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Le Sireine


Cette numérisation a été réalisée avec le soutien de Sorbonne Université.

Sommaire :





LE
SIREINE
DE MESSIRE HONORÉ D’Urfé, Gentil-Homme de la Chambre du Roy, Capitaine de cinquante hommes d’armes de ses Ordonnances, Comte de Chasteau-neuf, Baron de Chasteau-Morand, & c.

BONA
FIDE

A PARIS,

Chez Jean Micard, tenant sa
boutique au Palais, en la Gallerie
allant à la Chancellerie.
1606.
Avec Privilege du Roy.


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LE LIBRAIRE. AU LECTEUR.




 Je te fay voir, amy lecteur, le Sireine de Monsieur d’Urfé en meilleur estat, qu’il n’estoit pas ces années passées ; que je l’imprimay sur une tres-mauvaise coppie, changée, & deffaillante presque en toutes les parties principales de l’œuvre, parce que celuy qui me la donna ne prit pas garde que depuis l’autheur l’avoit plusieurs fois retouchée, & que celuy qui la luy avoit donnée l’avoit escrite à la haste, comme la prenant à la desrobée & à l’insçeu de l’autheur. Dequoy j’ay bien voulu t’advertir, & ensemble te dire que la France doit beaucoup esperer de ce bel esprit, puis que cet essay qu’il fit en son enfance, & à peine sorty de ses premiers estudes, est tel qu’en ce subject tu jugeras qu’il ne doit ceder aux meilleurs escrits de nostre siecle : Car des deux parties de l’amour, plaisir, & ennuy, n’ayant prisé que la derniere pour son subject, il l’a traictée si heureusement que par force il faut admirer le jugement qu’en un tel aage il a monstré, soit pour l’eslection soit pour la liayson de la fable, qui est tellement appropriée à ce que nous en avons désja veu, qu’il n’y a personne qui ne la prenne pour estre d’une mesme piece. Et parce que ceste œuvre ainsi deschirée, & desbiffée, faisoit mal au cœur à plusieurs qui l’avoient veuë en meilleur estat, & que tous les jours j’en avois du reproche, j’ay esté curieux d’en recouvrer une bonne coppie, à fin de te la faire voir telle qu’elle doit estre, reçoy donc en bonne part le soing que j’en ay eu, & jouys heureusement & longuement de mon labeur : Et à Dieu.

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 Madame,
Mon Sireine vous va trouver, & ma dict que trois occasions l’ont poussé à ce voyage. L’une pour vous rendre le devoir à quoy vous est obligé tout ce qui procede de moy, l’autre pour voir en vous s’il est possible que quelque chose soit plus parfaicte que sa Diane. Et en fin pour vous representer, que puis que vous la surpassez, & en bonté & en vertu, vous la devez aussi surmonter, & en amitié & en resolution. Et moy je l’accompagne de ce mot, pour vous dire que vous n’espereriez en moy, ny la patience, ny la constance de Sireine : car à un tel accident que le sien je n’ay point d’autres armes que la mort. Doncques si vous voulez ma vie n’imitez ceste Diane en la conclusion des services de,


 Vostre tres-humble, & tres-fidelle serviteur, Honoré d’Urfé.

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LE
DESPART DE SIREINE.





LIVRE PREMIER.




 Je chante un despart amoureux,
Je chante un exil rigoureux,
Et un retour plein de martyre :
Amour qui seul en fus l’autheur
Laisse pour quelque temps mon cœur,
Et viens sur ma langue les dire.


 Vous de qui le bel œüil vaincœur
Me fist jadis dedans le cœur,
Des blessures tant incurrables :
Voyez Sireine, & sa pitié
Fasse qu’en vous mon amitié
Ne se pleigne de coups semblables.


 Pres d’un rivage verdoyant
En courbés replis ondoyant,
Sous l’ombre d’un penchant boccage
Esmaillé d’un printemps de fleurs,
Où qui eust eu moins de douleurs,
Eust peu se plaire au frais ombrage.


 Sireine amoureux pastoureau
Conduisant son camus trouppeau,
Vint pour fuyr le chaut extréme,
Tellement troublé de l’ennuy
Qu’il sembloit de vivre en autruy,
Tant il estoit mort en soy-mesme.


 Ce ruisseau sourdoit d’un rocher,
Que devoit, n’eust osé toucher
De main, ny de langue alterée,
Ny le Berger ny son trouppeau,
Parce qu’ils croyoient que ceste eau
Fut à Diane consacrée.


 Son onde alloit à petits bonds
Flottant par les menus sablonds
Qu’elle emportoit hors de la source,
Et qui autour d’elle accueillis
Faisoient un si doux gazoüillis,
Qu’ils sembloient animer sa course.


 Le bort qui de tuf s’eslevoit
L’eau dans son gyron reçevoit,
Dont la vapeur rendue espesse
Verdissoit d’un lymon baveux
Au pointes du rocher plus creux,
Qui sembloient pleurer de vieillesse.


 La mousse en haut comme les crins
De ce rocher à menus brins
En riche toison s’amoncelle,
Et plus le chaut la veut seicher,
Et plus son humide rocher
Incessamment la renouvelle.


 Ceste mousse tout à l’entour
Alloit faisant le mesme tour
Que le tuf, & sembloit si belle,
Qu’on eust dict que nature esleust
Ce lieu pour faire qu’on s’y pleust,
Et que l’on l’admirast en elle.


 Ses borts en sieges rehaussez
S’ouvroient en des lieux crevassez,
Cavez comme par artifice,
Sieges, où les Nymphes le soir
Ce dict-on, se venoient asseoir,
Lassées de trop d’exercice.


 Un peu plus en la reculez
Les Alisiers eschevelez
Faisoient à l’entour mainte allée
Rouges des bouquets de leur fruicts,
Et d’eux la fontaine despuis
Des Alisiers fut appellée.


 En ce lieu Sireine Berger,
Pour mieux à son ennemy songer,
Mena sa trouppe toisonnée,
Encor que le soleil panchant
Fut plus prés désja du couchant,
Que d’où commance sa journée.


 Il portoit à rebras fort long
Un chappeau de moüelle de jong,
De peau de Chevreüil noire, & blanche,
Son paletot se herissoit,
Qu’une boucle d’ayrain pressoit,
Des deux costez dessus la hanche.


 Sa houlette dedans la main
A gros nœuds recouvers d’ayrain,
Du tyge d’un fresne esbranchée,
De fer blanc son bout fut cerné
Et le bas de cuyvre morné,
Pour n’estre aux rochers esbreichée.


 Au dessus de son hoqueton
Grossissoit d’un bel avorton
De biche sa grand panetiere,
Au baudrier de chévre pendant
Si bas, qu’elle alloit descendant
Jusqu’au prés de la jartiere.


 Sa musette le plus souvent
Pour son deüil lors vuide de vent,
Estoit presque seiche de pouldre,
Son ventre estoit faict de la peau
D’un cerf, de prunier son pippeau,
Et les anches estoient de coudre.


 Ce Berger adoroit mourant,
Ce Berger mouroit adorant,
Des beautez la beauté plus belle,
Une Diane estoit son cœur,
D’une Diane il eust tant d’heur
Que l’aymant il fut aymé d’elle.


 Naissant ceste fille avoit eu
Tant de beauté, tant de vertu,
Et depuis devint si parfaicte
Que son nom n’eust jamais esté
Discrette à faute de beauté,
Ny belle pour n’estre discrette.


 Si d’elle il estoit le soucy,
Elle de luy l’estoit aussi,
Si elle n’aymoit que Sireine,
Sireine moins ne l’adoroit,
Ainsi esgalement serroit
Ces deux cœurs une mesme chaine.


 Long-temps ainsi voulut Amour,
Ils jouyrent d’un doux sejour
Et des faveurs de la fortune,
Mais elle monstrant ce qu’elle est,
Et qu’au seul change elle se plaist,
Leur fust comme aux autres commune.


 A leurs despens, il sçeurent lors
Qu’elle fait tousjours ses efforts,
A l’endroit qu’elle est la plus crainte,
Puis que l’absence au long sejour
Devoit venir ce mesme jour,
Sans qu’elle s’esmeut à leur plainte.


 Ceste absence au premier abort
Vint avec visage de mort,
La peur, le soupçon, les allarmes,
Alloient autour d’elle volants,
Et à ses pieds flottoient roulants
Cent torrents d’amoureuses larmes.


 Quels devindrent ces deux amants,
Quels furent leurs moindres tourmants,
Le die Amour, nul que luy-mesme
Ne sçauroit dire un dueil si grand
Parce que nul ne le comprend,
Que le cœur bien aymé qui ayme.


 Voyez Amour & son humeur,
Ce berger vit de son bon-heur
Naistre à lors sa plus grande peine :
Car s’il eust esté mal traicté
Il eust beaucoup moins regretté
De son bien la perte prochaine.


 Mais n’ayant point accoustumé,
Ou bien n’ayant pas estimé,
Qu’un tel mal d’aymer prist naissance
Avec beaucoup plus de douleur,
Il ressentoit l’aspre mal’heur
Qu’il prévoyoit de son absence.


 Aussi les yeux de pleurs couverts
Sur-chargé de pensers divers,
Je croy, disoit-il en soy-mesme,
Que le bien qu’amour m’a donné
Me fut seulement destiné
Pour rendre ce mal plus extréme.


 Alors le soleil qui baissoit
Le Berger guiere n’offençoit,
Mais d’Amour la chaleur plus forte
Vivante au milieu de son cœur,
Par un beau soleil son vaincœur,
Le brusloit bien d’une autre sorte.


 D’abort s’appuyant d’une main
Il se coule sur le terrain,
Met sa houlette contre un arbre,
Puis les pieds croisant & les bras,
Se laisse du tout choir en bas,
Aussi froid devenu que marbre


 A la fin les sens destenus
Impuissants du deuil, revenus
Il hausse ses yeux plains de larmes
Contre le ciel, & les haussant,
Disoit donne amour tout puissant,
Moindres coups, ou plus fortes armes.


 Apres d’un esprit plus rassis
Contre l’arbre il s’appuye assis,
Et jettant l’œil sur la fontaine,
Helas ? mes yeux, ce disoit-il,
Vous deviendrez en cest exil
Une source encore plus pleine.


 La passion le poursuivoit,
La solitude l’esmouvoit,
Et l’onde qu’il escoutoit bruire,
En luy desrobbant tout repos
Luy faisoient naistre tels propos,
Propos dont son mal il souspire.


 Ceux qui ne sçavent point aymer
Ont accoustumé de nommer
L’effect du despart, une absence,
Mais moy qui suis maistre en cela
Je mets le despart au de-là,
De tout ce qui plus nous offence.


 C’est un Tyran qui joinct les corps
Des vivants avecque les morts,
Pour rendre une mort languissante :
Car mon cœur est mort se trouvant
Loing d’elle, & mon desir vivant,
Est plus vif, plus je m’en absente.


 Aussi n’aist-il quand nous mourrons
Et meurt lors que nous recouvrons,
Heureux, une vie nouvelle,
N’est-ce mourrir que s’en aller
Et vivre que de revoller,
Encore un coup prés de sa belle ?


 Comment puis-je sans m’offencer
Souffrir seulement de penser
Qu’un despart doive me distraire
Des raiz de cet œil flambloyant ?
Si je ne vis qu’en le voyant,
Ne le voyant que puis-je faire ?


 Ce mal’heur souffrir ne ce peut,
De le fuyr, Amour ne veut
Encor que je m’esloigne d’elle,
Le cerf attaint fuit escarté,
Mais où qu’il aille, à son costé
Pend tousjours la flesche mortelle.


 Mais sans mourir au mesme lieu
Pourray-je bien luy dire à Dieu,
Et ouyr son à Dieu encore ?
Si j’ay cet impuissant pouvoir,
Je ne meritois point de voir
Ny d’adorer ce que j’adore.


 Je mourray donc en l’esloignant,
Mais si elle me va plaignant
Mort en moy, je vivray en elle :
En elle mon cœur je remets
Si je l’en retire jamais
Puisse ma peine estre eternelle.


 Ainsi le desolé Berger,
Pensant son ennuy soulager
Alloit plaignant ce qui le blesse,
Et l’accent qu’il en souspiroit,
Le plus souvent se retiroit
En son cœur pressé de tristesse.


 Et d’autrefois en redoutant
Ce prochain despart qu’il attend,
Tant de mots rompus il souspire,
Qu’à lors entierement confus
Des paroles ce n’estoient plus,
Mais des tesmoings de son martyre.


 Parmy tant de pleurs & sanglots
Fiers ennemis de son repos
Sa voix à peine estant ouye.
En des regrets plus ne sonnoit
Et où le pleur la retenoit,
Où les sanglots trompoient l’ouye.


 Ainsi le pleur ne luy laissoit
Ny dire bien ce qu’il disoit,
Ny ce qu’il taisoit le bien taire,
Mais en tels mots interrompus
Ne disant rien, il disoit plus
Que s’il eust mieux dict sa misere.


 Ses moutons prés de leur Berger
Sembloient de pitié se ranger,
Ressentant le mal de leur maistre,
Et tenant les yeux dessus luy
Comme s’ils plaignoient son ennuy,
Avoient oublié de repaistre.


 Et son fidelle chien aussi
Qui souloit avoir le soucy,
Que le loup affamé n’outrage
Son trouppeau pendant qu’assez loing,
Le Berger racontoit son soing
Aux Nymphes du prochain boccage.


 A ce coup, à ses pieds couché
Sembloit qu’on l’y eust attaché
Sans avoir soucy de sa garde
Le nez sur les pieds de devant,
L’œil ouvert l’aureille eslevant,
Attentif son maistre regarde.


 En ce poinct l’amant soucyeux
De fortune tournant les yeux,
Dessus ses douces brebiettes,
Mes trouppeaux, dict-il, bien aymez
A ma voix tant accoustumez,
Helas ? quelle perte vous faictes.


 Qui vous conduira le matin
Curieux au Trefle & au Thim,
Et qui pour la chaleur soufferte,
Cherchera les ruisseaux plus fraiz,
Qui vous ramerra par apres,
Le soir en vos loges sans perte ?


 Et toy mon cher Melampe aussi
Quand je ne seray plus icy,
Qui sera soigneux de ton estre,
Et qui te donnera du pain
Regretteras-tu point la main,
Mon cher Melampe, de ton maistre ?


 Ce pendant qu’il plaignoit ainsi
Il vit Diane & vit aussi,
En elle sa peine cruelle :
Car en tel estat le Berger
Mal-aysément l’eust peu juger,
Ou pour plus triste, ou pour plus belle.


 Autour d’elle amour voletoit
Parmy l’air qu’elle s’englottoit,
Et touché de la peine tremble :
Ses yeux brusloient tout d’amitié,
Ses yeux mouvoient tout à pitié,
Et beaux, & tristes tout ensemble.


 Amour honteux de l’outrager
Resoult souvent de desloger
Ne pouvant la voir si faschée,
Mais elle ny veut consentir
Et pour l’empescher de partir
De son dos à l’ayle arrachée.


 Et lors contrainct de demeurer,
Il pleure la voyant pleurer,
Et son feu convertit en larmes,
Et ses larmes tout au rebours
Ne sont plus larmes, mais amours
Transformez par amoureux charmes.


 Souvent elle arrestoit ses pas,
Et tenant ses deux yeux en bas,
Une main en l’autre pressée,
Elle disoit : helas dy moy ?
Dy moy cher amy quelle loy
Veut que Diane soit laissée ?


 Et puis levant les yeux en haut,
Mais quoy ? pour la fin il le faut
Disoit-elle, que tu t’en ailles,
Amour tu peux s’il est ainsi
Que ton bien traine un tel soucy
Garder tous les biens que tu bailles.


 Si son desplaisir estoit grand,
Assez aysément on l’apprend
Par ses voix de regrets si pleines,
Pour sçavoir son mal soucieux,
Qu’on le demande à ses deux yeux
Qui sembloient à lors deux fontaines.


 Son amour paroissoit assez
En ses façons, & en l’excez
Des pleurs enfans de son angoisse,
Que si ceste absence elle craint
A ces mots desquels elle plaint
Ce mal futur, qu’on le cognoisse.


 Ah ! combien ces prochains à Dieux
Vous cousteront mes tristes yeux,
Combien d’allarmes & de peines,
Combien de playes & de morts,
Combien à leurs moindres efforts
Seront toutes nos armes vaines.


 O absence que je prevoy
Que de pleurs vous aurez de moy,
Prochains desparts : mais mors prochaines,
Que de deuil vous me causerez
Que d’ennuys vous m’apporterez
Par vos menaces incertaines.


 Voyez quelle ruse d’Amour,
Il donne du bien pour un jour,
Qu’il vend pour des siecles de larmes,
Pour nous tromper il nous est doux
Afin qu’endormis, a ses coups,
Apres nous n’opposions des armes.


 Tels biens, des biens ce ne sont pas,
Ce sont seulement des appas
Que pour nous desarmer il baille,
Le meschant qu’il est, entend bien
Qu’un mal qui vient apres un bien,
Beaucoup plus aigrement travaille.


 Ainsi la pauvreté ressent
Son mal futur désja present
Si fort oultrée du martyre,
Que quand son Berger elle vit
Tellement l’ennuy la ravit,
Qu’elle ne sçeut qu’elle deut dire.


 Sa voix par trois fois s’esbranla,
Mais trois fois elle ne parla,
Et belle la voyant, Sireine :
Trois fois parler il luy voulut,
Mais trois fois, quoy qu’il resolut
S’estouffa sa voix en sa peine.


 Mais quoy tout ce qu’ils se faisoïent
Leurs yeux parleurs le redisoient,
D’un geste qui la voix ressemble,
S’annoçants ainsi leur despart,
Avecques ce parlant regart
Dont jadis ils parloient ensemble.


