre ?


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SCENE IX.



Fossinde. Satyre.


Fossinde.

 Mais qu’est-ce qui me tient
O Dieux ! c’est le Satyre.
A l’ayde, à l’ayde, accourez mes compagnes ;
Bergers à l’ayde, helas secourez-moy !

 Sat. Crie & crie à ton gré,
Nous les verrons venir,
Ces filles desguisées
En tendres jouvenceaux :
Nous verrons leur courage,
Leur force & leur addresse :
Que s’ils te peuvent mettre
Hors de mes mains, ayme les plus que moy,
Tu n’auras point de tort.

 Foss. Gentil Satyre, honneur de ces forests ?
 Sat. Me suis-je pas en peu d’heure rendu
Gentil Satyre honneur de ces forests ?
Mais ce n’est que depuis
Que je te tiens liée.

 Foss. Destache moy, Satyre.
 Sat. Non, non, trompeuse, il faut que plus long-temps
Je sois gentil Satyre,
Honneur de ces forests.

 Foss. Destache moy, Satyre,
 Et croy qu’en liberté
Je te feray paroistre
L’amour que je te porte.

 Sat. Je ne veux pas, je ne veux pas, finette,
De l’amour que tu dis
Avoir plus d’asseurance
Que celle que j’en ay,
Je sçay bien que tu m’aymes
Comme l’aigneau le loup,
Je n’en suis point en doute.

 Foss. Satyre tu te trompes,
Je t’ayme, il est certain,
Pourquoy ne t’aymerois-je ?
Que peut-on voir en toy
Qui ne se doive aymer ?
Mais tu sçais que les filles
N’osent le plus souvent
Declarer leur amour.

 Sat. Puisqu’il est vray, Fossinde,
Que tu m’aymes si fort,
Et comme je le croy,
Tu dois estre bien aise
De venir avec moy
Dans l’antre où je demeure.

 Foss. Je le veux bien : mais destache ces nœuds.
 Sat. Les desnoüer, ô folle, il ne faut pas,
Car ton amour dépend
De cét enchantement.
 Je veux dire, Fossinde,
Qu’aussi-tost que ces nœuds
Se verront destachez,
Encores plus soudain
Se desnoüera l’amour que tu me portes.
 Mais c’est assez parler,
Allons, Fossinde, allons,
Si tu ne viens de bonne volonté
J’useray de la force,
Tu sçais bien si j’en ay.

 Foss. Moy te suivre brutal
Honte de la nature,
Qui ne tiens rien de l’homme
Qu’un peu de la figure ?
Ah j’ayme mieux la mort !
O bergers, au secours,
Au secours mes compagnes,
O Dieux secourez moy !

 Sat. Vains sont tous tes efforts
Et tes injures vaines,
En fin il faut venir.


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SCENE X.



Adraste. Fossinde.
Satyre.


Adraste.

 La femme, il est certain,
Ressemble au Medecin,
Elle en fait plus mourir
Par ses trompeurs appas
Qu’elle n’en guerit pas.

 Foss. Adraste, Adraste, Adraste ?
 Adr. Adraste, & qui l’appelle ?
 Sat. Appelle Adraste autant qu’il te plaira ;
Appelle encor Tirinte,
Pour t’oster de mes mains :
Autant vaut l’un que l’autre :
Allons, allons, te dis-je.

 Foss. Au secours, au secours,
Adraste voy Doris
Que Palemon emmeine.

 Adr. Que Palemon emmeine ?
Laisse-la Palemon,
Laisse-la ma Doris,
Tu l’as assez gardée :
En despit de l’amour,
Je la veux à mon tour :
Laisse-la ma Doris,
Elle est à moy, c’est mon chien qui l’apris.

 Sat. Adraste voy-tu pas
Que ce n’est pas Doris ?

 Foss. C’est Doris, voy-tu pas
Que Palemon l’emmeine ?

 Adr. O que c’est bien Doris ;
Tu me voudrois tromper,
Je la veux à mon tour,
Tu l’as assez gardée,
En despit de l’amour.

 Sat. Non, tu ne l’auras pas.
 Adr. Donc je ne l’auray pas ?
Tu la veux, je la veux,
Nous verrons qui des deux
Sera le maistre.

 Foss. Sois Hesus à mon ayde !
 Sat. O Dieux, ô Dieux, comme elle m’a surpris !
O la malicieuse,
Comme elle a pris son temps
Pour me croiser la jambe.

 Foss. O que Dieu soit loüé,
Me voila démeslée
Des mains de ceste beste.

 Sat. Ah je suis tout froissé !
Le meschant animal
Qu’une femme en effect,
Qui ne fait jamais mal,
Quand le despit l’esmeut,
Sinon quand elle peut.

 Foss. Tu ments, vilain Satyre,
Fils de cornu, cornard,
Et pere d’encorné.
 O le bel amoureux !
N’en a-t’il pas la mine ?
Il t’en faut donc des Nymphes ;
Il te faut des Fossindes ;
Il te faut une hart
Pour t’attacher au sommet de cét arbre.

 Sat. Va que jamais puisses-tu revenir.
O Dieu les bras ! ô Dieu la teste ! ô Dieu
La hanche, & tout le corps !

 Adr. O pauvre Palemon
L’amour te couste cher.
Il est tombé il le faut secourir :
Mais ô grands Dieux le vilain Palemon !
Dieux ! il est tout velu.
Dieux ! qu’est-il devenu ?
Ne sont-ce pas des cornes
Qu’il porte sur la teste ?
O ce sont bien des cornes,
Mais de parfaites cornes.
O Palemon, & qui l’eust jamais creu ?
Aussi-tost marié
Tout aussi-tost cornu ?
Mais Dieux ! quels sont tes pieds ?
Ce n’est donc pas assez
D’avoir au front des cornes bien plantées ;
Tu veux encor de plus
Avoir les pieds cornus,
Sont-ce du mariage
Les plus beaux advantages ?
 Si tous ceux qui s’espousent
En ont autant que toy,
Fi, fi, du mariage
Et de ses advantages,
Garde les Palemon
Je n’en veux point pour moy :
O Dieu le mariage
A fait d’un Palemon
Une beste sauvage.

 Sat. Le grand saut que j’ay pris,
Je ne puis plus marcher :
Que maudit soit la femme !
Que maudit soit l’Amour !
Maudit qui l’engendra,
Maudit qui l’allaitta,
Et maudit soit qui jamais le suivra.




LE CHOEUR.



 Les mortels sont tousjours en guerre,
Nul n’a repos dessus la terre :
Si la fortune est dans la Cour,
Dedans nos bois aussi nous trouble Amour.
 Dans les grandes Cours la fortune
Fait sa demeure plus commune,
Comme le foudre tournoyant
Les hautes tours va plustost foudroyant.
 Nous dans l’espais de nos bocages,
Bien qu’exempts de si grands orages,
D’amour nous ressentons les coups
Non moins cruels, quoy qu’ils semblent plus doux.
 Mais bien qu’autrement on le pense,
Amour plus aigrement offense
Ceux desquels il est le vainqueur ;
Car tous ses coups ne s’adressent qu’au cœur.
 Ainsi d’une guerre ordinaire
Ce que fortune ne peut faire,
Amour le fait plus finement,
Afin que nul ne vive sans tourment.

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ACTE QUATRIESME.



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SCENE PREMIERE.




Aglante. Tirinte.
Hylas.


Aglante.

 Tirinte il est certain
Que j’ayme & que j’adore
Une beauté, que rien du tout n’égale
En son extremité
Que ma fidelité.

 Tir. Celle de qui mon cœur
Honore le merite,
Aglante, est un Soleil,
Et je suis le Phœnix
En ma fidelité,
Qui brule à son bel œil.

 Hyl. Et moy j’en adore une
Faite comme la Lune,
C’est à dire inconstante,
Et si je m’en contente.

 Agl. Celle de qui les beaux yeux m’ont surpris,
Tirinte, en sa beauté
Est vrayment un Soleil :
Mais un Soleil, ô Dieux,
Si glorieux qu’il ne veut pas permettre
Que son Phœnix en mourant je puisse estre.

 Tir. Et celle que j’adore
Est si bien sans égale,
Qu’encore que ma foy
Et mon affection
Soient enfin parvenuës
A toute extremité,
Si sont-elles, Aglante,
Moindres que sa beauté.

 Hyl. La mienne est toute telle
Que la tienne, Tirinte,
Quoy qu’elle ne soit pas
Des plus belles du monde,
Parce que sa beauté
Est plus grande beaucoup
Que ma fidelité.
 Et telle que tu dis,
Aglante, qu’est la tienne,
Toute telle est la mienne ;
Car je ne puis, quoy que je sçache faire,
Estre son seul Phœnix,
Parce que la follastre
En veut tousjours pour le moins trois ou quatre.
Mais, Aglante, dy-moy,
Et dy-le aussi, Tirinte,
Dittes le moy tous deux
Quelles sont ces deux belles ?

 Agl. Tir. Belles. Hyl. Belles aux yeux
Qui comme vous les voyent.

 Agl. Qui la voit autrement,
Celle pour qui mon cœur
Est tout remply de flame,
Est bien aveugle, Hylas,
Et s’il ne le sçait pas.

 Tir. Qui diroit le Soleil
N’avoir point de lumiere,
On diroit par raison
Que son œil n’y void guiere ;
Mais de celle que j’ayme
Qui ne void la beauté
Extreme comme elle est,
On peut asseurément
Dire qu’extreme est son aveuglement.

 Hyl. Soit ainsi que vous dites,
Je m’en remets à vous,
Si tous deux vous croyez
A vos mesmes paroles :
Mais ce que je demande,
C’est de sçavoir enfin
Quel fut le traict
Dont amour se servit
Pour faire vos conquestes.

 Agl. Tir. Beau. Hyl. Beau vous l’avez dit,
Je ne demande pas
Si vous le trouvez beau :
Mais qui sont ces beaux yeux ?

 Agl. Hylas, c’est l’œil qui d’un clein de paupiere,
La haussant ou baissant,
Peut, s’il luy plaist, enflammer tous les cœurs
D’amour & de desir,
Quoy qu’ils eussent en eux
Tous les glaçons & les neiges plus froides,
Dont en tout temps blanchissent du mont d’or
Les sommets plus chenus,
Et les rochers plus nuds.

 Hyl. Dy-le plus clairement.
 Tir. C’est l’œil qui desarmant
Pour un moment sa beauté de desdain,
Peut desarmer l’ame la plus barbare,
Contre sa volonté,
De toute liberté.

 Hyl. Ce n’est encor assez.
 Agl. C’est l’œil, Hylas, c’est le bel œil qui peut,
Toutes les fois qu’il veut,
Escrire d’un seul traict
Dans le cœur des humains
Les loix plus rigoureuses,
Qui se puissent trouver
Dans le regne d’amour,
Sans qu’un seul cœur
Ose ou puisse esperer
De ravoir sa franchise
A telles loix sousmise.

 Hyl. Dy-le moy d’autre sorte.
 Tir. C’est l’œil, Hylas, c’est l’œil qui doucement
Brulant d’amour tout autre,
N’élance dans mon cœur
Que foudre & que rigueur.

 Hyl. Ny mesme encor ne le cognois-je pas,
Cét œil dont vous parlez.

 Agl. Si quand on dit, que la terre, ô berger,
De ce germe fecond
Qu’elle reçoit du ciel,
D’agreable parure
S’embellit de nouveau :
Si quand on dit, qu’Amour va rallumant
Au cœur de la nature
Ses flambeaux à moitié
Sous la neige assoupis
D’un rigoureux hyver :
 Si quand on dit, que mille fleurs nouvelles
Esmaillent à l’envy
Le beau sein de nos prez,
Et qu’on void par les champs
La douce tourterelle,
La simple colombelle,
Avecque leur compagnes
Redoubler leurs baisers,
Et monstrer le transport
Qu’Amour fait naistre en elles
D’un tremoussement d’aisles ;
 Et que tout amoureux
Le rossignol mignard
Vole de branche en branche,
De bocage en bocage,
Inuitant sa compagne
Par sa douce harmonie
A l’amour qui le lie,
Nous entendons sans doute le printemps :
Pourquoy de mesme aux effects que je dis,
Ne recognois-tu l’œil
Qui cause mon trespas ?

 Hyl. Je ne le cognois pas.
 Tir. Si quand on dit, que la terre alterée
Beante en mille lieux
D’extreme secheresse,
Desire l’eau pour alleger l’ardeur
Qui la seiche & la cuit :
 Si quand on dit, que le Dieu de Lignon
Découvre de son lict
En divers lieux les humides cachettes,
Faute de l’eau qu’un Soleil trop ardent
Luy seiche & luy consume ;
Nous entendons incontinent l’Esté :
Pourquoy de mesme aux effects que je dis,
Ne recognois-tu pas
Le bel œil que j’adore ?

 Hyl. Je ne le puis encore.
 Agl. Si quand on dit, que les fruicts sur la branche
Vont taunissant
Des feuïlles des poüillez,
Que nos fertiles champs
Où Ceres ondoyoit
Sur des espics dorez,
Veufs des riches moissons
Qu’ils avoient autresfois,
N’ont pour toute parure
De leurs sillons, que le chaume resté
Tesmoin des doux larcins
Du courbé moissonneur :
 Si quand on dit, que les dons de Bacchus
Rougissent sous le pampre,
Retortillé de cent plis l’un sur l’autre ;
L’on sçait que c’est l’Automne :
Pourquoy de mesme aux effects que je dis,
Ne recognois-tu l’œil
Dont la beauté me poingt ?

 Hyl. Je ne la cognois point.
 Tir. Si quand on dit, que les vents courroucez
L’un contre l’autre
Animent la fureur
D’un dangereux orage :
 Si quand on dit, que nos plaisants ruisseaux
Vont arrestant leur pas
Sous la croute endurcie
De leur crystal, pour avoir veu peut estre,
Non pas d’une Meduse,
Mais des froideurs le visage effroyable ;
Nous entendons l’Hyver :
Pourquoy de mesme aux effects que je dis,
Ne recognois-tu l’œil
Qui me met au cercueil ?

 Hyl. Or sus je le cognois,
Je le cognois enfin
Cét œil dont vous parlez,
C’est le bel œil de Stelle,
De Stelle la bergere,
De toutes les bergeres
Celle que j’ayme mieux.

 Agl. Nous amoureux de Stelle ?
 Tir. Elle n’est pas, ce me semble, assez belle.
 Hyl.C’est elle toutesfois,
Qui peut d’un seul clein d’œil
Me surprendre le cœur
Qu’elle retient encore.
 Et c’est elle qui peut
M’escrire avec cét œil
Les pures loix d’Amour
Dans le plus sain de l’ame ;
Ainsi faisant en moy
Les effects que vous dites,
N’ay-je raison de dire que c’est elle ?

 Agl. Tu te trompes, berger,
Non, non, ce n’est pas elle,
Stelle est belle, il est vray :
Mais combien s’en faut-il
Qu’elle n’arrive à la beauté de celle
Que j’adore en mon cœur ?
 Figure toy que toutes les beautez
Que la nature a faites,
Estant jointes ensemble,
Pour embellir un subjet de tout point,
Auprés de celle-cy
Resteroient imparfaites.

 Tir. Figure toy, berger,
Que celle que j’adore,
Comme un Soleil surpasse
Toutes autres clairtez,
Elle surpasse aussi toutes beautez.

 Hyl. Vous le dites ainsi :
Mais voyez vous, bergers,
J’en jurerois de mesme
De celle aussi que j’ayme :
Mais je dis tout autant
Que vous sçauriez tous deux
Jurer & rejurer,
Et parjurer encore :
 Je sçay bien toutesfois
Que vous n’en croyez rien,
Aussi ne fay je pas
De ce que vous me dites.
 Donc pour sçavoir qui de nous a raison
Prenons un juge, & ce qu’il en dira,
Soit banny de l’Amour
Qui ne l’advoüera.


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SCENE II.



Hylas. Aglante.
Tirinte. Fossinde.


Hylas.

 Tout à propos, bergers,
Ne voicy pas le juge qu’il nous faut ?

 Agl. Je la veux bien pour telle.
 Hyl. Et moy je la veux bien
Pour juge & pour maistresse,
Je n’en refuse point
Qui soient faites comme elle.

 Foss. Tirinte, & toy pour quelle me veux-tu ?
 Tir. Je ne te veux pour rien
Que pour une importune.

 Agl. Il semble que Tirinte,
Pour ne sortir du devoir de berger
Envers si belle fille,
Soit obligé de parler d’autre sorte.

 Tir. Aglante, te plaist-elle ?
 Agl. Elle me plaist comme elle me doit plaire.
Je veux dire, Tirinte,
Que sa beauté, sa vertu, son merite
Obligent tout berger
A l’honnorer, à l’aymer & servir.

 Tir. Or s’il est vray qu’elle te plaise tant,
Prends-la, je te la donne,
Et ne m’en parle plus.

 Hyl. Ouy-da je la prendray,
Et de bon cœur encore.