 Puis par la main se saisissants,
Au pied des peupliers verdissants,
Ensemble tous deux ils s’assirent,
Esgalement tous deux vaincus,
Esgalement tous deux confus,
L’un pour l’autre ils entresouspirent.


 Pour ce que le bien de se voir,
Et le desplaisir de sçavoir,
Que leur despart tel bien leur vole,
Si vaincus & confus les rend,
Que l’un ny l’autre n’entreprend.
De pouvoir dire une parole.


 En ce mesme lieu bien souvent
Ils s’estoient veuz auparavant,
Mais toutesfois d’une autre sorte,
Tel rencontre ils celebroient bien,
Or sans plus ils pleurent le bien
Que leur absence leur emporte.


 Combien est bizarre l’enfant
Qui de ces cœurs est triomphant
A se voir autant comme ils peuvent
Il a mis leur bien plus parfaict,
Et or’ au contraire il a faict,
Qu’à se voir tout leur mal ils trouvent.


 Diane en pitié tourna l’œil,
Œil comme d’Amour plein de deüil,
Et au triste Berger l’adresse
Et luy touche de ce bien là
Luy parla, & si ne parla,
Mais pour luy parla sa tristesse.


 Helas ! Diane qui eust creu
Que quelque desplaisir eust peu
Naistre en moy pour vous avoir veuë,
Ou bien que quelque affliction
M’eust donné plus de passion
Que je n’ay d’heur de vostre veuë.


 Toutefois, je ne sçay comment
Amour a changé mon tourment :
Car si pour vous voir ma Bergere,
Jadis de desir je mouroy
Je meurs par ce que je vous voy
Et si vos yeux sont ma lumiere.


 Et si ce changement n’est pas
Que de vous servir je soy las,
Car rien ne sçauroit m’en distraire :
Mais c’est comme tout est changé
Que je viens pour prendre congé
Au lieu où je venois me plaire.


 Helas ! eh, qu’est-ce qu’un à Dieu
Que mourir au bien en un lieu,
Pour revivre ailleurs en des peines ?
Qu’est-ce autre chose despartir,
Sinon qu’une ame me partir
Pour souffrir deux morts inhumaines ?


 Et toutesfois il faut partir,
Et rien ne veut plus consentir
Que j’aille esloignant ma disgrace :
Diane à ce coup je sens bien,
Que sous le Ciel il n’y a rien
Que le changement ne menace.


 Mais ma bergere permettez
Que je pense que vous santez
Comme moy le mal qui m’offence,
Je le croy, car croire autrement
Me turoit aussi promptement
Que j’en aurois eu sa creance.


 Mais quoy ? si vous le ressentez
Comme est-ce que vous consentez,
Que de vous si tost je m’en aille ?
Comment viens-je pour m’en aller ?
Et comment vous puis-je parler
Sans que le parler me deffaille ?


 Jamais sans le soleil ces prez
De fleurs ne seroient diaprez,
C’est luy qui cause leur naissance,
Vous de qui les perfections
Sont meres de mes actions,
Comment causez-vous mon absence ?


 Mais aussi cela n’estant pas,
Comment puis-je tourner mes pas
Pour m’esloigner du bien que j’ayme ?
Helas ! c’est le ciel qui le veut,
Mais comment est-ce qu’il le peut
Si vous ne le voulez vous-mesme ?


 Las ! Bergere qu’est-ce de moy
Il faut que je parte, & je voy
Qu’à mon despart mesme je n’ose
Trouver raison de despartir,
Car mon cœur ne veut consentir
A raison que je luy propose.


 De sorte qu’en doute je suis
Que comme trouver je ne puis
De vous esloigner apparence,
Vous qui au contraire avez tant
De raison, de m’aller quittant,
Ne le fassiez en mon absence.


 Helas ? à quoy en sommes-nous !
Vous me direz que ce n’est vous
Qui m’esloignez de vostre veuë,
Certes aussi n’est-ce pas moy,
De dire qui c’est, je ne sçauroy,
Mais qui que ce soit il me tue.


 Sireine desolé pasteur
Outragé d’extréme douleur,
A Diane tint ce langage,
En pleurant il le racontoit,
Et elle en pleurant l’escoutoit :
Pleur qu’Amour leur donnoit pour gage.


 A ce que le Berger luy dict
Des yeux elle luy respondit,
Responce d’Amour tres-fidelle,
Apres de la voix elle usa
A l’abort elle ne l’osa,
Mais en fin si se vainquit-elle.


 Je suis en estat si confus
Berger, que je te diray plus
Qu’il ne te sert d’ouyr ma peine,
Car que sert-il de raconter
Le mal qui ne peut qu’augmenter
Puis qu’en fin tu t’en vas (Sireine.)


 Mais de le taire, que sert-il
Puis que tu t’en vas en exil,
Ou plustost me laisses bannie,
Le dire, ou ne le dire pas
Ne sert de rien, car tu t’en vas,
Quoy que j’advouë ou que je nie.


 Si je pouvoy je le tairoy,
Mais mon amour qui est mon Roy
Commande que je le descouvre :
C’est donc Amour (ô mon pasteur)
Qui dist les secrets de mon cœur,
Et non pas moy qui te les ouvre.


 Tu t’en vas donc ce mesme jour,
Berger, quand sera ton retour ?
Mais pourquoy t’en vas-tu Sireine ?
Pourquoy me laisses-tu icy ?
Se peut-il bien que le soucy
Ne te touche point de ma peine ?


 Où le temps & le lieu tousjours
Et le bon-heur de nos amours,
Vivront dedans ma souvenance,
Auras-tu tant de force en toy
Ou si peu de soucy de moy
Que d’y commancer ton absence ?


 Doncques tu auras bien le cœur
De me laisser, ou la douleur
Onc sans toy ne me donra tréve,
Icy, où le lieu, & le temps
Nous ont veus tous deux si content
Veux-tu que seule je me treuve ?


 Helas ? quel regret je prévoy
Estre seule à toy & sans toy,
Me voir en ceste rive herbeuse,
Je diray pleine de soucy,
Sireine & moy estions icy,
Où estes-vous saison heureuse ?


 Puis que tu és tout mon plaisir,
Puis que tu és tout mon desir,
Amy, quelle sera ma peine
De voir en ces arbres d’autour
Mon nom en mille nœuds d’amour
Et ne te voir point, mon Sireine.


 Quel penser ou quel souvenir
Pourray-je en mon cœur retenir
Dont ma peine ne soit conçue
Que tu dis, en gravant cecy,
Au cœur je me le grave aussi,
Ton amour je n’ay que trop sçeuë.


 Quoy donc ? qu’encore vis à vis,
Au mesme temps tu escrivis :
Vos yeux d’un autre caracthere,
Que ceux qu’en ces arbres je mets
Marquent bien mon cœur pour jamais,
L’aage ne le sçauroit deffaire.


 Sireine ce penser sera
Celuy qui plus m’offencera,
Lors que tu descouppois l’escorce
De ces arbrisseaux pour mon nom,
Amour en moy d’autre poinçon
Fit bien le tien à toute force.


 Aussi ne peuvent m’apparoir
Tes chiffres, que comme un miroir
Des miens, il ne m’en ressouvienne,
Ny penser à ce que tu dis,
Que ce que je te respondis,
En la memoire ne me vienne.


 Si lors tes larmes ondoyoient,
Les miennes le sein me noyoient,
Et si tes souspirs l’un sur l’autre
Sembloient au cercueil t’emporter,
Moy qui n’osois te le monstrer
Ressentois ton mal comme nostre.


 Amour a depuis augmenté
Pour toy ma bonne volonté,
Ainsi qu’en ceste escorce tendre
Mon nom est allé s’augmentant,
Que si tu n’en sçeus jamais tant
Amour te le faict or’ entendre.


 Juge donc puis qu’il est ainsi
En me revoyant seule icy,
Icy où fust jadis ma gloire
Sans avoir le bien de t’y voir
Quel traictement je puis avoir
Et quel repos de ma memoire.


 O Dieux ! tu pleures mon pasteur,
Est-il possible que ce cœur
Au foibles larmes s’amolisse ?
Et qu’avoir le tort que tu as
De t’en aller où tu t’en vas
De plus en plus il s’endurcisse ?


 O mon Berger ne pleure pas,
Ces pleurs en vain coulent en bas
Tu n’en peus esperer nulle ayde,
Ce n’est pas d’un homme de cœur
D’aller plaignant une douleur,
Dont en sa main est le remede.


 Pourquoy pleurer ? ne peux-tu pas
Arrester tes volages pas ?
Pardonne moy, si je t’offence,
Car ce coup est trop douloureux,
Ne parts point, mais las tu le veux,
O qu’amour à peu de puissance !


 Tels propos Diane luy dict,
Ausquels Sireine respondit
Combien ce despart me travaille
Jugez le à ces pleurs escoulez
Que je demeure vous voulez,
Mais le ciel veut que je m’en aille.


 Afin de ne partir d’icy,
Y a-il hazard si noircy
D’horreur, que librement je n’ose ?
Mais las, en ce despart forcé
En quoy puis-je avoir offencé,
Si mesme je n’en suis la cause ?


 Tout ce que du vouloir je puis
Despend de vous à qui je suis,
Mais au ciel j’obeys par force,
Donc du vouloir je resteray
Et par force je m’en iray
Faisant en moy-mesme un divorce.


 Voulut le ciel que de ma main
Despendit ainsi le dessein
Qui cet heureux sejour m’envie,
Et qui loing de vous me tiendra
Comme pour jamais despendra
De vous, & ma mort, & ma vie.


 Mais ma Bergere croyez moy
Si ce cruel sort, que je voy
Quelquefois de moy ne s’absente,
Certes vous croyez bien en vain,
Si vous pensez que de ma main
Despende rien qui me contente.


 C’est mon maistre ce grand pasteur
Qui m’en envoye à contre-cœur,
Advienne ô Dieux ! que je le voye,
Pour ma vengeance quelque jour,
Autant affligé de l’amour
Comme amoureux il m’en envoye.


 Il est vray que laisser je puis
Pour vous le maistre que je suis,
Mais par là, mon mal je rengrege :
Car dictes moy faisant ainsi,
Comment retourneray-je icy
Ou comment y demeureray-je ?


 Puis que n’ayant à mon sejour
Autre subjet que de l’amour.
Vous seule estant pour estre aymée,
Ou seule au moins digne de moy
Ce plaisir je m’acheteroy
Au pris de vostre renommée.


 Alors Diane tout ainsi
Qu’une nuë au sein espaissi
Verse tout à coup un orage,
De mesme ces maux escoutant,
Que Sireine alloit racontant
Son cœur s’ouvrit en ce langage.


 Doncques ton cœur peut consentir
Et trouver raison de partir :
Ne sçay-tu pas qu’Amour n’endure,
Quand tel mal se doit esprouver
Que raison s’y puisse trouver,
Sinon de mourir de bonne heure.


 O mon Berger, ce que tu faits
M’annonce de tristes effects,
Car on voit par experience
Que qui se peut bien consoler
Quand il est prest de s’en aller
Se console bien en absence.


 Qui supporte bien le partir
Peut aussi l’absence pastir,
L’ordonnance d’Amour est telle
Doncques, que sera-ce de moy ?
Mais, las que sera-ce de toy ?
Ta volonté changerat-elle ?


 Auras-tu point le souvenir
De quelquefois t’en revenir ?
Auras-tu point en ta pensée
Et mon amour & ta vertu ?
Ou au moins te souviendras-tu
De l’estat où tu m’as laissée ?


 Ne repenseras-tu jamais
Quelle je te suis, quel tu m’es ?
Et quelle icy t’estant ravie
Tu me vis, & quel je te vy,
Et que loing de toy je ne vy,
Ou si je vy, c’est en ta vie ?


 Si feras ainsi je le croy,
Tu as trop d’amitié pour moy,
N’est-il pas vray ? jure Sireine,
Je jure respond le Berger
Tous les jours, mais tousjours songer
En ma Diane & en ma peine.


 Va donc (dict-elle) va Berger,
Et sur tout garde de changer,
Embarque toy & sans allarmes,
Aussi tost puisses-tu passer
La mer qu’il te faut traverser,
Que ton cœur celle de mes larmes.


 Ainsi que ton amour en moy
Que l’œil des Dieux soit dessus toy,
Que de toy la mer oportune
Aille la tourmente escartant
Mieux qu’Amour ne me va traictant
Qu’helas ! te traicte la fortune.


 Avant ma mort puissent mes yeux,
Amy, te revoir en ces lieux,
Bien que pour toy seul il se deulent,
Et que de leur aspre douleur,
Sireine soit le seul autheur
Son mal toutefois ils ne veulent.


 Voylez d’une eternelle nuict
(Aussi leur lumiere te suit)
Ils n’auront rien qui les allege,
Va Sireine je n’en puis plus,
La voix me faut, & son refus
Faict que mes à Dieux, je t’abbrege.


 A ces mots sa voix se perdit,
Et lors Sireine respondit :
O que j’espreuve veritable
Qu’un mal’heur jamais ne vient seul,
Puis qu’il faut joindre avec mon dueil
Le vostre presque insuportable.


 Amour, tout ce miracle est tien,
Tu faicts que de mon plus grand bien
Naisse ma douleur plus extréme,
Et qu’un bien gouster ne se peut
Si du despart elle se deut,
N’est-ce pas signe qu’elle m’ayme ?


 Si elle m’ayme, qui a-il
De plus heureux que cet exil
Qui m’en donne la cognoissance ?
Si ne puis-je voir sans ennuy
En ces beaux yeux moistes celuy
Qu’elle a pour ma fascheuse absence.


 Vous pleurez & je ne parts pas,
Mon cœur sera jusqu’au trespas
Tousjours avec vous, ma Diane,
Porté du desir vers vos yeux,
Ainsi qu’au printemps gracieux
Vole aux fleurs la mouche Hybleane.


 Mes pensers yront & viendront,
Et vos nouvelles me diront :
(O peussent-ils aussi de mesme)
Les miennes vous conter un peu,
Par eux vous verriez toute en feu
Tousjours ceste ame qui vous ayme.


 Ainsi prés de vous, vous aurez
Belle (si vous la retirez)
Ma foy qui vous est asservie,
Et moy en eschange, j’auray
Vos sermens que je garderay
Aussi chers que ma propre vie.


 Si jamais je change de cœur
Mon plus grand bien soit la douleur
Et si j’ay seulement envie
De voir autre beauté que vous,
Amour soit mon bon-heur plus doux
Tout le plus grand mal d’une vie.


 Mais vous offencez nostre amour
En m’adjurant d’un prompt retour,
J’en auray plus de souvenance
Que de vivre esloigné de vous,
Car rien ne me peut estre doux
Que le bien de vostre presence.


 Lors les yeux nageans dans ses pleurs,
La voix estouffée en douleurs,
Le cœur regorgeant de tristesse,
Le pauvre Sireine se teut,
Dire d’avantage il ne peut
Tant l’extréme regret le presse.


 Va mon Berger, va je voy bien
Dict-elle à lors, que tu és mien,
Mais sçache aussi que je suis tienne.
Amour m’a faict franchir ce mot
Va donc content & reviens tost,
Mais qu’avec toy l’Amour revienne.


 Si pendant ton fascheux sejour
Quelque estincelle d’autre amour,
Ou bien si en toute ma vie
Quelque oubly s’approche de moy,
Fasse Amour pour venger ma foy
Que de moy-mesme je m’oublie.


 Je jure que jamais parens
Contre moy devenus tyrans,
Ny mere plus qu’ourse cruelle
Ne pourrons mon amour changer,
Toutes choses courent danger
Du changement, mais non point elle.


 Vy donc heureux & soy certain,
Que non pas mesme le destin
Ne peut sur ce que je t’assure,
Fasse le ciel ce qu’il voudra
Jamais autre ne deviendra
L’affection que je te jure.


 Prens Berger ce cordon heureux
Que je t’ay faict de mes cheveux,
Heureux par ce qu’en mon absence
Il sera tousjours prez de toy,
Prens le pour gage de ma foy,
Et pour marque de ta puissance.


 Et reçoy ceste bague aussi,
Afin que tu sçaches ainsi
Que ces deux mains y sont serrées
Par des doubles fidelitez,
Que nos unies volontez
Ne sçauroient estre separées.


 Il luy respond, je ne vous puis
Laisser sinon de mes ennuis
Une eternelle souvenance,
Reçevez-là donc de ma part,
Afin qu’en ce mortel despart
Mon mal me soit quelque allegeance.


 Et reçevez ces vers aussi
Qui sont les tesmoins jusqu’icy
Du bien, & du mal que j’espreuve,
Car c’est à eux que j’ay conté
Les effects de vostre beauté
Et l’estat en quoy je me trouve.


 A ces mots ces tristes amants
Par des doubles embrassements
Se dirent, à Dieu, sans le dire
Amour en pleura de pitié,
Et voyant si belle amitié
Se repentit de leur martyre.


 Rien n’approche le desplaisir,
Dont un amant se sent saisir
En ces mortelles desparties,
La mort est moindre puis qu’à lors
L’ame sort seulement du corps,
Mais l’absence en faict deux parties.


 Tu le sçeus (Berger plein de foy)
Quand apres vos à Dieux par toy,
Diane seule fust laissée
Seule non, car elle eust ton cœur,
Mais seule car le sien (pasteur)
Te suivit avec sa pensée.


 Sireine en soy-mesme ravy
Avoit bien du penser suivy
Celle qui cause son martyre,
Mais au lieu de se consoler,
Il ne faisoit qu’amonceler
Regrets aux regrets qu’il souspire.