 Foss. Laisse, Hylas, laisse-moy,
Tu n’es pas pour Fossinde,
Ny Fossinde pour toy,
Stelle en appelleroit.
 Mais voyez je vous prie,
Voyez le desdaigneux,
Je suis son importune :
Aglante, ce dit-il,
Prends-la, je te la donne,
Et ne m’en parle plus.
 Ouy, ouy, je te la donne :
Comme si tu pouvois
Me donner à quelqu’un :
Et quel pouvoir crois-tu d’avoir, Tirinte,
Dessus Fossinde afin de la donner ?
Impertinent berger,
Penses-tu bien, peut-estre,
Que Fossinde soit tienne,
Ou qu’elle la veuïlle estre ?
Non desabuse-toy,
Personne n’eut jamais
Du pouvoir sur Fossinde,
Ny nul jamais l’aura
Qui ressemble à Tirinte.
Malgratieux berger,
Vrayment il est ioly
En ceste opinion :
Je suis son importune :
Prends-la, je te la donne :
Le liberal berger,
N’est-il pas bien plaisant
De donner de la sorte
Ce qui n’est pas à luy ?
 Attends, attends, Tirinte,
Attends à me donner
Lors que je seray tienne,
Et si jusques alors
Tu veux attendre à faire tes presens
Tu n’en feras jamais.
 Mais, Aglante, sçais-tu,
Sçais-tu point la raison,
Pourquoy Tirinte est si fort liberal
Envers Aglante, il faut que tu le sçaches,
C’est qu’il voudroit, le cauteleux qu’il est,
Le change te donner,
Pour estre seul à suivre Sylvanire :
Car il en meurt d’amour.
Mais sois certain, Aglante,
Qu’elle ne l’ayme point,
Et que si quelque chose
Elle a jamais aymée,
C’est Aglante sans plus.
 Or va, Tirinte, ayme bien Sylvanire,
Elle me vangera
De tes impertinences.


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SCENE III.



Le Messager. Aglante.
Tirinte. Hylas.


Messager.


 O Dieu quelle pitié !
Quelle compassion !

 Agl.Qu’est-ce qu’a ce berger ?
 Mess.Voir ceste belle fille
En cét estat ; car c’est bien la plus belle,
La plus discrette,
Et pleine de merite
Qui soit en la contrée.

 Agl.Qu’est-ce qu’il dit de belle ?
 Mess.Mais voir son pere & sa mere affligez
Comme je les ay veus,
Je confesse pour moy
Que je n’en ay ny le cœur ny la force.
O Dieux ! ô Dieux quelle extreme pitié !

 Tir.Mais de qui parle-t’il ?
 Agl.De Sylvanire, il n’en faut point douter,
Et le cœur me le dit :
Hylas sçaches-le un peu,
Je n’ay pas le courage
De le luy demander.

 Hyl.S’il ne parloit & de pere & de mere,
J’aurois opinion
Que ce seroit de Stelle,
Comme estant la plus belle.

 Mess.Mais ils ont bien raison,
Ce pere & cette mere,
De plaindre & de pleurer.

 Tir.Gentil berger, Pan te soit favorable.
D’où procedent tes plaintes ?

 Mess.Quand mes plaintes seroient
Plus grandes mille fois
Qu’elles ne le sont pas,
Encor ne sçauroient-elles
Atteindre à la grandeur
Du subjet que j’en ay,
Ou bien pour dire mieux
Que nous en avons tous.

 Agl.Que nous en avons tous ?
 Mess.Que nous en avons tous ?
Car la perte est commune
A toute la contrée ;
Et par ainsi la plainte
En doit estre commune :
Car sçachez, ô berger !
Sçachez que Sylvanire.

 Agl.Ah ne l’ay-je pas dit ?
 Mess.L’honneur de ces forests,
Où la beauté s’admire,
Où la vertu s’estime,
Où la perfection
Est en perfection,
Est proche du trespas,
Si morte elle n’est pas.

 Agl.Ah ! Sylvanire est morte,
Et toy tu vis encore,
O miserable Aglante ?

 Mess.Elle n’estoit pas morte
Quand la compassion
M’a contraint de partir :
Mais je croy qu’à ceste heure
Elle est morte sans doute :
Ces roses & ces lis,
La beauté de sa jouë,
Estoient desja tous pasles & ternis,
Et le corail vivant
De ceste belle bouche
En neige estoit changé.
 Les feux qu’en ses beaux yeux
Elle souloit avoir,
Comme un Soleil couvert d’espaisse nuë,
Avoient desja leur lumiere perduë,
Et par tout le visage
On ne voyoit qu’une pasleur mortelle :
Encor elle estoit belle.

 Tir.D’où procede son mal ?
 Mess.Personne ne le sçait :
Mais on croit toutesfois
Qu’elle est empoisonnée.

 Tir.Qu’elle est empoisonnée ?
 Mess.Chacun le dit ainsi.
 Agl.Or va, berger, & raconte par tout
Qu’Aglante ne vit plus,
Et qu’en sa mort, tout son plus grand martyre
C’est n’avoir d’un moment
Devancé Sylvanire.

 Mess.Secourez-le, bergers, car il esvanoüit.
Il aymoit Sylvanire :
Quelle force d’amour !
Et puis elles n’ont point
De pitié des amants,
Ces cruelles beautez ;
S’il n’a secours il est perdu sans doute,
Je vay querir de l’eau,
Criez luy cependant,
Mais criez fort, qu’elle est encore en vie,
Et que son pere & que sa mere aussi
La vont conduire au temple d’Esculape
Pour ravoir sa santé.
Eh ! laissez que je courre
Pour apporter de l’eau.

 Tir.Mais avant que partir,
Dy-moy je te supplie
Où Sylvanire estoit.

 Mess.Auprés du carrefour
Qu’on nomme de Mercure.

 Hyl.Laisse l’aller, Tirinte,
Le mal nous presse.
Tir.ô malheureux Tirinte !
O faux & desloyal !
Il en mourra le traistre,
Et mon cœur trop credule.


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SCENE IV.



Hylas.


 L’homme n’a point de bien
Du tout exempt du mal,
Et quant à moy,
De tous les animaux,
Je croy qu’il est le plus infortuné,
Et je le croy de sorte,
Que si des Dieux le plus puissant de tous
Me venoit dire, Hylas
Choisis des animaux,
Dont par l’experience
Tu cognois la nature,
Lequel de tous plustost tu voudrois estre,
Et par Styx je te jure
De te donner à ton élection
L’estre que tu voudras,
Je choisirois tous les autres plustost
Que celuy d’homme, estimant que de tous
C’est le plus miserable :
Car si nous voulons prendre
Celuy qui de chacun
Est nommé malheureux,
N’en cherchons point que l’asne,
La pauvre beste a le plus dur destin,
A ce qu’on dit, de tous les animaux,
Et semble n’estre nay
Que pour la peine & que pour le baston ;
Et toutesfois il n’a que les seuls maux
Qu’il a de sa nature :
Nous au contraire, outre ceux qu’en naissant
La nature nous donne,
De bien plus grands avec nostre imprudence
Nous-nous en imposons.
Si quelqu’un parle mal
Nous sommes en cholere :
Si quelque chien hurle à l’entour de nous,
Si le sel tombe alors que nous souppons,
Si nous esternuons
A de certaines heures,
Si nous voyons à gauche le croissant,
Si nous choppons au sortir d’une porte,
C’est un mauvais presage,
Et commençons dés lors
A ressentir le mal
Dont nous vont menaçant
Ces mal fondez augures.
 Mais ces opinions,
Mais ces ambitions,
Mais ces ardents desirs
Dont Amour nous consume,
Dieux ! que sont-ce autre chose
Que des maux adjoustez
Aux maux de la nature ?
 Et c’est pourquoy nul entre tous les hommes
N’a vescu, qui ne vit,
Ny ne vivra jamais,
Pour heureux qu’il puisse estre,
Du tout exempt du mal ;
Si bien que l’on peut dire
Avecque verité,
Qu’estre homme, c’est à dire,
N’estre jamais sans mal.
Que ce pauvre berger
Que je tiens en mes bras
En sçauroit bien que dire.
Pauvre berger, qui dés l’heure qu’il vid
L’ingrate Sylvanire,
N’a jamais eu que peine & que martyre.
 O folle & des humains
Inhumaine constance,
Quelle erreur insensée
Dedans le cœur de l’homme t’a produite,
Pour le combler entierement de maux ?
 N’estoit-ce pas assez
Qu’Aglante eust de l’amour,
Les espoirs impossibles,
Les desseins mal fondez,
Les desirs insensez,
Les tourmens inhumains,
Les passions ardentes ?
N’estoit-ce pas assez
Qu’il ressentist ensemble
Les feux d’amour, les glaces du dédain,
Les coups de la beauté
De ceste Sylvanire,
Et ceux de son empire ?
Sans que ceste folie,
Qu’on appelle constance,
Par des nœuds tyranniques
L’attachast à jamais
A ceste servitude,
Comme un Sisiphe au tourment de la rouë ?
 Or le voicy surpayé de ses peines,
Le voicy presque mort,
Et cét erreur est tellement encore
Dedans son cœur anchrée,
Que s’il revit sans doute il choisira
De remourir cent fois,
Cent & cent fois plustost,
Que de rompre les nœuds
Qui le font malheureux.


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SCENE V.



Menandre. Lerice. Hylas.
Sylvanire. Le Messager.
Aglante.


Menandre.

 Prends courage ma fille,
Allons jusques au temple
De ce grand Esculape.

 Syl.Ah ! mon pere je meurs.
 Ler.Soustenez-la, Menandre,
Pour moy je n’en puis plus.

 Syl.Helas ! je meurs, ma mere.
 Men.Or sus efforce toy,
Esculape sans doute
Te donnera ta premiere santé :
Allons au temple, allons.

 Syl.O Dieux ! je n’en puis plus.
 Mess.Enfin j’en ay trouvé,
Voicy de l’eau, berger,
Mais je ne sçay si ce n’est point trop tard.

 Hyl.Apporte, apporte viste,
Le cœur luy bat encore.

 Syl.Mais qu’est-ce que je voy ?
Eh ! n’est-ce point Aglante ?
C’est luy sans doute : ô le pauvre berger,
Qui l’a mis en ce poinct ?

 Hyl.C’est Sylvanire. Et toy, berger, apporte,
Donne moy l’eau, pour voir si nous pourrons
Rappeller ses esprits.

 Syl.C’est Sylvanire. & comment ce peut-il,
Que sans le vouloir faire
Je l’aye ainsi traitté ?

 Hyl.C’est le bruit de ta mort :
Mais, berger, je te prie
Jette luy bien de l’eau,
Cependant à l’oreille
Je m’en vay l’appeller.
Aglante, Aglante, ah prends courage Aglante,
Aglante, Aglante
. Syl.Il est mort pour certain,
Helas c’est grand dommage !
Mon pere, s’il vous plaist,
Laissez que je me baisse
Auprés de son oreille,
Ma voix peut-estre
Aura plus de vertu.

 Men.Je le veux bien, ma fille.
 Ler.Dieu qu’elle est charitable,
A moitié morte encore elle a pitié
Du mal d’autruy.
. Hyl.Mais voyez la finesse
Elle le baise : ingenieux Amour.

 Syl.Aglante, Aglante. Escoute Sylvanire,
Sylvanire t’appelle,
Responds à Sylvanire.

 Hyl.O puissance d’amour,
Au nom de Sylvanire
Voyez comme il revient.

 Syl.Courage, Aglante, ouvre les yeux, & voy
Que voicy Sylvanire.

 Agl.Quel Mercure puissant
Mon ame a rappellée
des champs Elysiens ?

 Hyl.Ce n’est pas un Mercure,
Regarde bien, Aglante,
C’est Sylvanire
. Agl.ô Dieux ! c’est Sylvanire,
Et je n’adore point
Encor ceste beauté
Qui m’a donné la vie ?

 Mess.Quel miracle d’amour !
A sa voix seulement
Il a repris la vie :
Si je ne l’eusse veu,
J’advoüe & je confesse,
Que je ne l’eusse creu.
Je m’en vay le conter
Aux bergers d’alentour,
Afin que plus encore
Chacun l’Amour honore.

 Hyl.J’en veux faire de mesme,
Avec toy je m’en vay,
Pour à chacun redire,
Toy la force d’amour,
Et moy de Sylvanire.


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SCENE VI.



Aglante. Sylvanire.
Menandre. Lerice.


Aglante.

 Dieux ! que ne dois-je pas
A ceste belle, & tres-belle bergere,
Pour m’avoir rappellé
De la mort à la vie ?

 Syl.Je n’ay rien fait pour toy
Que je ne deusse faire,
Chacun est obligé
De servir ton merite.
Mais ne vous plaist-il pas
Que nous aillons, mon pere,
Rendre nos vœux au temple d’Esculape ?

 Men.Allons ma fille, il est bien raisonnable
De le remercier
Du bien qu’il nous a fait,
Te redonnant ta premiere santé.

 Syl.Dieux ! qu’est-ce cy, Dieu qu’est-ce que je sens ?
Quel mal nouveau, & quelle defaillance
Me prend encore un coup ?
Ah ! ma mere je meurs.

 Ler.Mais que sera-ce enfin ?
Nous pensions que ton mal
Fust un peu soulagé,
Tout au contraire, au lieu d’allegement,
C’est un rengregement.
Mais, Aglante, ayde-nous :
Elle se meurt, ô Dieux !
Elle n’a plus de force.

 Agl.Quel estrange accident ?
 Men.Il ne faut plus esperer en sa vie.
 Ler.Ah mere desolée !
 Men.Ah pere, non plus pere,
Ou pere sans enfant !

 Agl.Mais falloit-il, helas !
Eh ! falloit-il qu’Aglante
Revint en vie, afin de voir mourir
Celle qui fut sa vie,
Pour remourir encore
D’une seconde & plus sensible mort ?

 Ler.Destin qui me ravis
Ce que jadis le ciel m’avoit donné,
Combien en me l’ostant
Me fais-tu plus de mal,
Qu’en l’octroyant on ne me fist de bien ?

 Agl.Il falloit donc qu’avec les mesmes yeux
Que j’avois veu tant de rares merveilles,
J’en visse, & j’en pleurasse
La déplorable perte.
 A quoy destins me reservez-vous plus ?
A quels malheurs m’ordonnez vous encore,
Pour rendre cét Aglante,
Des malheureux en somme,
Le plus malheureux homme ?

 Men.Ah chere fille ! ah fille que je n’ose
Appeller plus ma fille !
Ah chere Sylvanire !
Est-ce ainsi que le ciel
Trompe nos esperances ?
Est-ce ainsi qu’il luy plaist
Se mocquer des desseins
Des hommes malheureux ?
 Helas j’avois pensé,
Et non point sans raison
Je l’avois esperé,
Puisqu’aux loix de nature
Cét espoir se fondoit,
Qu’apres avoir esté
De mes foibles années
Le support charitable,
Lors que la mort finiroit ma journée
Tu me clorrois les yeux
Avec tes propres mains,
Et dedans le cercueil,
M’arrosant de tes larmes,
D’un doux baiser de fille,
Tu me dirois enfin,
Va t’en, va t’en, mon pere,
Va t’en en paix pour la derniere fois.
 Combien helas ! combien sont-ils changez,
Par un destin contraire,
Tous ces justes desseins,
Puis qu’il faut que ton pere
Te rende les devoirs
Qu’il esperoit de recevoir de toy.

 Agl.O ciel ! que la douleur
Me contraint de nommer
Injuste, ou bien aveugle :
Injuste en m’éloignant
De celle à qui le destin m’a donné ;
Aueugle en me voyant,
Qu’aussi bien je ne puis
Vivre éloigné de celle
Pour qui je vis, & pour qui je veux vivre ;
Que penses-tu de faire ?
Quoy ? me tenir en vie
Et luy donner la mort ?
Ah ! nul vivre ne peut,
Lors qu’il n’a point de cœur,
Et tu me le ravis
Ravissant Sylvanire.

 Ler.Sera-t’il doncques vray,
O mon tres-cher enfant,
Que tu nous sois ostée,
Sans avoir le loisir
De nous dire un adieu ?
 Ah ! ne le souffrez pas,
Destins rendez-la moy,
Rendez la moy, ma chere Sylvanire.

 Agl.Que si le ciel veut avoir pour rançon
De quelque autre la vie,
Reçoy, Destin, la mienne, je te prie.

 Men.Mais la mienne plustost,
La mienne surannée.

 Agl.Mais la mienne desja
Parvenuë à tel point,
Que quoy qu’à l’advenir
S’avance mon trespas,
Je ne puis perdre, au malheur où je suis,
Pour chaque jour que des siecles d’ennuis.

 Ler.O Sylvanire ? Agl. O belle Sylvanire ?
 Men.Sylvanire, ma fille ?
 Agl.Ah Sylvanire ! helas n’oyez vous point ?
Oyez Lerice, oyez Menandre aussi,
Oyez, oyez Aglante,
Aglante oyez, Aglante.

 Men.O Dieux ! elle revient.
 Agl.Elle revient, ô Dieux !
 Ler.Sois à nostre ayde, ô puissant Esculape.
 Agl.Courage, Sylvanire,
Ouvrez les yeux, & voyez qu’en vivant
Vous donnez vie à quatre.

 Men.Prends courage, ma fille.
 Ler.Voy la douleur amere
Que pour toy souffre, & ton pere & ta mere.

 Syl.O puissants Dieux, qui tenez en vos mains
Les jours comptez de nostre fresle vie,
Permettez m’en autant
Qu’il m’en faut seulement
Pour descharger mon cœur
D’un blasme qui l’oppresse.
 Seichez vos pleurs, mon pere, je vous prie,
Et vous ma mere aussi,
Souvenez vous que les Dieux ne font rien
Sinon pour nostre bien,
Et s’il leur plaist de mes tendres années
Achever ma journée,
Ils le font pour mon mieux,
Pour éviter, peut-estre,
Ou pour vous, ou pour moy,
Quelque plus grand malheur.

 Ler.Mais quel malheur plus grand ?
 Men.Où s’en peut-il trouver ?
 Agl.Ah le ciel n’en a point !
 Syl.Le ciel, Aglante, a tout ce qu’il luy plaist,
Et souvien toy qu’il peut tout dessus nous,
Car il est tout puissant,
Et qu’il fait tousjours bien,
Parce qu’il est tout bon :
Je vous conjure donc
Que je ne sois point cause
Qu’il jette dessus vous
Les traicts de son courroux,
O mon pere & ma mere :
Que s’il vous oste à ceste heure une fille,
Il peut, s’il veut, égaler vos enfans
Au nombre des cheveux
Qui sont sur vostre teste,
Encor qu’il semble bien
Que vos vieilles années
Y puissent contredire :
Mais au grand Dieu tout est facile à faire.
Seichez doncques vos pleurs,
Je vous supplie encore,
Et croyez que je parts
Du nombre des vivants,
Sans emporter nul regret de ma vie.
Deux choses seulement
Me pressent, je l’advoüe :
L’une de n’avoir peu
Jusqu’icy satisfaire
A ce que je vous dois,
O mon pere & ma mere :
Mais recevez ma bonne volonté.

 Ler.Dieu quel bon naturel !
 Men.Ta volonté, ma fille,
Nous est tant agreable,
Que nous la recevons
Pour plus encor que tu ne nous dois pas.

 Syl.Le ciel en soit loüé,
Et ceste amour de pere
Qu’outre tous mes merites
Le ciel a mise en vous :
Mais oseray-je à la fin de ma vie,
Car je sens bien qu’elle me va laisser,
Oseray-je mon pere,
Oseray-je ma mere,
Avec vostre congé,
Avant que de partir,
Me descharger de cét autre fardeau
Qui me presse & m’oppresse ?

 Ler.Ton pere le veut bien.
 Syl.Le voulez vous mon pere ?
 Men.Je le veux, Sylvanire,
Et dy & fay tout ce que tu voudras,
Je t’en remets tout le pouvoir que j’ay.

 Syl.Le ciel vous rende à tous deux le loyer
D’une telle bonté,
Puisqu’il ne m’est permis.
 L’ingratitude, à ce que bien souvent
Vous m’avez dit, mon pere,
Est un faix si pesant,
Que la terre sur qui
Tout l’univers s’appuye,
Sans se lasser ne la peut supporter,
Et c’est pourquoy surchargée en mon ame
D’une faix tant malaisé,
Puisque tous deux vous me le permettez,
Je m’en deschargeray.
 Voyez vous ce berger,
Dont le visage est tout couvert de pleurs,
Sçachez mon pere, & vous ma mere aussi,
Que quatre ans sont passez
Qu’il ayme Sylvanire,
Mais d’une telle amour
Que je puis dire en quatre ans qu’elle dure
N’avoir jamais remarqué chose en luy,
Ny dans ses actions,
Ny parmy ses paroles,
Dont une honneste fille
Se peust croire offensée.
 Or les Dieux soient tesmoins,
Il le sçait bien luy-mesme,
Si durant ces quatre ans
Jamais mes actions,
Ny jamais mes paroles,
Ont rendu cognoissance,
Ny que je recogneusse,
Ny que j’eusse agreable,
Ceste amour estimable.
 Mais ne croy pas, Aglante,
Que nul mespris en ait esté la cause,
Je sçay que tu vaux mieux
Que ce que tu recherches :
Le seul devoir d’une fille bien née
Me contraignoit d’en user de la sorte :
N’en doute point, Aglante,
Car encor que je sois
Dans ces bois d’ordinaire,
Je ne suis pas pourtant
Insensible comme eux :
Ta vertu, ton amour,
Et ta discretion
Firent sur moy le coup que tu voulois.
 O mort ! attends, attends encor un peu,
Que je puisse finir
Avant que tu finisses.
Mais sçachant bien que mon pere & ma mere
Faisoient dessein de m’allier ailleurs,
Je fis dessein aussi
De faire à ceste amour
Un tombeau de silence,
Voulant plustost mourir
Que de contrevenir
Au respect que je dois
A ceux qui m’ont fait naistre.
Mais maintenant que les Dieux ont voulu,
Les Dieux tous bons & sages,
Par ma fin advancée,
Tous les nœuds dénoüer,
Avant qu’estre noüez,
Du futur mariage,
Et que ceux qui sur moy
Ont tout pouvoir m’en donnent le congé :
Sçaches, amy, qu’amour jamais plus grande
Ne s’esprit dans un cœur,
Que celle que pour toy
Sylvanire a conceuë,
Et pour enfin partir
Du tout exempte & du tout deschargée
De ceste ingratitude,
Le voulez-vous tous deux ?

 Men.Nous le voulons ma fille.
 Syl.Helas, je n’en puis plus !
Tends-moy la main, Aglante,
Et la mienne reçois :
Si je n’ay peu vivre femme d’Aglante,
Je meurs femme d’Aglante :
Le veux-tu bien berger ?

 Agl.O Dieux ! si je le veux ?
 Syl.Et vous mon pere, & vous ma mere aussi,
Ne le voulez vous pas ?

 Men.Nous le voulons, ma fille.
A quoy sert-il de le luy refuser,
Aussi bien elle est morte.
Voicy le Dieu, Lerice,
Dont jadis Sylvanire
Vouloit estre Druyde,
Et servir les Autels.

 Syl.O Dieux ! je meurs ! mais je meurs bien contente
De mourir tienne, Aglante.

 Agl.Dieux ! elle est morte. Ler. Helas !
helas ! ma fille.

 Men.Elle est morte à ce coup.
 Agl.Elle est donc morte, ô Dieux !
Et moy je vis encore ?
Je vis encore, & j’ay devant mes yeux
La belle qui m’appelle,
Sans que j’aille apres elle ?

 Ler.O Dieux ! elle est bien morte.
 Agl.Ah Sylvanire ! helas est-il possible
Que tu me sois ravie,
Sans qu’on m’oste la vie ?
Faut-il que le moment
Que mienne il te pleût d’estre,
Ait esté le moment
Que mienne, helas ! tu ne puisses plus estre ?
Injuste ciel ! injuste destinée !
Injuste Amour ! injuste mort, helas !
Helas qui ne dira,
Que dans le ciel il n’est point de Justice ;
Que le destin injustement ordonne ;
Que sans Justice Amour conduit les siens,
Et que la mort est injuste envers moy ?
Puisque le ciel, & l’inique destin,
Et l’Amour, & la mort,
Consentent que je perde,
Sans toutesfois mourir,
Celle que sans mourir
Mon cœur jamais, jamais ne devoit perdre.
 O ciel rendez-la moy,
Rendez-la moy destins ;
Amour, si toutesfois
Sylvanire estant morte
Quelque amour reste encore,
Rends-la moy, ceste belle
Que la mort m’a ravie :
Et toy mort rends-la moy,
Ou me reçois pour elle.
 Ah Sylvanire ! escoute ton berger,
Et revien-t’en vers moy,
Ma chere Sylvanire,
Ou m’emmeine avec toy.

 Men.O Dieux ! elle revient,
Les Dieux auroient-ils bien
Ta juste voix oüye ?

 Ler.Elle revient sans doute.
 Agl.Finissez, ô grands Dieux !
La grace commencée.

 Men.Cessons les pleurs, & puisqu’il plaist au ciel
Luy redonner quelque signe de vie,
Emportons-la dedans nostre cabane,
Plus aysément nous pourrons soulager
La grandeur de son mal :
Aglante donne moy
Tes mains, & les attache,
Je te supplie, aux miennes,
Nous en ferons un siege
Afin de l’emporter,
Cependant que Lerice,
Accompagnant nos pas,
Gardera par hazard
Qu’elle ne tombe pas.

 Syl.Helas mon pere ! helas mon cher Aglante,
Que de peine je donne
A qui je dois rendre tant de service.

 Agl.O douce peine ! ô glorieux travail !
O Cher fardeau, qui rends Aglante heureux !
Heureux trois fois Aglante,
Qu’Amour a destiné
A ce mystere sainct,
De porter en ces bras
Tout ce que le flambeau
Du Soleil vit jamais
De plus rare & plus beau.


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SCENE VII.



Fossinde.


 Vrayment grand est son mal,
Je croy qu’elle en mourra :
Combien elle est changée,
Que la beauté dont on fait tant de cas
Enfin est peu de chose,
Un bouton le matin
Qui s’esclost au midy,
Et qui le soir se fane,
Et c’est bien pour cela
Que j’estime peu sages
Celles à qui le ciel
A fait un tel present,
Et qui le laissent perdre,
Puisqu’il dure si peu,
Sans s’en vouloir servir.
 Voyez vous Sylvanire,
C’est de Lignon la plus belle bergere,
Mais la plus insensible
Aux traicts d’amour de toutes les bergeres,
Elle n’ayma jamais,
A ce que chacun dit ;
Et n’est-ce pas dommage
Qu’elle ait eu ce visage,
N’ayant sceu, l’imprudente,
Ou n’ayant pas voulu
S’en servir à l’usage
Pour lequel il est fait ?
 Or la voila maintenant bien payée,
Elle a vescu, mais telle que l’auare,
Qui pour ne s’en servir
Aux entrailles profondes
Des lieux moins frequentez,
Idolatre de l’or
Va cachant son thresor :
Idolatre de mesme
De ta beauté, cache-la maintenant
Dans la tombe relante,
Garde-la pour Pluton,
Ou pour ces vains phantosmes
Qui courent toute nuict
A l’entour des tombeaux.
 O folle ! les grands Dieux
Ont la beauté faite pour les vivans,
Et les os pour les morts :
Et c’est pourquoy leur Justice est tres-grande
De te l’oster, comme ils font maintenant,
Ne voulant pas en user comme il faut.
 O ! si les Dieux d’une main liberale
M’avoient renduë aussi belle que toy,
Et que Tirinte eust de l’amour pour moy,
Je jure qu’aujourd’huy,
S’il estoit tout à moy,
Je serois toute à luy.


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SCENE VIII.



Tirinte. Fossinde.


Tirinte.

 Mais où le trouveray-je ?
Ce traistre, ce perfide,
Où le rencontreray-je ?
Il a beau se cacher :
Quand les profonds abysmes
Du centre de la terre
L’auroient couvert, je le descouvriray,
Et je le puniray,
Sans que l’enfer, ny le ciel, ny la terre
Le sauve de mes mains.

 Foss.Il est bien en cholere.
 Tir.Ah ! le cruel qu’il est
D’un mesme coup il en fait mourir deux,
Deux innocents qui ne creurent jamais
Luy faire desplaisir :
Mais qu’il s’asseure, & je le luy promets,
Qu’avec ces deux, que traistre il fait mourir,
Il sera le troisiesme,
Si Tirinte le trouve,
Ou ce fer ne voudra,
Du sang abominable
Ayant horreur, se teindre par mes mains.

 Foss.Il est tout vray que sa cholere est grande,
Il le faut divertir,
Je ne puis m’empescher,
Quoy qu’il me sçache faire,
De le cherir tousjours.
 O qu’il est difficile
De se desembroüiller
De ce broüillon d’Amour !
Hola Tirinte, & d’où vient ce courroux ?
D’où vient ceste furie ?
Veux-tu mal à quelqu’un ?
Dy-le moy, tu verras
Si je suis preste à faire tes vengeances.

 Tir.Eh laisse moy ! te voicy revenuë.
 Foss.Ouy je suis revenuë,
Mais c’est pour te servir.

 Tir.Va si loin que jamais
Tu ne puisses venir.

 Foss.Long seroit le voyage :
Mais je voy bien que le courroux t’emporte ;
Quelqu’un t’a-t’il fasché ?
Dy-le moy, je te prie.

 Tir.Ouy quelqu’un m’a fasché,
Me fasche, & faschera,
Tant que Fossinde icy demeurera.

 foss.Est-ce doncques Fossinde
Qui te fasche si fort ?

 Tir.Plus cent fois que la mort.
 Foss.O qu’elle est malheureuse !
 Tir.Malheureuse à son dam,
Mais au mien tres-fascheuse.

 Foss.Tu ne l’ayme donc pas ?
 Tir.Ainsi que le trespas.
 Foss.Et ceste inimitié
Tousjours durera-t’elle ?

 Tir.Je la tiens immortelle.
 Foss.Et cela, mais pourquoy ?
 Tir.C’est pour l’amour de toy.
 Foss.Ah Tirinte !Tir Ah Fossinde !
 Foss.Tu ne m’aymeras point ?
 Tir.Point.Foss.Point, mais du tout point ?
 Tir.Point, point, & du tout point,
Et croy-le si tu veux.

 Foss.Qui telle inimitié
A mise entre nous deux ?
Entre nous deux, je faux,
Tu sçais bien que je t’ayme.
Mais qui te peut tant éloigner de moy ?

 Tir.Toy Foss.Moy, comment ?
 Tir.Qui le peut, sinon toy ?
Toy de toutes les filles
La fille plus fascheuse,
Et la plus importune ?
Ne vois-tu pas, Fossinde,
Que j’ay l’esprit ailleurs,
Que j’ay d’autres desseins,
Laisse moy je te prie.
 Dieux ! faut-il que le ciel,
Avec tous mes ennuis,
Encore me surcharge
D’un faix insupportable.
Va t’en, je te supplie,
Va t’en, je te conjure
Par la plus importune
Qui fust jamais, & ce sera par toy.

 Foss.Et bien je m’en iray,
Insensible berger,
Ouy, ouy, je m’en iray,
Et peut-estre de sorte
Qu’avant que je revienne
Amour m’aura vangée.
 Va cruel, va sauvage,
Va barbare, va tigre,
Va t’en ame de fer,
Va cœur de diamant :
Ayme, ayme, qui ne t’ayme,
La hayne enfin, puisque l’amour ne veut,
Me vangera de toy :
Mais tres-juste est la loy,
Qui vange l’innocent
Sur la coulpable teste,
Avec le mesme fer
Duquel l’offense est faite.


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SCENE IX.



Tirinte.


 Que les Dieux soient loüez !
Enfin elle s’en va,
Peut-estre qu’à ce coup
J’en seray deschargé,
De ceste babillarde,
Ce n’est pas sans raison
Qu’on dit heureux celuy
Qui rencontre pour femme
Une Cigale. On dit que la femelle
De nature est muette :
Que pleust à Dieu que Fossinde fust telle :
O l’importune fille !
Et puis encor par force
Elle veut estre aymée.
 Mais à quoy pensons-nous ?
Que faisons nous icy ?
Que n’allons-nous chercher
Ce traistre & ce perfide,
Qui sous le nom d’amy
M’a fait dedans le cœur
La plus cruelle & profonde blessure,
Qu’ennemy sçauroit faire ?
A quoy retardons-nous ?
Allons sacrifier
Son sang à la vengeance.


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SCENE X.



Le Messager. Tirinte.


Messager.

 C’en est fait, je l’ay veuë
Avec mes propres yeux
Mettre dans le tombeau.

 Tir.Dans le tombeau, dit-il,
De Sylvanire il parle ;
Puis qu’elle est morte, ô Dieux ! il faut mourir :
 Mais avant que mourir
Il nous la faut vanger,
Ceste belle innocente,
Et porter aux enfers
Le sang de ce perfide,
Pour appaiser ses Manes offensées.

 Mess.Elle est morte, il est vray,
Ceste belle bergere :
Qui jamais eust pensé
Qu’une beauté si grande
Se fust si tost perduë ?

 Tir.Avant ma mort encore veux-je entendre
La cause de ma mort,
Et sçavoir miserable,
Puisque j’ay fait le mal,
Comment il s’est passé.
 Ce sera rengreger
Ma douleur davantage :
Or sus prenons courage,
Apprenons de sa mort,
Ou bien plustost de nostre propre mort
L’accident déplorable.
Berger, dy-moy, de qui plains-tu la perte ?

 Mess.De Sylvanire, & cela te suffise.
 Tir.Donc Sylvanire est morte ?
 Mess.Au tombeau l’on l’emporte,
N’en doute nullement.

 Tir.Helas ! berger, raconte moy comment.
 Mess.ie le feray : mais si d’un dur rocher,
Amy, tu n’as le cœur,
De bonne heure prepare
Tes yeux aux pleurs, ta poictrine aux sanglots,
Et ta voix à la plainte.
 Soudain qu’au lict ceste fille fut mise,
Belle comme un Soleil,
Mais un Soleil dont les rays affoiblis
Passent à peine à travers de la nuë,
Son mal luy redoubla.
 Autour du lit à grands ruisseaux de larmes
Et Menandre & Lerice
Accompagnoient son mal :
Mais un berger qu’Aglante l’on appelle.