 Amour luy promet qu’un retour
Luy rendra cet aymé sejour,
Et qu’alors plus heureux encore
Il doit esperer de se voir,
Puis qu’en fin il a pû sçavoir
Qu’elle l’ayme comme il l’adore.


 Mais quoy ? ces desirs pretendus
Qui luy sembloient estre bien deus
Augmentoient son impatience,
Comme le plaisir esperé,
Rend le retour plus desiré
Et plus griefve en l’ame l’absence.


 Toutefois il s’en va, mais non
Du Berger ne s’en va sinon
Le corps froid, & l’ame demeure,
Que si rien luy en est resté,
C’est seulement la volonté
De s’en revenir à toute heure.


 Il dict en partant de ce lieu
O beau sejour d’Amour, à Dieu !
A Dieu solitaire demeure
Des belles Nymphes d’alentour,
Vous sçavez qu’elle est mon amour,
Jugez s’il ne faut que je meure.


 Ayant si longuement esté
Tesmoings de ma felicité,
Soyez les ores de ma peine
Et du serment que je promets,
J’aimeray Diane à jamais
Ou je n’aimeray point Sireine.


 Il part, & au partir, trois fois
Du pied il choppa contre un bois,
Mais le destin qui nous desarme
De toute cognoissance, à lors
Qu’il veut faire ses grands efforts
Cet advis de douleur luy charme.


 Un vent frais eslevoit la mer
Au bort la faisant escumer,
Quand Sireine vint au rivage,
Helas ! disoit-il, mes douleurs
Font bien autre mer de mes pleurs,
Et mes souspirs un autre orage.


 En fin il s’embarque au vaisseau
On jette la commende en l’eau,
Les rames dans la mer respondent,
Le vent dans les voiles s’estend,
Et l’on voit que de temps en temps
A leurs yeux les rivages fondent.


Fin du despart de Sireine.


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L’ABSENCE DE SIREINE.





DEUXIESME LIVRE.




 Sireine absent du beau sejour
Où jadis le blessoit amour,
N’ayant rien tant en sa pensée
Que le bien qu’il avoit laissé
Et la gloire du temps passé
Qu’une absence avoit effacée.


 Le long des rivages herbeux
De l’Eridan, paissoit les bœufs
Et les gras trouppeaux de son maistre
Dont fidelle il estoit chargé,
Combien helas ! combien changé
Amour de ce qu’il souloit estre ?


 Sa joüe où la reine des fleurs
Et les lis mesloient leur couleurs,
Languissoit en palleurs mortelles,
Les larmes sans plus ondoyoient
Dedans ses yeux où se jouoyent
Les belles charités entr’elles.


 Amour qui souloit vivre en luy
Plein de plaisir n’a que l’ennuy
Pour sa plus chere nourriture,
Si bien qu’en cet esloignement,
S’il vivoit c’estoit du tourment
Qui s’alloit croissant à toute heure.


 Ainsi le Berger desolé
Ne pouvant estre consolé
Durant ceste fatale absence
S’alloit esgarant quelquefois,
Par les rochers ou par les bois
Fuyant des hommes la presence.


 Solitaire, & loing de chacun,
Suivant de son mal importun
La noire humeur, il se retire
Aux antres les plus reculez,
Et les destours plus recelez
Sont ceux-là que plus il desire.


 N’ayant à lors rien de si doux
Que de repenser à tous coups
Au triste à Dieu de sa maistresse,
De quelle parole elle usoit,
Lors qu’en pleurs elle luy disoit
Qu’il se souvint de sa promesse.


 Soudain que l’Aurore à l’entour
Espanchoit des portes du jour
Ses œillets & boutons de rose,
Il est temps, disoit-il, mon cœur
Que tu recommences ton pleur,
Puis que ton mal ne se repose.


 Il sortoit du lict transporté
Et par l’endroict moins frequenté
Quelquefois cherchoit les boccages,
Quelquefois pour se mieux cacher,
Les cavés replis d’un rocher
Le plus escarté des villages.


 Il advint qu’oubliant le soing
De ses brebis un jour bien loing,
Pour mieux entretenir son ame
Sur l’Eridan il s’en alla,
En ce lieu Phaéton brusla
(Dict-il) mais d’une moindre flamme.


 Icy cheut l’ardant Phaéton,
Et dans ce fleuve, ce dict-on,
Furent les flammes amorties,
Et pourquoy les miennes aussi
Ne s’esteignent-elles icy,
Ou aux larmes de moy sorties ?


 Tu dis amour que ton ardeur
Sur passe toute autre en grandeur,
Et qu’icy trop peu d’eau se trouve,
Il est vray, mais amour tu sçais
Que mes pleurs font par leur exces
En moy un beaucoup plus grand fleuve.


 Que si toutefois tu ne veux
Que mes pleurs esteignent les feux
Dont ta main puissante foudroye,
Permets au moins que tes chaleurs
Puissent faire tarir mes pleurs,
Le feu, ou l’eau, me brusle, ou noye.


 Puis tournant les yeux à l’entour
Voit des grand Peupliers, qui du jour
Rendoient une chiche lumiere
Par l’ombre de leur noirs cheveux,
Et sembloit qu’enlassez entr’eux
Leur pleur fist grossir la riviere.


 Heureux ennuis, utiles pleurs
Qui pustes contre les douleurs
Endurcir d’une telle escorce
(Dict-il) des sœurs la tendre peau,
Qu’insensibles sans leur rameau
Elles n’en sentent plus la force.


 Pourquoy mes pleurs ; en nuis pourquoy
Ne pouvez-vous autant en moy ?
Qui vous le peut rendre impossible ?
Pourquoy d’un miserable amant
N’enfermez-vous le sentiment
Dessous une escorce insensible ?


 Peut estre suis-je mort aussi,
Et que ce que je plains icy
N’est sinon que la vaine plainte
Que font les manes sans effect,
Mais quoy si je suis mort, qui faict
Que je vy remourant de crainte ?


 Mais si je vis, helas ! comment
La mort inseparablement
Tousjours dedans mon cœur demeure ?
Ah ! si je meurs, au bien je meurs,
Si je vis, je vis aux douleurs
Afin qu’oncques mon mal ne meure.


 Alors tous les espoirs conçeus,
Alors tous les plaisirs reçeus
Luy revindrent en la pensée,
Mais las ! son estat ennuyeux
luy mist soudain devant les yeux
Qu’en fin c’estoit chose passée.


 A ses plaisirs désja passez
Les maux presens sont balencez,
Les des espoirs à l’esperance,
Mais combien foible est ce poix-là
Puis que le passé à cela
Qu’à peine est-il mis en balance.


 Donc le present mieux ressenty
Fut en ce poix apesenty
D’ennuy si grand & invincible,
Que je ne sçay comment ce fist
Que ce tourment seul ne suffit
A rendre son cœur insensible.


 Insensible devoit-il pas
Rendre ce cœur si le trespas
Des sentimens ravit le trouble ?
Et si l’on meurt par une mort
Qui de plusieurs a eu l’effort
Doit bien estre insensible au double.


 A cet amant sans qu’il mourut
La mort tout à coup accourut
Avec cent trespas autour d’elle,
Que s’il ne mourut pas à lors,
C’est qu’elle ne fist ses efforts
Qu’en l’ame qui est immortelle.


 Puis qu’aussi tost vindrent apres
Toutes les causes de regrets
Que l’absence luy faisoit naistre,
Quoy donc ? a eu moins de pouvoir
L’amour (dict-il) que le devoir,
Et ma maistresse que mon maistre ?


 Donc vivant j’ay pû consentir
De la laisser ? j’ay pû partir ?
J’ay pû donc ouyr de sa bouche
Ses à Dieux & ne suis pas mort ?
Qui peust soustenir tel effort
Plustost qu’amant, fust une souche.


 D’un penser un autre luy naist,
Et jamais celuy qui luy plaist
Un moment ne vit en soy-mesme,
Comment, disoit-il, ce soleil
Ne serat-il veu de quelque œil ?
S’il est veu ç’en est faict, on l’ayme.


 De-là, le soupçon accroissoit
Du soupçon, la crainte naissoit,
De la crainte, la jalousie,
Et de la jalousie en fin
Se produisoit dedans son sein
Une espece de frenaisie.


 Et n’estoit que le tourmentant,
Ce mal qu’il alloit augmentant
Se lassoit mesme en sa victoire,
Je ne sçay pas qu’elle eust esté
Sa vie, dans l’extremité
D’une si cruelle memoire.


 Comme le fer rouge de feu
De soy n’estincelle qu’un peu,
Mais sort tout en feu & en flame
Quand le marteau l’a outragé,
Ainsi de penser surchargé
Sireine estincelle en son ame.


 Et quand ses pensers non trompeurs
Alloient renouvellant ses pleurs,
Le frappant comme nouveaux Brontes
Sur l’enclume du souvenir,
Amour tu le vis devenir
De feu, mais le feu tu surmontes.


 Et pendant qu’il estoit ainsi
L’œil de trop de pleurs obscurcy
Il tourne sur l’onde fuyarde,
Qui flot redouble dessus flots,
Avec elle emportoit ces mots
Sans, helas ! qu’il s’en prenne garde.


 Laissez-moy penser, trop pensez,
Donnez-moy tréve & vous lassez
Desormais de si longue guerre,
C’est estre cruel, non vaillant
Que d’aller encor travaillant
Les vaincus en estrange terre.


 Allez, courez, volez legers,
O mes amoureux messagers,
Et si ma pitié vous emporte
A celle que je plains icy,
Remantevez-luy le soucy
Qu’icy pour elle je supporte.


 Veritables racontez-luy
Les cruautez de mon ennuy
Et l’effort de ma patience,
Comment je vy passant le jour,
Comment la nuict me traicte amour
Aux ceps d’une si longue absence.


 Mais dictes luy que tout ce mal
Toutesfois ne peust estre esgal
Au bien que j’ay d’estre aymé d’elle,
Et qu’ensemble tous les ennuis
Adjoustez à ceux où je suis
Ne sçauroient me rendre infidelle.


 Que mon cœur dedans les travaux
Ressemble à l’aulne dans les eaux
Qui s’endurcit par longue espace,
Souffrant aussi je m’endurcy,
Mais nous differons en cecy
Qu’il ne ressent, quoy qu’on luy fasse.


 Moy qu’au contraire je ressens
Tousjours mes ennuis renaissans,
Plus sensible en ce qui m’offence,
Et que le violent desir
De la revoir, est le plaisir
Qui seul me reste en ceste absence.


 Ainsi discouroit ce Berger
Au mesme temps qu’un messager
Que sa Diane luy envoye
Des lettres luy donna (mais non)
C’estoient des amours soubs ce nom,
Dont mesme le papier flamboye.


 O Amour que ressentit-il !
O combien heureux fust l’exil
Qui vit naistre tant de liesse,
Onc plus beau ne fust le sejour
Aupres mesme de son amour
Que ceste absence eust d’alegresse.


 Ce messager avoit cherché
Longuement cet endroit caché
Pour seul son message luy dire,
Mais à la fin quoy qu’il voulut
Estre tout seul, il luy faillut
Prendre plusieurs pour le conduire.


 Amour en cent façons l’assaut
Que fera-il, puis qu’il ne faut
En donner à lors cognoissance
Aux Bergers qui sont à l’entour ?
Le cachant, il offence amour,
Le monstrant, Diane il offence.


 Doncques pour leur plaire à tous deux,
Il cache & montre un peu ses feux
Et si un peu par telle ruse,
Il les offence tour à tour,
Diane l’excuse à l’amour,
Amour à Diane l’excuse.


 Ainsi combatu doublement,
Vaincu vaincœur également,
Ores d’amour, & ore d’elle,
De s’enquerir il s’efforça
Le desir sans plus l’y poussa,
Qui curieux s’en renouvelle.


 Messager, soient ainsi les Dieux
Tousjours à tes vœux gracieux,
Dy moy qu’est-il de nostre pleine ?
Qu’est-il de nos Bergers aussi ?
Le Messager respond ainsi,
Chacun t’y regrette (Sireine.)


 Chacun desire ton retour,
Chacun despite ton sejour,
Chacun envie ce rivage
Qui t’a si long-temps retenu,
Chascun pour estre icy venu
Estoit jaloux de mon voyage,


 Silvan encore qu’amoureux,
Ne laisse d’estre desireux
De te revoir bien tost (Sireine)
Diane me dist en partant,
Qui a-il qui l’arreste tant,
Fay que ton retour nous l’ameine.


 Il dist & soudain il s’en va,
Alors Sireine se leva
Et le long du courbé rivage
Ainsi que son pas le portoit,
A soy-mesme il se ramantoit
Chasque mot de ce doux message


 Puis prenant la lettre en la main,
Papier (dict-il) d’amour tout plein,
Que m’apportes-tu ? paix, ou guerre ?
Lors un glaçon gella son cœur,
Mais le desir qui fust vaincœur
Rompit le cachet qui la serre.


 Cher Messager de mon bon-heur
(Dict-il) ou plustost le donneur
Du bien qu’en cet exil j’espreuve :
O doux & heureux truchement
Du cœur dont le commandement,
Fait qu’entre mes mains je te treuve ?


 O mes yeux ! c’est bien pour certain
Que voicy les traits de la main
Où s’enclot mon bien & ma peine,
Et qui tant de feux ont semez
Parmy ces chiffres bien aymez,
De nos desirs marque certaine.


 Combien de Cupidon esclots,
Naissent à chacun de tes mots ?
O combien de flammes tu portes !
Je ne sçay pas comment tu peux
Ne te brusler à tant de feux
Dont tu brusles de tant de sortes.


 Amour ces miracles a faicts,
Qui aux impossibles effects
A tousjours la main resolue,
(Il dict) & l’ouvrant il y leut,
Sireine qui és mon salut
Une Diane te saluë.


 Puisse-tu vivre aussi heureux,
Puisse-tu jouyr pour nous deux
Autant d’un destin favorable,
Comme loing de toy je ne puis
M’accompagner que des ennuis,
Qui font ma vie insupportable.


 Berger si prompt en t’en allant
Qui te faict au retour si lent,
Ton amour n’a-il point de plume,
S’il en a, je ne sçay comment,
Tu sejournes si longuement
Sans voler comme de coustume.


 Helas ! à mon dam je voy bien
Qu’Amour promet & ne tient rien
Aux plus fideles trop parjure :
Il me promit à ton despart
Un prompt retour, mais je voy tard,
Qu’il ment plus, lors que plus il jure.


 Je voy, & je ne puis penser
(Afin Berger de n’offencer
Ta foy que je croy trop sincere)
Que ce que je voy soit ainsi,
Et si tu ne reviens icy
Je dis, il ne le peut pas faire.


 Ainsi j’essaye en me flattant,
De dislayer jusques à tant
Qu’à ton desir recroisse l’ayle,
Que s’il n’a plus le souvenir
Desormais de s’en revenir,
Escoute au moins que je t’appelle.


 Las ! je t’appelle incessamment
De ce trop long bannissement,
Bannissement certes, le dis-je,
Puis que tous deux il nous bannit
Du lieu où l’amour nous unit,
Et bannis tous deux nous afflige.


 Chasque moment de ce sejour
Qui va retardant ton retour,
M’est un long siecle que je pleure,
Tu vis mes yeux (ô temps heureux)
Tous bruslants de feux amoureux,
Or sans plus le pleur y demeure.


 Que c’est, amy, de bien aymer,
Si l’on me parle de la mer
J’ay l’ame de crainte frappée,
Que quelque tourbillon volant
Ne t’ait accueilli en allant,
Et ta galere enveloppée.


 Si l’on me discourt des poissons,
Monstres-marins, mille glaçons
Me gellent aussi tost craintive,
Si l’on me nomme quelque escueil !
(O Berger) que devient mon œil ?
Je suis aussi morte que vive.


 Que si l’on raconte les loups
Qu’aux Alpes on voit à tous coups,
Je tremble, amy, toute peureuse,
Et plus encor pour ces grands Ours
Aussi une amitié tousjours
Est plaine de crainte soigneuse.


 Dieux ! qu’est-ce que je ne craint point ?
Loing de toy toute fleur me point
Et m’est une tranchante espine,
Ce que je crains, je ne sçay pas,
Mais je sçay bien qu’à tous les pas,
L’effroy me gelle la poictrine.


 Qui sçait ? peust estre à mes despens,
A nouvelle amour tu te prens
Et porté d’une humeur volage,
Te mocquant de moy, tu luy dis
Qu’aussi sotte que mes brebis,
Je suis vrayment née au vilage.


 Ah ! soit faux ce penser fascheux,
Que si toutefois tu le veux
Avant que de m’estre infidele,
Fay courre ce bruict, j’en mourray,
(Sireine) jamais je n’oray
Sans mourir semblable nouvelle.


 Mais non je ne veux plus songer
Que tu puisses estre leger,
Ny qu’autre de toy me recule,
Aussi toute raison veut bien
Puis que ton feu seul est le mien,
Que le mien seul aussi te brusle.


 Que si le desir de me voir,
N’a tant en ton cœur de pouvoir
Qu’un prompt retour il te permette,
Que mon ennuy si violent
Te fasse revenir volant,
Et tu verras comme il me traicte.


 Tu verras que tout mon trouppeau
Ne boit point tant de goutte d’eau,
Ny ne despoüillent nostre pleine
De tant & tant de belles fleurs,
Que je supporte de douleurs
Pendant ton absence (Sireine.)


 Tu verras qu’une triste nuict,
Quelque part que j’aille me suit
Depuis le jour (ains la nuict sombre)
Qu’amy, je te pûs dire à Dieu,
Que bien qu’on me croye en ce lieu
Il n’y a rien plus que mon ombre.