 Tir.Ah ! je le cognois bien.
 Mess.Tousjours au plus prés d’elle,
Ne jettoit pas une source de pleurs
Comme faisoient les autres,
Mais bien plustost un ocean de larmes,
Dont il noyoit les mains de Sylvanire :
Mais si ses yeux à tous faisoient pitié,
Ses regrets & ses plaintes
Doublement arrachoient
Des regrets & des plaintes
De la bouche & du cœur
De ceux qui l’escoutoient ;
Helas ! ce disoit-il,
O parques inhumaines
Pourquoy m’espargnez-vous
La faveur de vos coups ?
 Qu’est-ce parques, helas !
Qu’est-ce que j’ay commis,
Et ma foy si fidelle,
Que vostre ardent courroux
Ne me prenne avec elle ?
Helas ! vous sçavez bien
Que nous sommes unis,
Et pourquoy desunir
Ce qu’un vouloir assemble ?
 Ah ! prenez-nous ensemble,
La victoire en sera
Plus belle & plus entiere,
Et vous ferez qu’avec un coup si beau,
Ce que ne peut la vie
L’aura peû le tombeau.
Que si vous ne le faites,
Aussi bien ceste main
M’octroyera ceste juste requeste.
 Ainsi disoit le desolé berger,
Et d’un œil égaré,
Jettant autour sa veuë,
Sembloit desja de regarder la mort.
 Elle de qui la main
Estoit entre les siennes,
Faisant effort un peu la releva,
Et la posant dessus les yeux d’Aglante,
Comme ne voulant voir
Ces yeux pleins de fureur,
Qui jadis souloient estre
Si remplis de douceur,
A toute force ouvrit sa belle bouche.
 Vis, amy, luy dit-elle,
Le ciel l’ordonne ainsi ;
Ainsi le veut aussi
Ta chere Sylvanire :
Que si mourant encore auprés de toy
Du credit il me reste,
Je te commande, Aglante,
De ne jamais attenter sur ta vie,
Car ta vie est aux Dieux,
Aux Dieux tu la dois rendre
Alors qu’ils la voudront,
Et non à ta douleur.
Contente toy, que Sylvanire est tienne,
Et que jamais autre elle ne sera :
Conserve toy l’amour que je te porte,
Et je conserveray
La tienne dans mon ame.
Ainsi dedans ton cœur
Je vivray sur la terre,
Et dans le mien tu vivras dans les cieux.
Avecque ce penser
Amy console toy,
Et sur tout ayme moy,
Car je meurs tienne, Aglante.

 Tir.Ah fortuné berger,
Heureux en ton malheur !

 Mess.En ce point un souspir
Qui luy ravit la voix
Avec le nom d’Aglante,
Ravit aussi sa vie.

 Tir.Sylvanire est donc morte ?
 Mess.Elle est morte, berger.
 Tir.C’est honte que de vivre
Apres un tel malheur :
Allons, allons mourir :
Mais avant que mourir
Faisons-en la vengeance.

 Mess.O Dieux ! que fera-t’il ?
Il s’en va transporté
Où la rage l’emmeine.
Conduisez-le grands Dieux.
 Il aymoit ceste fille,
Mais qui ne l’aymoit pas ?
Quant à moy je m’en vay
Son deüil accompagner,
Chacun luy doit ce pitoyable office.
Combien de jeunes cœurs
Iront suivant ce deüil,
Puis avec elle entreront au cercueil.



LE CHOEUR.


 Plus ie cherche en moy-mesme
Que c’est qu’Amour, & moins je le cognoy :
Qu’il soit Dieu je le croy,
Sa force est trop extreme :
Mais s’il est Dieu, comment
Souffre-t’il que l’amant
Dont l’ame est sa sujette
A l’honneur se sousmette ?
 Non, il est sans puissance,
Ou pour le moins sans nul ressentiment :
Mais s’il est vray, comment
Sous son obeïssance
Void-on les plus grands Dieux
Se rendre, pour les yeux
De nos simples bergeres,
Deitez bocageres ?
 Comment peut-il produire,
S’il n’est pas Dieu, des miracles si grands,
Que tous les jours j’apprends ?
Il fait ce qu’il desire,
D’un changement divers,
Dans tout cét univers,
En despit de nature,
Et faut qu’elle l’endure.
 Il va changeant les âges
Comme il luy plaist, les vieux il rajeunit,
Des jeunes il ternit
Et ride les visages :
S’il veut tout ce qu’il peut
Il peut tout ce qu’il veut,
Et nulle resistance
N’égale sa puissance.
 Que s’il semble au contraire,
Mais rarement, que l’amant quelquefois
Observe d’autres loix
Que la sienne ordinaire ;
C’est pour faire mieux voir
Un plus entier pouvoir :
Car quoy qu’il en puisse estre
Il est enfin le maistre.

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ACTE CINQUIESME.


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SCENE PREMIERE.



Aglante.


 Pleurer, mais que sert-il
De pleurer un malheur
Qui n’a point de remede,
Et dont la guerison
En la mort est remise ?
 Car telle est la grandeur
Du mal qui me travaille,
Que quand tout l’Ocean
Se changeroit en larmes,
Et que j’aurois au front
Autant d’yeux, que le ciel
A de feux qui l’esclairent,
Mes larmes ne sçauroient
Egaler ma douleur,
Ny ma douleur encore
Egaler mon malheur.
 On dit que la nature
Produit de certains fruicts,
Dont qui gouste une fois
Ne void jamais tarir
La source de ses pleurs :
Helas ! puisque le ciel
Et mon cruel Destin
L’ordonnent de la sorte,
Et qu’il faut que je pleure
Jusques dans le cercueil
La perte que j’ay faite :
 Pleust-il au ciel, pleust-il à mon Destin,
Que j’eusse de ces fruicts,
Pour ne manquer non plus
De larmes & de pleurs
Tout le temps de ma vie,
Que tant que je vivray
Jamais ne manquera
Le subject miserable,
Que mes yeux ont de sans cesse pleurer.
 L’impitoyable Parque
Adonc fermé tes yeux,
Et tes beautez n’ont peu
Empescher le Destin
De finir ta journée
Dés son plus beau matin ?
 Est-il doncques, bien vray,
Que celle qui donnoit
A mille cœurs la vie
Soit morte, ou pour le moins
Ne vive plus, si ce n’est en mon cœur ?
 Je ne l’eusse pas creu ;
La raison au contraire
Helas ! m’eust fait jurer,
Que toy vivant en moy,
Et moy vivant en toy,
Pour te faire mourir
Il me falloit tuer,
Et te ravir la vie
Pour me donner la mort.
 Mais helas ! je voy bien
Que seulement les forces de l’amour
J’allois considerant,
Non celles de la mort,
De la mort qui tousjours
A desunir les choses plus unies
Se plaist & s’estudie.
 Mais fatale Atropos,
Puisque tu desseignois
La mort de Sylvanire,
D’où vient, helas ! que seulement son corps
Soit mis dans le tombeau,
Et qu’en mon cœur vive encore son ame ?
 Helas ! pourquoy dans un mesme cercueil
N’enfermes-tu le corps
D’Aglante qui t’en prie,
Puis qu’elle vit en luy,
Pour en avoir une victoire entiere ?
 Ah ! je voy bien pourquoy tu ne le fais ;
C’est, Atropos, que de m’oster la vie
Seroit, helas ! une œuvre pitoyable,
Et que nulle pitié
Ne peut trouver place dedans ton ame.
 Mais, fiere Parque, à qui veut le trespas
Il est bien malaise
De le luy refuser,
Je feray bien paroistre
Que si les Dieux, sans que nous le sçachions,
Nous font venir au monde,
Et nous donnent la vie,
Que nous pouvons, lors que nous le voulons,
La quitter ceste vie,
Et que pour en sortir
On peut trouver tousjours quelque passage,
En ayant le courage.
 Mais avant que mourir,
Allons voir le tombeau
Riche de nos despoüilles :
Noyons-le de nos pleurs,
Afin que comme il a
Nos flames par dedans,
Par le dehors il ait aussi nos larmes :
Larmes qu’helas ! mes yeux ne finiront
Qu’en finissant ma vie.
 O bien-heureux tombeau !
De qui la froide pierre
Tant de flames enserre,
Tu n’es pas le sejour
Comme les autres sont
De cendres amorties,
Mais de cendres de feu,
Mais de cendres si vives,
Qu’Amour encore y brule tout d’amour.
 Ouy, je les sens, helas ! ces mesmes flames,
Dont autresfois mon cœur souloit bruler ;
Moins douces, il est vray,
Mais non pas moins ardentes ;
Beaucoup moins supportables,
Mais non pas moins aymables.
 Rends-moy, tombeau, si ma pitié te touche,
Ce que tu me retiens,
Ou si tu ne le veux,
Au moins prends nous tous deux,
Et renferme mon corps
Où tu retiens mon cœur,
Et qu’ainsi je sois mis
Dessous la mesme pierre,
Imitant le lyerre
A son ormeau serré,
Qui par la mort de l’arbre
N’en est point separé.
 Et cependant reçoy,
Pierre saincte & sacrée,
Mes souspirs & mes larmes,
Et reçoy les baisers
Qu’ensemble je te donne :
Donne les ces baisers
A ces cendres d’amour
Qui reposent en toy,
Presente les ces larmes
A celle que jamais
Mon cœur ne cessera
D’aymer & d’adorer,
Ny mes yeux de pleurer :
Mais à qui mes discours,
O Dieu ! vay-je addressant ?
A l’insensible pierre,
A l’insensible mort,
Au destin insensible,
Qui n’escoutent jamais
Nos cris, ny nos regrets ?
Mais si Pigmalion
Obtint jadis qu’un marbre
Receut le sentiment,
Aglante aymes-tu moins
Que ce Pigmalion,
Pour animer encor ce monument ?
 Et si jadis Orphée
Peût de la mort retirer Eurydice
Par son chant pitoyable,
Ton malheur déplorable,
O malheureux Aglante !
Te fournira-t’il moins
De souspirs & de larmes,
De regrets & de plaintes,
Pour retirer aussi
De la mort à la vie
Celle qu’on t’a ravie ?
 Helas ! ce sont discours,
Ce sont des vaines fables
Tout ce qu’on va disant,
Et de Pigmalion,
Et du congé qu’Orfée
Eut de revoir encor sa bien-aymée :
Jamais, jamais, deux fois,
Pour passer l’Acheron,
L’on ne paye à Caron.
Que la descente aux enfers est aysée,
Mais rappeller ses pas
Et remonter en haut,
C’est là l’œuvre & la peine.
 Et quand tous les humains
Cent & cent fois encore
Pourroient bien revenir
Et reprendre leur corps,
Le malheur est si grand
Qui te poursuit, Aglante,
Qu’il ne faut esperer
Qu’il soit permis pour ton contentement
A celle que tu plains,
Et contente toy d’estre
Phœnix en ton malheur
Ainsi qu’en ton amour.
 Donc puis qu’il est ainsi,
Dieux ! qu’il ne l’est que trop,
Qu’est-ce que tu veux faire
De conserver plus long-temps ceste vie,
Qui ne te reste plus
Sinon pour prolonger,
Sans aucune allegeance,
La douleur qui t’offence.
 Ah ! meurs, ah ! meurs, Aglante,
Sylvanire t’appelle,
Ne veux-tu pas la suivre,
Et cesser de languir
Cessant aussi de vivre ?
Si fais, tu le veux bien,
Aussi l’amour avecque le courage
T’oblige à ce voyage.
 Allons donc, ô mon cœur,
Non point avec transport,
Mais resolus de rencontrer la mort,
Elle nous sera douce,
Puisque desja Sylvanire la belle
Mourant l’a faite telle.
 Et vous, ô cheres cendres,
Qui dedans ce cercueil
Maintenant reposez,
Et vous qui m’escoutez
Du plus profond des cieux,
O de ma Sylvanire
Ame saincte & sacrée
Recevez de mes larmes,
Et de mon sang le dernier sacrifice :
Jamais larmes ny sang,
Et des yeux & du cœur
D’un plus fidelle amant.
Amour ne tirera,
Que les pleurs & le sang
Que maintenant le mien vous offrira.


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SCENE II.



Aglante. Echo.


Aglante.

 Mourons, mourons, Aglante :
Hastons-nous, hastons-nous :
Quoy que nous puissions faire,
Pour devancer un desastre si grand
Nous ne mourrons jamais assez à temps.
attends.
 Attends, & qui me dit
Maintenant que j’attende,
Maintenant que je vois
Au dernier point mes malheurs parvenus ?
Venus.
 Venus mere d’Amour,
Amour qui ne se plaist
En tout ce qu’il promet
Sinon d’estre infidelle ?
elle
 Elle, ne dis-tu pas ?
Et qui se fieroit
A la mere infidelle
D’un enfant si trompeur ?
Que dois-je plus attendre,
Et quoy plus esperer ;
Si seulement je ne puis plus la voir ?
l’avoir.
 Comment l’avoir si la mort l’a ravie ?
Il est esteint le soleil de nos yeux,
Il est dans le tombeau,
Et son aurore à nos yeux plus ne point.
n’est point.
 Menteuse voix, maudit qui te croira :
Ces yeux dont je la pleure
L’ont veuë, helas ! dedans la sepulture :
Et tu me dis que morte elle n’est point ?
 Trompeuses esperances,
Promesses infidelles,
Ce sont les payements
Qu’Amour donne aux amants :
 Mais ne l’escoutons plus,
Le perfide qu’il est,
A la mort, à la mort,
Allons, Aglante, allons,
Sans qu’autre espoir nous vienne plus flattant.

attens.


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SCENE III.



Tirinte. Alciron.


Tirinte.

 Peut-estre de mes mains
Tu penses d’eschapper
Par ces belles promesses,
Berger tu te deçois,
Tu n’éviteras pas
La justice du ciel,
Ny celle qu’en la terre
Les hommes en feront.

 Alc.Comme le ciel tourne quand il luy plaist
Nos desseins à rebours,
Pour te complaire & te rendre une preuve
De mon affection,
Je t’ay donné, Tirinte,
Un tresor que j’avois ;
Mais un tresor si grand & precieux
Que peut-estre la terre
N’en a point un plus grand :
Et je vois au contraire
Qu’au lieu de t’obliger
A me vouloir du bien,
Ce don est cause, ô Dieu qui le croira !
Que le plus grand amy
Que j’avois en ce monde
Se soit rendu mon plus grand ennemy.

 Tir.Mais comment peut-il estre
Que ce miroir soit tel que tu le dis ?
Que s’il est vray qu’il ait ceste puissance,
Pourquoy, berger, quand tu me l’as donné
Me l’aurois-tu cachée ?
Non pour certain ce ne sont que paroles,
Dont tu penses encore
Ma creance abuser.

 Alc.Je ne suis point abuseur ny trompeur,
L’effect bien-tost te le fera cognoistre :
Car celle que tu pleures
N’est pas, berger, morte comme tu crois,
Ce miroir precieux
D’une vertu secrette
L’a de sorte assoupie,
Que chacun la croit morte.

 Tir.Mais est-il bien possible ?
 Alc.Escoutes-en, berger,
L’histoire veritable.
 J’eus ce miroir de l’homme le plus fin
Qui fust dessus la terre,
Il se nommoit Climanthe,
Grand artisan d’erreur & de mensonge :
Ce berger amoureux
D’une jeune bergere,
Mais qui ne l’aymoit guere,
Me donna ce miroir,
De peur que je ne disse
A chacun sa malice :
Apres que j’eus recogneu par l’effect
Quelle estoit sa vertu :
 Car ceste jeune fille,
Et je dis vray, Tirinte,
Quoy qu’il semble incroyable :
 Ceste fille, te dis je,
N’eut pas plustost ceste glace apperceuë,
Qu’un poison aussi-tost
Occupant son cerveau
Je la vis assoupir
D’un si profond sommeil,
Que quant à moy je la creus estre morte :
Mais luy qui se mocqua
De mon estonnement,
Soudain qu’il le voulut,
Soudain elle revint,
Et puis soudain encore
Le luy faisant revoir
Elle se rendormit.

 Tir.Estrange effect que celuy que tu dis !
 Alc.Et tant de fois il la fit éveiller,
Puis rendormir, puis réveiller encore,
Qu’à la fin elle creut,
Ne sçachant l’artifice,
Que le vouloir des Dieux
Estoit qu’elle l’aymast,
Ou qu’il falloit mourir,
Et ceste opinion
La contraignit, quoy qu’elle y resistast,
De se donner à luy,
Tant le desir de vivre
Est puissant dessus tous.
 Admirant la vertu
De ce divin miroir
Je le voulus avoir,
Et je l’eus à la fin.
Mais bien à contre cœur
De qui me le donnoit,
Et n’eust esté la crainte de la perdre,
Ceste jeune bergere
Qu’il avoit abusée,
Et d’estre encor puny
D’une telle malice,
Si les sages Druydes
En eussent eu la plainte,
Il est certain, je ne l’eusse pas eu.
 Mais s’y voyant contraint :
Or escoute, Alciron,
Ce present, me dit-il,
Est peut-estre plus grand
Que tu ne penses pas :
Tiens-le bien cher, & croy qu’en l’univers
On ne sçauroit en trouver un semblable.
 La glace du miroir
Est faite d’une pierre
Qu’on nomme Memphitique,
Elle assoupit les sens
Aussi-tost qu’on la touche,
Et du poisson, que Tourpille on appelle,
La quintessence extraitte par le feu
Meslée à ceste pierre,
A tellement la glace empoisonnée,
Qu’aussi-tost qu’on la void
On perd le sentiment
Tout ainsi qu’au trespas.
 Car la Tourpille est de telle nature,
Que qui la touche avec une baguette,
Voire avec l’hameçon,
Ressent soudain un assoupissement
Par tout le bras, & puis du bras au corps,
Va serpentant d’une veine en une autre
Le poison endormy.
 Mais lors qu’on veut on rappelle les sens
Par ceste eau composée,
Dit-il me la donnant,
De celle du citron,
Et de simples divers,
Dont par experience
La vertu j’ay cognuë.
 Or maintenant, Tirinte, responds-moy,
Si je t’ay fait present
De ce miroir si rare,
As-tu raison de me traitter ainsi ;
Puisque l’amour que vrayment je te porte
M’a despoüillé de ce riche thresor ?
O des ingratitudes
La mere ingratitude !

 Tir.S’il est ainsi, n’as-tu pas tort, berger,
De ne me l’avoir dit ?

 Alc.En cecy mesme encor mon amitié
Se void plus clairement :
Je ne te l’ay pas dit,
Parce que je craignois
Qu’il te manquast la resolution
De l’oser entreprendre.
 Penses-tu bien, Tirinte,
Que je ne sçache pas
Jusques où vont les forces
D’une puissante amour ?
 Que si je t’eusse dit,
Soudain que Sylvanire
Aura veu ce miroir,
Avec mille douleurs
Elle tombera morte,
Ou pour le moins elle semblera telle,
On la mettra dans le fond d’un cercueil,
Sonde bien ton courage,
Et puis me dis, Tirinte,
Si ton affection
Eust permis à ton cœur
De l’oser entreprendre,
Et cela n’estant pas
Dy-moy, dy-moy, Tirinte,
Par quel moyen eusses-tu peu l’avoir,
Ta chere Sylvanire ?
Car de son gré tu n’y dois point pretendre,
Tu ne le sçais que trop,
Et toutesfois tu ne voulois plus vivre
Si tu ne l’obtenois.

 Tir.Mais comment pretends-tu,
Quand tout ce que tu dis
Seroit bien veritable,
Qu’elle peust estre mienne ?

 Alc.Qu’elle peust estre tienne,
Qui te la peut oster ?
Chacun ne croit-il pas
Que Sylvanire est morte ?
Qui sçaura qu’elle soit
Maintenant en tes mains ?
Voy-tu, Tirinte, il n’en faut point douter,
Sylvanire est à toy,
Alciron te la donne,
Sçache toy bien servir
Du present qu’il te fait.

 Tir.Il est doncques bien vray
Que morte elle n’est pas ?

 Alc.Tu ne crois pas encore
Ce que dit ton amy ?
Quelle incredulité !

 Tir.S’il est ainsi, que retardons nous plus ?
Allons, ô cher amy,
Allons d’entre les morts
Retirer promptement
Celle dont la beauté
Ne doit jamais mourir.

 Alc.Nous n’irons pas fort loin,
Car c’est icy le lieu
Où l’on l’a mise.
Tir.Et comment le sçais tu ?
 Alc.Eh ! je le sçay, parce que je l’ay veve ;
Et lors qu’on l’y mettoit
J’y voulus assister,
Pour voir si de fortune
On ne luy faisoit point
Du mal en l’enterrant,
Car je l’eusse empesché :
J’ay plus de soin de ton contentement
Que tu ne penses pas.

 Tir.En quel estat est elle ?
 Alc.Tu la verras bientost :
Mais sçache cependant
Que Menandre & Lerice
L’ayment de telle sorte,
Qu’ils ne peurent souffrir
Que l’on la despouïllast :
Mais toute ainsi vestuë
Qu’elle s’estoit trouvée,
Toute telle ils voulurent
Qu’on la mist au cercueil,
Un linge seulement
Luy couvre le visage,
Et ce fut moy qui luy fis cét office,
De peur que la poussiere
Ne luy fist quelque mal.

 Tir.Quelle obligation
En tout cecy, berger, ne t’ay-je point ?

 Alc.Quand tu verras la belle Sylvanire
Estre du tout à toy,
Tu pourras dire alors
Que tu m’es obligé :
Mais maintenant allons, Tirinte, allons,
Ne perdons plus de temps,
Le temps en tout affaire
Doit estre cher, mais plus en cestuy-cy
Que peut estre en tout autre :
Mais approche, voicy
L’endroit où l’on l’a mise.

 Tir.Heureux tombeau ! mais non,
Plustost heureux sejour
Où l’amour a remis
Tout ce qu’il eut de beau,
Où ses thresors pour plaisir il enserre,
Où mille cœurs ensemble renfermez,
Et bref où tout mon bien
Ou tout mon mal demeure.
 Gardien glorieux
De tout ce que la terre
A de plus pretieux,
Rends-le moy ce thresor,
Sans qui je ne puis vivre,
Et monstre toy fidelle à me le rendre,
Comme tu fus heureux
Lors qu’on te le fit prendre.

 Alc.Tirinte ces discours
Sont hors de temps, à loisir tu pourras
Les raconter quand l’œuvre sera faite :
Si quelqu’un survenoit,
Encore que ce fust
Le moindre des bergers,
Il rendroit nostre peine
Toute inutile & vaine.

 Tir.Que veux-tu que je fasse ?
 Alc.Ostons d’icy la pierre.
 Tir.O Dieux qu’elle est pesante !
J’ay grand peur, Alciron,
Que ceste pesanteur
Ne l’ait bien offensée.

 Alc.L’Amour craint tout, car il est un
Ne vois-tu que la pierre
Repose sur les quatre
Qui luy sont au dessous ?
Or sus relevons-la,
La
Morte-vive, & mocquons nous de ceux
Dont les ruisseaux de pleurs
Ceste pierre ont noyée.
Mais ayde moy, Tirinte,
Qu’est-ce que tu fais là
Planté dessus tes pieds
Comme un Terme insensible ?
Ayde moy si tu veux.

 Tir.Ah ! trompeur elle est morte.
 Alc.Je te dis qu’elle dort.
 Tir.Ouy d’un sommeil de mort.
 Alc.Si morte tu la crois,
Tu diras que bien-tost
Elle est la
Morte-vive :
Mais ne perds point le temps,
Approche je te prie,
Car je ne puis la soustenir ensemble
Et l’arrouser, comme il faut que je fasse.

 Tir.O Dieux qu’elle est bien morte !
 Alc.Soustiens-la seulement,
Et tu verras bien-tost,
Qu’ainsi que je t’ay dit,
Elle est la
Morte-vive.
 Tir.LaMorte-vive helas ! fust Sylvanire,
Et que Tirinte en sa place fust mort.

 Alc.Tirinte & Sylvanire
Vivront, si bon leur semble,
Bien-tost tous deux ensemble.

 Tir.Ah garde que ceste eau
Ne gaste son beau teint.

 Alc.Tu crois qu’elle soit morte,
Et tu crains toutesfois
Qu’on luy gaste le teint :
O de l’amour enfant
Crainte & peur enfantine !
Laisse la peur, Tirinte,
Tu l’auras toute belle,
J’aymerois mieux la mort,
Qu’à sa beauté faire le moindre tort.

 Tir.O Dieux ! elle revient.
 Alc.Ne te l’ay-je pas dit ?
Une autrefois, peut-estre,
Tu croiras Alciron.

 Tir.O Dieux ! elle respire.
 Alc.Diras-tu pas aussi bien comme moy,
Qu’elle est la
C ?
 Tir.La Morte-vive est-elle,
Et des heureux bergers
Le berger plus heureux,
Par ton moyen, se peut dire Tirinte.
Elle entr’ouvre les yeux.

 Alc.J’ay satisfait à ce que j’ay promis,
Voila ta Sylvanire,
Voila la
Morte-vive
Qu’en tes mains je remets :
Sçaches-toy prevaloir
D’une telle fortune :
Que si tu ne le fais
Ne te plains jamais plus
D’autre que de Tirinte.
 Souvien-toy de trois choses,
Ne perds le temps, ne crois à ses paroles,
Ny moins de la flechir :
Car si tu ne me crois,
Tu diras avec moy,
Ta faute regrettant,
L’occasion est chauve,
Et des belles Bergeres
Les douces flatteries
Sont toutes mensongeres
Et pour conclusion
Te voyant rejetté,
Et quelqu’autre obtenir
Avec moins de merite
Le bien que tu desires,
Tu diras, mais trop tard,
La femme la mieux faite
A le Soleil aux yeux
Et la Lune en la teste.


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SCENE IV.



Sylvanire. Tirinte.


Sylvanire.

 D’ov viens-je, ô Dieux ! & de quelle lumiere
Voy-je encor la clairté,
Qui me rappelle au monde
Une seconde fois
Outre mon esperance ?
Ou bien dans le cercueil
Void-on un autre jour,
Void-on un autre ciel,
D’autres ruisseaux, d’autres prez, d’autres arbres,
D’autres bergers, & bref un autre monde ?
Où suis-je, ô Dieux ! que suis-je, vive ou morte ?
Vive, non, je mourus,
Et l’on ne revit plus :
Morte, non, car je voy,
Et je parle, & je marche :
Dieux ! qu’est-ce que cecy ?
Seroit-ce point peut-estre
Ceste seconde vie
Dont parlent nos Druydes ?
 Ah ! non, ce ne l’est pas,
Car nous laissons le corps
Avecque le trespas
Dedans la sepulture :
Et voicy bien le corps
Que je soulois avoir,
Voicy mes mains, voicy mes pieds encore,
Voicy mon mesme habit,
Et bref me voicy toute
Comme je soulois estre
Avant que je mourusse.
 Qu’est-ce donc que de moy ?
Quel air, quel ciel, quel monde,
Quelle terre, & quels lieux
Sont ceux où je me trouve ?
Mais quel est ce berger ?
Je voy bien là Tirinte.

 Tir.Tirinte, tu te trompes.
 Syl.Et qu’es-tu donc pasteur ?
 Tir.Je suis ton serviteur.
 Syl.Ainsi disoit Aglante
Lors que j’estois au monde.

 Tir.O Dieux ! encore Aglante
Est parmy ses pensées.

 Syl.Mais dy-moy, je te prie,
En quel lieu maintenant
Se trouve Sylvanire ?

 Tir.Dans le cœur de Tirinte.
 Syl.Tirinte le berger,
Qui vivoit en Forests
Lors qu’aussi j’y vivois ?

 Tir.C’est celuy que tu vois.
 Syl.Est-il mort comme moy ?
 Tir.Il mourut en ta mort,
Et reuit avec toy.

 Syl.Revivre avecques moy,
Et ne suis-je pas morte ?

 Tir.La mort fleschit à mon amour trop forte.
 Syl.Explique moy ce que tu dis, berger,
Car je ne t’entends pas.

 Tir.A ce coup mon amour
A vaincu le trespas ;
Et vois-tu, Sylvanire,
Combien elle surpasse
Toute autre affection ;
Lors que la mort pensa t’avoir acquise,
Et qu’au cercueil elle creut t’avoir mise,
Je fis changer ceste mort en sommeil,
Et ton trespas en gratieux réveil,
De sorte Sylvanire
Que chacun te peut dire
La
Morte-Vive, estant plus que certain
Que tu mourus, sans toutesfois mourir,
Et qu’on me peut nommer
Au contraire de toy
Le vivant mort. O miracle d’amour !
Car vivant je mourus
D’un trop extreme deuïl,
Dés que je sceus qu’on te mit au cercueil.

 Syl.O Dieux ! berger avecque tes paroles
Tu m’embroüilles l’esprit
Plus qu’il n’estoit encore :
Comment ton amitié
A-t’elle peû ceste mort sur monter,
Qui remporte sur tous
L’infallible victoire ?
Et comment as-tu peû
Faire changer ceste mort en sommeil ?
Pour moy je te confesse
Que je ne l’entends pas,
Si tu ne me le dis
Avec d’autres paroles.

 Tir.Escoute donc, bergere trop aymable,
Et trop aymée aussi ;
Escoute, & tu sçauras
Jusqu’où peut arriver
L’amitié de Tirinte.
 Apres avoir diverses fois tenté
Tous les moyens, qu’une amour trop extrême
Peut faire retrouver
Au cœur qui sçait aymer,
Pour vaincre ton courage :
Et les ayans trouvez
Inutiles & vains,
Enfin je recourus,
Pardonne, Sylvanire,
A la ruse & malice
D’un plaisant artifice :
Te souvien-tu, bergere, du miroir
Que je te presentay ?

 Syl.Ouy, je m’en ressouviens.
 Tir.Tel estoit ce miroir,
Que ceux qui s’y voyoient
De telle lethargie
Ils estoient assoupis,
Que chacun eust pensé,
Les voyant en ce poinct,
Qu’ils eussent esté morts,
Telle tu fus jugée,
Et pour telle remise
Dans ce tombeau voisin.

 Syl.Et quel fut ton dessein ?
 Tir.Mon dessein, Sylvanire,
Je ne te le puis dire.

 Syl.Mais je le veux sçavoir.
 Tir.Amour bien-tost te le fera bien voir.
 Syl.De toy, berger, je desire l’entendre,
Et non pas de l’Amour.

 Tir.Si l’Amour te le dit,
C’est Tirinte tousjours :
Et si je te le dis,
Aussi bien est-ce Amour.
 Sçache doncques, bergere,
Que j’eus dessein de faire croire à tous,
Que vrayement Sylvanire fust morte.

 Syl.Et quel profit de ceste tromperie ?
 Tir.Tu veux enfin, tu veux que je la die.
 Syl.Dy-la moy hardiment.
 Tir.Hardiment, non, mais plustost en amant.
Je pensay, Sylvanire,
Qu’estant mise au tombeau,
Et faisant croire à tous
Qu’ayant laissé la vie
Tu n’estois plus que cendre,
Comme j’ay fait, je te pourrois reprendre.

 Syl.Et puis. Tir.Et puis en tel lieu te conduire
Où peussent vivre ensemble
Tirinte & Sylvanire
Sans estre recogneus.

 Syl.Et de ma volonté
Tu n’en faisois nul compte ?

 Tir.Un long service enfin
Toute chose surmonte.

 Syl.C’est doncques toy, berger,
Dont l’extreme malice
M’a mise entre les morts ?

 Tir.Amour l’a fait, à luy soit tout le tort :
Tirinte seulement
T’a fait sortir hors de ce monument.

 Syl.Amour jamais ne commit trahison,
Et pour te faire voir
Que l’Amour en cecy
Ne pretend point de part,
Au lieu de me gaigner
Avec ceste malice,
Tu m’as, berger, au contraire perduë,
Et perduë à jamais.
Tres-juste Amour, certes l’on te peut dire,
Le traistre punissant
Avec tant de raison,
Et par sa trahison.

 Tir.Que je t’aye, ô bergere,
Comme tu dis perduë,
Je ne voy pas comme cela soit vray :
Car n’es-tu pas au pouvoir de Tirinte ?
Tirinte qui tout seul
Sçait qu’entre les vivans
Est encor Sylvanire ?
Non, non, tu te deçois
De t’aller figurant
Que je ne sçache en ceste occasion
Me prevaloir de l’heur qui m’est offert.

 Syl.Toy-mesme tu te trompes,
O perfide berger,
Et de ton propre fer
Tu t’es fait ceste playe.

 Tir.S’il est vray sois certaine,
Que qui fist la blessure
En fera bien la cure.

 Syl.Il ne peut estre, encor que Sylvanire,
Ce qui ne sera pas,
Y voulust consentir ;
Car elle n’est plus sienne.

 Tir.Sienne n’est plus la belle Sylvanire,
Et de qui peut-elle estre ?

 Syl.Autrefois, il est vray,
Et Menandre & Lerice,
Et peut-estre elle encore
Y pouvoient avoir part :
Mais maintenant Menandre ny Lerice,
Ny mesme Sylvanire,
N’y peuvent rien pretendre.
Tirinte l’a donnée.

 Tir.Tirinte l’a donnée ?
 Syl.Tirinte l’a donnée,
Et par sa trahison
En a fait possesseur
Aglante le berger.

 Tir.Aglante possesseur
De celle que j’adore ?

 Syl.Aglante possesseur
De celle que je dis ;
Ne t’en tourmente plus,
La pierre en est jettée.