 Tu verras que tous ces plaisirs
Qui souloient borner mes desirs
Ne sont plus rien en ton absence,
Et que je ne me plaits, sinon,
(Sireine) qu’à nommer ton nom
Et vivre da ta souvenance.


 Si je vas quelquefois aux lieux
Tesmoins de nos derniers à Dieux,
Icy (souspiray-je en moy-mesme)
Estoit Sireine & sur le sein,
Il mit plus de cent fois la main
Disant, Diane je vous ayme.


 Si je vois les prez verdissants,
Où nos trouppeaux rajeunissants
S’engraissoient ensemble au revivre,
Je dis, ô Dieux ! que different
Est l’estat où je vas mourant
De celuy où je soulois vivre.


 Bref, en quelque part que je sois,
Tousjours presente je conçois
En mon cœur (Berger) ton Idée,
Et semble, ou soit-il, pour mon mieux
Ou pour mon pis que curieux,
Amour en tout me l’ait gardée.


 Mais ces pensers repus de vent,
Apres demandent bien souvent
Pourquoy tu m’as abandonnée,
Estant certains que si j’estoy,
(O mon Sireine comme toy)
Je seroy désja retournée.


 Ils sçavent bien que ton desir,
Ne permettoit à ton plaisir
Qu’autrefois loing tu pusses estre,
Et or’ ils ne sçavent comment
Tu demeures si longuement,
Au moins ! que j’aye un mot de lettre.


 Ah ! non, n’escry point, mais revien,
Revien Berger, & te souvien
Qu’amour grand Dieu te le commande,
Ton amour te le dict ainsi,
Le mien plus grand l’ordonne aussi,
Est-il quelque force plus grande ?


 Si treuver raison tu ne peux
De revenir quand je le veux,
Il faut que tu te ressouviennes,
Que si ce n’est ta passion,
C’est (Berger) mon affection,
Qui veut pour tout que tu reviennes.


 Si ton amour n’est point changé,
Tu treuveras que ce congé
Doit bien avoir plus de puissance
Que la raison que tu bastis,
Lors que de cet œil tu partis,
Œil qui pleure encor ceste offence.


 Que si tu t’en pûs en aller,
Afin seulement de celler
Nos amitiez en quelque sorte,
Ores ne dois-tu revenir
Pour ces amitiez maintenir,
Qui mourront quand je seray morte ?


 Que si tu n’advances tes pas,
Ingrat amant de mon trespas
Tu sçauras bien tost les nouvelles
Vien si ce bien t’est encor cher
Qui t’esloigna pour le cacher,
S’il se perd en vain tu le celles.


 Oultre que ma mere se deult,
Et plus longuement ne me veult
Seule dans un lict solitaire,
Et souvent se fasche avec moy,
Mais pourveu que je sois à toy
A son gré me tanse ma mere ?


 Dieux oyez ce que je promets,
Mon amour ne mourra jamais
Il n’y a destin qui le change,
Que s’il advient oncq autrement,
Fasse le ciel soudainement
Que l’amour, par la mort s’en vange.


 Celle (mon Berger) qui t’escrit,
Est celle qui jadis t’esprit
Et s’esprit d’amour non profane,
Mais d’un qui fust si sainct & beau
Qu’elle l’aura mesme au tombeau,
Car (Sireine) c’est ta Diane !


 Quel plaisir ? quel contentement
En son heureux forcénement,
(Sireine) à lors ton cœur enleve ?
Où sont fuis tes maux passez,
Certes ils sont bien effacez
Comme la nuict quand le jour leve.


 Autant comme il y vit de mots,
Autant il baisa sans repos
D’amour la douce messagere,
Quel heur en presence (dict-il)
Sçauroit esgaler mon exil
Par une fortune si chere ?


 Quoy pappier, il est donc certain
Que tu as baisé ceste main
Qu’en esprit cent fois je rebaise,
Et que ces flambeaux pleins d’amour
T’ont esclairé de leur beau jour,
Et son cœur t’a remply de braise.


 Ayant tant de bien obtenu,
Comment pappier, és tu venu
Icy en un monde de peine ?
Icy où le mal nous repaist,
Icy où tout ce qui nous plaist,
Est le seul penser qui t’ameine ?


 Tu ne meritois tant de bien
L’ayant laissé pour estre mien,
Mais las ! en toy je me condemne,
Je ne meritois l’heur reçeu
Puis que venant icy j’ay sçeu,
Sans mourir laisser ma Diane.


 Alors un torrent de ses yeux
Moüille ceste lettre en cent lieux,
D’amour, de regret, & de honte,
Parce qu’il ne voit ces amours
Qu’ils les va regrettant tousjours,
Et que ce pappier les luy conte.


 Qu’il luy fasche de sejourner,
Il veut soudain s’en retourner,
Diane & amour le commandent,
Faison (dict-il) faison retour
A l’heureux paradis d’Amour,
Où tant de faveurs nous attendent.


 Il dist, & les yeux s’essuyant,
Le dos à un arbre espuyant
De sa houlette un bout en terre,
D’une jambe il croisa le bas
Et l’autre bout avec le bras,
Sous l’espaule courbe il enserre.


 D’autant que le prudent Berger
Vit revenir le Messager
Et bien que seul il le voit estre,
Si veult-il son mal luy celer
L’amour se doit dissimuler,
Le non traistre amour, est un traistre.


 Le Messager luy dict à lors
(Sireine) que fay-tu dehors,
Ton ennemy chez toy t’outrage,
Chez toy puis qu’on te veut oster
Ce que seul tu peux meriter,
Retorne donc si tu es sage.


 (O Berger) Diane par moy,
Te mande qu’à jamais sa foy
Pour toy sera bien eternelle
Et telle qu’elle t’a promis,
Mais si ses parens ennemis
La forçent, quelle erreur faict-elle ?


 Juge combien peut contre tous,
D’une mere l’aspre courroux,
Et la violence d’un frere,
La malice du medisant,
Et ce, que chacun va disant,
Puis juge ce, qu’elle peust faire.


 A sa mere desobeyr,
Le courroux fraternel fuyr,
Peut estre encor seroit faisable,
Mais en tous lieux s’ouyr nommer,
Voila celle, qui veut aymer ?
O Dieux ! il n’est point supportable.


 Et à fin de t’en advertir,
Ta Diane m’a fait partir,
(Berger) ne soy moins amant qu’elle,
Si elle eust pû venir soudain,
O comme elle eust faict le chemin,
Que ce penser te serve d’ayle.


 Avec quel glaive de rigueur,
(Messager) blesse-tu son cœur,
Il fut contraint s’assoir en terre,
Et ne parler de quelque temps,
Ses pensers entre eux combattans,
Faisoient en luy trop rude guerre.


 En fin, quand il luy pûst parler,
Où sont tant de serments en l’ayr !
Où sont ces larmes espandues !
Ces paroles (dict-il) de vent,
Dont elle m’alloit decevant,
Et sa foy sont-elles perdues ?


 Doncques Diane à le pouvoir,
Par toy de me faire sçavoir,
Qu’elle n’est pas bien asseurée ?
Ny bien assuré son amour ?
Ah ! qu’elle ait memoire du jour,
Que si ferme elle l’a jurée.


 Jamais, me dict-elle, parents,
Contre moy devenu tyrants,
Ny mere plus qu’ourse cruelle,
Ne pourront mon amour changer,
Toutes choses courent danger
Du changement, mais non point elle.


 Comment Cupidon permets-tu,
Tant de beauté, tant de vertu,
Couvrir un esprit si volage ?
Est-ce pour monstrer en effect,
Que tout ce qui ça bas se faict,
N’est en fin, qu’imparfaict ouvrage ?


 Cesse, ô trop desloyal penser,
Cesse desormais d’offencer
Celle, qui est parfaicte, & belle ;
Si elle change, cet’ erreur
Procede helas ! de mon mal’heur,
Non de deffaut, qui soit en elle.


 Or bien amy tu t’en yras,
Et de ma part tu luy diras,
Que ceste peur qu’elle a si grande,
Est presage de mort en moy ;
Je ne veux survivre sa foy,
Que changeant, ma mort elle attende.


 Dy luy, qu’elle ait devant les yeux,
De quel juste fouldre les Dieux,
Punissent une foy parjure ;
Qu’un frere peust se courroucer,
Mais, qu’il ne sçauroit la forcer,
D’aller contre ce, qu’elle jure.


 Et que des traicts du mesdisant,
Il n’y a personne d’exempt
Diane la chaste Déesse,
Pour le gentil Endimion,
Sçeut combien une opinion,
Avec la medisance blesse.


 Mais, qu’un amour est bien douteux
Qui du nom d’amour est honteux,
Et que tout ce qu’elle m’oppose
Pour la mettre elle, & moy aussi
En un perpetuel soucy,
Est ce me semble peu de chose.


 Que puis, qu’elle le veut soudain
Je me remettray en chemin,
Jamais je n’auray chose chere
A l’esgal de sa volonté,
A l’impossible est l’imité
Le vouloir, que j’ay de luy plaire.


 Mais ! qu’à tes discours je voy bien,
Que pour moy je n’advance rien
Sinon de me haster d’entendre,
Combien peu constante est sa foy,
Et qu’un autre heureux plus, que moy,
Prend le bien, que je devrois prendre.


 S’il advient, de ma part, dy luy,
Que d’un esprit comblé d’ennuy,
D’une ame de desespoir pleine,
Entre tes mains je fay serment
Ne croire jamais qu’un amant
Soit mieux trahy, que son Sireine.


 Le Messager le voyant seul
Prudent pour alleger son deul,
Pensa, qu’il seroit bon luy dire
Combien sa Diane l’aymoit,
Et qu’à grand tort il la blasmoit,
Au lieu de plaindre son martyre.


 Sireine (dict-il) de sa foy
Ne doute non plus, que de toy,
Pour toy seulement elle pleure ;
Pour toy luy sont chers les plaisirs
Et si elle a quelques desirs,
C’est de te revoir à toute heure.


 Mille fois je l’ay veu pleurer,
Mille fois amour adjurer
Ou de te ramener à elle,
Ou elle à toy, que s’il ne peust,
Absent au moins qu’elle te sçeut,
Fidele autant, qu’elle est fidele.


 O quelle la vis-je à l’abort !
Elle estoit seule sur le bort
De la vive, & claire fontaine,
Qui prend des alisiers son nom,
Prés d’elle, il n’y avoit sinon
Ses pensers, & en eux (Sireine.)


 Aux yeux, des larmes une mer,
Au cœur, un poison plus amer
Que n’est le plus amer absynte,
Je vis, ô pitoyable voir !
Qu’en terre elle se laissa choir,
Comme une fleur du chaut atteinte.


 Lors ses yeux l’onde accompagnant,
J’ouys sa voix, ainsi plaignant,
O absence cruelle absence !
Si tu es la mort des amours,
Pourquoy doy-je pleurer tousjours,
Sans que j’espreuve ta puissance ?


 N’ay-je pas de l’amour en moy ?
Ne suis-je objet digne de toy ?
Et amour n’est-il pas mon maistre ?
Helas ! si suis-je toute en feu,
Et mon amour n’est point si peu,
Que plus grand un autre puisse estre.


 Ne faut-il, que du desplaisir ?
Et où s’en pourroit-il choisir,
Quelqu’autre, qui fust plus extréme,
Ou, qui eust en soy plus d’amer ?
Faut-il infiniment aymer ?
Helas ! je ne vy pas, ou j’ayme !


 Ah ! ton coup contre moy ne peut,
Et c’est parce qu’amour ne veut,
Qu’un autre ame guerir s’appreste
Que l’autheur de ma passion,
C’est la playe du scorpion
Qui se guerit, par qui l’a faicte.


 Si mon blesseur me doit guerir,
C’est à toy qu’il faut recourir
(Sireine) quand le mal me presse
Autre que toy n’a pû (Berger)
Ce nouveau Telephe outrage,
Qui recourt au fer qui le blesse.


 Mais ores que tu es si loing,
Combien tardif est au besoing
Le salut de telle blessure !
O ame de peu d’amitié,
Veux-tu guerir sans ta moitié ?
Sçais-tu pas que Sireine endure ?


 Helas ! je sçay qu’il va souffrant,
Que sans mourir il va mourant,
Et que sans plus j’en suis la cause,
Aussi de ce cruel penser
Je me sans plus fort offencer,
Que non point de toute autre chose.


 Comme le chasseur escoutant,
Je sçay qu’à toute heure il attend
S’il n’aura point de mes nouvelles :
Et je sçay, qu’au lieu où il est,
Tout ce, qu’il y a luy desplaist,
Sinon, que ses pensers fideles.


 Et moy je puis vouloir guerir !
Et moy je puis vouloir mourir !
O foible amour ! ô foible flamme !
Tout ainsi, que le feu n’est grand,
Que d’amortir l’on entreprend,
Ny l’amour dont guerit une ame.


 Ah ! meure doncque ce desir,
Desormais je ne veux choisir
Qu’en mes larmes tout mon remede,
Je sçay bien, qu’il me plaint de-là
Et luy cederay-je en celà,
Si en amour je ne luy cede ?


 Pour quelque temps elle se teust,
Puis comme si de l’œil elle eust
Remarqué chose qui luy fasche :
La main elle met sur les yeux
Et semble cacher à ces lieux
Leur soleil, quand elle les cache.


 L’eau sous la main luy descendoit,
En quoy lors son cœur se fondoit ;
Ainsi l’eau, & le feu ensemble,
L’eau du cœur, le feu de ses yeux,
D’un artifice ingenieux,
Amour, en son visage assemble.


 En fin d’un souspir eslancé,
Mais las ! qui eust jamais pensé
(Dict-elle) que chose si douce,
Que l’amour eust eu tant d’amer
Comme je ressens pour aymer !
Le calme en l’orage nous pousse.


 Comment est-ce, que tu consens,
Amour, a l’ennuy que je sens ?
Et si tes forces sont si grandes,
Comment souffre-tu, qu’autre Roy,
Veüille faire observer sa loy
Dedans le cœur où tu commandes ?


 Et toutefois, voicy l’honneur,
Qui comme un outrageux seigneur,
Me commande que j’obeysse
Au vouloir de tous mes parents,
Honneur, tes pouvoirs sont bien grands !
Mais faut-il, qu’amour y fleschisse ?


 Pendant qu’elle parloit ainsi,
Le deul luy fronçoit le sourcy,
Le pleur la privoit de lumiere,
Les sanglots, la voix luy ostoient,
Et tous ensemble desbatoient,
Qui auroit la place premiere.


 Que si tu l’eusses veu (Berger)
Tu n’eusses craint que de changer
Elle eust eu jamais quelque envie ;
La pitié plustost eust atteint
Ton cœur esmeu, qu’il n’eust pas craint,
Qu’un autre amour te l’eust ravie.


 Mais plus si des regrets naissants,
Tu eusses ouy les accents
Et sa voix souvent retenue ;
Elle qui souloit en son œil,
Porter plus d’esclairs, qu’un soleil,
Alors n’y avoit, qu’une nue.


 Depuis, que ses pleurs escoulez,
Eurent ses beaux yeux devoilez,
Ainsi, qu’au travers d’un nuage,
Le soleil de nouveau revit,
Assez pres d’elle elle me vit,
Pour voir des pleurs sur mon visage.


 Toy (dict-elle) qui viens ouyr
Ce que tout autre doit fuyr,
Puis que tu vois, quelle est ma peine,
Puis que jusqu’icy mon mal’heur
Semble avoir esmeu ta douleur,
Dy-moy si tu cognois Sireine ?


 Diane (dy-je) je cognois
Sireine & l’ay veu mille fois,
Et bien qu’il ne me recognoisse,
Je sçay ton amour, & sa foy,
Et combien son cœur loing de toy
Couve, pour toy seule, d’angoisse.


 Petit enfant je l’ay nourry,
Et ne fus oncques si marry,
Que le sçachant loing de ma femme,
Je l’aymois plus que tous mes biens,
Plus qu’un pere n’ayme les siens,
Plus encor, qu’on n’ayme son ame.


 Depuis le revoir je n’ay pû.
Mais par une Nymphe j’ay sçeu,
Qu’elle est loing de toy son absence,
Ceste Nymphe me racontoit
Qu’un Berger icy l’escoutoit,
Quand il esloigna ta presence.


 Puis (dict-elle) que tu sçais tant,
Du mal, que je vay regrettant,
Si la pitié est assez forte,
Je t’adjure par la pitié,
A son deffaut par l’amitié,
Si toutesfois elle n’est morte.


 D’aller où mon Berger helas !
Meurt pour moy de mille trespas,
Et luy dire, qu’il se dispose
De s’en revenir au plustost,
Et que s’il ne le faict, il faut
Qu’il desespere toute chose.


 Un Delio, qu’il cognoit bien,
Est pour luy soustraire son bien,
Non, qu’à mon vouloir il advienne :
Ah ! soit le ciel de feu couvert,
Et l’enfer pour moy soit ouvert
Avant que je sois jamais sienne.


 Mais helas ! ma mere le veut,
Et qu’est-ce, qu’une fille peut ?
Combien facilement se tache,
Pour peu sa reputation ?
Que s’il m’a de l’affection,
Peut-il estre qu’il ne s’en fasche ?


 Je sçay que son pere au rebours
N’est point contraire à nos amours,
Je sçay que sa mere desire
De voir quelque conclusion
A nostre longue affection,
Et qu’est-ce donc qui l’en retire ?


 Helas ! aura-il bien le cœur
De me sçavoir par la rigueur,
D’une mere sacrifiée
Sur l’autel de mille regrets,
(Berger) dirat-on pas apres,
Qu’atort je m’estois trop fiée ?