 Tir.Il ne sera pas vray.
 Syl.N’en accuse que toy,
Et m’escoute, berger,
Menandre ny Lerice
Ne vouloient consentir
Que j’espousasse Aglante,
Ayant dessein de me loger ailleurs :
Et quant à moy la mort m’eust esté douce
Plustost que d’espouser
Autre qu’Aglante, & toutesfois je jure
Que mille morts plustost j’eusse endurées
Que d’espouser Aglante
Contre leur volonté.
 Or voy-tu bien comme ton artifice
A fait ce que sans luy
Nous ne pouvions pas faire.
Quand le poison de ton heureux miroir,
Car heureux je l’appelle,
M’eust reduite à tel poinct,
Que mon pere & ma mere
Creurent que j’estois morte,
Ce qu’en vivant je n’avois osé faire,
Amour me conseilla
De le faire en mourant :
Je priay donc ma mere,
Je suppliay mon pere,
Qu’avant que de mourir,
Pour satisfaction
Des services d’Aglante,
Par leur consentement
Je le peusse espouser.
 Eux qui me creurent morte,
Quoy que d’autres desseins
Ils eussent bien dans l’ame,
Voulurent pitoyables
A mon trespas ce plaisir me donner.
 Lors vers Aglante à peine me tournant
Je luy tendis la main,
Pour un gage fidelle
Que luy donnoit mon ame
Que je mourois sa femme.
 Il me receut pour telle,
Pour telle il me pleura,
Et pour telle il m’aura :
N’y penses plus Tirinte.

 Tir.N’y penses plus toy-mesme.
Aglante te croit morte,
Et ton pere & ta mere
Pour morte t’ont pleurée,
Et t’ont enclose icy
Pour eux tu l’es aussi.
 Tu ne vis plus, bergere,
Pour personne du monde,
Si ce n’est pour Tirinte :
La mort qui resout tout,
La mort te desoblige
De ces vaines promesses
Que tu peux avoir faites.
 Mais quoy que le trespas
Ne le fit pas, Amour, Amour l’ordonne,
Amour qui Sylvanire
A son Tirinte donne,
Maintenant leur commande,
De vivre ensemble, & de mourir ensemble
 Allons donc, ô bergere,
Allons & resous toy
De vivre toute à moy,
Et je vivray de mesme
A toy seule que j’ayme.

 Syl.Ne me touche, Tirinte,
Aglante seul est né pour Sylvanire,
Et Sylvanire est seule pour Aglante,
Et perds en toute attente.

 Tir.Mais perds toy-mesme,
Et perde Aglante aussi,
Toy l’espoir de l’avoir,
Luy l’espoir de te voir.
 Allons ; car je le veux,
L’Amour te le commande,
Et mon affection
T’oblige à le vouloir :
Que si tu ne le veux
Sçaches que resister
Aussi bien tu ne peux.
Il ne faut point maintenant des paroles :
Allons, allons.
Syl.Tirinte laisse moy.
 Tir.Allons, allons. Syl.Fay moy mourir plustost.
 Tir.Allons, allons, je te veux toute en vie.
 Syl.Non je mouray plustost,
Berger tu te deçois.

 Tir.Tu te deçois toy-mesme.
 Syl.Au secours, ô bergers,
O Dieux ! secourez-moy.


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SCENE V.



Aglante. Sylvanire.
Tirinte.


Aglante.

 Je reviens, car il faut
Que de mon sang je soüille
Ce tombeau glorieux
De ma riche despoüille.

 Syl.Aglante secours moy :
Aglante ne voy-tu,
Ne voy-tu pas, Aglante,
Voy-tu pas que Tirinte
Tirinte l’infidelle
M’emmeine & me ravit ?

 Agl.Dieu ! qu’est-ce que je vois ?
Dieu ! qu’est-ce que j’entends ?
Est-ce bien Sylvanire ?

 Syl.Aglante, que fais-tu ?
Que ne me secours-tu ?
Ne me cognois-tu pas ?

 Agl.C’est bien elle, mais non,
Car Sylvanire est morte,
C’est une vision.

 Syl.Devant tes yeux, Aglante,
Il m’emmeine, ô mon Dieu !

 Tir.Je seray le plus fort.
 Agl.O c’est bien là sa voix,
Ce n’est point un phantosme :
Ah Tirinte, Tirinte,
Traistre Tirinte, il faut qu’Aglante meure,
Avant que Sylvanire
A quelque autre demeure.


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SCENE VI.



Le choeur des Bergers.
Aglante. Tirinte.
Sylvanire.


Le Chœur.

 Quelle rumeur entend-on par ces bois ?
Quels cris, quelles allarmes ?

 Agl.Ah perfide berger,
Tu ne raviras pas
Une si belle prise.

 Tir.La victoire ou la mort
Clorra mon entreprise.

 Syl.Au secours, ô Bergers,
O Bergers, au secours :
Secourez nous, bergers.

 Le Ch.Quelle dispute est ceste-cy, bergers ?
D’où vient l’outrecuidance
De faire force aux filles ?
Laissez ceste bergere.

 Tir.O Dieux ! je veux mourir.
 Syl.Meurs, si d’une autre sorte
Tu ne peux pas guerir,
Fusses-tu desja mort,
Trop insolent berger.

 Agl.Monstre de nos forests
Qui te peut émouvoir
D’outrager une fille
Que tous doivent servir ?

 Tir.Monstre suis-je vrayment,
Mais un monstre d’amour,
D’aymer tant qui ne m’ayme :
Mais je m’en vengeray,
Ouy je m’en vengeray,
Et ce sera sur qui la faute a faite,
J’entends dessus mon cœur.

 Syl.Les hommes & les Dieux
Ensemble me la doivent
Ceste vengeance, & je la leur demande.

 Le Ch.N’est-ce pas Sylvanire
Celle que nous voyons ?
Mais n’est-elle pas morte ?
Dieux ! comme est-elle icy ?

 Syl.Vous voyez une fille,
Que ce berger, monstre entre les bergers,
A fait mettre au cercueil
Par la plus grande ruse
Qui fust jamais d’un meschant inventée.

 Tir.Dy plustost d’un amant.
 Syl.Mais bien d’un ennemy
Plus cruel & meschant.

 Tir.O cœur ingrat ! Syl.O cœur faux & perfide !
 Tir.Ame sans amitié.
 Syl.Mais bien ame sans ame.


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SCENE VII.



Lerice. Menandre.
Fossinde. Aglante.
Tirinte. Hylas. Sylvanire.
Le Choeur des Bergers.


Lerice.

 Allons,voyons que c’est.
 Men.Quel bruit ? quelles clameurs ?
Voila pas Sylvanire ?

 Ler.Eh ! qu’est-ce que je voy ?
 Syl.C’est Sylvanire. Men.ô Dieux !
 Ler.O Dieux ! ô Dieux ! Syl.Me craignez-vous ma mere ?
Avez-vous peur mon pere ?
Me cognoissez-vous pas ?

 Ler.Va t’en, va t’en Phantosme.
 Agl.N’ayez peur, & croyez
Que c’est vrayment la belle Sylvanire.

 Men.Sylvanire ma fille ?
 Ler.Ma fille Sylvanire ?
 Syl.Je suis celle-la mesme.
 Men.Et n’estois-tu pas morte ?
 Foss.O Dieu ! c’est Sylvanire,
Et c’est bien elle mesme
Qui retourne en ce monde.
Recule toy Phantosme,
Ne t’approche de moy,
Retourne avec tes os,
Et me laisse en repos.

 Syl.Tu me fuys donc, Fossinde ?
 Foss.Et qui ne s’enfuiroit ?
O Dieu comme elle parle !

 Hyl.L’ame de Sylvanire
O Dieux ! que cherche-t’elle ?
Va t’en, va t’en Phantosme.

 Syl.Je ne suis pas son ame seulement,
Touche, voicy le corps
De ceste Sylvanire.

 Hyl.Dieu ! c’est bien elle : ô c’est elle sans doute :
En quel pays, helas ! suis-je venu
Où les morts sont en vie ?

 Syl.N’en doutez point, je suis bien
Sylvanire.

 Hyl.J’avois bien oüy dire
Que les femmes avoient
L’ame au corps de travers,
Et qu’avec grande peine
Elle en pouvoit sortir :
Mais c’est bien plus cecy,
Puisqu’ayant veu de mes yeux Sylvanire
Morte dans le tombeau,
Je la revois en vie,
Car c’est elle en effect.

 Men.Mais es-tu bien ma fille ?
 Syl.Je la suis, ô Menandre.
 Ler.Sylvanire ma fille ?
 Syl.Ouy je suis Sylvanire,
Que ce traistre berger
Que Tirinte on appelle
Avoit mise au tombeau,
Et que le ciel plus juste,
A sa confusion,
A fait sortir ainsi que vous voyez.

 Men.Que je t’embrasse, ô mon enfant aymé !
 Ler.Que je te baise, ô soustien de ma vie !
 Men.Eh ! soient les Dieux loüez
De la grace qu’ils font
A mes vieilles années,
De te voir, mon enfant,
Encor un coup avant que de mourir.

 Foss.Eh ! ma chere compagne,
N’auray-je pas quelque part à la joye,
Puis que nostre amitié
M’a fait si bien ta perte ressentir,
Que je ne sçay comment
Dans le cercueil je ne t’ay point suivie.

 Le Ch.Et nous aussi, puis que tous nous avons
A ton depart pleuré
Devons nous pas nous resjoüyr aussi les autres
A ton heureux retour ?

 Syl.Aglante, & toy pourquoy comme
Ne te resjouys-tu
Que je sois retournée ?

 Agl.A ton depart je receus tant d’ennuis,
A ton retour tant de contentement,
Que n’estant mort, ny pour l’un ny pour l’autre,
Il ne faut plus penser
Que l’on puisse mourir
D’ennuy ny de plaisir.

 Men.Mais, ma fille, comment
Les Dieux t’ont-ils permis
De nous revoir encore ?

 Syl.Ce perfide berger
Que vous voyez si loin de tous les autres
Vous le pourra mieux dire.

 Tir.Ouy je le pourray dire,
Des ingrates bergeres
La plus ingrate & plus mescognoissante :
Ouy-da je le diray,
Je ne veux pas cacher
Jusqu’où l’affection
Que pour toy j’ay conceuë
M’a transporté, car aussi bien sois seure,
Puisque mon entreprise
A trompé mon espoir,
Qu’à vivre davantage
Je n’ay plus le courage.
 Sçachez donc, ô bergers,
Qu’espris de la beauté
De ceste belle, & trop ingrate fille,
Apres avoir trouvé
Toute chose inutile
A mon contentement,
Peines & soins, affections extrêmes,
Seruices & prieres ;
Enfin j’ay recouru,
Ne sçachant plus que faire,
A la ruse & finesse.
Donc avec artifice
Je la fis endormir,
Mais d’une telle sorte
Que chacun la creut morte.

 Men.O quelle trahison !
Et quel fut ton dessein ?

 Tir.Mon dessein, ô Menandre,
Fut de la retirer,
Comme j’ay fait, du creux de ce tombeau,
Sans que nul s’en prist garde,
Et la mener dans quelque antre sauvage
Y passer avec elle
Le reste de mon âge,
Sans soucy des parens,
Sans soucy des amys,
Sans soucy des troupeaux
Que je laissois icy :
Car la perte de tous,
Voire encor de ma vie,
M’est agreable & douce,
Pour obtenir ce que j’estimois tant.

 Le Ch.Mais à quelle rumeur
Sommes-nous accourus ?
Appelles-tu, Tirinte,
Seruices & prieres,
Affections & soins,
La force & violence
Dont tu voulois user,
Quand nous sommes venus ?

 Men.De la force à ma fille ?
 Tir.De la force, il est vray,
Berger, je ne le nie,
J’estois desesperé.

 Ler.De la force, ô pasteurs,
J’en demande justice.

 Foss.Comment, pasteurs, pourriez-vous bien souffrir
Que cét audacieux,
Sans ressentir la peine
D’une telle insolence,
Sortist d’entre vos mains ?
 Avoir, traistre & perfide,
Enclose en un tombeau
Ceste belle bergere ;
Avoir mis en danger,
Et Menandre & Lerice
De mourir de douleur,
Perdant leur chere fille,
Mesme en l’âge où ils sont ?
 Et puis outre cela
User encor de force,
Et contre son desir
La vouloir emmener ?
Quelle seureté pouvons-nous plus avoir
Avecque les bergers,
Si telles trahisons,
Et si tels attentats,
Ne sont punis ainsi qu’ils le meritent ?
 O vous pasteurs, qui sçavez de nos loix
L’ordonnance sacrée,
Faites que nos Druydes,
Par vostre bouche mesme,
Soient informez, & nous fassent justice.

 Men.Je la demande, ô pasteurs, à vous tous.
 Ler.Comment user de force ?
 Le Ch.Asseure-toy, Menandre,
Que tu l’auras bien-tost,
Le cas merite un supplice exemplaire.

 Foss.Attachez-le, bergers,
De peur qu’il ne s’eschappe.

 Tir.Non, ne m’attachez point,
Je suivray librement
Où vous voudrez aller :
En un lieu seulement
Je ne vous suivray pas,
C’est par où l’on s’éloigne
Du chemin du trespas.

 Hyl.Je veux le suivre, & voir quel jugement
Donneront les Druydes.

 Foss.Enfin il est tombé
Dedans son propre piege,
Je le tiens à ce coup,
Il ne peut m’eschapper,
Le ciel en soit loüé :
Mais je m’en vay le suivre,
Pour estre à temps lors qu’il sera jugé.


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SCENE VIII.



Lerice. Aglante.
Sylvanire. Menandre.


Lerice.

 O des bontez de Dieu
Inépuisable source !
O de ses jugemens
Ocean infiny !
Quelles graces jamais,
Telles que nous devons,
Te pouvons-nous rendre Menandre & moy ?

 Agl.Adjoustez avec vous,
Lerice, s’il vous plaist,
Aglante le berger
Le plus heureux du monde :
 Car de tous les bon-heurs
Où peut atteindre un homme,
Nul ne peut s’égaler
A celuy que je sens.
 Mais, ô sage Menandre,
Puis que le ciel tant de graces m’a faites,
Ne perdons point le temps,
Tous les dilayemens
Qui se font sans propos,
Ne sont rien d’ordinaire
Que la ruïne & perte d’une affaire :
Vous plaist-il pas accomplir le bon-heur
De nostre mariage ?

 Men.A nouveau faict il faut nouveau conseil :
J’avois promis à d’autres,
Avant qu’à toy, ma fille Sylvanire :
Chacun le sçait assez,
Tu le peux demander
A tous ceux du hameau.

 Agl.A nouveau fait il faut nouveau conseil ?
Par ainsi ta parole
N’aura non plus d’arrest
Que la plume qui vole ?

 Men.Ma parole est certaine,
Et c’est bien pour cela
Qu’ayant donné ma parole à Theante
Je la veux observer.

 Agl.O Dieux ! ô foy trompée !
O parjure Menandre !
O malheureux Aglante !
L’on vous deçoit ainsi :
Et vous souffrez, ô Dieux,
Si grande perfidie ?
 Oste-la moy, Menandre,
Oste-la moy, la vie,
Avant que me ravir
Celle qu’Amour, celle que le Destin,
Celle que toy, que Lerice sa mere,
Et qu’elle aussi d’accord m’avez donnée :
Car rien que le trespas
Ne m’en sçauroit priver :
Elle est mienne, elle est mienne,
Il faut qu’elle le soit,
Ou que je ne sois plus.

 Men.Et pour quelle raison
Pretends-tu Sylvanire ?

 Agl.Par la raison des gens,
T’en sçaurois-tu desdire ?
Par la corne on attache
Les bœufs & les taureaux,
L’homme par sa parole.

 Men.Theante en dit autant,
Et par ceste raison
Tu n’as pas plus de droict
Qu’il en peut bien pretendre,
Et tant s’en faut il en a davantage ;
Car il est le premier
A qui je l’ay promise,
Et si tu ne veux croire
Ce que je dis, berger,
Voila Lerice, & voila Sylvanire,
Demande leur si je ne dis pas vray.

 Ler.Il est certain. Men.Qu’en dis-tu Sylvanire ?
 Syl.Je l’ay bien oüy dire :
Mais.
Men.Qu’est-ce à dire ce mais ?
 Syl.Mais je n’y fus jamais.
 Agl.Escoute bien, Menandre,
Toute excuse cessante,
Nul autre que le ciel
Ne me sçauroit oster
Celle qui m’est acquise :
Je m’en vais aux Druydes,
Ils me feront justice,
Et s’ils ne me la font,
Et mon bras, & les Dieux
Me vengeront d’un parjure odieux.
Quand je perds le respect
Je sçay faire observer
La parole promise.


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SCENE IX.



Menandre. Lerice.
Sylvanire.


Menandre.

 Je l’ay bien oüy dire,
Mais je n’y fus jamais ;
La petite affetée,
Elle n’y fut jamais :
Or je t’asseure, & m’en crois, Sylvanire,
Qu’une autrefois, si je ne suis deceu,
Tu ne le diras plus :
Car en propre personne
Je t’y feray bien estre.
 Je l’ay bien oüy dire,
Mais je n’y fus jamais :
Quoy ? tu voudrois plustost
Cestuy cy que Theante ;
Il est plus à ton goust :
O je t’en feray faire
Des maris à ton gré,
Laisse m’en le soucy.
 Tu pouvois bien, Lerice, m’asseurer
Que ta fille feroit
Tout ce qu’il me plairoit :
Ouy, pourveu que je veuïlle
Tout ce qu’elle voudra :
Autrement sois certaine
Qu’elle te sçaura dire
Aussi bien comme à moy,
Je l’ay bien oüy dire,
Mais je n’y fus jamais.
 Tu l’as bien oüy dire,
Mais tu n’y fus jamais ;
C’est, & n’en doute point,
C’est là la prophetie
Du futur mariage,
Et d’Aglante, & de toy ;
Car tu l’as oüy dire :
Mais croy moy, Sylvanire,
Tu n’y seras jamais.
Mais viença, responds-moy,
Que peut avoir Aglante
Que Theante n’ait pas ?
Tu ne me responds point.

 Ler.Que voulez-vous qu’elle puisse respondre
A son pere en courroux ?

 Men.Je respondray pour elle :
Aglante a plus que luy
De jeunesse & d’erreur,
Il a plus d’imprudence,
Plus d’inexperience,
Plus de presomption,
Un peu plus de beauté,
Mais plus de pauvreté :
 Et faut-il pour cela
Le preferer, ainsi comme elle fait,
A ce sage Theante ?
A ce riche Theante ?
A ce noble Theante ?
A ce Theante enfin
Qui n’a rien qui ne soit
Plus qu’Aglante estimable ?
 Figure toy, l’homme plus accomply
Qui soit dessus la terre,
Qu’il sçache bien chanter,
Qu’il sçache bien danser,
Qu’il sçache bien parler,
Qu’il soit la beauté mesme :
Que chacun à le voir
Par la place s’arreste ;
S’il n’est bien riche, ô folle,
Ce n’est rien qu’une beste :
Si tu sçavois, ô peu prudente fille,
Si tu sçavois quel monstre espouvantable
Est la necessité,
Tu fremirois au nom de pauvreté :
Mais avec l’or qu’est-ce qu’on ne fait pas ?
Non seulement les hommes on surmonte,
Mais l’on fleschit les Dieux,
Les Dieux par les presens
Nous sont rendus propices,
Et le rameau, ce dit-on, que porta
Le grand Troyen, quand il vit les Enfers,
Parce qu’il estoit d’or,
Luy fit passer & repasser encor
Le fleuve de Caron.
 Quelques uns vont disant,
Que le ciel, que la terre,
Que l’air, le feu, la mer,
Le Soleil, les estoilles,
Sont les Dieux d’icy bas :
Mais je ne le croy pas.
 Car les vrays Dieux visibles
En la terre où nous sommes,
Pour le moins pour les hommes,
Ne sont que deux ; mais sçais-tu bien lesquels ?
L’or & l’argent, ayes ces Dieux chez toy
Et n’ayes peur de rien,
Tout te sera propice,
Et ce que tu voudras
Soudain tu l’obtiendras :
Mais au contraire
Avec la pauvreté
Toute chose desplaist,
Les incommoditez,
Les mespris, l’impuissance,
Sont accidens inseparables d’elle :
Et toutesfois Aglante te plaist mieux
Que ce riche Theante :
Es-tu tousjours en ceste mesme erreur ?
Quoy, tu ne parles point ?

 Syl.Pardonnez-moy, mon pere,
Vous estes en colere.

 Men.Reviens, où t’en vas-tu ?
Elle nous paye encore,
Ainsi que l’autre fois,
Par une reverence.
 O grands Dieux ! qui peut estre
Plus malheureux qu’un pere,
Sinon qu’un autre pere
Ayant encor davantage d’enfans.
 Qu’est-ce que d’en avoir
Comme j’en ay, sinon
Peine, crainte & soucy,
Et rien outre cela.
 Et bien elle s’en va,
Qu’elle s’en ressouvienne,
Nul ne void pour certain
La grandeur de la faute
Cependant qu’il la fait ;
Mais il la void apres,
Lors que la penitence
Remet devant ses yeux
Un trop tard repentir :
De mesme adviendra-t’il
A l’imprudente fille
Qui ne veut m’escouter.
 Mais je voy bien qu’ils s’en iront tous deux
Vers les sages Druydes,
Et diront leurs raisons
Sans leur parler des miennes,
Je m’en vay les trouver,
Et qu’ils s’asseurent bien
Qu’ils s’en repentiront.

 Ler.Encor faut-il excuser la jeunesse.
 Men.Excuser, c’est ainsi
Que tu me l’as gastée ;
Mais j’y mettray bien ordre.

 Ler.Vous la voulez perdre encor une fois.
 Men.O fust-elle perduë
Plustost que d’estre sotte.

 Ler.O cruauté d’un pere !
Helas ! ma pauvre fille.


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SCENE X.



Aglante.


 Non, non, il faut, Aglante,
Ou l’avoir, ou mourir ;
Que si l’on se resout
De te l’oster encore,
Il faut que ceste histoire
Finisse en Tragedie :
Car rien sinon la mort
Ne sçauroit separer
Aglante & Sylvanire.
 Mais, ô grands Dieux !
Quel fut l’astre cruel
Qui dominoit au poinct de ma naissance,
Puisque pour parvenir
Au bon-heur qui me fuit,
Et la mort & la vie
Egalement me nuit ?
Sylvanire estoit mienne
Helas ! si le tombeau
Ne me l’eust pas ravie :
Mienne dans le tombeau
Encore seroit-elle,
Si pour n’estre plus mienne
Du profond du tombeau
Elle n’estoit sortie.
 Que faut-il donc desormais que j’espere,
Si tout m’est si contraire ?
Sa mort m’osta le bien que je desire,
Sa vie encore, ô Dieux ! me le ravit :
Il ne faut donc penser
Que sa vie & sa mort
A mon contentement
Puisse estre favorable :
Voyons de moy ce qui le pourroit estre.
Mais si ma vie inutile à mon bien
J’ay tousjours retrouvée,
Que me reste-t’il plus
Que d’essayer la mort,
Resolus en nous mesme,
Qu’il nous faut l’un des deux,
Vivre avecque plaisir,
Ou bien mourir pour n’estre malheureux ?
 Il faut donc en la mort,
La fin de tous les maux,
Rechercher le salut.
Que jusqu’icy nous n’avons peû trouver :
Car sçaurois je esperer
De rencontrer plus de compassion
Dedans le cœur severe
Des rigoureux Druydes,
A qui ma plainte, helas ! je viens de faire,
Que dans celuy d’un pere & d’une mere ?
 Il ne faut plus il ne faut plus flatter
D’une vaine esperance
Le mal qui nous offense :
 A l’arrest du Destin
Rien ne peut resister ;
Inutiles & vains,
Contre l’effort du Ciel,
Sont les efforts humains.


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SCENE XI.



Sylvanire. Aglante.


Sylvanire.

 Helas ! ô Dieux ! où le rencontreray je,
Celuy que mon cœur ayme
Cent fois plus que soy-mesme ?
Mais ne le voila pas ?
O l’heureuse rencontre
Pour subjet malheureux !

 Agl.Bien-heureuse rencontre,
Quoy que puisse avenir,
Sera tousjours la vostre.

 Syl.Aglante mon berger,
Escoute je te prie,
Ce que je te viens dire.
 J’ay trouvé les Druydes
Assemblez pour juger
Le malheureux Tirinte,
Et j’y suis arrivée
Qu’à peine en sortois tu.
 Je leur ay fait ma plainte,
Je leur ay remonstré,
Que j’estois tienne, & qu’Aglante estoit mien ;
Qu’avec permission
Et de mon pere & de ma mere aussi,
En leur mesme presence,
J’avois receu de toy,
Et toy de moy, le serment reciproque
D’un sacré mariage,
Qui nous lioit tous deux
D’indissolubles nœuds,
Non pas par des paroles
Qu’à l’advenir on deust effectuer ;
Mais que dés lors nous-nous estions donnez,
Et nous estions receus
Pour femme & pour mary,
Et tels aussi nous voulions vivre ensemble.
 A peine ay-je peu dire
Ces dernieres paroles,
Que Menandre est entré,
Et Lerice avec luy,
 Mais comment ? en cholere,
Les yeux ardents, comme de nuict on voit
Un charbon allumé,
Le visage enflammé,
Les jambes & les mains
Tremblantes de courroux :
 A grand’peine a-t’il dit,
Recommençant cent fois
Le nom de Sylvanire,
Tant il estoit de passion extreme
Presque hors de soy mesme,
Le voyant tel, & ne pouvant souffrir
Sa presence irritée
Je me suis dérobée
Pour te venir chercher,
Et t’asseurer, Aglante,
Que mon affection
Jamais ne changera,
Quoy qu’ordonne au contraire,
Ny l’arrest des Druydes,
Ny celuy de mon pere,
Tienne je suis, & tienne je seray
Autant que je vivray.

 Agl.O belle Sylvanire,
Que mienne, mon malheur
M’empesche d’oser dire.

 Syl.Dy-le berger en despit du malheur,
Tienne je suis, & tienne de bon cœur.

 Agl.O belle Sylvanire,
Que puis que vous voulez,
En despit du malheur
Mienne j’oseray dire,
Quelle grace jamais
Faut-il que je vous rende
D’une faveur si grande ?
Puis que non seulement
Il vous a pleu d’aymer
Un berger sans merite,
Mais desdaigner encore
Un si gentil berger
Que peut estre Theante,
Mespriser ses richesses,
Et ses commoditez,
Pour vivre avec Aglante ?
Aglante qui n’a rien
Qui puisse estre estimable,
Sinon qu’il ayme bien.
 Mais en cela je proteste & je jure,
Que si de tous les cœurs
Qui sont en l’univers
Un cœur se pouvoit faire
Pour seulement aymer
Autant comme je fais,
Tous ses efforts resteroient imparfaits.
 Je veux que ceste amour
Par son extremité
Supplée à toutes choses
Qui defaillent en moy :
Je veux que chacun die,
Considerant vostre perfection,
Et mon affection,
L’une sans l’autre eust esté sans égale.
Recevez donc la foy,
La foy que je vous jure
Si parfaitte & si pure,
Pour gage qu’à jamais
Aglante sera vostre ;
Mais de telle façon,
Que le ciel peut encor
Se broüiller en la terre,
Et tous les elemens
Dans la confusion
De l’antique cahos :
Mais jamais, mais jamais
Aglante on ne verra,
Sans que de Sylvanire
Les beautez il n’adore,
Plus s’il se peut qu’il ne fait pas encore.
 Et quoy que la rigueur
D’un pere impitoyable,
Ou bien l’inique arrest
D’un juge inexorable
Me puisse retarder
L’heur que nous desirons ;
Ne croyez, Sylvanire,
Que mon affection
Puisse diminuer.
 Ma passion peut bien
Augmenter à l’extreme,
Mais non pas m’empescher
Qu’à jamais je vous ayme.
Je ne meriterois
De respirer cét air,
Ny de voir la clairté
Que le Soleil nous donne,
Ny d’estre entre les hommes,
Si je manquois à l’obligation
Où m’a mis Sylvanire.

 Syl.Point, point, Aglante, point d’obligation,
Quoy que je puisse faire,
Ne sçauroit satisfaire
A celle en qui l’amour
Envers toy m’a liée,
Et tous ces témoignages
De bonne volonté,
Reçoy les pour tribut
De mon affection :
Je paye ainsi les devoirs qui sont deuz
A l’amour reciproque,
Dont Amour me lia,
Alors que Sylvanire
Pour femme il te donna.


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SCENE XII.




Alciron. Sylvanire.
Aglante.


Alciron.

 Mais si veux-je bien estre
Le premier à leur dire
Les nouvelles que j’ay :
Où les rencontreray-je ?

 Syl.Quelles sont tes nouvelles,
Et qui vas-tu cherchant ?

 Agl.Berger fay nous en part.
 Alc.C’est vous deux que je cherche.
 Agl.Moy, berger ? Alc.Vous & vous.
 Syl.Et moy j’en suis aussi ?
 Alc.Vous en estes tous deux.
Celuy soit malheureux
Qui vous separera.

 Agl.Et que me veux-tu dire ?
 Alc.Que tienne est Sylvanire,
Et que tien est Aglante.

 Syl.O que Dieu te contente.
 Agl.Mais te mocques-tu point ?
 Alc.Comment ? Si je me mocque,
Pourquoy voudrois-je, Aglante,
User de mocquerie
Avecque des personnes
Que j’honore si fort ?

 Syl.Mais comment le sçais-tu ?
 Alc.Je le diray, je me suis rencontré
Lors que Menandre, outré de la cholere
S’est presenté devant le grand Druyde
Pour rompre ceste affaire :
Quelles raisons n’a-t’il point rapportées ?
Une fille jamais,
Disoit-il, ne se peut
Lier en mariage
Sans le vouloir du pere :
 Mais (luy respond Hylas,
Parlant pour vous) Sylvanire a receu
Aglante pour mary
Avecque le congé
De Lerice & de toy.

 Syl.Hylas disoit bien vray.
 Alc.Alors Menandre, il est vray, je confesse
Que pensant que ma fille
Estoit preste à mourir,
Je luy permis tout ce qu’elle voulut :
Mais mon intention
Fut seulement de luy donner pour lors
Quelque contentement,
Estant bien resolu,
Que si du mal elle pouvoit guerir,
Je la redonnerois
Encores à Theante.

 Syl.O le trompeur qu’il est !
 Alc.Soudain Hylas respond :
Si telle ruse estoit authorisée,
Adieu tout le commerce
Qu’on void entre les hommes,
Et qui d’orenavant
Se pourroit asseurer
De chose qu’on promette ?
Nul ne sçauroit entrer
Dans le secret du cœur,
L’on ne contracte pas
Avecque la pensée,
C’est avec la parole
Que tout homme s’oblige,
Et ta fille eut congé.
 Ce congé ne vaut rien,
Reprend soudain Menandre,
Parce qu’auparavant
Nous avions Sylvanire
A Theante promise.

 Agl.Ceste promesse est nulle,
Elle n’y consentant.

 Alc.Hylas en dit autant.
Mais qui la rendroit nulle,
Dit Menandre en cholere,
Le pere n’est-il pas seigneur de son enfant ?
N’en peut-il pas disposer comme il veut ?
 Tu te trompes, Pasteur,
Dit froidement Hylas,
Les enfans parmy nous
Naissent enfans, & non pas des esclaves,
Ce seroit autrement
Honte que d’estre pere,
Et la terre où nous sommes
Seroit bien diffamée,
Si la seule en la Gaule
Elle ne produisoit
Des hommes francs & libres,
Mais seulement des serfs & des esclaves.
 Hylas vouloit continuer encore,
Lors que Menandre enflammé de cholere
Voulut respondre aux raisons du berger :
Mais les sages Druydes
Leur imposant silence :
C’est assez, ont-ils dit,
Car vos raisons nous sont assez cognuës :
Si bien que le respect
A fait taire Menandre,
Attendant quel arrest
Les sages donneroient :
 Mesme qu’alors Tirinte
Conduit pardevant eux
Attendant la sentence
Ou de vie ou de mort,
Impatient au pied du Tribunal :
Qui m’accuse, dit-il ?
Et pourquoy suis-je icy ?

 Syl.Mais qu’est-ce qu’ont jugé
Les Druydes de nous ?

 Alc.Donne moy le loisir
De te le pouvoir dire :
Fossinde alors se faisant faire place :
Miserable berger,
Dit-elle en souspirant,
Demandes-tu qui te peut accuser ?
Les rives de Lignon,
Les prez, & les bocages,
Les antres, les forests,
Les sources, les ruisseaux,
Les hommes, & les Dieux,
Tous t’accusent, berger,
Tous demandent vengeance ;
Mesme ta conscience
De ton meffait & de ta trahison
Te juge & te condamne.

 Syl.Et Fossinde a parlé
Ainsi contre Tirinte.

 Alc.Chacun l’ayant oüye
Comme toy s’estonna,
Parce que presque tous
Sçavoient bien son amour.
 Mais luy sans s’émouvoir,
Parle aux Juges, dit-il,
Accuse ce Tirinte
En ce qu’il a forfait,
C’est d’eux, & non de moy
De qui tu dois attendre
Le juste chastiment
De ses fautes commises :
Penses-tu que je manque
De cœur pour supporter
Les supplices qui peuvent
Ton ame contenter,
Ou ma faute effacer ?

 Agl.Son courage estoit grand,
Et chacun le doit plaindre.

 Alc.Elle alors rougissant,
Et se tournant vers les sages Druydes :
Ce berger inhumain
Que vous voyez à vostre Tribunal,
C’est le berger, dit-elle,
Le plus digne de mort
Qui fust jamais accusé devant vous.
 Il ayma Sylvanire,
A ce qu’il va disant :
Mais qui le pourroit croire ?
Jamais il ne cogneut
Les forces de l’amour,
Quoy qu’à l’amour ses fautes il rejette :
Fait-on mourir la personne qu’on ayme ?
Et toutesfois il n’a pas seulement
Presenté le poison
A ceste belle fille,
Mais le cruel l’a-t’il pas veu mourir
Avec tant de douleurs,
Qu’il faut bien n’avoir point
Ny d’amour ny de cœur,
Pour avoir le courage
De faire à ces beautez
Un si cruel outrage :
 Mais de sa mort s’est-il encor saoulé ?
Non, non, sages Druydes,
Il la va déterrer,
Il veut paistre ses yeux
D’un forfait qu’une Tigre
N’auroit pas perpetré ;
N’est-ce pas là le comble plus extreme
De l’inhumanité ?
 Mais oyez des grands Dieux
La clemence infinie :
Ce perfide retrouve,
Contre son esperance,
La
Morte-vive, vn miracle si grand
Devoit-il pas luy ramollir le cœur,
Et touché dedans l’ame
D’un puissant repentir
Luy faire detester
L’erreur qu’il avoit faite ?
 Au contraire il s’obstine,
Adjouste crime à crime,
Et monstre bien estre vray ce qu’on dit,
Qu’enfin l’abysme appelle un autre abysme.
 L’ayant doncque trouvée
Vive dans le cercueil,
Peut-estre qu’à ses pieds
Pardon il luy demande ;
Tout au contraire il la veut dérober,
Et par force emmener
Dans des antres sauvages,
A quel dessein ? vous le pouvez penser,
Et croit que ce forfait,
Aux hommes bien caché,
Aux Dieux aussi de mesme le sera.
 Mais seulement il en eut le vouloir,
Sans toutesfois mettre la main à l’œuvre :
Non, non, sages Druydes,
Il a mis en effect
La resolution
D’une telle pensée,
Ou pour le moins il s’en mit en devoir,
Et n’eust esté qu’aux cris de Sylvanire
Ces bergers accoururent,
Qui la force à la force
Vaillamment opposerent,
Dieu sçait que ce felon
N’eust entrepris contre une foible fille.