 Pourat-il (s’il a sçeu aymer)
Souffrir ce qu’il souloit nommer
Les Paradis de sa Diane,
Son bien, ses delices, son mieux
Estre dans un lict, ô grand Dieux !
Soüillez par une main profane.


 S’il n’en meurt au premier abort,
Je croiray, sans luy faire tort,
Qu’il n’a point d’amour, ou point d’ame :
C’est faute d’amour, ou de cœur,
De voir, sans mourir, qu’un vaincœur
Triomphe arrogant de sa dame.


 Pour mon soulagement en fin,
Je t’adjure, si mon destin
Veut qu’un si grand mal’heur m’arrive
De luy dire, que je sçay bien
Que tout le mal, en sera mien,
Mais le plus grand, c’est que je vive.


 Là mille trop cuisants regrets,
Ces propos suyvirent de prés,
Que taire il luy fust impossible,
Berger, helas, qui l’eust pû voir,
Sans de sa pitié s’esmouvoir,
Eust esté sans doute insensible.


 Doncques, Sireine, mon enfant,
Ne va ton espoir estouffant,
La constance de ta Bergere
N’est subjecte à legereté ;
Quand amour vaincœur a esté
Dedans une ame, il n’en sort guiere.


 Sireine ouyant la douce voix
De ce Berger, qui autrefois
L’avoit nourry en son enfance :
Luy saute au col, & à l’abort
Fut ravi d’un si grand transport,
Qu’il ne songe au mal, qui l’offence.


 L’ennuy, pour un temps, oubliant,
Des bras à son col se liant,
La bouche jointe a son oreille,
Et sur son estomach panché,
D’affection, semble attaché,
Et que l’amour s’en esmerveille.


 Donc (disoit Amour) est-ce ainsi
Que tu mesprises le soucy,
Que tu dois avoir de ta peine ?
(Sireine) je m’en vangeray,
A ton retour je m’en fuiray
Rendant ton esperance vaine.


 Pendant le pere nourrissier,
Qui se sent tendrement lier,
Des bras de cet enfant qu’il ayme ;
D’une semblable affection,
Noue des siens ceste union,
Tremblant d’un aise trop extréme.


 Trois fois Sireine l’embrassa,
Trois autres à luy s’enlassa,
Avant qu’une seule parole
Il pûst former en ce plaisir :
Ne sçachant, qu’elle il doit choisir,
Pour dire le mal qui l’affole.


 En fin, s’en estant retiré,
Apres l’avoir consideré
Quelque temps, il luy dict mon pere,
(Tel nommer par raison je dois,
Qui m’a conservé par deux fois)
Je veux tout ce, qui te peut plaire.


 En tes sages mains je remets
Ma vie, & ma mort desormais :
C’est en toy seul que je m’assure,
Je me descharge dessus toy
De tous mes soucis, & pour moy,
Je ne garde, que ma blessure.


 Mais ne croy pas (sage pasteur)
Que je n’aye subject de peur,
Tant inconstantes sont les femmes
Qu’Ezla roulez à grands monceaux,
N’a tant de sablons dans ses eaux,
Que d’inconstance est dans leurs ames.


 Mais puis, que l’amour a permis,
Qu’entre tes mains je sois remis,
Il veut encores, que j’espere,
Et toy par le ciel destiné
A me nourrir a peine né,
Plus grand encor’, sers moy de pere.


 Le bon vieillard la larme aux yeux,
Mon enfant (dict-il) que les Dieux
Disposent ores de ma vie,
Puis qu’encor j’ay eu le pouvoir
Te voyant (mon enfant) de voir,
Ce dont j’ay eu le plus d’envie.


 Et puis, que tu le veux ainsi,
Je prendray doncques ton soucy,
Quoy, que la charge en soit pesante ;
Mais en ta Diane, il ne faut
Croire aucun amoureux deffaut,
Moins belle, que fidele amante.


 Que si tu veux sans passion
Considerer l’affection
Que tu as recognuë en elle,
Tu jugeras bien aysément,
Que Delio n’est pas amant
Qui la puisse rendre infidele.


 Tu luy sembles beau, tu le sçais,
Avec peut estre trop d’excez,
Et Delio est si estrange,
Qu’amour ne s’y sçauroit loger,
Comment croiras-tu donc (Berger)
Que pour luy Diane te change ?


 Efface, efface ce penser,
Afin de plus ne l’offencer,
Et croy son amitié si forte,
Que la pauvrette a plus d’ennuy,
De te perdre & se voir à luy,
Que de te perdre, & d’estre morte.


 Fay luy responce ce pendant
Pour la contenter, attendant
D’obtenir congé de ton maistre,
Ainsi tu feras ton devoir
Leur faisant à tous deux sçavoir
Qu’obeyssant, tu leur veux estre.


 Doncques leur retour resolu,
Sireine ayant encor relu
De sa Diane l’ordonnance,
Luy faict responce, mais trois fois
La plume luy tumba des doigts,
Comme attaint de quelque impuissance.


 Puis la reprenant en la main
En divers subjets incertain,
Cent fois recommence sa lettre,
Ores il desapreuve un mot
Et puis le remet aussi tost,
Au mesme lieu qu’il souloit estre.


 Comme dessus le flot tortu,
On voit diversement batu,
Le vaisseau par un grand orage ;
Maintenant voler bien avant,
Puis, force d’un contraire vent,
Revenir au mesme rivage.


 Ainsi, poussé de passion,
Sireine plein d’affection
Escrit beaucoup & puis le raye :
En fin ayant recommancé,
Rescrivant souvent l’effacé,
Ne fait, que r’animer sa playe.


 Car la blessure qu’il ressent,
Jamais sensible ne consent,
Sans douleur d’estre retatée :
De sorte, qu’au lieu de sonder,
C’estoit plustost la profonder
Et la rendre plus irrittée.


Fin de l’absence de Sireine.


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LE RETOUR DE SIREINE.





LIVRE TROISIESME.




 Un doux vent refrisoit la mer
Qui l’empeschoit de se calmer,
Et dedans la voile legere
Faisant un aggreable effort,
Promptement esloigna du port
Le triste amant & sa galere.


 Areins courbez les Matelots,
De rames sillonnoient les flots
Ce pendant sur la mer voutée,
Le vaisseau qui gemit dessous
L’effort commun, se pleint aux coups
Dont la vague estoit tourmentée.


 L’onde rompue à l’environ,
Blanchit d’escume l’aviron
Et à menus tortis se roue,
Apres le vaisseau qui s’enfuit
Tout à l’entour on oyt le bruict
Des flots outragez à la proue.


 Un train d’escume va devant,
Quelque temps le souffle du vent
Abouillons sur la vague fole,
Et puis surpris des tourbillons
Crevant en cent parts se bouillons.
Avec eux parmy l’ayr s’envole.


 Cependant l’amoureux Berger,
Qui ne peut qu’en son mal songer
Couché de long sur la corste,
Leve les yeux moiste de pleurs
Et va parlant de ses mal’heurs,
Comme il plaist à sa fantaisie.


 Vous Zephirs qui me ramenez
(Disoit-il) n’estes-vous point nez
Des souspirs, enfans de la plainte
Que je suis allé si souvent
Despuis mon despart concevant,
D’une ame de regret enceinte.


 Vous voiles, que je voy grossir
Du vent qui s’y vient espessir,
Comment avez-vous le courage
De m’emporter si promptement,
Où je dois mourir du torment,
Qu’à produit mon premier voyage.


 Toy vesseau, qui du vent poussé
Sillonnes le flot courroucé
D’une hazardeuse careine,
Tu ne souffres point tant de coups
Du vent, ny du flot en courroux,
Que d’ennuis supporte Sireine.


 O vagues qui vous tourmentez
Ce pendant que vous nous heurtez,
Dictes moy, n’estes-vous point celles
Qui jadis d’un flot aboyant
Allerent Leandre noyant,
D’amour ennemies mortelles.


 S’il est vray que vous les soyez,
Hastez-vous ondes & noyez
Un amour beaucoup plus sincere
En noyant ce triste Berger,
Mais ce seroit le soulager,
Vous n’avez garde de le faire.


 Ainsi l’amour parlant en luy
Alloit rengregeant son ennuy,
Et du fer qui luy fit l’injure
La playe mesme rentre-ouvrant,
Mettoit le glaive plus avant,
Feignant de guerir sa blessure.


 Son regret encor qu’importun
N’eust si tost finy, si quelqu’un
N’eust nommé Diane & Sireine,
Ces noms l’esveillent en sursaut,
Sçachant bien pour certain qu’il faut
Qu’on veüille parler de sa peine.


 Donc retenant l’esprit craintif
Aux discours qu’il oyt attentif,
Il entend que dedans la pouppe
Chacun curieux escoutoit,
Hormis le patron qui contoit
Sa fortune à toute la trouppe.


 Ce patron estoit curieux,
Qu’aux passants fut moins ennuyeux
Le chemin, qui semble de croistre,
Et lors leur faisoit le discours
Qu’il avoit apris des amours
De Sireine, sans le cognoistre.


 Quoy que Bergere (disoit-il)
Elle a un esprit si gentil
Qu’il ne ressent rien du vilage,
Elle est belle, mais en effect,
C’est en elle le moins parfaict
Que la beauté de son visage.


 Ces deux amants ont sort long-temps
Ensemble vescu bien contens,
Et ont par leur prudence sage
Les plus clair-voyants aveuglez,
Couvrant en leur desirs reglez
L’amour dessous le parentage.


 Mais, Sireine partit en fin
Par l’ordonnance du destin,
Qui ne voulut qu’en sa presence
Un voleur son bien luy ravit,
Ny que s’il le perdoit qu’il vit
L’offenceur luy faisant l’offence.


 Ce fut à cet esloignement
Que prist naissance le tourment,
Qui tant de pleurs leur fict respandre :
Car Delio riche Berger
Prés d’elle se venant loger,
S’en laissa par mal’heur surprendre.


 Ce Berger riche n’avoit rien
En soy d’aymable que son bien,
Nature pleura sa naissance,
Et l’astre qui la regardoit,
Luy versa tout ce qu’il gardoit
D’imparfaict en son influence.


 Pour estre à Diane donné
Ce Delio fut destiné,
Ce crois-je, pour faire paroistre,
Qu’aux ordonnances de la haut
La raison des hommes deffaut,
Et n’y a rien à recognoistre.


 Lors que la Bergere le sçeut,
Quel fut l’ennuy qu’elle reçeut !
Quels les discours de sa pensée !
Quelles les larmes de son œil !
Et quels les propos que le deuil
Tira de son ame offencée.


 Veüille amour (disoit-elle) amy,
Que morte je tombe parmy
La trouppe des chastes pucelles,
Quand la main de ce ravisseur
Pour se voir de moy possesseur,
Osera m’enlever d’entr’elles.


 Jamais ne permette l’amour
Que je voye esclairer le jour,
Où ma cruelle destinée
Dans son infaillible dessein
Ordonne qu’un si grand larcin
Soit faict, sous le nom d’hymenée.


 Le lict nopcier soit mon tombeau,
Et que le desastre flambeau
Qui doit brusler à telle nopce,
Soit le flambeau qui reluira,
Quand morte l’on me portera
Le mesme jour dedans la fosse,


 Ainsi la Bergere plaignoit
Le mal prochain qu’elle craignoit,
Mais quand elle en fut asseurée,
Et qu’elle sçeut que dans la main
De Delio, le lendemain
Diane seroit delivrée.


 Amour que ne dict-elle pas !
Et qu’elle sorte de trespas
A soy-mesme ne cherchent-elle !
Pour mourir tout luy semble bon,
L’aspic, le fer, l’ardent charbon,
Hardie à son secours appelle.


 Mais ne pouvant à son vouloir
De telles morts se prévaloir,
Trop bien gardée en ceste peine,
Resout par les soufflets du cœur
Ne plus allentir son ardeur,
Et s’estouffer faute d’aleine.


 Mais amour qui veut en son cœur,
Paroistre tousjours le vaincœur
Vient ceste mort luy contredire,
Et luy contant ses desplaisirs
La force mesme à des souspirs,
Desquels il faut qu’elle respire.


 Ainsi donc ne pouvant mourir
Ny tant de miseres souffrir
L’ennuy luy changea le visage,
Et d’un tel chagrin le remplit
Qu’au lendemain ne s’accomplit,
Le dessein de ce mariage.


 Car chacun voyant la couleur,
Dont la peignoit l’aspre douleur
Qui la rendoit passionnée,
La jugeoit bien estre plus prés
D’avoir du funeste Cyprés,
Que du Myrthe en son Hymenée.


 Mais de huict jours le reculant,
Ce n’estoit que rendre plus lent,
Son trespas, non la rendre saine,
Et c’est (ce me semble) aujourd’huy
Le jour fatal de son ennuy,
Si ma memoire est bien certaine.


 Aujourd’huy surprent transporté
L’amant qui l’avoit escouté,
Donc aujourd’huy est la journée
Où tous mes espoirs sont perdus ?
A ces mots à coup entendus,
Toute la troupe s’est tournée.


 Lors transporté roüant les yeux
Hagard & presque furieux
D’un regard de mort effroyable
En divers endroits regardant,
En fin en sa fureur ardant,
Il dict de voix espouventable.


 Injuste ciel tu ne peux pas
Au moins me nier le trespas,
Quoy que d’autre bien tu me prives,
Puis, il dict, regardant la mer,
Je meurs (Diane) pour t’aymer,
Veüille, amour, que tu ne me suives.


 A ces derniers mots d’un plein sault,
Transporté, se jette d’en hault
Dans l’onde qui soudain regorge.
L’eau jaillit, & mille tortis,
Roüant au tour sont engloutis
Dedans l’abysme de sa gorge.


 Un cry d’effroy de bout en bout,
Dans le vaisseau courut par tout,
Chacun en devient froid & pasle,
On ne le voit plus, car autour
L’eau qui replisse de maint tour,
Désja dans son gouffre l’avale.


 Tous ceux qui virent ce Berger,
En cet effroyable danger
Pitoyables y accoururent,
(Plusieurs d’entre eux sçavoient aymer)
Si bien que se jettant en mer
Avec l’esquif le secoururent.


 Que si son amoureux flambeau
Eust pû s’esteindre dessus l’eau,
Heureux trois fois, heureux naufrage,
Mais helas ! ce fut au rebours,
Puis qu’apres avoir eu secours
Son feu s’aparut d’avantage.


 Il demeure long-temps pasmé,
Semblant un tronc inanimé,
Pasle & froid sans poux ny haleine,
L’eau de la bouche luy sortoit,
Et son poil autour desgouttoit
En mainte source de fontaine.


 Quand ses esprits furent remis,
Helas (leur dict-il) mes amis,
Eh ! qu’est-ce que vous pensez faire,
Vous croyez m’oster au trespas
Me sauvant, & ne voyez pas
Que vous me faictes le contraire.


 Estant reduict en un tel poinct,
Que mon ame ne vivra poinct
Que je ne perde ceste vie ;
Vie qui est ma seule mort,
Donc par pitié tous d’un accord
Faictes qu’elle me soit ravie.


 Là muet d’un penser profond,
On luy voit replisser le front,
Froncer le sourcil, & l’œil ferme
En un lieu tenir arresté,
Et puis, tout à coup transporté,
Voicy (dict-il) voicy mon terme.


 Voicy le terme de mon cours,
Ce jour doit annuiter mes jours,
Et c’est en vain que je le pleure :
Mais pourquoy n’avez-vous permis
Astres malins, mes ennemis
Que ma mort le prévint d’une heure ?


 Voicy donc le jour mal’heureux,
Où mon destin trop rigoureux
A limité toute ma joye,
Doncques mon espoir estouffant,
C’est aujourd’huy que triomphant
Un volleur emporte ma proye.


 Doncques aux rayons du flambeau,
Qui deut le mener au tombeau,
Aujourd’huy Diane est menée
Les cheveux couronnez de fleurs,
Mais sans doute l’œil plein de pleurs
Aux loix d’une injuste hyménée.


 Faut-il sans que je meure ! ô mort
Que je supporte un si grand tort,
Faut-il qu’on ravisse ma dame
Et encor pour plus de rigueur,
Faut-il que je vive sans cœur,
Et qu’un autre corps ait mon ame ?


 Ces propos de pitié touchoient
Les cœurs plus durs qui l’aprochoient,
D’une compassion si forte
Qu’il n’y avoit autour de luy,
Ce pendant qu’il parloit, celuy
Qui ne la sente en quelque sorte.


 Atant Lerine au beau sejour
S’alloit reculant d’un grand tour,
Et désja les rudes stecades
Monstroient de loing leurs rochers nus
Rochers aux ancres incognus
Pour leur trop difficiles rades.


 Le vent qui la voile emplissoit,
Et l’onde en l’onde replissoit,
Pendant que d’ire elle bouillonne,
Faict faire au vaisseau tel chemin,
Que désja sur la droicte main
Blanchit l’isle de Magelonne.


 Apres derriere la laissant,
Agde s’en vient apparoissant
Sur la pointe en mer advancée,
La vieille Narbonne de loing
Se monstre enclose en un recoing
Qui fut bien tost oultrepassée.


 Désja commençoit d’approcher,
Leucate & le pointu rocher
Qui finit les monts de Pireine,
Où fut le temple de Venus,
En fin les borts sont recognus
Du Tage riche en son areine.


 Alors l’empoule dans la main,
Le forçat lassé du chemain
Se voyant au bout du voyage
Et que l’ancre se va jetter,
De cent Iô faict esclatter
Les replis, du proche rivage.


 Sans plus Sireine dans le cœur,
Sent augmenter l’aspre rigueur
De ce mal que le temps n’alege,
Et plus il approche des lieux
Autrefois si delitieux,
Et plus son ennuy se rengrege.