 Syl.Fossinde a bien dit vray.
 Alc.Je vous ay dit le crime,
Continua Fossinde,
Vous sçavez mieux que nous
Ce que les loix ordonnent,
On demande justice,
C’est à vous de la faire,
Et l’attendre des Dieux.
Comme vous la rendrez.

 Agl.Que respondit Tirinte ?
 Alc.Elle a raison, ô tres-sages Druydes,
Respond Tirinte alors,
Disant que j’ay failly,
Mais elle a tort aussi
De m’accuser d’un crime auquel mon ame
N’a jamais consenty.
Je ne refuse pas
Les tourmens ny la mort,
Je suis assez coulpable,
Je le confesse, & n’ay point de raison,
Ny n’en veux point avoir
Pour m’excuser du moindre des supplices
Qui me sont preparez :
Mais que sert-il d’adjouster sans raison
Des crimes faux aux crimes veritables ?
 Je l’ayme trop, & l’ay tousjours aymée
De trop d’affection,
La belle Sylvanire,
Pour avoir le courage
De luy faire du mal ;
Je ne dis pas seulement par l’effet,
Mais avec la pensée,

 Il est vray, mais deceu,
J’ay donné le poison :
Que je sois seulement
Deschargé de ce crime,
Tous les autres j’advoüe,
Ne me souciant guere
Des plus cruels supplices
Dont je suis menacé,
Pourveu que nette & pure
J’emporte mon amour
Dedans ma sepulture.
A ce mot il se teut.

 Agl.Courage resolu
D’un genereux berger.

 Alc.Et parce qu’au grand bruit
J’estois comme plusieurs
Accouru sur le lieu,
Ne pouvant supporter
De voir sa cause ainsi mal defenduë,
Je me mis en avant
Pour respondre à Fossinde.
Mais luy soudain mon dessein cognoissant :
Cesse amy, me dit-il,
Je veux mourir enfin,
Heureux qui meurt ne pouvant vivre heureux.
Mon amour toutesfois
Encore un coup me fist ouvrir la bouche :
Mais luy pour m’interrompre,
O tres-sages Druydes,
S’escria-t’il, c’est la compassion,
Et non la verité
Qui fait que ce berger
Veut defendre ma faute,
Vous ne le croyez pas,
Car je le desadvoüe.

 Syl.Que faisoit lors Fossinde ?
 Alc.Elle se sousrioit :
Mais voy, berger, lorsque le ciel ordonne
Que quelque chose en la terre se fasse
Comme il va disposant,
Tout ce qui peut telle chose parfaire,
Lors que peut-estre en plus d’incertitude
Tes affaires, Aglante,
S’en alloient balançant.

 Agl.O qu’il est dangereux
D’estre sousmis au jugement des hommes !

 Alc.Voila pas que Theante
Suivy de plusieurs autres
Accourt au Tribunal :
Chacun à foule auprés de luy se presse
Pour oüyr les raisons
Qu’on croyoit qu’il peust dire
Pour avoir Sylvanire.
 Peres, dit-il, je viens vous declarer
Que Sylvanire à quelque autre peut estre,
Mais non pas à Theante.
 Si l’amour est folie,
Il faut dire manie,
Encore plus extreme,
D’aymer qui ne nous ayme,
Et comme que ce soit
Grande est la servitude
Du mariage, & mille fois plus grande
Celle dont les liens
Des nœuds d’amour ne sont point attachez.
 Il partit à ce mot,
Quoy que luy dist Menandre.
 Alors le grand Druyde
Prononça ces paroles.
 Libre est la volonté,
Et d’un libre vouloir
Sont faits les mariages :
Que Sylvanire espouse donc Aglante,
Et que Menandre en cela se contente.

 Agl.O tres-juste decret !
 Syl.O tres-justes Druydes !
C’est bien avec raison
Que peres l’on vous nomme.

 Alc.Mais escoutez qu’il advint de Tirinte :
Tel fut le jugement.
 Amour permet, & nous le permettons,
Dit alors le Druyde,
Que tout amant essaye
Avec tout artifice
D’obtenir ses desirs
De celle qu’il adore.
 Dans le regne d’Amour
Le larcin est permis,
Les ruses, les finesses
S’appellent des sagesses.
 Mais qu’on se garde bien
De force & violence,
L’amour est volontaire,
Et qui fait au contraire,
Par ceste deité
Est criminel de leze majesté :
 Pource Tirinte en vertu de la loy
Absous est declaré
De toutes ses finesses ;
Car Amour les advoüe :
 Mais pour la violence
Dont il est convaincu,
Nous ordonnons pour juste chastiment
D’un si grand démerite,
Du rocher malheureux
Que l’on le precipite.

 Agl.O dur arrest ! ô cruelle sentence !
 Syl.Donc Tirinte mourra.
 Alc.Donnez-vous patience.
En mesme temps Tirinte est attaché,
Chacun le pleure, & tous blasment Fossinde
De l’animosité
Qu’elle a monstrée envers ce beau berger.
 Elle au rebours d’un visage joyeux,
D’un œil riant, Tirinte je confesse,
Luy dit-elle tout haut,
Que je te vois reduit au mesme poinct
Que dès long-temps j’avois tant souhaité :
Et bien, luy respond-il,
Tu dois estre contente :
Quant à moy je le suis,
Saoule toy de mon sang.
 Non, non, dit-elle, insensible berger,
Ce n’est pas de la sorte
Que je l’entends : si je t’ay souhaité
En cét estat, c’est pour faire paroistre
Qu’amour en moy surpasse ta rigueur.
 Lors se tournant vers les severes Juges :
Puis que vous condamnez
Selon la loy, dit-elle, ce berger,
Selon la loy de mesme je demande
Que vous me le donniez
Pour mon mary, puisque la loy le veut.

 Syl.Vrayment elle fit bien.
 Agl.Mais voyez quelle ruse,
L’accuser pour l’avoir.

 Alc.Mais escoutez d’une amour insensée
Le conseil insense :
Tirinte condamné
Au rocher malheureux,
Et rappelé de la mort à la vie
Par l’amour de Fossinde,
Ayme mieux du rocher
L’horrible precipice,
Que de ceste Fossinde
L’amour ny les faveurs.
 Doncques, ce disoit-il,
Je la racheteray,
Ceste vie odieuse,
D’une vie à jamais
Odieuse pour moy
Mille fois davantage ?
Doncques pour ne mourir
Une fois seulement,
Tous les jours je mourray ?
Quoy ? tous les jours, mais à tous les moments
Mille fois je mourray ?
 Vaut-il pas mieux achever tout d’un coup
Le destin malheureux
Que le ciel nous ordonne,
Et de tant de malheurs
Tromper la tyrannie,
Que vivre encor pour ne vivre jamais,
Puis que ce n’est pas vivre
Que vivre malheureux ?
 Ainsi disoit Tirinte,
Et pressé du regret
De perdre Sylvanire
S’alloit mettre à genoux,
Pour declarer que la mort à l’amour
Il vouloit preferer :
De quel aveuglement
Est occupé l’amant !
 Et desja les genoux
Il fléchissoit devant le Tribunal,
Joignoit les mains ensemble :
Peres, voulut-il dire,
Quand j’accourus, de la main luy fermant
Desja la bouche ouverte,
Sur luy je m’abouchay :
Je veux doncques mourir,
Luy dis-je, comme toy,
Si tu ne veux pas vivre ;
A mon exemple alors
Les parens, les amis
De ce gentil Berger,
Dont le nombre estoit grand,
M’aydant à cét office,
Pour lors nous arrestâmes
Le cours precipité
De ce mauvais conseil.

 Syl.En cét instant, mais que faisoit Fossinde ?
 Alc.Toute estonnée elle paslit d’abord,
D’un œil chargé d’effroy
Le va considerant,
Reste immobile, & d’un pas se recule :
Puis tout à coup, Doncques c’est moy, Tirinte,
Qui suis ton homicide :
C’est donc, dit-elle, moy
Qui t’ay conduit au rocher malheureux :
 Il ne sera pas vray,
J’ayme mieux que ma mort
Tesmoigne ma pensée,
Que si jamais Tirinte pouvoit croire,
Ou quelque autre apres luy,
Que Fossinde, ô grands Dieux !
Eust sa mort consentie.
 Escoute donc, berger,
Reçoy ceste Fossinde,
Si tu ne veux pour femme,
Dis-la seulement telle,
Pour fuyr la rigueur
Des loix qui te condamnent,
Et puis tiens-la pour ce que tu voudras,
Tiens la pour ton esclave,
Telle je veux bien estre
Et moindre s’il se peut,
Pourveu que de Tirinte
Le destin je deçoive.

 Agl.Elle me fait pitié.
 Alc.Tout de mesme en fit-elle
A tous ceux qui l’oüyrent :
Et parce que les pleurs,
Et les sanglots luy refusoient la voix,
Ce silence contraint
Parloit sans doute à ce berger cruel
Avec plus d’eloquence.
 Quelque temps sans parler
Il la considera
En l’estat où je dis,
Et cependant l’Amour
Qui, comme on dit, ne pardonne jamais
A la personne aymée
Les cruautez qu’elle fait à qui l’ayme,
De sorte à ce Tirinte
Representa l’entiere affection
De ceste honneste fille,
Qui pouvoit estre ditte
Opiniastreté
Plustost qu’affection,
Qu’enfin vaincu, Je mets à bas les armes,
Et je me rends, dit-il,
Fossinde ton amour
A surmonté ma resolution,
Et luy tendant la main,
Soit doncques pour jamais
Tirinte à sa Fossinde,
Fossinde à son Tirinte.
 Un battement de mains
Remplit soudain le lieu
De bruit & d’allegresse,
Et Menandre & Lerice
Ensemble avec Alcas
Par les mains se prenans,
D’un visage joyeux,
C’est aujourd’huy, dirent-ils d’une voix,
Le jour heureux que le Ciel establit
Pour le contentement
Des bergers de Lignon.
 Soit Yo redoublé,
Soit Hymen appellé,
Soient les Dieux invoquez,
Les Pans, les Egipans,
Les Nymphes, les Dryades,
Tout se doit resjoüyr,
Et vous tres-justes Peres
Concedez à Fossinde
Sa trop juste demande.
 Nous pardonnons Tirinte
Et Sylvanire aussi,
Veuïllez que tous ensemble
Au temple nous allions
Remercier les Dieux,
Et finir, puis qu’ainsi
Ils monstrent qu’ils le veulent,
D’Aglante & Sylvanire,
De Tirinte & Fossinde,
les heureux mariages.

 Syl.O c’est bien à ce coup,
Que mon cœur est content,
Puis que mon pere & que ma mere aussi
A la fin y consentent.

 Alc.Les Druydes alors
Pleins de contentement,
En vertu de la loy
Et du consentement
D’Alcas le bon Pasteur,
Accorderent Tirinte
A la fine Fossinde,
Et ton pere embrasserent
D’extreme joye, & moy pour te le dire
Je suis venu courant,
Afin d’estre premier
A ces bonnes nouvelles,
Pour satisfaire au mal que je t’ay fait ;
Car ce fut moy qui donnay le miroir,
Comme amy de Tirinte,
Qui te mit au cercueil :
Et je voudrois bien estre
Pour le moins à ce coup
Ministre de ta joye,
Comme j’avois esté
Ministre de ton deüil.

 Syl.Ministre vrayement
Es-tu bien de ma joye,
Puisque ton artifice
Fut cause que j’obtins
Cét Aglante que j’ayme :
Alciron à jamais
Soit heureux & content,
Duquel la sage ruse
Non seulement j’excuse,
Mais j’estime & benis.
 O que tardons-nous plus
Allons-nous en, Aglante,
Nous prosterner aux pieds
De Menandre & Lerice,
Et de nos justes Juges.

 Agl.Allons, nous le devons :
O jour trois fois heureux !

 Alc.Il vous cherchent par tout,
Pour vous conduire au Temple :
Mais les voicy qui viennent.

 Syl.Je les voy, les voicy,
Allons, mon cher Aglante.


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SCENE DERNIERE.



Sylvanire. Aglante.
Menandre. Lerice.
Fossinde. Alciron.
Tirinte. Hylas.


Sylvanire.

 Si je vous ay dépleu
Vostre grace j’implore,
Pardonnez ma jeunesse.

 Agl.Et mon affection.
 Men.Mes enfans ; car tous deux
Je vous reçoy pour tels,
Oublions le passé,
Et l’effaçons du tout :
Faisons un autre livre
Où je mettray tous les contentemens
Que je dois recevoir
Et de l’un & de l’autre,
Et vous les témoignages
De mon affection,
Et pour bien commencer,
A toy, mon fils Aglante,
Je donne Sylvanire,
Tu merites bien mieux :
Mais à toy, Sylvanire,
Aglante je te donne,
Et je sçay bien que tu ne veux pas mieux.
Les Dieux vous soient propices & benins,
Et prolongent vos jours,
Avec contentement,
Au nombre de l’areine.

 Agl.Quand les bien-faits peuvent estre égalez
Par les remercimens,
Ou bien par les services,
Il faut user d’effect & de paroles
Pour n’estre point ingrat :
 Mais lors que leur grandeur
Surpasse la puissance,
Et des remercimens,
Et de tous les services,
Il faut recourre aux vœux,
Et prier les grands Dieux
Par leur bonté, de vouloir satisfaire
A de si grandes debtes.
 Et c’est ainsi qu’en ceste occasion
Je suis contraint de faire,
Estant si grand le bien que je reçois
Que je ne le puis dire
Ny satisfaire aussi,
Qu’en suppliant les Dieux,
Les Dieux tous bons qu’ils veuïllent recognoistre
Tout ce que je vous dois,
Et cependant donnez-moy vostre main,
Et vous aussi ma mere,
Afin que je les baise,
Pour un seur témoignage
De mon fidelle hommage.

 Syl.J’en dis autant, ma mere.
 Ler.Mes chers enfans, je vous reçoy tous deux
Pour mes propres enfans,
Et comme tels je veux que vous m’aymiez,
Et vivez bien-heureux.

 Foss.Et nous n’aurons-nous pas
Quelque recognoissance
De bonne volonté ?
Nostre vieille amitié
Ne fera-t’elle pas
Que tous les desplaisirs
Que vous avez receuz
De l’amour de Tirinte ?

 Alc.Et de mes artifices ?
 Foss.Soient oubliez dans vos contentemens ?
 Syl.Tout, tout, Fossinde, il n’en faut plus parler.
 Foss.Aglante & toy ? Agl.Je n’ay jamais hay
Personne qui voulust
La belle Sylvanire,
J’eusse esté trop injuste
De blasmer en autruy
Ce qu’en moy j’estimois,
Et crois-le ainsi, Tirinte.

 Tir.J’ay desiré plus que moy Sylvanire,
Et tout ce que j’ay peû
Pour la gagner je l’ay fait, je l’advoüe,
Les Dieux te l’ont donnée,
Garde-la bien, Aglante,
Pour moy je me contente,
Puis que les Dieux ainsi l’ont ordonné,
De l’amour de Fossinde.

 Men.Or allons mes enfans
De l’Amour triomphans,
Allons au Temple, allons ;
Un bien-fait recogneu
Doit esperer des Dieux
D’avoir encore mieux.

 Hyl.Heureux amants, voila de vostre peine
 Le loyer merité,
Vostre constance à ce coup n’est point vaine,
 Ny vostre loyauté :
Que si tousjours semblable recompense
 Un cœur fidelle attend,
A vostre exemple ? ah ! quant à moy je pense
 Que je seray constant.


LE CHOEUR.


 Amour pour passetemps
D’une mesme racine,
Produit en mesme temps
Et la rose & l’espine.
 Si la fleur on en veut,
Qu’en soy-mesme on propose,
Que l’espine se peut
Rencontrer pour la rose.
 Mais qui retirera
La main pour la piqure,
Jamais il n’en aura
Que la seule blessure.
 Qui veut donc ceste fleur,
Qu’il n’en craigne la playe ;
Car il doit estre seur
Qu’enfin l’Amour nous paye.



FIN.