 Chacun dessus le bort de l’eau
Aloit descendant son fardeau,
Mais quoy que Sireine n’emporte
Que sa houlette dans la main !
Son faiz toutefois inhumain
Luy pése bien d’une autres sorte.


 Alors les ombres allongeant,
Le jour dans l’eau s’alloit plongeant
Pour donner relache à la peine,
Sireine pressé du desir
Ne pouvoit se donner loisir,
Presque de prendre son haleine.


 Il accusoit son pied trop lent,
Souvent paresseux l’appellant
Encor qu’au trespas il le porte,
Le retardement luy desplait,
Et semble qu’en sa mort il ayt
Quelqu’espoir qui le reconforte.


 En fin pour ne se pendre pas
Parmy la nuict, non qu’il fut las,
Il recherche quelque retraicte,
Et jettant l’œil de tout costé
Voit sur un rocher escarté,
Ce luy sembloit une logette.


 Ce roc diversement pointu
Du vent à toute heure battu,
Estoit le rempart du rivage,
Dans la mer son dos advancé
Ne craignoit le flot incensé
Qui s’y rompoit à coup d’orage.


 En ce lieu les pescheurs souvent
Oyseus pour le courroux du vent,
Se reposoient dessus des sieges
Taillez dans le creux du rocher,
Ce pendant qu’ils voyoient seicher
Au bort leurs filets & leurs lieges.


 Sireine que l’ennuy poursuit,
Y va pour y passer la nuict
Qui estendoit désja ses voiles
Entre les hommes & les Dieux,
Faisant rouler parmy les cieux
Son chariot semé d’estoiles.


 Quel fut le repos du Berger,
L’amant seul le pourra juger
S’il a eu sa douleur premiere,
Tant y a que le jour revint
Avant que son œil se souvint
De clore sa moiste paupiere.


 Et sur le point que du Soleil,
L’aurore annonçoit le resveil
Au chemin hastif il s’appreste,
Mais au mesme temps qu’il sortoit,
Il ouyt une voix qui chantoit
Au son d’une triste musette.


 D’abort, parce qu’il luy sembla
De la cognoistre, il se troubla,
Et lors qu’il la pû mieux entendre,
Il cogneut Silvan son voisin
Qui chantoit proche de sa fin,
Comme un Cygne au bort de Meandre.


 Le Berger Diane adora,
Mais jamais il ne retira
Que toute extréme rigueur d’elle,
Toutefois tel estoit son cœur
Qu’il n’y eust sorte de rigueur,
Qui le luy pûst rendre infidele.


 Touchez d’un semblable soucy
Sireine & ce Berger aussi,
Quoy que rivaux pour mesme dame,
Estoient toutefois bons amis,
Sans que jamais Discord eust mis
Ses feux parmy leur douce flame.


 Mais Sireine estoit bien aymé,
L’autre, encor que fort estimé,
N’avoit d’amour que le martyre,
Souvent le merite en l’amant
Est le plus grand empeschement
Pour obtenir ce qu’il desire.


 A ce coup quand Silvan le vit,
Et quoy (dict-il) Sireine vit !
Il respire encores la vie !
Ah ! il est mort, mes yeux au moins
Ont esté les tristes tesmoings
Que l’ame l’on luy a ravie.


 Sireine à ces cruels propos,
Fut contraint s’appuyer du dos
Contre une pointe de la roche,
Et l’a cruellement battu
Du message qu’il avoit eu,
La vie mesme il se reproche.


 Puis peu à peu se laisse choir,
Comme une rose sur le soir
De l’ardent midy desseichée,
En cet estat il ne parla
Pour un temps, mais en fin il a
Sa voix en tels mots desbouchée.


 Cet œil qui pleuroit au partir,
Ce pleur qui brusloit au sortir,
Ce cœur qui mouroit de l’absence,
Ces sermens si souvent jurez
Sont-ils contre moy conjurez,
Pour faire une si grande offence ?


 Doncques les larmes de cet œil !
Doncques les ardeurs de ce deuil !
Doncques la crainte de ceste ame !
Doncques les liens de la foy,
Ne sont que pour monstrer en moy
Combien volage est une femme !


 O œil d’amour estincellant !
O pleur né d’un amour bruslant !
O peur signe d’amour extréme !
O serment que chacun eust creu !
Helas ! comment avez-vous peu,
Pleins d’amour, tromper l’amour mesme ?


 Jamais un œil ne fut aymé,
Jamais un amour estimé,
Ny jamais ame idolastrée,
Avec un dessein plus parfaict
Qu’a esté celuy qui a faict
Naistre mon amour desastrée.


 Mais si onc amour a esté
Avecque l’infidelité,
Amour le fut bien avec elle,
Sa bouche juroit qu’elle aymoit
Et lors sa bouche blasphemoit,
Car son cœur estoit infidelle.


 Que si un amour outragé
Fut jamais par le ciel vangé,
Au ciel vengeance je demande,
(Mais non) la peine qui seroit
Moindre, l’amour offenceroit,
Et l’esgale seroit trop grande.


 Silvan quelque temps l’escouta
Et puis de tels mots l’arresta,
C’est assez, il suffit (Sireine)
Le tribut qu’Amour veut de nous
C’est de plaindre & souffrir ses coups,
Tu as plaint, souffre ores ta peine.


 Helas ! respond Sireine, Helas !
Ces coups d’Amour ne viennent pas,
Ils sont (Silvan) de son contraire,
Amour a deux mains comme nous,
L’une (dict Silvan) a le doux,
Et l’autre la poison amere.


 Berger, ne te souvient-il plus,
Combien autrefois tu te pleus
En la faveur qui t’ayt ravie ?
Il faut d’un mesme cœur souffrir
La mort à lors qu’il faut mourir
Qu’on a jouy l’heur de la vie.


 C’est à moy, Berger, qui ne suis
Que butte de tous les ennuis
A qui ceste plainte est permise :
Car moy le plus fidelle amant
Qui fut onc, n’eus onc que tourment
Qu’amour à ce coup eternise.


 Alors Sireine souspirant,
Luy respond, amant ignorant
Tu ne sçais la douleur extréme,
D’avoir gousté du bien, & puis
Voir changer en plus grands ennuis,
Helas ! pour jamais ce bien mesme.


 Tien ouvers quelque temps les yeux
Contre le Soleil radieux,
Puis en destorne ta paupiere,
Tu trouveras tout à l’entour,
Pour toy noircis les rais du jour,
Qui donnent aux autres lumieres.


 Mes esprits long-temps arrestez
Aux heureuses felicitez
Où autrefois ils souloient estre,
Trouvent qu’un eternelle nuict
En quelque part qu’ils soient les suit,
Maintenant descheus d’un tel Estre.


 Mais toy Silvan, à qui l’amour
Ne fit onc esclairer le jour,
Des faveurs qu’ores je regrette,
Ne peux sinon par le penser
Sçavoir combien peut offencer,
La perte que Sireine a faicte.


 Mais soient tous ces propos rompus,
Amy Silvan, ne cherchons plus
Qui des deux est plus miserable,
Et contentons nous seulement
Que des deux le moindre tourment
Est à nos cœur insupportable.


 Et s’il te plaist (Berger) me dis
Qui t’a faict laisser tes brebis
Qu’autrefois tu tenois si chéres,
Sireine (respond-il) c’est toy,
Mais je faux (Sireine) c’est moy,
Non, ce sont nos communs affaires.


 Mais que demandes-tu d’ouyr,
Tu devrois plustost t’en fuyr,
Quoy que ce soit tu veux l’apprendre,
Prepare donc plustost tes yeux
A pleurer ton mal ennuyeux
Que tes oreilles à l’entendre.


 Silvan ne te soucie point
De raconter de point en point
(Luy respond-il) nostre amertume,
Et croy que mon facheux mal’heur,
M’a tant outragé de douleur
Que mon cœur en a faict coustume.


 Puis (dict-il) qu’il te plaist ainsi,
(Sireine) escoute ton soucy
Et comment au mien il s’assemble,
Le sort qui se voulut jouer
De nous, se pleust à nous noüer
Par nos desirs, tous deux ensemble.


 Avant que le jour rigoureux,
Jour qui nous fut si mal’heureux
La contreignit au mariage,
Et la sousmit à un espoux,
Lequel au jugement de tous
Meritoit moins cet advantage.


 D’extréme douleur insensé,
Je me vis maintefois poussé
D’estrangler d’une main hardie
Ce ravisseur de nostre bien,
Sans Diane, il n’y eust eu rien
Qui m’en eust l’ame refroidie.


 Mais elle sçachant ma fureur,
Me tansa d’une telle erreur,
Et puis, voudrois-tu (me dict-elle)
Pour complaire à ta passion
Blesser ma reputation
Avec une playe mortelle ?


 Je luy responds, j’aymerois mieux
(Diane) offencer tous les Dieux
Que faire chose qui vous fasche,
Mais ne considerez-vous pas
Que je ne puis sans le trespas,
Souffrir une offence si lasche.


 Il faut (me dict-elle) souffrir
Ce qu’il plaist aux Dieux nous offrir,
Leur resister est impossible,
(Berger) ils peuvent tout là haut
Et puis qu’à la fin il le faut,
Que sert-il d’estre si sensible ?


 Doncques sera le bien venu,
Ce Delio (dis-je) incognu,
Et vous avez bien le courage
Qu’un homme, mais homme imparfaict
Et qu’à despit nature a faict,
Soit joint à vous par mariage.


 Helas ! pourrez-vous supporter
Sans quelquefois vous despiter,
Ces caresses tant estrangeres ?
De honte rougiez-vous pas
Si quelquefois entre les bras
Il vous prend parmy les Bergeres ?


 L’œil baissé d’un souspir profond,
Premierement elle respond,
Et puis, toute ame raisonnable,
La raison sur tout cognoistra,
Et ceste raison me rendra
Ce Delio bien cognoissable.


 Berger, celle à qui les apas
Commandent, & qui ne peux pas
Leur resister trop impuissante,
Sans doute difficilement
Supportera le changement,
Que la fortune luy presente.


 Mais moy, qui de mes premiers jours
Ay voulu me roidir tousjours
Contre ma volonté plus forte,
Je ne dois craindre que le sort
Me donne jamais coup si fort,
Que ma constance ne supporte.


 Quand ses amertumes je bois,
Je fais au moins ce que je dois,
(Vas-je disant en ma pensée)
Et ceste consolation
Guerit par resolution
Mon ame, aussi tost que blessée.


 Par ainsi tout ce que tu dis
Tous ces maux que tu me predis,
Et desquels je dois estre serve
Je les supporteray, d’autant
Que je sçay qu’en les supportant,
Les loix de mon devoir j’observe.


 Doncques Diane, j’en est faict,
Vous voulez (luy dis-je) en faict
Estre d’un Delio la proye,
Qui jamais ne vous a servy,
Plustost si jusques-là je vy
Qu’à mes veux, le ciel me foudroye.


 Mais je sçay bien que j’en mourray,
Et que jamais je ne verray
L’effect de telles injustices,
Permettez au moins sans desdain
Qu’un seul baiser de vostre main,
Paye à ma fin tous mes services.


 Ces mots purent tant sur son cœur
Qu’ils reschaufferent la rigueur
Qui la gelloit de tant de glace,
Mais ce fut à condition
De te dire l’affliction,
Qu’elle avoit de ceste disgrace.


 Quoy, dis-je, Diane, il vous plaist
Que Sireine sçache qu’il est
Aussi bien que moy miserable,
Cruelle il ne vous suffit pas
Qu’il meure, si de son trespas
Avec vous je ne suis coulpable.


 Ce fut à ce coup outrageux,
Que cet esprit si courageux
Fut contraint en fin de se rendre,
Et fallut que ses yeux à lors
Par des pleurs monstrassent dehors
L’ennuy, qu’il ne leur pûst deffendre.


 Mais toutefois ayant vescu
Jusques à ce coup invaincu,
Invincu, dis-je, en apparence
(Car je croy bien que de son cœur,
Ia de long-temps estoit vaincœur,
Et ton amour, & ceste offence.)


 Diane qui voulut celer
Ses larmes ne m’osa parler,
Mais d’une main dans sa pochette
De prendre un pappier essayoit,
Et ce pendant elle essuyoit
De l’autre, ses yeux en cachette.


 Et tournant la teste à costé,
Prés de toy j’ay trop arresté
(Dict-elle) il faut que je te laisse,
Et toy prend le baiser permis,
Et puis comme tu m’as promis
Va satisfaire à ta promesse.


 Ce pappier pour qui j’ay pleuré
Tu le donneras à Siré,
Et le reste du mot s’arreste
Pris au Palais avec la voix,
Elle part, & moy je m’en vois
Sans presque oser tourner la teste.


 Mais c’estoit peu que cet ennuy,
Au prix (Sireine) de celuy
Qu’elle eust le jour du mariage,
Et pour moy, je ne sçay comment
Amour fist qu’un cœur en aymant
Pûst supporter un tel outrage.


 Las ! en fin venu le matin,
Où nostre mal’heureux destin
Avoit nostre perte ordonnée,
Aussi tost qu’elle se leva,
Mon bien (dict-elle) s’acheva,
Quand commença ceste journée.


 Que n’allat-elle retardant
Pour s’abiller en attendant
Que ce jour desastre s’escoule,
Mais le retarder estoit vain,
Car ce que ne faisoit sa main,
Plusieurs le faisoient à la foule.


 Il est vray que tous ces habis
Qui souloient sur elle jadis
Des beautez accroistre les charmes,
Sembloient de pleurer à ce jour,
Le tort qu’on faisoit à l’amour
Encor qu’on en vit point les larmes.


 Amy Sireine je la vis,
(Tout ce jour-là je la suivis,
Afin que mieux je te redisse
Tout ce qui s’y seroit passé)
Je la vis d’un teint effacé,
Comme ceux qu’on meine au supplice.


 Mais lors que l’on la vint trouver,
Pour de sa main mesme approuver
Les accords de ceste alliance,
Les jambes tremblantes de peur
Et l’extréme tressaut du cœur
Luy en osterent la puissance.


 En fin il le falloit ainsi,
Ma mort doncques je signe icy,
Dict-elle, & en prenant la plume,
Tremblant (Diane) elle escrivit
Amour s’enfuit quand il le vit
Ne laissant que son amertume.


 En fin les esclatans haubois,
L’appellerent à haute voix,
Pour dans le temple la conduire
Chacun la presse, il faut aller,
Mais certes ce fut sans parler,
Quoy qu’autour d’elle l’on pust dire.


 Toutefois quand elle passa,
Prés de chez toy elle addressa
La veuë devers ta cabane,
Et les yeux de larmes rougis,
Tu és, dict-elle, encor, logis
A qui souloit estre Diane.


 Mais que te vas-je racontant
Un mal qui augmente, d’autant
Qu’il est plus vif en la memoire,
Et contente toy de sçavoir
Que j’eus plus de force à le voir
Que de creance pour le croire.


 Je ne pouvois croire en effet
Qu’un si grand outrage fut fait
A Silvan, Sireine, & Diane,
Sans que les Dieux l’eussent puny,
Mais quoy ! le jour estant finy
L’effect ma creance condamne.


 Amy je meurs y repensant
Du mesme glaive me blessant
Dont mon ame à lors fut atteinte,
Amour qui te vantes si fort,
As-tu bien pû souffrir ce tort
A quoy le devoir l’a contrainte ?


 Les graces dans ce lict, au moins
Ne furent oncques les tesmoins
Des effects de cet Hyménée,
Ny les voyant ensemble nuds,
Jamais le ceston de Venus
N’a leur courtine environnée


 Sireine escoutant ces propos
Alloit tremblant à tous les mots,
Mais quand il sçeut que sa Bergere
Par l’injustice du destin
Estoit d’un autre le butin,
Il parle ainsi plein de colere,


 Doncqu’Amour a esté vaincu,
Doncques (Silvan) j’ay survescu
La perte de mon esperance,
De tels coups demeurer vaincœur,
C’est plustost un deffaut de cœur
Que non pas effort de constance.


 Il dict, & porté de transport
Ne songeant plus rien qu’à la mort,
Part sans la lettre de Diane,
Mais Silvan accourut soudain
Qui là luy remit dans la main,
Et puis retourne en sa cabane.


 Sireine à lors se voyant seul,
Se donne tout à faict au deul
D’une humeur tant appesantie,
Et si fort troublé qu’il jugeoit
Que tout ce qui ne l’affligeoit,
Fust de son mal une partie.


 Mais pendant que d’esprit perclus,
Plus il pense en son mal, & plus
Il treuve du mal qui l’outrage,
Le vieillard party devant luy
Et moins retardé de l’ennuy,
Avoit plus hasté son voyage.


 Désja l’amoureux messager
Pouvoit asseurément juger
Les hameaux de chasques villages,
Désja il remarquoit les toigts,
Désja son œil faisoit le chois
Par l’habit presque des visages.


 Icy Esla, & ses peupliers,
Là, la fontaine aux alisiers,
Icy la champestre cabane
Des pauvres Sireine, & Sivant,
Celle à Delio plus avant,
Où habitoit désja Diane.


 Car depuis qu’il estoit party,
Cupidon avoit consenty
Qu’au devoir se sousmit sa flame,
Et que Diane qu’on vit tant
Aymer un Sireine constant,
D’un Delio devint la femme.


 O sable mouvent & leger,
Esprit qui ne sçaurois loger
Nulle constance dans toy-mesmes,
Mal’heureux qui te veut aymer
Puis qu’on ne sçauroit estimer,
Combien volagement tu aymes.


 L’onde suit l’onde promptement,
Plus le vent le vent vehement,
Plus viste encor l’aage suit l’aage,
Le penser les peust devancer,
Mais l’eau, l’air, le temps, le penser
Sont moins prompts que ton cœur volage.


 Ainsi ce Berger ayant sçeu,
Comme Diane avoit reçeu
Pour espoux autre que Sireine,
Désja son Sireine pleignoit
Pour l’ennuy futur qu’il creignoit
Qu’il deust avoir de ceste peine.


 Huict jours estoient désja passez
Que d’oublis non point effacez,
Mais d’Hymen estoient les services
De Sireine, & que retenir
Encor de luy le souvenir,
C’estoit estre de ses complices.


 Les conviez estoient partis,
Les flambeaux estoient amortis
Dont le chaste Hymen on allume,
Désja les instruments cessoient,
Et toutes choses finissoient
Qu’à des nopces on accoustume.


 Lors que pour plus legerement
Escouler son aspre tourment,
Elle sort du logis champestre,
Mais Diane plus ce n’estoit,
Car la douleur qui l’abatoit,
Ce qu’elle fust, l’empeschoit d’estre.


 Ses yeux pleins d’amoureux eslans
N’estoient plus qu’abatus & lents,
L’œillet & le lis du visage
Estoient ternis & sans couleur,
Et en leur lieu plein de pasleur,
Estoit l’ennuy du mariage.


 Sa lévre l’aymant du baiser,
Qui ne souloit favoriser
Que l’amour qui estoit extréme,
Estant contrainte de toucher
Un autre qu’elle avoit moins cher,
Estoit de regret toute blesme.


 Amour qui souloit desdaigner,
Son cher paphos pour n’esloigner
Les actions de ceste belle,
De loing la regardoit confus,
Mais l’honneur l’en esloignoit plus,
Qu’autre chose qui fut en elle.


 Telle la voyant au retour,
Ce Berger cogneut bien qu’amour
Estoit banny de son courage,
Ou que pour le moins la raison
Le tenoit en telle prison,
Qu’il n’osoit monstrer le visage.


 Il cogneut bien, qu’helas ! en vain
Il avoit fait si long chemin,
Et que morte estoit l’esperance
De pouvoir Sireine sauver,
Toutefois il veut esprouver
Tout ce qui est en sa puissance.


 Donc à Diane il s’addressa,
Mais elle qui le caressa
A son despart ores changée
Ne deigne le voir au retour,
C’est (peut estre) signe d’amour,
Mais signe d’amour affligée.


 Diane (dict-il) si j’ay faict
Un si long chemin sans effect,
Je prie le ciel qu’il punisse
Celuy à qui en est le tort,
Non point par une prompte mort,
Mais avec un plus long supplice.


 Sireine à ton commandement,
Est party aussi promptement
Comme son amour de ton ame,
Mais où vient-il l’infortuné !
Il verra qu’il est ordonné
Que l’oubly soit en toute femme.


 A ces mots, la voix il changea
En des souspirs, & abbregea
Les reproches qu’il vouloit faire,
Il vouloit dire, ô sans amour
J’en verray la vangeance un jour,
Mais ! il fut contraint de se taire.


 Le Messager en cet instant,
La lettre à la Bergere tend,
Que froidement elle refuse,
Berger (dict-elle) je ne puis,
Celle que je fus, je ne suis,
Que cela me serve d’excuse.


 Ainsi qu’un torrent courroucé
Retenu d’un bort rehaussé
Quelque temps en soy se repose,
En fin ses deffences forçant
A l’entour s’en va terrassant,
Tout ce qui contre luy s’oppose.


 Ainsi le Berger transporté
De la nouvelle cruauté,
Dont Diane usoit à Sireine,
Va (dict-il) va soule ton cœur
De son sang, & de ta rigueur
Perfide, mais plus inhumaine.


 Diane ne luy respondit,
Parce qu’elle ne l’entendit
Estant partie toute triste,
Grand force d’un amour parfaict
Vaincœur, qu’est-ce que n’eust pas faict
Qui vaincu, toutefois resiste.


 Ainsi Diane s’en allant
Avec le regret violent,
Que ce ressouvenir rameine,
Rencontre Seluage en chemin,
Passant, elle luy tend la main,
L’œil de pleurs, le cœur plein de peine.


 Ceste estrangere n’avoit veu
Sireine, mais avoit bien sçeu
L’amour de luy, & de Diane,
Car Diane qui l’aymoit tant,
Souvent la luy alloit contant
Estant seules en leur cabane.


 Depuis le despart du Berger,
Elle s’estoit venu loger
Par hazard le long du rivage
Du doux Ezla, pleine d’ennuis,
Où elle & Diane depuis
Ne firent souvent qu’un mesnage.


 Or elle remarquant de loing
Le trouble de Diane, eust soing
De sçavoir si c’estoit Sireine,
Mais voyant ce vieux Messager
Qui és-tu ? d’où viens-tu Berger ?
(Dict-elle) & quel subject t’ameine ?


 A ces accents si gracieux,
Le Berger releve les yeux,
Et voyant la belle estrangere
Si pitoyable à sa douleur,
D’un souspir qui luy part du cœur
Respond ainsi à la Bergere.


 Ainsi les dieux te soient amis,
Ainsi tes desplaisirs sousmis
Aux bon-heurs que ton cœur desire,
Puisse-tu jouyr pour tousjours
De tes bien-heureuses amours
Sans onc en avoir du martyre.


 Comme tu as compassion
De la plus belle affection,
Et où plus tout honneur abonde
Que jamais amour ayt produict,
Et que celle qui la destruit
Est la plus ingratte du monde.


 Et puis en fin que s’en est faict
Et que chacun désja le sçait
De le taire c’est chose vaine,
Sçache donc que Diane un jour
Qu’Hymen n’avoit vaincu l’amour
M’envoya visiter Sireine.


 Ses yeux pleins d’amoureux flambe
Ressembloient à lors des ruisseaux,
Sa voix qui n’estoit que louange
De Cupidon & de ses traicts,
N’estoit sinon voix de regrets,
Et Hymen causoit tout ce change.


 Sa pitié tellement m’esmeust,
Que quand commandé elle m’eust
De courre d’un à l’autre pole,
Je n’eusse osé la refuser
Tant elle avoit sçeu m’abuser
Avec sa flatteuse parole.


 Je trouvay Sireine, mais non
Du Berger n’y avoit sinon
Du visage, l’idole vaine
Et le reste estoit enchanté,
En elle qui rien d’arresté
N’eust onc que le cœur de Sireine.


 Ce Berger oyant mon discours
Cogneut bien ses foibles amours,
Et moy qui eusse creu moins stables
Les plus grands rochers de Leon
Luy en ostois l’opinion,
Par serments trop peu veritables.


 Mais comme nous voyons souvent
Nos Bergers cognoistre devant
La cheute d’un prochain orage,
Par les apparences de l’air,
Sireine aussi m’oyant parler
Prévit bien ceste humeur volage.


 Il prévit bien que de son cœur,
Quelque nouvel amant vaincœur
Ravissoit son ame infidele,
Toutefois pour avoir au moins
Les mesmes meurtriers, pour tesmoings
De sa mort, il s’en vient vers elle.


 Il resoult à un retour,
Encor qu’il n’espere d’amour
Que la mort seule pour salaire,
Et veut bien puis qu’amour le veut
Souler de sa mort s’il le peut,
Elle qui semble de s’y plaire.


 Voila donc ce pauvre pasteur
Desdaignant toute la faveur,
Que de ce grand pasteur son maistre
Il avoit onc pû meriter,
Qui vient (helas) luy presenter
Ce cœur qui le sien souloit estre.


 Mais Dieux ! quelle reception !
Mais Dieux ! quelle confusion !
Quel desespoir sera le nostre
Helas ! Sireine, tu verras
Que celle que tu adoras
Ingrattement en ayme un autre.


 Desolé Berger je te pleins,
Je vous pleins desastrez desseins,
Desirs conçeus en apparence
Pleins de raison, mais en effects,
Pauvres desirs plus imparfaicts
Que n’est une folle esperance.


 Ne puissent-ils jamais venir,
Ou qu’ils perde tout souvenir,
Ou venu que soudain il meure,
Car qui languissant ne peut pas
A la fin fuir le trespas,
Doit-il pas mourir de bonne heure ?


 Ce pendant qu’il alloit parlant
Les larmes tomboient emperlant
Sa barbe à long plis ondoyante,
Seluage de pitié s’esmeut
Pour le ressouvenir qu’elle eut
Qu’amour de mesme la tourmente.


 Belle luy dict le Messager,
Si jamais amour pûst loger
En ce cœur où semble avoir place,
La pitié de Sireine helas !
Au moins pour le dernier soulas
(Bergere) fay luy ceste grace.


 Voicy (dict-il) en luy monstrant
La lettre qu’en sa poche il prend
Une responce de Sireine,
Belle je te requiers par toy
Ou si tu aymes par ta foy
La donner à ceste inhumaine.


 Berger (dict-elle) je te pleins,
Je pleins Sireine & ses desseins,
Je pleins Diane & sa fortune,
Et je ressens si vivement
De tous les trois l’aspre tourment,
Que la peine m’en est commune.


 J’estime ta compassion,
J’ayme de luy l’affection,
D’elle je loüe la sagesse,
Mais pour rappeller vostre bien
(Berger) personne n’y peut rien,
Ny luy-mesme ny sa maistresse.


 A fin que tu ne penses pas
Que je veüille plaindre mes pas
Pour y raporter du remede,
Je prends ceste lettre & feray
Pour luy tout ce que je pourray,
Mais son mal du devoir procede.


 Le devoir (belle) n’a pouvoir
(Dict le Berger pour l’esmouvoir)
Où le vray amour prend sa place
L’amour (respond-elle) est au cœur,
Mais s’il n’y est avec l’honneur
La honte incontinant le chasse.


 (Berger) je n’ay passé mes jours
Sans esprouver de ses amours
La pointure la plus amere,
Mais s’il me fust lors arrivé
Ce que Diane a esprouvé,
Autant j’en eusse voulu faire.


 Sa mere le veut, il le faut
Aussi est-ce trop de deffaut
Son vouloir en cela ne suivre :
Mais, dict-il, tromper ses amours,
Vivre aussi sans honneur tousjours !
Il vaut mieux, dict-elle, ne vivre.


 Mais à Sireine avec ce tort
(Dict-il) elle donne la mort :
La mort (dict-elle) est peu de chose
A une personne de cœur
Au prix de la mort de l’honneur,
Car l’honneur à tout se prepose.


 Mais, respond-il, faute commet
Qui ne tient pas ce qu’il promet,
La foy doit estre inviolable,
Onc (dict-elle) elle ne promit,
Quand à aymer elle se mit
D’aymer plus qu’il fust raisonnable.


 Ainsi son amour fleschissant
A l’honneur dont il va naissant
Le vœu d’amour elle n’offence
Car il n’eust jamais obtenu
Le cœur à son traict si cogneu
Si d’honneur il n’eust eu naissance.


 Or en fin (Berger) s’en est faict,
Amour hayt un amour parfaict
Et ne se plaist qu’à l’inconstance,
Mais encor faut-il advouer
Que l’amant n’est pas à louer
Que use en amour d’imprudence.


 Je croy que Diane l’aymoit,
Et qu’en son cœur elle estimoit
N’y avoir rien plus incroyable
Que luy faire changer d’humeur,
Mais n’en devoit-il avoir peur,
Puis qu’en amour tout est faisable.


 Comment peut-il estre excusé
De n’en avoir tres-mal usé,
Veu la longueur d’un si long terme,
Puis qu’est-ce qu’une fille peut
Contre ce que sa mere veut ?
Luy-mesme eust-il esté plus ferme ?


 Ah ! Berger s’il eust bien appris
Qu’elles sont les loix de Cypris,
Il eust cogneu que de l’absence
Naist l’oubly comme son effect
En l’aage mesme plus parfaict
Et pourquoy non point en l’enfance.


 Ne prends-tu garde que nostre œil,
Ne voit qu’autant que le soleil
Luy esclaire de sa lumiere ?
Le cœur aussi le plus souvent
Ayme autant comme il a devant
L’objet de la personne chere.


 O Berger dy luy de ma part,
Qu’autrefois ç’a esté hazard,
Ou bien particuliere grace
Si absent elle l’a aymé,
Amour n’a pas accoustumé
Qu’en fin l’absence ne l’efface.


 Qui est loing des yeux l’est du cœur,
L’exil est d’amour le vaincœur,
Et ceste science ast si seure
Pour sa liberté rapeller,
Que qui s’en sçait bien en aller
Sçait bien oublier en peu d’heure.


 Mais ! vous parents, qui avez faict
Un si bel amour imparfaict
Par vos injustes tyrannies,
A jamais puissiez-vous sentir
Les longs remords d’un repentir
D’avoir ces ames desunies.


 A ce mot, elle s’en alla
Et laissa le Messager là,
Tant outré d’ennuy & de peine
Qu’il n’eut le courage assez fort,
Pour soustenir le triste abort
Qu’il prévoyoit de son Sireine.


 Ainsi donc sans tourner à luy
Le cœur gros d’un extréme ennuy.
Il va retrouver sa cabane,
Regrettant le mal du Berger,
Maudissant amour trop leger,
Et sur tout hayssant Diane.


 Heureux qui vit maistre de soy
Qui est à soy-mesme sa loy
Et qui (disoit-il) ne s’engage
Pour l’amour le Tyran des cœurs
Aux services ny aux rigueurs,
Mais passe en liberté son aage.


 Ce pendant Sireine tout seul
Pressé de son extréme deul,
Descendoit les hautes montagnes
Et les rochers du grand Leon,
N’ayant que son affection
Et son regret qui l’accompagne.


 Amour la fortune & le temps
Trop invincibles combatans,
Le traictoient d’une telle sorte,
Que du moindre mal qu’il souffroit
En tel estat il n’esperoit
Sinon, qu’un desespoir l’emporte.


 Désja l’infortuné Berger
Ne craignoit le futur danger
Dont l’avoit menacé l’absence,
Et désja plus il ne pensoit
Aux craintes que l’oubly conçoit,
Tout son mal estoit en presence.


 Ainsi le vouloit son destin,
Il voyoit accomplir en fin
Tous les soupçons de ses disgraces,
A son dam, si mal advenus,
Helas ! qu’il n’y avoit rien plus
Dont il pûst craindre les menaces.


 Doncques le Berger arrivant
Où le doux Ezla va lavant
L’herbage qui ses bords tapisse
En mille replis gracieux
Tous ces objets delicieux
Luy furent subjects de supplices.


 D’autant qu’il firent revenir,
Aussi tost à son souvenir,
Le temps heureux qu’en ceste place
Autrefois il avoit passé,
Temps dont l’heur estoit effacé
Dessoubs l’obscur de sa disgrace.


 Lors un à un tous ses plaisirs,
Lors un à un tous ses desirs
Et ses affections mal-veuës,
Comme un camp armé de soldats
Vindrent à luy de toutes parts
Comme s’ils faisoient leurs reveuës.


 Et si bien l’atteint ce penser
Qu’il ne pust plus outre passer,
Mais s’assit au pied d’une haye
Dont un tertre se herissoit,
Au bas la fontaine passoit
Où premier il reçeut sa playe.


 Alors l’infortuné pasteur
Assailly de trop de douleur
N’eust point assez de fortes armes,
Pour, surmontant ses desplaisirs,
Donner la loy à ses souspirs,
Ny rompre le cours de ses larmes.


 Doncques tournant contre les cieux,
Des ruisseaux de pleurs, non des yeux,
Des sanglots, & non la parole,
Il descouvre par tel accent
Le mal que tant plus il ressent,
Que moins tout espoir le console.


 Ennemie de mon repos !
O ma memoire à quel propos
Faut-il qu’encores tu publies
Tant de contentements passez,
Puis qu’helas ? estant effaçez
Il vaut mieux que tu les oublies.


 Helas ! ne seroit-il meilleur
Me faire oublier le mal’heur
Qui present tousjours se rangrege,
Que de me faire souvenir
D’un temps qui ne peut revenir,
Et que la memoire n’alege ?


 En fin memoire que dis-tu ?
Que dedans ce pré revestu
De ces fleurs riches d’esmailleure,
Pour la premiere fois je vy
Diane helas ! par qui je vy
Et par qui je meurs à ceste heure.


 Quoy ? qu’en ce pré je fus blessé,
Que là mesme je commençay
De ressentir ce que mon ame
Onc n’achevera de pleurer,
Que là je l’ouys souspirer,
Mais helas ! de souspirs de femme.


 Qu’à ceste fontaine souvent,
Luy estant à genoux devant
Et luy baignant la main de larmes.
Que je seichois d’un long baiser,
Elle versa pour m’appaiser
Des pleurs, dois-je dire des charme.


 Des charmes doncques en ses yeux
Et des serments malicieux
En sa bouche prenoient naissance,
Lors que trompeuse elle juroit,
Qu’à jamais mienne elle seroit,
Amour tu m’en dois la vengeance.


 Si pendant ton facheux sejour
(Dict-elle) quelque ardeur d’amour,
Ou bien si en toute ma vie
Quelque oubly s’approche de moy,
Fasse amour pour venger ma foy
Que de moy-mesme je m’oublie.


 Je jure que jamais parents
Contre moy devenus tyrants,
Ny mere plus qu’ourse cruelle
Ne pourront mon amour changer,
Toutes choses courent danger
Du changement, mais non point elle.


 Vy donc contant, & soys certain
Que non pas mesme le destin
Ne peut sur ce que je t’asseure,
Fasse le ciel ce qu’il voudra
Jamais autre ne deviendra
L’affection que je te jure.


 Helas ! sons-celà des serments,
Dont les infideles amants
(Dict-il) lors d’une voix plus haute
Doivent demeurer impunis,
S’il est ainsi les Dieux unis
Sont les complices de leur faute.


 Sont-ce serments qu’on d’eust penser
Que le temps pouvoit effacer ?
Ou que l’oubly pûst faire entrée
Au cœur dont ils estoient sortis ?
Où les creust-elle trop petits
Pour ne se croire parjurée ?


 Un jour assise vis à vis
De ceste rive je la vis,
Lors envers moy tant engagée,
Que pour moy seul elle vivoit,
Et là sur le sable escrivoit
Du doigt : Morte avant que changée.


 Mais voyez ce que l’amour faict,
Mon cœur a pû croire en effect
Pour une chose veritable
Sans que ma raison l’en desdist,
Ce qu’à lors une femme dict
Et qui fust escrit sur le sable.


 J’eus ceste bague de sa main
Lors que je me mis en chemin,
Comme pour un gage fidele
Qu’aux efforts de l’esloignement
Plus ferme que le diamant,
La foy s’esprouveroit en elle.


 Et n’at-elle pas ressenty
Que son cœur en deux s’est party,
Puis que sans coup la pierre dure
Le mesme jour se mit en deux,
Qu’esteignant à mon dam ses feux
Elle rompit sa foy parjure ?


 Ces mots qui faisoient de ses yeux
Sortir tant de pleurs ennuyeux,
Si vivement le retoucherent
Qu’avec les pleurs, qui comme flots
Noyoient son sein, mille sanglots
La voix en fin luy reboucherent.


 Et lors recourant au mouchoir,
La lettre en terre il laissa choir
Que Silvan luy avoit donnée,
Apres quelque temps s’estre teu,
Toy lettre aussi, dict-il, viens-tu
Redoubler ma peine ordonnée ?


 Puisse mourir qui te lira,
Mais helas ! eh, qui laissera
Pour mille trespas de te lire ?
Long-temps je m’en suis deffendu,
Mais en fin me voicy rendu
Voyons (mes yeux) nostre martyre.


 Il dict, & la descachettant
Combien mon cœur vas-je achettant,
(S’escriat-il) de si doux charmes !
Et combien amour aussi tost
Me feras-tu de chasque mot
Payer de centaines de larmes !


 A ces mots à peine accomplis
Du pappier il ouvre les plis,
Mais soudain que l’œil il y gette
Du doubte incertain & tremblant,
Il voit que d’un encre sanglant
Toute ceste lettre estoit faicte.


 Le Berger n’estoit point deçeu,
Car soudain que Diane eust sçeu
Qu’il ne luy estoit plus possible
D’esloigner par ruses le jour,
Qu’elle devoit à son amour
Faire une playe si sensible.


 Toute seule se va cacher
Au creux d’un sauvage rocher
Pleurant sa dure destinée,
Et detestant le jour maudit
Que pour elle, à sa mere on dict
Qu’une fille luy estoit née.


 Vous Dieux qui pouvez tout çà bas
(Dict-elle) avancez mon trespas,
Et puis que par vostre ordonnance
Vous n’avez voulu pour mon deüil
Que mon berceau fust mon cercueil,
Faictes que ce soit mon enfance.


 Puis qu’il ne vous pleust pas ! ô Dieux !
Qu’aussi tost que j’ouvris les yeux
Je pusse finir ma journée,
Faictes au moins qu’avant le jour
Qu’il faut que meure mon amour,
Ma mort par vous soit ordonnée.


 Elle dict, & d’un œil ardant,
Tout l’autre elle va regardant
Et toy caverne, luy dict-elle,
Qui nous a si souvent couverts
Sireine & moy, combien divers
Est ce temps de saison si belle ?


 Soys tesmoing que dedans ses lieux,
Je reclamay cent fois les Dieux
Pour haster ma mort desirée,
Quand je sçeus que le jour venoit
Où le sort cruel ordonnoit
Que je me visse parjurée.


 A ce mot les yeux on doyants
Aux pleurs qui les alloient noyant ;
Ne pouvant d’avantage dire
Le mal qui venoit l’outrager,
A fin d’autant se descharger
Elle se resoult de l’escrire.


 Mais en trouvant à son secours,
Ancre ny plume *** secours
Au sang qui boüilloit dans ses veines,
Que d’une esplingue elle entr’ouvrit,
Et puis du gros bout escrivit
Une partie de ses peines.


 Ce sang (Sireine) je l’ay pris
De la mesme main dont j’escris,
Aussi est-il bien raisonnable
Que je punisse ceste main,
Qui perfide me doit demain
Rendre avec elle si coulpable.


 Ce pendant il t’assurera,
Quand quelqu’un te racontera
Ceste desplorable journée,
Que si ma vie au papier blanc
J’eusse pû mettre avec mon sang,
Je ne l’eusse pas espargnée.


 Mais c’est le ciel cruel qui veut
Faire voir à mon dam, qu’il peut
Donner une peine plus grande
Aux mortels, que la mort n’est pas,
Qui est desnier le trespas
Lors que plus on le luy demande.


 Mais quoy qu’il fasse contre moy,
Il ne peut alterer ma foy
Ny m’empescher que je ne t’ayme,
Diane Sireine aymera
Tant que Diane elle sera,
Sireine en ferat-il de mesme ?


 Lors que Sireine eut leu ces mots,
Mes yeux (dict-il) à quel propos
Lisons-nous de ceste infidele
Les serments qui ne sont jurez
Qu’à dessein d’estre parjurez,
Soudain qu’ils sont conceus en elle ?


 Les plaintes ny les tristes pleurs
Qui naissoient des aspres mal’heurs
De ce Berger, n’eussent eu cesse,
Si deux Nymphes venant passer
Prés de luy, n’eussent son penser
Diverty du mal qui le presse.


 Leurs cheveux voloient vagabonts
Esmeus du vent à petits bons,
Et tels que jadis Harpalice
Les laissoit espanchez au vent,
Lors que les chevaux bien souvent
Elle domptoit pour exercice.


 Comme soubs l’obscur de la nuict,
La lune en ses rayons reluit
Au travers de quelques nuages,
Des Nymphes luy soient amoureux
Au travers de leurs longs cheveux
Les rayons de leurs beaux visages.


 Un lien de perle empouloit
Leur sein qui jeune poumeloit,
Et ses perles orientales
N’estoient pour enrichir leur sein,
Mais pour faire voir à dessein
Leur blancheurs ne leurs estre esgales.


 Leurs robes blanches jusqu’en bas
Ostoient la veuë de leur pas,
Bien qu’entre-ouvertes soubs la banche
Quelquefois si le vent poussoit
Le brodequin leur paroissoit
Qui monstroit la jambe plus blanche.


 L’arc & la fleche dans la main
Soubs l’espaule le carquois plein,
Mais quoy ? chacune d’elles porte,
D’autres traicts bien plus acerez
Dans les yeux, qui estant tirez,
Ont bien une pointe plus forte.


 Or ces Nymphes venoient d’un pas
Qui sembloit presque d’estre las
Se rafraischir à la fontaine,
Fontaine destiné sejour
Des sacrez mysteres d’amour,
Mais plus des secrets de Sireine.


 Le soleil quoy que tout d’ardeur
N’avoit pû vaincre la froideur
De son cristal ny de l’ombrage,
Si bien que ces Nymphes soudain
Y plongeant l’une & l’autre main
S’en rafraischirent le visage.


 Alors Doride s’essuyant
Et l’œil curieux tournoyant,
Voicy (dit elle) la riviere
Où Polidore avoit gagé,
Quand de nous elle prit congé
Qu’elle arriveroit la première.


 C’est icy (dit Cynthie) a lors
Ne recognoissez-vous les bords
D’Ezla qui en peupliers abonde,
Voicy la fontaine qui prend
Son nom des Alisiers, & rend
A ces prés si douce son onde.


 De ce costé souloit loger
Jadis Sireine le berger,
(Berger) qui Phœnix en constance
Aymant un Phœnix en beauté,
Fut payé de legereté
D’amour indigne recompence.


 A quoy Doride respondit,
Ne croyez point ce qu’on en dict
J’en sçay des nouvelles certaines,
Je croy Sireine estre constant,
Mais Diane l’est bien autant
Et souffre plus que luy de peines.


 Je recognois ores ce lieu
Par hazard allant dire Adieu,
Avecque deux de nos compagnes,
A la sœur du pasteur Carlin
A qui sont donnez par destin
Tous les gras trouppeaux des Espagnes.


 Je vins icy pour sous le frais
De ces Aliziers plus espais,
Passer la chaleur plus ardante,
Mais lors que je voulois partir
Je vis du vilage sortir
Diane, toute mescontante.


 A sa façon chacun jugeoit
Que quelque chose l’affligeoit,
Elle alloit, & seule, & pensive,
Toutefois Seluage de loing
La suivoit, monstrant d’avoir soing
D’alentir sa douleur trop vive.


 Aussi tost qu’elle fut icy
Haussant vers le ciel le sourcy,
Elle dict de voix douloureuse,
Si ce qu’on nomme en moy beauté
M’a mis en ceste extrémité,
Rend moy moins belle, & plus heureuse.


 Ou bien puis qu’il falloit en fin
Par l’ordonnance du destin
Que seulement je fusse aymée,
Pour aymant mourir de douleur,
Pourquoy (Sireine) mon mal’heur
Me rend-il de ta mort blasmée ?


 Je sçay qu’on m’en donra le tort,
D’autant que pour glaive si fort
Amy, trop foible est ta constance,
Et si je te survis d’un jour
Qu’on nommera deffaut d’amour
Cest excez de ma patience.


 A ces mots la voix luy faillit,
Le beau visage luy paslit,
Les yeux pleins de divers orages,
En l’estomach mille souspirs,
Dans l’ame mille desplaisirs
Furent du cœur les tesmoignages.


 En ce temps Seluage arrivant,
Et en tel estat la treuvant
Les pleurs furent communs entr’elles,
Elle avoit senti quelquefois
Quel est amour, & quelles loix
Il ordonne à ses plus fidelles.


 Tout ce qui a commencement
Finit, si ce n’est le tourment
(Dict-elle) dont ce mal te blesse,
Par ce respond Diane à lors
Que tousjours de nouveaux efforts
Vont renouvellant ma tristesse.


 Premierement j’ay plaint l’exil,
Ores helas ! helas ! faut-il,
Faut-il, qu’à la fin je le die,
Mais pourquoy, le tairois-je helas !
Puis que le dire, ce n’est pas
La cause de ma maladie ?


 Ores helas ! il faut pleurer
Et ne faut les pleurs mesurer,
Mais le pleurer est inutile
Si ce n’est qu’en goutte de pleurs,
Mon sang pour plaindre mes douleurs
En larmes en fin se distile.


 Il faut pleurer, ores helas !
Non point un, mais mille trespas,
Mille trespas ? ains la mort mesme
Est trop peu pour dire un tel mal
Qui n’a que soy-mesme d’esgal,
Tant il est en soy-mesme extréme.


 Helas ! en fin il faut quitter
Tout ce qui me peut contenter
Tout ce que j’ayme & que j’adore,
Pour ce que je ne puis aymer,
Mort as-tu rien de plus amer
Et quel mal reste-il encore ?


 Doncques l’amour veut consentir,
De mon cœur ne pouvant partir
Qu’avec moy je le rende esclave,
Mais fleschy dessoubs le devoir,
Pourrat-il sans honte, se voir
Despoüillé d’un vaincœur qui brave ?


 Sireine que deviendras-tu,
Voyant mon cœur estre abbatu,
Soubs la force & soubs l’artifice
De mes desnaturez parents ?
Qui m’offrent comme des Tyrans
A Delio pour sacrifice.


 J’auray moins de mal à mourir
Qu’à si grand outrage souffrir,
Mais quoy ? je tremble toute en l’ame,
Foible esprit contre un fort mal’heur,
Tu merite bien la douleur
Dont tu n’oses fuyr le blasme.


 A ce mot comme on voit le feu
Dedans la lampe peu à peu
Finir, sa mesche estant finie,
Ceste belle s’alloit mourant
Et de ses pleurs le seul torrent
Estoit encor signe de vie.


 Ce que Doride racontoit
Le triste Berger l’escoutoit,
Et eust parachevé encore
Le discours de ce qui suivit,
Mais au bout des prez, elle vit
La belle Nymphe Polidore.


 Ainsi leur compagne arrivant
Toutes deux luy vont au devant,
Et la meinent à la fontaine
Se reposer à la fraicheur,
Mes sœurs (dict-elle) ma longueur
Procede du Berger Sireine.


 Et nous dirent-elles aussi,
Nous treuvant oyseuses icy
Alions parlant de sa fortune
Doncques (dict-elle) toutes trois
Nous avons eu pour ceste fois
Si belle rencontre commune.


 Et passant dedans ses taillis
Qu’Ezla moüillant de ses replis
Faict croistre en despit de la roche,
J’entr’ouys quelqu’un discourant,
Lors curieuse desirant
Sçavoir qui c’est je m’en approche.


 Je vis une Bergere helas !
Triste plus qu’on ne croiroit pas
Couchée de son long en terre,
Tenant la teste sur la main,
Et ses reins du coude au terrain
S’appuyoient au dos d’une pierre.


 Deux ruisseaux de ses yeux sortoient,
Et les sanglots qui tourmentoient
Le triste sein de ceste belle,
Ressembloient à ces flots chenus
Qui entre les rochs retenus,
Jusqu’au ciel sautent en parcelle.


 Lors qu’en cet estat je la vis,
Cheres sœurs, il me fut advis
De voir au prés de Galathée,
Acis qui en eau se changeoit
Sous la roche qui l’outrageoit,
Quand Polipheme l’eust jettée.


 Lors pensive elle se taisoit,
Et sa compagne luy lisoit
Un papier duquel l’escriture
Luy faisoit jetter ses regrets,
Par hazard je fus assez prés
Pour en ouyr telle lecture.


 Diane en fin par vostre oubly
Mon soupçon se treuve accomply,
Et ce Sireine qu’on vit estre
Pour vous si remply de bon-heur,
Pour vous n’aura plus que douleur,
Pour monstrer qu’amour est un traistre.


 Et vous voulez pour rendre esgal
Au bien passé ce present mal
Que par la veuë je le sente,
Cruelle vous sçavez fort bien
Que comme l’œil accroist le bien,
Le mal’heur aussi s’en augmente.


 Et bien je m’en vas vous treuver,
Mais ce n’est que pour espreuver
Combien une femme est volage,
Si sçay-je bien qu’un repentir
En fin vous fera ressentir
Que ma perte est vostre dommage,


 Jamais vous n’acquerrez un cœur,
Onc vostre œil ne sera vaincœur
De volonté qui soit plus vostre,
Je jure tout ce que je puis
Que si tout à vous je ne suis,
Je ne suis mien ny à nul autre.


 Jugez par là, si vous pouvez
Rompre la foy que vous devez
Sans en estre à jamais blasmée,
Les Dieux punissent rudement
Celle qui deçoit un amant,
Alors qu’elle en est bien aymée.


 Je seray donc au prés de vous,
Ma mort surmontera vos coups :
Mais j’y seray sans nulle tasche,
Et vous n’y serez pas ainsi
Qui peu fidele aurez noircy
Vostre foy d’un acte si lasche.


 La triste Bergere ne pût
Permettre que plus outre on lûst
La lettre qu’escrivoit Sireine,
Helas ! ma sœur que sert cela
(Dict-elle) tout ce qu’il met là,
N’est que trop vray, & c’est ma peine.


 Mais Seluage, c’est sans avoir
Nulle esperance de pouvoir
Qu’en mourant, y donner remede,
Le mal procede bien de moy,
Mais le remede que j’y voy
Seulement de ma mort procede.


 J’ayme Sireine, & ne faut pas
Que je die que le trespas
Ne me soit plus aisé de prendre,
Que n’est la resolution
De vaincre ceste passion,
Mais, si me faut-il l’entreprendre.


 De ne l’aymer, je ne le puis,
Aussi en l’estat où je suis,
De l’aymer, mon bonheur j’offence,
Je fay contre moy en l’aymant
Contre luy faisant autrement,
Mais contre moy, moindre est l’offence.


 Doncques pour offencer le moins
(Et m’en soient tous les Dieux tesmoins,
Hors Hymen perte de ma joye)
Je jure de l’aymer tousjours,
Mais pour mon honneur mes amours
Si je puis je ne veux qu’il voye.


 O quel devint à ces propos
Les ravisseurs de son repos,
Sireine au pied de ceste haye
Encor faict ce soulagement,
Ne pouvant guerir son tourment
De voir ainsi flatter sa playe.


 Quel mal’heur que de desunir
La foy qui devoit retenir
Diane, a Sireine arrestée,
Fasse le ciel pour les venger
Que qui la faict puisse loger
L’aygle que repaist Promethée.


Fin du retour, troisiesme livre de Sireine.


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Extraict du Privilege du Roy.




 Par lettres patentes du Roy données à Paris, & scellées du grand sceau en cire jaulne sur simple queuë, signé par le Roy en son Conseil, Addée : Il est permis à Jean Micard, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer par tel imprimeur qu’il choisira bon estre, les œuvres tant en prose qu’en vers, composez par Messire Honoré d’Urfé. Gentil-homme de la Chambre du Roy, Capitaine de cinquante hommes d’armes de ses Ordonnances, Comte de Chasteau-neuf, Baron de Chasteau-Morand, & c. Sans qu’aucun les puissent imprimer, sans le congé & consentement dudict Micard pendant le temps & terme de dix ans entiers & accomplis, sur peine de confiscation des exemplaires, & de deux cens escuz d’amende applicable moytié aux pauvres & l’autre moytié audict suppliant, & de tous despens dommages & interests, ainsi comme il est plus amplement contenu és lettres du dict privilege.